Au fait, la source de tout ça, ça vous intéresse ?
Quitte à polémiquer, autant s'instruire
Bien entendu il n'y a pas d'autres sources. Tout vient du récit d'Hérodote, le premier historien.
Hérodote, L'Enquète
Livre VII (Deuxième guerre médique)
CCI (201). Le roi Xerxès campait dans la Trachinie en Mélide, et les Grecs dans le passage. Ce passage est appelé Thermopyles par la plupart des Grecs, et Pyles par les gens du pays et leurs voisins. Tels étaient les lieux où campaient les uns et les autres. L'armée des Barbares occupait tout le terrain qui s'étend au nord jusqu'à Trachis, et celle des Grecs, la partie de ce continent qui regarde le midi.
CCII. Les Grecs qui attendaient le roi de Perse dans ce poste consistaient en trois cents Spartiates pesamment armés, mille hommes moitié Tégéates, moitié Mantinéens, six vingts hommes d'Orchomènes en Arcadie, et mille hommes du reste de l'Arcadie (c'est tout ce qu'il y avait d'Arcadiens), quatre cents hommes de Corinthe, deux cents de Phliunte et quatre-vingts de Mycènes : ces troupes venaient du Péloponnèse. Il y vint aussi de Béotie sept cents Thespiens et quatre cents Thébains.
CCIII. Outre ces troupes, on avait invité toutes celles des Locriens-Opuntiens, et mille Phocidiens. Les Grecs les avaient eux-mêmes engagés à venir à leur secours, en leur faisant dire par leurs envoyés qu'ils s'étaient mis les premiers en campague, et qu'ils attendaient tous les jours le reste des alliés ; que la mer serait gardée par les Athéniens, les Eginètes, et les autres peuples dont était composée l'armée navale ; qu'ils avaient d'autant moins sujet de craindre, que ce n'était pas un dieu, mais un homme qui venait attaquer la Grèce ; qu'il n'y avait jamais eu d'homme, et qu'il n'y en aurait jamais qui n'éprouvât quelque revers pendant sa vie ; que les plus grands malheurs étaient réservés aux hommes les plus élevés ; qu'ainsi celui qui venait leur faire la guerre, étant un mortel, devait être frustré de de ses espérances. Ces raisons les déterminèrent à aller à Trachis au secours de leurs alliés.
CCIV. Chaque corps de troupes était commandé par un officier général de son pays ; mais Léonidas de Lacédémone était le plus considéré, et commandait en chef toute l'armée. Il comptait parmi ses ancêtres Anaxandrides, Léon, Eurycratides, Anaxandre, Eurycrates, Polydore, Alcamènes, Téléclus, Archélaüs, Agésilaüs, Doryssus, Léobotes, Echestratus, Agis, Eurysthènes, Aristodémus, Aristomachus, Cléodéus, Hyllus, Hercule.
CCV. Léonidas parvint à la couronne contre son attente. Cléomènes et Doriée, ses frères, étant plus âgés que lui, il ne lui était point venu en pensée qu'il pût jamais devenir roi. Mais Cléomènes était mort sans enfants mâles, et Doriée n'était plus, il avait fini ses jours en Sicile. Ainsi Léonidas, qui avait épousé une fille de Cléomènes, monta sur le trône, parce qu'il était l'aîné de Cléombrote, le plus jeune des fils d'Anaxandrides. Il partit alors pour les Thermopyles, et choisit pour l'accompagner le corps fixe et permanent des trois cents Spartiates qui avaient des enfants. Il prit aussi avec lui les troupes des Thébains, dont j'ai déjà dit le nombre. Elles étaient commandées par Léontiades, fils d'Eurymachus. Les Thébains furent les seuls Grecs que Léonidas s'empressa de mener avec lui, parce qu'on les accusait fortement d'être dans les intérêts des Mèdes. Il les invita donc à cette guerre, afin de savoir s'ils lui enverraient des troupes, ou s'ils renonceraient ouvertement à l'alliance des Grecs. Ils lui en envoyèrent, quoiqu'ils fussent malintentionnés.
