Chapitre I : L'uf
Le temps des hommes semblait désormais être fini. Seuls les sages parmi les sages avaient un vague souvenir de la grandeur passée, des villes, de la technologie qui avaient, pour ainsi dire, poussées sur cette terre aujourd'hui piétinée seulement par des bêtes sauvages et des hommes devenus presque leurs semblables. Les plus avancés avaient atteint ce que l'on appellerait le moyen-âge.
Ynnas en faisait partie. C'était un jeune aubergiste comme on en croise plus. Il était dévoué, sympathique et travailleur. Il avait établi son auberge huit ans auparavant dans un petit hameau appelé Fostinant, au bord d'un bois. Même si tous le respectaient pour sa bonté et son dévouement, peu de personnes déclaraient être ses amis, faute de bien le connaître. Il passait la plus grande partie de son temps libre avec Ordan, un forgeron, qui était en fait son unique vrai ami. C'était un homme grand, fort, et avait un air de brute niaise cachant un esprit vif et rusé.
Un jour, un vieillard se présenta à l'auberge, demandant une chambre pour la nuit. Ce vieil homme était vêtu d'une grande pèlerine brune et usée, et il tenait dans sa main un grand bâton étrange. Il était en bois, et à chacune des extrémités se trouvait un diamant. Celui d'en haut était transparent et brillait d'une faible lumière blanche, alors que celui du bas était sombre et brillait d'une lumière noire.
La nuit passa, sans que l'étrange voyageur ne fasse le moindre bruit. Le lendemain, lorsque Ynnas alla le réveiller, il le trouva assit sur une chaise, devant le bureau. Il avait l'air vieilli, fatigué, usé. En voyant le lit qui n'était pas défait, Ynnas conclut qu'il n'avait pas dormi de la nuit. Le vieux se leva, et demanda à Ynnas s'il pouvait payer. Ynnas le conduisit dans le hall, et se plaça derrière le comptoir.
"Bien, dit-il, une chambre simple, pas de repas
Ca fera 15 fostins."
Le vieux chercha dans son manteau, et il sortit une vieille bourse en cuir, toute usée. Il l'ouvrit, regarda à l'intérieur, puis leva sa tête vers Ynnas :
"Désolé, s'excusa-t-il, je n'ai pas d'argent sur moi. Mais je peux vous donner cela comme caution. Je reviendrai bientôt pour payer.
_D'accord, mais j'aurai besoin de votre nom, ainsi que du nom de la ville où vous allez.
_Je m'appelle Branian. B R A N I A N. Je vais à Ramiere, à quelques jours de marche vers le sud.
_N'oubliez pas que si vous ne revenez pas dans un an, la bourse ainsi que son contenu m'appartiendront.
_Oui, oui, ne vous en faites pas. Désolé, mais je dois partir tout de suite. La route est encore longue.
_Très bien. Alors bon voyage.
_Merci."
Après le départ du vieillard, Ynnas rangea la bourse au fond d'un vieux tiroir et finit par l'oublier. Pendant deux ans, il vécut normalement, sans que rien ne se passe.
Un jour, suite à une tempête, l'auberge d'Ynnas fut complètement détruite. Etrangement, d'autres bâtiments, plus anciens, plus usés, furent à peine ébranlés. Ordan lui proposa de venir habiter chez lui le temps de reconstruire l'auberge. En fouillant parmi les décombres, Ynnas retrouva la vieille bourse qu'il avait oubliée. Curieux, il l'ouvrit et regarda à l'intérieur : il n'y avait rien à l'intérieur, à part un petit uf poussiéreux. Ynnas le prit dans sa main et l'essuya. Cet uf était fait d'un métal gris, léger, et qui ne brillait pas. Il avait à peu près la taille d'un uf de poule. Sa surface était parfaitement ovale, unie.
Ynnas, étonné, alla montrer l'uf à Ordan. Celui-ci le prit dans sa gigantesque main, l'examina quelques instants, puis son visage s'éclaira soudainement. Il tourna sa tête vers Ynnas, et lui dit, en se retenant d'exploser de joie :
"Ce, cet uf, où
où l'as-tu trouvé ?
_Ben
si je me rappelle bien, c'est un vieillard qui me l'a donné, il y a quelques années, je crois, répondis Ynnas, étonné de voir tant de joie chez son ami.
_Et ce vieux, il vit où, demanda Ordan ?
_Attends que je me rappelle, hésita Ynnas,
Une ville au sud d'ici
Ramiere ! Oui, c'est çà, Ramiere !
_Bien, alors allons-y sans attendre, s'exclama Ordan ! Demain à la première heure nous devons être prêts !
_Mais, demanda Ynnas, pourquoi tant d'engouement, ce n'est pas de l'or, tout de même.
_Non, c'est mieux ! C'est du mithril ! Le métal le plus solide et le plus rare au monde, expliqua Ordan, de plus en plus excité. Si cet homme peut laisser du mithril comme ça et l'oublier, alors imagine la quantité de métal qu'il a !"
