Stukka a écrit :
Bon, c'est pas tout ça, mais nous approchons doucement de la fin de la belle saison, et il se trouve qu'il y a maintenant 101 ans, l'été nous a légué un petit paquet d'images étonnantes. Et comme là, tout de suite, j'ai un peu de temps et que j'ai envie, paf, ça tombe sur vous. C'est pas d'bol. Allez, revenons un siècle en arrière.
Car le 22 août - c'était il y a deux jours pourtant - on n'a pas forcément évoqué l'anniversaire de ce qui reste à ce jour, le jour le plus sanglant de l'armée française. Mais, faisons un bilan de l'été. En version abrégée, sinon, on n'est pas couchés. ()
Pour faire vite, souvenez-vous. En ce temps là, la mode est à la moustache, et pas uniquement à titre ironique chez les hipsters. L'un des moustachus les plus célèbres est François-Ferdinand d'Autriche, Archiduc de son état, qui lors d'une tournée en Serbie pour faire coucou à la population locale, a bien des ennuis, puisque non seulement on lance une bombe sur sa voiture (qu'il détourne aisément car on le surnomme aussi L'Archiduc de Mariokart ), mais en plus, en voulant voir les blessés suite à ladite bombe, recroise par hasard le chemin de l'un des comploteurs, qui pensait que c'était foutu pour l'opération. Du coup, ce dernier lâche le sandwich qu'il mangeait, sort son pistolet, et la suite, vous la connaissez. Mais si on vous montre souvent des gravures et images de presses, on a pourtant des photos de l'époque.
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L'Archiduc en tournée serrant des paluches.
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L'Archiduc le jour de l'attentat, très exactement cinq minutes avant d'être abattu
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Gavrilo Princip, l'assassin, arrêté et traîné jusqu'à un endroit où l'attendaient toute la garde autrichienne, une chaise, un couvre-théière, une rallonge-électrique, dix bottins, des pinces crocodiles et une batterie de R19
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Le couple archiducal après l'attentat.
Je vous passe les explications sur l'enchaînement des menaces diplomatiques et alliances qui se mettent en place, logiquement, vos cours d'Histoire ont déjà tout dit. Par contre, un certain roman national voudrait que le mois de juillet 1914 voit la population réaliser ce qui la guette. En fait... non.
Par exemple, un des plus grands titres de presse de l'époque, le 20 juillet, soit 10 jours avant que tout n'explose, n'en est encore qu'à titrer sur les procès à rebondissements et les faits divers à la con du moment ("La presse, c'était mieux avant !" oui, en fait, non).
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Pour information, le procès Caillaux, c'est ça :
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À savoir quand la femme d'un ministre sur lequel Le Figaro s'acharnait depuis des mois a décidé que hé, ho, ça va aller oui ? Et a donc pris son plus beau chapeau, son plus gros flingue et est allé cribler de plomb le patron du Figaro de l'époque. Aujourd'hui, le monde a évolué : avec Twitter, la belle serait restée chez elle a pleurer #indignation #politiquedecaniveau #enculosquandmême.
En fait, à l'exception des gens bien informés (dont la presse ne fait pas partie ), pour tout le monde, il n'y a rien de particulier, à part une lointaine crise en Serbie. Tout va en fait se dérouler en l'espace d'une semaine, ce que l'on appellera "la crise de juillet", qui donnera, le 1er août 1914, la situation suivante :
Vous êtes tranquille à prendre le café, rien à foutre de ces histoires politiques, ça va bien se régler. Quand arrive un camion près de la terrasse où vous buvez pépère, et en descend un mec qui colle une affiche qui intéresse tout le monde, pendant que tous les clochers de la ville se mettent à sonner le tocsin (l'an dernier, nombre d'églises ont tenté de célébrer l'événement, mais ont confondu le tocsin et le glas ) :
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Félicitations, demain, vous n'allez pas au boulot !
En lieu et place, vous avez environ 2 jours pour faire un bisous à maman, et partir rejoindre votre caserne avec pour mission de botter des culs
C'est l'enthousiasme général. Pas seulement parce qu'on va aller distribuer des taloches aux Allemands, mais aussi parce que merde, tout le monde est mobilisé. Que tu aies 20 ou 40 ans, en route ! Alors certes, c'est emmerdant, mais bon, on voit ça comme une aventure, une épopée, et surtout, on ne veut pas laisser partir tout le monde le moral dans les chaussettes. C'est une épreuve, alors bon courage ! Ici, un officier porté en triomphe par la foule, gare de l'Est peu après l'annonce de la mobilisation :
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Des chanteurs de rue mobilisés et leurs copains défilent à Paris, toujours ce 1er août
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Bref, vous voyez l'esprit.
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Tout le monde est donc d'accord : direction Berlin !
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Attendez, non ! Comment ça "Vers Paris" ? Mais enfin, c'est pas possible, vous n'avez pas suivi ou quoi ?
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Bref, on a que quelques jours pour se préparer, alors on rappelle aux troupes les bases du service militaire, tiens, prends ton fusil, prends ton splendide uniforme garance et bleu, et en route pour la Belgique, puisque c'est par là que les Allemands ont décidé de passer. Ils sont joueurs, alors.
Et à l'époque, comme on n'a pas internet ni France 2 et ses reconstitutions moches, pour suivre l'aventure depuis la maison et savoir où papa et fiston sont en train de crapahuter, on fait comme on peut.