CCVI. Les Spartiates firent d'abord partir Léonidas avec le corps de trois cents hommes qu'il commandait, afin d'engager par cette conduite le reste des alliés à se mettre en marche, et de crainte qu'ils n'embrassassent aussi les intérêts des Perses, en apprenant leur lenteur à secourir la Grèce. La fête des Carnies les empêchait alors de se mettre en route avec toutes leurs forces ; mais ils comptaient partir aussitôt après, et ne laisser à Sparte que peu de monde pour la garde. Les autres alliés avaient le même dessein ; car le temps des jeux olympiques était arrivé dans ces circonstances, et comme ils ne s'attendaientpas à combattre sitôt aux Thermopyles, ils s'étaient contentés de faire prendre les devants à quelques troupes.
CCVII. Telles étaient les résolutions des Spartiates et des autres alliés. Cependant les Grecs qui étaient aux Thermopyles, saisis de frayeur à l'approche des Perses, délibérèrent s'ils ne se retireraient pas. Les Péloponnésiens étaient d'avis de retourner dans le Péloponnèse pour garder le passage de l'isthme. Mais Léonidas, voyant que les Phocidiens et les Locriens en étaient indignés, opina qu'il fallait rester ; et il fut résolu de dépêcher des courriers à toutes les villes alliées, pour leur demander du secours contre les Perses, parce qu'ils étaient en trop petit nombre pour les repousser.
CCVIII. Pendant qu'ils délibéraient là-dessus, Xerxès envoya un cavalier pour reconnaître leur nombre, et quelles étaient leurs occupations. Il avait ouï dire, tandis qu'il était encore en Thessalie, qu'un petit corps de troupes s'était assemblé dans ce passage, et que les Lacédémoniens, commandés par Léonidas, de la race d'Hercule, étaient à leur tête. Le cavalier s'étant approché de l'armée, l'examina avec soin ; mais il ne put voir les troupes qui étaient derrière la muraille qu'on avait relevée. Il aperçut seulement celles qui campaient devant. Les Lacédémoniens gardaient alors ce poste. Les uns étaient occupés en ce moment aux exercices gymniques, les autres prenaient soin de leur chevelure. Ce spectacle l'étonna : il prit connaissance de leur nombre, et s'en retourna tranquillement après avoir tout examiné avec soin ; car personne ne le poursuivit, tant on le méprisait.
CCIX. Le cavalier, de retour, raconta à Xerxès tout ce qu'il avait vu. Sur ce récit, le roi ne put imaginer qu'ils se disposassent, autant qu'il était en eux, à donner la mort ou à la recevoir, comme cela était cependant vrai. Cette manière d'agir lui paraissant ridicule, il envoya chercher Démarate, flls d'Ariston, qui était dans le camp. Démarate s'étant rendu à ses ordres, ce prince l'interrogea sur cette conduite des Lacédémoniens, dont il voulait connaître les motifs. «Seigneur, répondit Démarate, je vous parlai de ce peuple lorsque nous marchâmes contre la Grèce ; et lorsque je vous fis part des événements que je prévoyais, vous vous moquâtes de moi. Quoiqu'il y ait du danger à soutenir la vérité contre un si grand prince, écoutez-moi cependant. Ces hommes sont venus pour vous disputer le passage, et ils s'y disposent ; car ils ont coutume de prendre soin de leur chevelure quand ils sont à la veille d'exposer leur vie. Au reste, si vous subjuguez ces hommes-ci et ceux qui sont restés à Sparte, sachez, seigneur, qu'il ne se trouvera pas une seule nation qui ose lever le bras contre vous ; car les Spartiates, contre qui vous marchez, sont le plus valeureux peuple de la Grèce, et leur royaume et leur ville sont les plus florissants et les plus beaux de tout le pays». Xerxès, ne pouvant ajouter foi à ce discours, lui demanda une seconde fois comment les Grecs, étant en si petit nombre, pourraient combattre son armée. «Seigneur, reprit Démarate, traitez-moi comme un imposteur, si cela n'arrive pas comme je le dis».
