xantox a écrit :
Ce n'est pas mon intention, il s'agit de remarquer si le parcours de la discussion fait émerger des points de désaccord qu'il serait productif d'approfondir, alors que dans ce cas précis, puisqu'il y a accord, l'intérêt d'un tel approfondissement m'a semblé plus didactique.
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Quel est l'intérêt pour toi de ce "parcours" ? Car je constate que les réponses ressemblent souvent à une formalité administrative, seulement "motivées" par une charte du dialogue réduite à sa plus simple expression : le droit de réponse. Partant, l'époque de la "promenade" et du "salut pour le rapprochement" semble révolue, ce qui est regrettable.
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xantox a écrit :
Je ne suis pas sûr de comprendre ce qu'est le néant pour pouvoir te répondre sur le premier point.
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Il n'y a précisément rien à comprendre.
xantox a écrit :
L'idée d'un "cosmos sans conscience perceptive" n'est probablement aussi celle de personne ici.. je te propose que tu reformules celle que tu pense être ma position quant à ce point, ainsi qu'une ou deux implications inacceptables que cela te paraît avoir, afin que j'aie un point de départ pour pouvoir l'expliquer ou préciser davantage.
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Il s'agit du sens à parler d'un monde sans personne, d'une réalité sans le sujet de cette réalité, car le sujet est celui qui a un monde. Pourquoi autrement serait-il inacceptable ? Parce que si on dit que cela a du sens de parler d'un monde sans sujet, et si on place la source du sens ailleurs que par l'intentionnalité d'un sujet, on migre vers une pensée de la transcendance où le sens serait en-dehors de nous, à trouver ou à révéler (par ex. une mathesis universalis en soi contenant son sens par elle-même, ce que je note que tu ne dis pas, juste ci-haut), comme pour exhumer un secret enfoui. C'est cela, la vraie mythologie. Le thème est donc le sens lui-même. Il faut remarquer que dès qu'on place la source du sens par l'intentionnalité d'un sujet (et plus généralement d'un organisme vivant), on se trouve exactement en bonne place pour comprendre la conscience, qui est la manifestation d'un monde sensé, car la conscience est une objection face à l'entropie du monde, parce que sinon elle n'aurait pas survécu. Nous pensons lois parce que nous pensons, et l'entendement est par lui-même une législation de la nature.
Avant de tendre la discussion vers des réflexions ontologiques, il faut comprendre que cela est une posture méthodologique. Parler d'un statut du sujet conscient, ce n'est pas ériger une ontologie duale par rapport au reste (est-ce clairement dit ?), mais c'est coïncider avec la nature de la conscience : son être consiste à se rapporter au monde, elle est sa manifestation.
La discussion avait pour thème l'esprit et la conscience. Ton discours est un discours épistémologique et ontologique, ce n'est pas le cas du mien, et c'est cela le point de blocage. Tout discours ontologique et épistémologique rationnel suppose, toujours, déjà la conscience accomplie. Une épistémo-ontologie comme la tienne, avec tout son raffinement, c'est, proprement, authentiquement, la conscience. Quand je dis donc qu'il faut dégager un statut du sujet, je ne fais que reformuler autrement une définition de la conscience réflexive.
Dans un précédent message, tu as écrit que ce qui est exceptionnel, c'est la conscience. Que le mystère est la conscience. Je prends le pari de considérer cette réponse à la lettre et j'invite à considérer la mienne comme une méthodologie, c'est à dire une définition et une conversion du regard, pour commencer à timidement lever le voile. Dans ce même message, tu as écrit que par ex. pour la lune et la terre, "chacune interagit localement avec le champ gravitationnel, lequel interagit de nouveau avec chacune", et que cela, c'est fondamentalement des formes. Quant à la conscience de ces formes, elle est elle-même une autre forme. Mais ce qu'il faudrait dire, ce n'est pas que la conscience soit une forme distincte de ces formes, mais qu'elle est, à la lettre, littéralement, rigoureusement, la prise de conscience de ces formes, c'est à dire leur saisie, parce qu'il n'y a aucun dualisme entre le monde et la conscience. La prise de la conscience est partout à l'oeuvre dès qu'on parle d'un monde. Par ces formes, c'est à dire dans ce monde, la conscience se trouve déjà à l'oeuvre, non (évidemment) comme créatrice de ces formes, mais comme une palpation intentionnelle, leur manifestation, c'est à dire la conscience de ces formes, où conscience et manifestation-de sont la même chose, c'est à dire conscience, puisque la conscience d'une réalité, c'est l'ensemble de nos connaissances.