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Bref, c'est la grosse impatience ! On ne sait pas trop à quoi va ressembler cette guerre, mais on se l'imagine bien. Comme toutes les guerres, des armées en mouvement, des charges héroïques, des combats à la baïonnette et au sabre clair... ça promet ! On suit aussi la guerre par le courrier, mais ce premier mois, il n'y a rien de bien passionnant à dire : les soldats marchent à longueur de temps, sautent d'un train à l'autre quand ils le peuvent, et passent leur temps à faire de l'exercice dans divers bleds dont ils ignorent tout avant de repartir aussitôt. En Belgique, l'accueil est triomphal : les Français arrivent soutenir l'armée belge en difficulté, maintenant, ça va chier ! Sauf que l'armée française, épaulée par le corps expéditionnaire britannique, rencontre l'ennemi pour la première fois autour de Charleroi, riante cité bien connue pour son... ses... okay, Charleroi, donc, le 21 août 1914.
Attention les Allemands, on vous envoie... notre glorieuse cavalerie !
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"Allez les gars, en av...
- BRATATATATATATATATATATA"
La France découvre brutalement que la cavalerie, ça ne marche que moyennement contre des mitrailleuses et des canons qui envoient de l'obus fusant (souvenez-vous : des obus qui explosent en l'air en envoyant une pluie de balles, oubliez l'obus explosif pour l'instant )
Bon, c'est pas grave. On va envoyer l'infanterie dès le lendemain alors ! "Creusez des tranchées, au cas où " ordonnent quelques officiers. "Messieurs, l'heure est à l'offensive, tas de campeurs " répondent leurs collègues. Donc, on ne creuse pas de positions défensives.
C'est comme ça qu'un certain nombre de régiments autour de Charleroi, placés en réserve, entendent d'abord le bruit du canon qui se rapproche méchamment, aperçoivent des avions qui tournent au-dessus d'eux, et se retrouvent avec des cavaliers paniqués et pour beaucoup blessés qui se replient en panique au milieu d'eux, accompagnés bientôt de colonnes de fantassins qui se barrent en courant en sale état.
Je vous laisse deviner l'état du moral de ces unités quand leurs guetteurs leur signalent les premiers soldats allemands en approche. Bon ben, faut y aller, hein Dans le meilleur des cas, les unités sont planquées dans des bois, avec des mitrailleuses dispersées et mal approvisionnées en munitions. Dans le pire, on les fait charger, en terrain plat et découvert, avec leur bel uniforme qui n'aide pas (mais qui sur ce terrain, ne change pas grand chose) : http://reho.st/http://www.poilusvi [...] e-blog.jpg
Avec en face, ça.
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"Bon, on fait quoi chef ? On tire ?
- Ben oui, hé. Ils sont cons, que veux-tu que je te dise ?"
C'est donc un massacre. Les Allemands, tactiquement supérieurs, ont une excellent coordination entre leurs mitrailleuses, leurs canons et leur aviation, ce qu'en France, on ne fait pas. Le général Lanrezac, qui commande la 5e armée française engagée à Charleroi, reçoit l'ordre de tenir à tout prix, parce qu'encore une fois : "C'est une guerre d'offensive, on ne recule pas ! "
Sauf que du début de la bataille, le 21 août 1914, à la fin, le 23 août 1914, son armée est taillée en pièce. Il décide donc de désobéir, pour éviter un encerclement... et c'est ce qui va changer le cours de la guerre. Car en acceptant de reculer, plutôt que d'être exterminé, il permet de ralentir l'armée allemande et de garder une ligne de défense, au lieu de créer un boulevard vers Paris. S'il n'avait pas désobéi, tout le monde s'accorde à dire que c'était perdu. Mais ça, ce fut après la guerre qu'on put le comprendre. Sur le coup, Joffre le limogea pour insubordination. Et ce n'est que bien plus tard qu'on s'aperçut que merde, en fait il était bon, il fallait le rappeler ! Ce qu'il refusa
Il fut quand même décoré de la Grand Croix de la Légion d'Honneur après la guerre (soit le même titre que Pierre Soulages ou Vladimir Poutine aujourd'hui )
Pour le bilan, ce fut simple : 27 000 morts français, et ce pour la seule journée du 22 août 1914.
Pour idée, c'est plus de 5 fois Waterloo. Ou 27 Omaha Beach.
Autant vous dire que ça a un peu fait la gueule dans les familles, quand les facteurs et représentants de l'état ont eu à aller frapper à 27 000 portes pour dire que héhé, désolé, mais votre mari/fils/frère/père parti il y a trois semaines, bah, il est déjà mort.
Va donc commencer un grand mouvement de retraite qui donnera la bataille de la Marne par la suite, coup d'arrêt brutal à l'avancée allemande. http://reho.st/http://scd.france24 [...] -1914.jpeg
Et si ce mouvement va sauver Paris, on l'oublie un peu trop, mais en fait, c'est aux Belges que l'on doit d'avoir tenu Parce que l'on a affronté qu'une partie de l'armée allemande, le reste étant occupé à réduire les poches de résistance belge, qui ne se rendaient pas facilement (Anvers mettra des semaines à tomber) et ne rigolaient pas trop avec l'ennemi. Votre station "Liège" amis parisiens ne s'appelle pas Liège par hasard : avant, elle s'appelait "Berlin". http://reho.st/http://horizon14-18 [...] anvers.bmp
Belge qui retarderont les renforts allemands avec une autre technique dont j'ai déjà brièvement parlé, je crois : le "train fantôme". Vous prenez une locomotive, vous la bourrez ras-la-gueule, vous l'envoyez à fond sur les rails, vide de personnel, et vous la laissez percuter un convoi de renforts teutons. Succès garanti, peloton d'exécution aussi pour le cheminot pris.
Voilà ! C'était un petit point sur l'été du siècle dernier (enfin, 101 ans). Et donc, le jour le plus sanglant de l'histoire de l'armée française jusqu'à aujourd'hui.
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