CCX. Ce discours ne persuada pas le roi. Il laissa passer quatre jours, espérant que les Grecs prendraient la fuite. Le cinquième enfin, comme ils ne se retiraient pas, et qu'ils lui paraissaient ne rester que par impudence et par témérité, il se mit en colère, et envoya contre eux un détacbement de Mèdes et de Cissiens, avec ordre de les faire prisonniers et de les lui amener. Les Mèdes fondirent avec impétuosité sur les Grecs, mais il en périt un grand nombre. De nouvelles troupes vinrent à la charge, et, quoique fort maltraitées, elles ne reculaient pas. Tout le monde vit alors clairement, et le roi lui-même, qu'il avait beaucoup d'hommes, mais peu de soldats. Ce combat dura tout le jour.
CCXI. Les Mèdes, se voyant si rudement menés, se retirèrent. Les Perses prirent leur place. (C'était la troupe que le roi appelait les Immortels, et qui était commandée par Hydarnes.) Ils allèrent à l'ennemi comme à une victoire certaine et facile ; mais, lorsqu'ils en furent venus aux mains, ils n'eurent pas plus d'avantage que les Mèdes, parce que leurs piques étaient plus courtes que celles des Grecs, et que, l'action se passant dans un lieu étroit, ils ne pouvaient faire usage de leur nombre. Les Lacédémoniens combattirent d'une manière qui mérite de passer à la postérité, et firent voir qu'ils étaient habiles, et que leurs ennemis étaient très ignorants dans l'art militaire. Toutes les fois qu'ils tournaient le dos, ils tenaient leurs rangs serrés. Les Barbares, les voyant fuir, les poursuivaient avec des cris et un bruit affreux ; mais, dès qu'ils étaient près de se jeter sur eux, les Lacédémoniens, faisant volte-face, en renversaient un très grand nombre. Ceux-ci essuyèrent aussi quelque perte légère. Enfin, les Perses voyant qu'après des attaques réitérées, tant par bataillons que de toute autre manière, ils faisaient de vains efforts pour se rendre maîtres du passage, ils se retirèrent.
CCXII. On dit que le roi, qui regardait le combat, craignant pour son armée, s'élança par tois fois de dessus son trône. Tel fut le succès de cette action. Les Barbares ne réussirent pas mieux le lendemain. Ils se flattaient cependant que les Grecs ne pourraient plus lever les mains, vu leur petit nombre et les blessures dont ils les croyaient couverts. Mais les Grecs, s'étant rangés en bataille par nations et par bataillons, combattirent tour à tour, excepté les Phocidiens, qu'on avait placés sur la montagne pour en garder le sentier. Les Perses, voyant qu'ils se battaient comme le jour précédent, se retirèrent.
CCXIII. Le roi se trouvait très embarrassé dans les circonstances présentes, lorsque Ephialtes, Mélien de nation et fils d'Eurydème, vint le trouver dans l'espérance de recevoir de lui quelque grande récompense. Ce traître lui découvrit le sentier qui conduit par la montagne aux Thermopyles, et fut cause par là de la perte totale des Grecs qui gardaient ce passage. Dans la suite il se réfugia en Thessalie pour se mettre à couvert du ressentiment des Lacédémoniens, qu'il craignait ; mais, quoiqu'il eût pris la fuite, les pylagores, dans une assemblée générale des amphictyons aux Pyles, mirent sa tête à prix ; et dans la suite, étant venu à Anticyre, il fut tué par un Trachinien nomme Athénadès. Celui-ci le tua pour un autre sujet, dont je parlerai dans la suite de cette histoire ; mais il n'en reçut pas moins des Lacédémoniens la récompense qu'ils avaient promise. Ainsi périt Ephialtes quelque temps après cette expédition des Barbares.
CCXIV. On dit aussi que ce furent Onélès de Caryste, fils de Phanagoras, et Corydale d'Anticyre qui firent ce rapport au roi, et qui conduisirent les Perses autour de cette montagne. Je n'ajoute nullement foi à ce récit, et je m'appuie d'un côté sur ce que les pylagores des Grecs ne mirent point à prix la tête d'Onétès ni celle de Corydale, mais celle du Trachinien Ephialtes ; ce qu'ils ne firent sans doute qu'après s'être bien assurés du fait. D'un autre côlé, je sais très certainement qu'Ephialtes prit la fuite à cette occasion. Il est vrai qu'Onétès aurait pu connaître ce sentier, quoiqu'il ne fût pas Mélien, s'il se fût rendu le pays très familier. Mais ce fut Ephialtes qui conduisit les Perses par la montagne, ce fut lui qui leur découvrit ce sentier, et c'est lui que j'accuse de ce crime.