Ton discours est un discours qui fait sens, parce qu'une forme, c'est déjà du sens. La conscience, c'est précisément un projet donateur de sens. Comme l'écrit l'Antichrist, en elle-même, la conscience c'est du vent, un courant d'air. Le sujet conscient, en tant que conscient, n'est pas un "dedans", il est sans intériorité, parce que sa conscience n'est que le "dehors d'elle même", c'est à dire un monde, le sens d'un réel. Tout son être est de se rapporter au monde : c'est l'intentionnalité. Tout en la conscience consiste en la relation avec le monde, parce qu'il n'y a aucun dualisme entre conscience et monde.
Et cependant, le monde est toujours déjà là. Sans ce monde, aucune conscience, car celle-ci ne se soutient d'être qu'en se rapportant à celui-là. En défaisant ce rapport, elle cesse d'être conscience. Le sujet naît à un monde, puis la conscience s'éclate dans ce monde pour devenir conscience, et ce faisant, elle sédimente dans ce monde sous la forme de connaissances, par le langage, qui est lui-même une manière par lequel la conscience vise un monde. Elle produit un discours sur le monde car sa manière à elle est d'être en acte vers ce monde, puisqu'elle est le fait d'un sujet corporel voué au monde, et son discours est un discours intentionnel dont l'horizon est le monde. Ensuite, parce que des constructions sont toujours déjà là, parce qu'autrui m'entoure, me précède et me suit, elle devient capable d'un rétro-discours (par ex. le Schiste de Burgess ou le big-bang), comme si elle diffusait dans toutes les directions, comme si elle rayonnait d'un soi.
xantox a écrit :
C'est pourquoi la position du réductionnisme à "la matière" qui nous compose est d'un simplisme catastrophique (et point d'étonnement à que certains essaient de s'en échapper par un dualisme), et que ma position est seulement en apparence réductionniste..
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Je ne t'ai pas traité de réductionniste. Pour un meilleur calibrage, noter que mon intérêt pour l'esprit est d'abord de confession neuronale reconstruit par la phénoménologie. En ce sens, c'est un réductionnisme 'qui se complexifie'.
xantox a écrit :
.. toutefois, il n'y a point d'abstraction, ni "empire de conscience" (merci tout de même pour le compliment). On peut essayer d'approfondir cela, partons du point précédent.
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Tes réflexions épistémologiques produisent un discours qui me parle, et il n'y a pas de négatif à remarquer, d'autant qu'il dépasse le matérialisme habituel et ce "bon sens pseudo-newtonien" chosifiant et ponctualisant. Le point était de dire qu'en posant qu'il n'y a que des formes et des relations de représentation entre formes, on prend une posture d'intelligibilité en légiférant le monde, qui devient sensé. La posture méthodologique ci-haut étant de thématiser le sens lui-même, c'est à dire l'intentionnalité. Par ex., comment ce discours n'est pas arbitraire, d'où vient que parler d'une "soupe de quarks" puisse faire sens, comment le concept de forme peut se construire jusqu'à se stabiliser mathématiquement, etc.
On ne peut pas s'en sortir aussi simplement. Il n'y a pas une simple continuité linéaire entre le dessin d'enfant et le discours d'un quark. La perception n'est pas une science commençante. Les structures de la perception sont à la base du sens et les abstractions tiennent leur sens d'elles. Le mouvement par la motricité est le dépositaire primitif et originaire du sens. La perception, fondamentalement solidaire de la motilité, est à elle seule un savoir fabuleux, qui est la jonction psycho-physiologique. Elle est la forme du "je" qui ne se saisit qu'à travers ce monde qui l'excède, tout en demeurant une unité synthétique (la nature d'un rhizome neuronal peut nous offrir cela). Chez l'Homme, la conscience perceptive n'est pas la conscience réflexive, et seule cette dernière accomplit ce miracle qui s'appelle la science. Quand le monde est déterminé, la perception est comme une lacune dans l'être. Elle est le défaut de ton "grand diamant".
xantox a écrit :
Dès que l'on prononce le mot "structure", on est déjà dans un discours physique, qu'il convient donc d'assumer pleinement. La question de caractériser la forme de la conscience, c'est à dire, les étapes structurelles qui font qu'il y a une conscience, est une question physique, ontologiquement équivalente à la question de caractériser p.e. une table.
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Cf. ce qui suit sur la méthodologie.
xantox a écrit :
Saisir la pensée avec la rigueur d'un calcul signifie simplement en saisir la forme (donc, la saisir exactement, pour qu'il ne s'agisse d'une autre forme). C'est donc faire revenir la forme, la re-présenter, la simuler. La pensée est une activité formelle car toute activité est forme. Si "nous avons compris", c'est que nous avons reparcouru la forme de ce qui a été compris.
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xantox a écrit :
Prémis que formalisme et forme ne sont pas la même chose, car le formalisme est une manière de représenter un chemin à la forme, le geste artistique est comme le geste des arts martiaux, car il fait revenir la forme sans tracer de chemin : il fait une prise sur la subjectivité, il prend appui sur la forme de la subjectivité, et il la projette d'un seul coup au milieu du sens.
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Voilà pour moi le débat le plus intéressant, d'ordre méthodologique. Non pas "est-ce qu'on peut" (car on doit le pouvoir par définition de la recherche), mais comment saisir cette forme d'être au monde, et d'abord la conscience perceptive.
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En guise de préambule fameuse, reprenons le très singulier Jean-Yves Girard : "Le formel, c'est la bureaucratie. La question qui se pose pour nous est la suivante : est-ce que les mathématiques sont une activité formelle ? C'est à dire, est-ce que les mathématiques sont une activité bureaucratique ? Est-ce qu'on aurait pu confier le théorème de Fermat à un groupe d'énarques ? Qui nous auraient fait des directives, de super directives, etc. ils y seraient arrivés en 300 ans ? ... Bon c'est impossible, parce qu'il faut des idées."
xantox a écrit :
Saisir la pensée avec la rigueur d'un calcul signifie simplement en saisir la forme (donc, la saisir exactement, pour qu'il ne s'agisse d'une autre forme).
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Quelle pensée ? La tienne ? La mienne ? Qu'est-ce qu'il y a d'invariant entre nous ? Quel est l'invariant des pensées ?
xantox a écrit :
Le pensée est une activité formelle car toute activité est forme.
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Comment on passe d'une forme à la saisie d'une forme ? C'est à dire comment passe-t-on dans ton expression de "forme" à "formelle" ? Peut-on définir un chemin a priori (formalisme) à toute forme ? Et toute forme mérite-t-elle d'être dite "formelle" ? En quel sens utilises-tu le mot "formel" : en tant qu'adjectif d'une forme en général, ou par ex. au sens d'un calcul formel, où les objets sont les opérations elles-même, et de quelles opérations s'agit-il, etc. Dans l'attente de certains éléments, on peut déjà signifier un cadre général par quelques rappels.
D'abord, un langage formel (ou système formel, ou calcul formel, etc.) est un langage qui s'écrit ou s'implémente. Pour cela, il faut des éléments de langage. Les éléments sont par ex. des symboles, et en ce sens, c'est un système discrétisé par le simple fait de l'écriture ou de l'implémentation physique (portes logiques par ex.). Or, utiliser des symboles (lettres, syllabes, quantificateurs, implications, opérations, variables, etc.) discrets, c'est à dire en tant qu'objets, cela n'a déjà rien d'évident et de donné en soi. En effet, pour ce faire, il a déjà fallu qu'on invente l'écriture, et ensuite, un alphabet pour permettre une symbolisation et une abstraction où le symbole ne contient pas expressément son sens (rapport arbitraire et conventionnel entre les deux : la lettre "a" et le son [a], le signe de l'addition, etc.). Comment une civilisation sans alphabet peut-elle produire un langage formel ? Comment écrire l'équation du cercle avec des idéogrammes sans qu'ils cessent d'être idéogrammes ? L'utilisation de lettres pour signifier des variables est à elle seule un pan entier de l'histoire des mathématiques !