CCXV. Les promesses d'Ephialtes plurent beaucoup à Xerxès, et lui donnèrent bien de la joie. Aussitôt il envoya Hydarnes avec les troupes qu'il commandait pour mettre ce projet à exécution. Ce général partit du camp à l'heure où l'on allume les flambeaux. Les Méliens, qui sont les habitants naturels de ce pays, découvrirent ce sentier, et ce fut par là qu'ils conduisirent les Thessaliens contre les Phocidiens lorsque ceux-ci, ayant fermé d'un mur le passage des Thermopyles, se furent mis à couvert de leurs incursions ; et depuis un si long temps il était prouvé que ce sentier n'avait été d'aucune utilité aux Méliens.
CCXVI. En voici la description : il commence à l'Asope, qui coule par l'ouverture de la montagne qui porte le nom d'Anopée, ainsi que le sentier. Il va par le haut de la montagne, et finit vers la ville d'Alpènes, la première du pays des Locriens du côté des Méliens, près de la roche appelée Mélampyge et de la demeure des Cercopes. C'est là que le chemin est le plus étroit.
CCXVII. Les Perses, ayant passé l'Asope près du sentier dont j'ai fait la description, marchèrent toute la nuit, ayant à droite les monts des Oetéens et à gauche ceux des Trachiniens. Ils étaient déjà sur le sommet de la montagne lorsque l'aurore commença à paraître. On avait placé en cet endroit, comme je l'ai dit plus haut, mille Phocidiens pesamment armés pour garantir leur pays de l'invasion des Barbares et pour garder le sentier, car le passage inférieur était défendu par les troupes dont j'ai parlé, et les Phocidiens avaient promis d'eux-mêmes à Léonidas de garder celui de la montagne.
CCXVIII. Les Perses montaient sans être aperçus, les chênes dont est couverte cette montagne empêchant de les voir. Le temps étant calme, les Phocidiens les découvrirent aux bruits que faisaient sous leurs pieds les feuilles des arbres, comme cela était naturel. Aussitôt ils accoururent, se revêtirent de leurs armes, et dans l'instant parurent les Barbares. Les Perses, qui ne s'attendaient point à rencontrer d'ennemis, furent surpris à la vue d'un corps de troupes qui s'armait. Alors Hydarnes, craignant que ce ne fussent des Lacédémonicns, demanda à Ephialtes de quel pays étaient ces troupes. Instruit de la vérité, il rangea les Perses en bataille. Les Phocidiens, accablés d'une nuée de flèches, s'enfuirent sur la cime de la montagne ; et, croyant que ce corps d'armée était venu exprès pour les attaquer, ils se préparèrent à les recevoir comme des gens qui se dévouent à la mort. Telle était la résolution des Phocidiens. Mais Hydarnes et les Perses, guidés par Ephialtes, descendirent à la hâte de la montagne sans prendre garde seulement à eux.
CCXIX. Le devin Mégistias, ayant consulté les entrailles des victimes, apprit le premier aux Grecs qui gardaient le passage des Thermopyles qu'ils devaient périr le lendemain au lever de l'aurore. Ensuite des transfuges les avertirent du circuit que faisaient les Perses ; et aussitôt ils firent part de cet avis à tout le camp, quoiqu'il fut encore nuit. Enfin le jour parut, et les héméroscopes accoururent de dessus les hauteurs. Dans le conseil tenu à ce sujet, les sentiments furent partagés : les uns voulaient qu'on demeurât dans ce poste, et les autres étaient d'un avis contraire. On se sépara après cette délibération ; les uns partirent et se dispersèrent dans leurs villes respectives, les autres se préparèrent à rester avec Léonidas.