Mais avant de s'alphabétiser, avant même de s'écrire, un langage, cela se parle. Le mot d'un langage fait d'abord partie d'une expressivité corporelle : le mot est une combinaison de phonèmes sollicitant un comportement du corps, une "présence motrice". Un langage n'est même pas d'abord étalé en éléments "connecteur", "proposition", etc., mais il est d'abord l'oeuvre et l'acte d'un corps dont la situation suscite un certain comportement expressif. Or, "dessiner des sons", produire des signes graphiques, passer à l'arbitraire et au conventionnel d'un alphabet, élémentariser le langage en des propositions jusqu'à l'épuration symbolique et discrète, c'est déjà une idée et des milliers d'idées, c'est déjà penser. "L'évidence originaire ne peut pas être interchangée avec l'évidence des axiomes ; car les axiomes sont déjà les résultats d'une formation de sens et ont cette formation toujours derrière eux" (Husserl, L'Origine de la géométrie). L'objectivisation de la signification par l'écriture, suivie par l'écriture qui se détache de la signification, c'est déjà de la pensée.
La pensée est fondamentalement une expérience temporelle. Il y a une histoire de la pensée à l'échelle globale, et pour le sujet, penser est un "se faisant" où le temps est un "Je pense". Penser est donc un acte, et il n'y a d'acte, actuel ou virtuel, que par un corps doué d'une forme d'agir et motrice en premier lieu. L'écriture est d'abord un geste scriptural avant de livrer son objet. La question qui se dégage pour saisir la forme du penser est la suivante : y a-t-il vraiment un sens à parler d'un penser ailleurs que par un acte qui ne se fait qu'en se faisant, c'est à dire qui est à lui-même son propre a priori et a posteriori. Autrement dit, peut-on saisir le penser autrement qu'en l'accomplissant soi-même. C'est à dire, comment "reparcourir la forme" autrement qu'en la reparcourant ? Il faut "caractériser les modes d'élémentarité" du rhizome corporel jusqu'à la coïncidence avec la pensée se faisant, qui est aussi la vie de la pensée se faisant : y-a-t il vraiment une méthode stabilisée autre que sa "projection d'un seul coup au milieu du sens", et cependant, sur le mode du pas à pas qui est déjà lui-même sans chemin pré-établi.
Et parallèlement, il s'agira de quelle pensée ? Comme si le penser était un absolu ; or penser est le fait d'un sujet à chaque fois particulier, quelle forme saisir donc ? La forme de la pensée de Newton durant telle durée existerait-elle sans Newton ? Prenons une célèbre anecdote, qui servira également à critiquer l'idée des mathématiques comme purement formalistes (Hilbert).
Un jour, à l'âge de huit ans, le futur "prince des mathématiciens" Carl Friedrich Gauss était en classe d'arithmétique. Le maître, désirant un peu de paix, leur donne une consigne censée les occuper un certain temps : faire la somme des 100 (ou plus) premiers entiers naturels consécutifs. Quelques dizaines de secondes plus tard, Gauss arrive devant le maître avec le bon résultat, agrémenté de l'explication suivante : D'abord, il écrit :
1 + 2 + ... + n
En-dessous de cette première ligne, il inverse et écrit en tout :
1 + 2 + ... + n
n + ... + 2 + 1
Puis il pose, en additionnant les paires aux extrêmes :
1 + 2 + ... + n
n + ... + 2 + 1
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(n+1) ... (n+1)
Et donc, la somme de i de 1 à n, c'est n fois (n+1) ; mais puisqu'on a pris deux fois les premiers n éléments, il faut diviser par deux et donc la somme est : n(n+1)/2.
Maintenant, chercher à fonder les mathématiques à la manière purement formaliste implique de démontrer cette formule par induction (principe de preuve), par une manière qui soit mécanisable. Sauf que pour démontrer la formule, encore faut-il l'avoir, et c'est cela le problème. Elle était où, la formule, avant qu'on la construise ? Où est-ce qu'elle était écrite ? Il ne s'agit donc pas de considérer les formules en soi, mais de les construire et de les démontrer, et c'est la chemin de la construction qui a été (dans cet exemple) le penser de Gauss. Or qu'est-ce que on y trouve ? Fondamentalement, des idées d'ordonnancement et de symétrie par réflexion. Derrière la construction ad hoc de Gauss, il y a donc des idées profondes qui sont des principes de constructions, et la phénoménologie nous enseigne que ces idées tiennent leur fondement depuis le savoir du corps-au-monde, par le geste, par la motricité, par la perception.
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Parcours étrange