CCXX. On dit que Léonidas les renvoya de son propre mouvement, afin de ne pas les exposer à une mort certaine, et qu'il pensa qu'il n'était ni de son honneur ni de celui des Spartiates présents d'abandonner le poste qu'ils étaient venus garder. Je suis bien plus porté à croire que Léonidas, ayant remarqué le découragement des alliés et combien ils étaient peu disposés à courir le même danger que les Spartiates, leur ordonna de se retirer ; et que, pour lui, il crut qu'il lui serait honteux de s'en aller, et qu'en restant il acquerrait une gloire immortelle, et assurerait à Sparte un bonheur inaltérable : car la Pythie avait répondu aux Spartiates, qui l'avaient consultée dès le commencement de cette guerre, qu'il fallait que Lacédémone fût détruite par les Barbares, ou que leur roi pérît. Sa réponse était conçue en vers hexamètres : «Citoyens de la spacieuse Sparte, ou votre ville célèbre sera détruite par les descendants de Persée, ou le pays de Lacédémone pleurera la mort d'un roi issu du sang d'Hercule. Ni la force des taureaux ni celle des lions ne pourront soutenir le choc impétueux du Perse ; il a la puissance de Jupiter. Non, rien ne pourra lui résister qu'il n'ait eu pour sa part l'un des deux rois». J'aime mieux penser que les réflexions de Léonidas sur cet oracle et que la gloire de cette action, qu'il voulait réserver aux seuls Spartiates, le déterminèrent à renvoyer les alliés, que de croire que ceux-ci furent d'un avis contraire au sien, et qu'ils se retirèrent avec tant de lâcheté.
CCXXI. Cette opinion me paraît vraie, et en voici une preuve très forte. Il est certain que Léonidas non seulement les renvoya, mais encore qu'il congédia avec eux le devin Mégistias d'Acarnanie, afin qu'il ne pérît pas avec lui. Ce devin descendait, à ce qu'on dit, de Mélampus. Mais Mégistias ne l'abandonna pont, et se contenta de renvoyer son fils unique, qui l'avait suivi dans cette expédition.
CCXXII. Les alliés que congédia Léonidas se retirèrent par obéissance. Les Thébains et les Thespiens restèrent avec les Lacédémoniens, les premiers malgré eux et contre leur gré, Léonidas les ayant retenus pour lui servir d'otages ; les Thespiens restèrent volontairement. Ils déclarèrent qu'ils n'abandonneraient jamais Léonidas et les Spartiates : ils périrent avec eux. Ils étaient commandés par Démophile, fils de Diadromas.
CCXXIII. Xerxès fit des libations au lever du soleil, et, après avoir attendu quelque temps, il se mit en marche vers l'heure où la place est ordinairement pleine de monde, comme le lui avait recommandé Ephialtes ; car en descendant la montagne le chemin est beaucoup plus court que lorsqu'il la faut monter et en faire le tour. Les Barbares s'approchèrent avec Xerxès. Léonidas et les Grecs, marchant comme à une mort certaine, s'avancèrent beaucoup plus loin qu'ils n'avaient fait dans le commencement, et jusqu'à l'endroit le plus large du défilé ; car jusqu'alors le mur leur avait tenu lieu de défense. Les jours précédents ils n'avaient point passé les lieux étroits, et c'était là qu'ils avaient combattu. Mais ce jour-là le combat s'engagea dans un espace plus étendu, et il y périt un grand nombre de Barbares. Leurs officiers, postés derrière les rangs le fouet à la main, frappaient les soldats, et les animaient continuellement à marcher. Il en tombait beaucoup dans la mer, où ils trouvaient la fin de leurs jours ; il en périssait un plus grand nombre sous les pieds de leurs propres troupes ; mais on n'y avait aucun égard. Les Grecs, s'attendant à une mort certaine de la part de ceux qui avaient fait le tour de la montagne, employaient tout ce qu'ils avaient de forces contre les Barbares, comme des gens désespérés et qui ne font aucun cas de la vie. Déjà la plupart avaient leurs piques brisées, et ne se servaient plus contre les Perses que de leurs épées.
CCXXIV. Léonidas fut tué dans cette action après avoir fait des prodiges de valeur. Il y périt aussi d'autres Spartiates d'un mérite distingué. Je me suis informé de leurs noms, et même de ceux des trois cents. Les Perses perdirent aussi beaucoup de gens de marque, et entre autres Abrocomès et Hypéranthès, tous deux fils de Darius. Ce prince les avait eus de Phratagune, fille d'Artanès, lequel était frère de Darius, fils d'Hystaspes et petit-fils d'Arsames. Comme Artanès n'avait pas d'autres enfants, tous ses biens passèrent avec elle à Darius.
CCXXV. Ces deux frères de Xerxès périrent dans cet endroit les armes à la main. Le combat fut très violent sur le corps de Léonidas. Les Perses et les Lacédémoniens se repoussèrent alternativement ; mais enfin les Grecs mirent quatre fois en fuite les ennemis, et par leur valeur ils retirèrent de la mêlée le corps de ce prince. Cet avantage dura jusqu'à l'arrivée des troupes conduites par Ephialtes. A cette nouvelle, la victoire changea de parti. Les Grecs regagnèrent l'endroit le plus étroit du défilé ; puis, ayant passé la muraille, et leurs rangs toujours serrés, ils se tinrent tous, excepté les Thébains, sur la colline qui est à l'entrée du passage, et où se voit aujourd'hui le lion de pierre érigé en l'honneur de Léonidas. Ceux à qui il restait encore des épées s'en servirent pour leur défense ; les autres combattirent avec les mains nues et les dents ; mais les Barbares, les attaquant les uns de front, après avoir renversé la muraille, les autres de toutes parts, après les avoir environnés, les enterrèrent sous un monceau de traits.
CCXXVI. Quoique les Lacédémoniens et les Thespiens se fussent conduits en gens de coeur, on dit cependant que Diénécès de Sparte les surpassa tous. On rapporte de lui un mot remarquable. Avant la bataille, ayant entendu dire à un Trachinien que le soleil serait obscurci par les flèches des Barbares, tant était grande leur multitude, il répondit sans s'épouvanter, et comme un homme qui ne tenait aucun compte du nombre des ennemis : «Notre hôte de Trachinie nous annonce toutes sortes d'avantages ; si les Mèdes cachent le soleil, on combattra à l'ombre, sans être exposé à son ardeur». On rapporte aussi du même Diénécès plusieurs autres traits pareils, qui sont comme autant de monuments qu'il a laissés à la postérité.
CCXXVII. Alphée et Maron, fils d'Orsiphante, tous deux Lacédémoniens, se distinguèrent le plus après Diénécès ; et parmi les Thespiens, Dithyrambus, fils d'Harmatidès, acquit le plus de gloire.
CCXXVIII. Ils furent tous enterrés au même endroit où ils avaient été tués, et l'on voit sur leur tombeau cette inscription, ainsi que sur le monument de ceux qui avaient péri avant que Léonidas eût renvoyé les alliés : «Quatre mille Péloponnésiens combattirent autrefois dans ce lieu contre trois millions d'hommes». Cette inscription regarde tous ceux qui eurent part à l'action des Thermopyles ; mais celle-ci est pour les Spartiates en particulier : «Passant, va dire aux Lacédémoniens que nous reposons ici pour avoir obéi à leurs lois». En voici une pour le devin Mégistias : «C'est ici le monument de 1'illustre Mégistias, qui fut autrefois tué par les Mèdes après qu'ils eurent passé le Sperchius. Il ne put se résoudre à abandonner les chefs de Sparte, quoiqu'il sût avec certitude que les Parques venaient fondre sur lui». Les amphictyons lirent graver ces inscriptions sur des colonnes, afin d'honorer la mémoire de ces braves gens. J'en excepte l'inscription du devin Mégistias, que fit, par amitié pour lui, Simonides, fils de Léoprépès.
CCXXIX. On assure qu'Eurytus et Aristodémus, tous deux du corps des trois cents, pouvant conserver leur vie en se retirant d'un commun accord à Sparte, puisqu'ils avaient été renvoyés du camp par Léonidas, et qu'ils étaient détenus au lit à Alpènes pour un grand mal d'yeux, ou revenir au camp et mourir avec les autres, s'ils ne voulaient pas du moins retourner dans leur patrie ; on assure, dis-je, qu'ayant la liberté de choisir, ils ne purent jamais s'accorder, et furent toujours partagés d'opinions ; qu'Eurytus, sur la nouvelle du circuit des Perses, demanda ses armes, et que s'en étant revêtu il ordonna à son Ilote de le conduire sur le champ de bataille ; qu'aussitôt après l'Ilote prit la fuite, et que le maître, s'étant jeté dans le fort de la mêlée, perdit la vie, tandis qu'Aristodémus restait lâchement à Alpènes. Si Aristodémus, étant lui seul incommodé de ce mal d'yeux, se fût retiré à Sparte, ou s'ils y fussent retournés tous deux ensemble, il me semble que les Spartiates n'auraient point été irrités contre eux. Mais l'un ayant perdu la vie, et l'autre n'ayant pas voulu mourir, quoiqu'il eût les mêmes raisons, ils furent forcés de lui faire sentir tout le poids de leur colère.
CCXXX. Quelques-uns racontent qu'Aristodémus se sauva à Sparte de la manière et sous le prétexte que nous avons dit. Mais d'autres prétendent que l'armée l'ayant député pour quelque affaire, il pouvait revenir à temps pour se trouver à la bataille, mais qu'il ne le voulut pas, et qu'il demeura longtemps en route afin de conserver ses jours. On ajoute que son collègue revint pour le combat, et fut tué.
CCXXXI. Arislodémus fut, à son retour à Lacédémone, accablé de reproches et couvert d'opprobre ; on le regarda comme un homme infâme. Personne ne voulut ni lui parler, ni lui donner du feu, et il eut l'ignominie d'être surnommé le lâche. Mais, depuis, il répara sa faute a la bataille de Platées.
CCXXXII. On dit que Pantitès, du corps des trois cents, survécut à cette défaite. Il avait été député en Thessalie ; mais à son retour à Sparte, se voyant déshonoré, il s'étrangla lui-même.
CCXXXIII. Les Thébains, commandés par Léontiades, combattirent contre l'armée du roi tant qu'ils furent avec les Grecs et qu'ils s'y virent forcés. Mais dès qu'ils eurent reconnu que la victoire se déclarait pour les Perses, et que les Grecs qui avaient suivi Léonidas se pressaient de se rendre sur la colline, ils se séparèrent d'eux, et s'approchèrent des Barbares en leur tendant les mains. Ils leur dirent en même temps qu'ils étaient attachés aux intérêts des Perses, qu'ils avaient été des premiers à donner au roi la terre et l'eau, qu'ils étaient venus au Thermopyles malgré eux, et qu'ils n'étaient point cause de l'échec que le roi y avait reçu. La vérité de ce discours, appuyée du témoignage des Thessaliens, leur sauva la vie ; mais ils ne furent pas heureux, du moins en tout, car les Barbares qui les prirent en tuèrent quelques-uns à mesure qu'ils approchaient : le plus grand nombre fut marqué des marques royales par l'ordre de Xerxès, à commencer par Léontiades, leur général. Son fils Eurymachus, qui s'empara, dans la suite, de Platées avec quatre cents Thébains qu'il commandait, fut tué par les habitants de cette ville.
CCXXXIV. Telle fut l'issue du combat des Thermopyles. Xerxès, ayant demandé Démarate, lui adressa le premier la parole en ces termes : «Démarate, vous êtes un homme de bien, et la vérité de vos discours m'en est une preuve. Car tout ce que vous m'avez dit s'est trouvé confirmé par l'événement. Mais apprenez-moi maintenant combien il reste encore de Lacédémoniens, et combien il peut y en avoir qui soient aussi braves que ceux-ci, ou s'ils le sont tous également. - Seigneur, répondit Démarate, les Lacédémoniens en général sont en grand nombre, et ils ont beaucoup de villes. Mais il faut vous instruire plus particulièrement de ce que vous souhaitez. Sparte, capitale du pays de Lacédémone, contient environ huit mille hommes qui ressemblent tous à ceux qui ont combattu ici. Les autres Lacédémoniens, quoique braves, ne les égalent pas. - Apprenez-moi donc, reprit Xerxès, par quel moyen nous pourrons les subjuguer avec le moins de peine : car, puisque vous avez été leur roi, vous connaissez quels sont leurs desseins».
CCXXXV. «Grand roi, répondit Démarate, puisque vous me demandez avec confiance mon avis, il est juste que je vous fasse part de celui que je crois le meilleur. Envoyez trois cents vaisseaux de votre flotte sur les côtes de la Laconie. Près de ces côtes est une île qu'on appelle Cythère. Chilon, l'homme le plus sage que nous ayons eu, disait qu'il serait avantageux aux Spartiates qu'elle fût au fond des eaux : car il s'attendait toujours qu'elle donnerait lieu à quelque projet pareil à celui dont je vous parle ; non qu'il prévît dès lors votre expédition, mais parce qu'il craignait également toute armée navale. Que votre flotte parte de cette île pour répandre la terreur sur les côtes de la Laconie. Les Lacédémoniens ayant la guerre à leur porte et chez eux, il n'est pas à craindre qu'ils donnent du secours au reste des Grecs quand vous les attaquerez avec votre armée de terre. Le reste de la Grèce asservi, la Laconie seule sera trop faible pour vous résister. Si vous ne prenez pas ce parti, voici à quoi vous devez vous attendre. A l'entrée du Péloponnèse est un isthme étroit, où tous les Péloponnésiens, assemblés et ligués contre vous, vous livreront de plus rudes combats que ceux que vous avez eus à soutenir. Si vous faites ce que je vous dis, vous vous rendrez maître de cet isthme et de toutes leurs villes».
CCXXXVI. Achéménès, frère de Xerxès et général de l'armée navale, qui était présent à ce discours, et qui craignait que le roi ne se laissât persuader, prit la parole. «Seigneur, dit-il, je vois que vous recevez favorablement les conseils d'un homme jaloux de votre prospérité, ou même qui trahit vos intérêts. Car tel est le caractère ordinaire des Grecs : ils portent envie au bonheur des autres, et détestent ceux qui valent mieux qu'eux. Si, dans la position où nous nous trouvons, après avoir perdu quatre cents vaisseaux par un naufrage, vous en envoyez trois cents autres croiser sur les côtes du Péloponnèse, les ennemis seront aussi forts que nous. Si notre flotte ne se sépare point, elle sera invincible, et les Grecs seront hors d'état de lui résister. Les deux armées marchant ensemble, celle de mer portera du secours à celle de terre, et celle-ci en donnera à la flotte. Si vous les séparez, elles seront inutiles l'une à l'autre. Content de bien régler vos affaires, ne vous inquiétez pas de celles de vos ennemis, n'examinez point de quel côté ils porteront la guerre, quelles mesures ils prendront, et quelles sont leurs forces. Ce soin les regarde personnellement. Ne songeons de même qu'à nos intérêts. Si les Lacédémoniens livrent bataille aux Perses, ils ne répareront pas pour cela la perte qu'ils viennent d'essuyer».
CCXXXVII. «Achéménès, reprit Xerxès, votre conseil me paraît juste, et je le suivrai. Mais Démarate propose ce qu'il croit m'être le plus avantageux ; et quoique votre avis l'emporte sur le sien, je ne me persuaderai pas que ce prince soit malintentionné. Ses discours précédents, que l'événement a justifiés, me sont garants de sa droiture. Qu'un homme soit jaloux du bonheur de son concitoyen, qu'il ait contre lui une haine secrète, et s'il n'a pas fait de grands progrès dans la vertu, chose rare, qu'il ne lui donne pas les conseils qu'il croira les plus salutaires, je n'en serai pas surpris. Mais un hôte est l'homme qui a le plus de bienveillance pour un ami qu'il voit dans la prospérité ; et si celui-ci le consulte, il ne lui donnera que d'excellents conseils. Démarate est mon hôte, et je veux que dans la suite on s'abstienne de mal parler de lui».
CCXXXVIII. Xerxès, ayant cessé de parler, passa à travers les morts. Ayant appris que Léonidas était roi et général des Lacédémoniens, il lui fit couper la tête et mettre son corps en croix. Ce traitement m'est une preuve convaincante, entre plusieurs autres que je pourrais apporter, que Léonidas était, pendant sa vie, l'homme contre qui Xerxès était le plus animé ; sans cela, il n'aurait pas violé les lois par un tel acte d'inhumanité. Car, de tous les hommes que je connaisse, il n'y en a point qui soient plus dans l'usage d'honorer ceux qui se distinguent par leur valeur que les Perses. Ces ordres furent exécutés par ceux à qui on les avait donnés.
CCXXXIX. Mais revenons à l'endroit de cette histoire que j'ai interrompu (...)
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Nation spatiale : la chaîne de l'Arche interstellaire.