Chapitre II : Dalior
Ryan et Miron étaient deux frères qui avaient fait une brillante carrière militaire. Ils avaient rapidement atteint les plus hauts grades possibles dans leur royaume, et commandaient chacun une armée de plusieurs milliers d'hommes. Ils vivaient malgré tout dans une petite maison à l'orée d'une grande forêt qui recouvrait la quasi-totalité du royaume Ifinn.
Ils auraient pu vivre heureux des années comme cela, si le malheur ne s'était pas abattu sur eux. En fait, depuis longtemps, ce royaume était protégé par une barrière magique, qui avait pour source un temple situé au plus profond d'un massif montagneux très escarpé. Cette barrière était infranchissable, que ce soit de l'intérieur où de l'extérieur. Il était donc évident qu'aucun envahisseur ne puisse espérer y faire la moindre brèche. Mais cette fois-ci, l'envahisseur venait d'ailleurs. Il venait de l'endroit le plus profond du royaume. Le Temple lui-même !
Depuis longtemps, une dizaine de personnes était chargée d'acheminer des provisions jusqu'au Temple. Mais un jour, sur toute la troupe envoyée, seules trois personnes revinrent. Horrifiées, elles affirmèrent avoir trouvé les moines du Temple pendus aux arbres alentours. Alors que les voyageurs étaient en train de leur creuser une sépulture digne de ce nom, ils furent attaqués par des soldats. Ils ressemblaient à des hommes, mais étaient plus grands, avaient la peau grise et leurs mains n'avaient que trois longs doigts terminés par de longues griffes.
Rapidement, des escouades de soldats furent envoyées afin d'attaquer cet ennemi intérieur. Malheureusement, les derniers siècles de paix avaient effacé les instincts guerriers du peuple, et beaucoup de soldats n'avaient jamais manié la moindre épée. Aucun d'entre eux ne revint
Le roi fit alors demander Ryan et Miron. Avec les restes de l'armée du royaume, à peine quelques centaines de soldats, ils durent aller combattre pour l'avenir d'Ifinn. Une grande partie de leurs hommes ne trouvaient plus autre réconfort que de mourir en héros. Arrivés aux pieds des montagnes, Miron se tourna vers ses hommes, et prit parole :
"Je sais qu'aucun de vous ne veut aller vers l'avant. Vous avez certainement tous une femme, des enfants, des amis qui vous attendent. Mais là-devant, les seules choses qui vous attendent sont la peur et la mort. Alors c'est à vous de décider ce que vous voulez."
Malgré la peur et la certitude d'une mort proche, tous les soldats levèrent leur épée à la gloire de Miron et de Ryan. Ils savaient que de toute façon, ils n'avaient plus aucun avenir, alors autant mourir en héros. La petite armée s'engagea au travers d'un étroit chemin qui menait au travers des montagnes jusqu'au Temple. Etrangement, pendant trois jours, aucune présence ennemie ne se fit remarquer. Bien sûr, les traces de l'ennemi se voyaient partout. Des cadavres d'animaux gisaient çà et là, et tous les bosquets des alentours avaient été brûlés. C'est comme si ces ennemis détestaient tout ce qui était vivant. C'est pour cela qu'ils furent rapidement nommés par les soldats "Adorateurs de la Mort".
La marche au travers des montagnes dura plusieurs jours, mais les hommes ne se plaignaient pas. Malgré l'odeur pestilentielle qui régnait aux alentours, aucun ne voulut faire demi-tour. Tous savaient que s'ils retournaient chez eux, tôt ou tard, les adorateurs de la mort y arriveraient.
Au bout d'une dizaine de jours, ils arrivèrent en vue du Temple. Les hommes étant à bout de force, un camp fut levé. En plein milieu de la nuit, Ryan fut réveillé par des cris. Il se leva, sortit de sa tente. Le camp entier était en feu. Ryan sentit tout à coup une main se poser sur son épaule. Mais ce n'était pas une main humaine, elle n'avait que trois doigts, aux articulations noueuses, terminés par des griffes. Il sentait ces griffes s'enfoncer dans son épaule. Ryan se retourna, en comprenant à qui appartenait cette main. Il vit d'abord deux yeux globuleux, injectés de sang, et un sourire qui laissait apparaître des crocs pointus. Ryan sentit son sang se glacer, ses membres se paralyser. Le visage de l'adorateur de la Mort se faisait de plus en plus net, sa peau, grise comme de la cendre, laissait apparaître de profondes rides, qui s'accentuèrent lorsqu'il éclata d'un rire sonore et diabolique. Puis le noir, un noir profond et intense. Un noir qu'aucune lumière ne pourrait troubler.
Ryan se réveilla dans un cachot, certainement dans le Temple. Il secoua sa tête douloureuse, se leva, et essaya de se remémorer tout ce qui s'était passé. Il revoyait peu à peu les événements précédents : l'arrivée dans les montagnes, les jours de marches, l'attaque du camp, l'adorateur de la Mort, le noir, surtout le noir.
Il allait retomber dans les pommes quand il entendit un bruit, qui le tira de cette quasi-transe. La porte du cachot s'était ouverte, laissant apparaître une lumière vive, qui aveugla Ryan pendant quelques secondes. Dans cette lumière se détachait une silhouette, que Ryan reconnut instantanément comme celle d'un adorateur de la Mort.
Ce dernier s'approcha de Ryan, le saisit par le bras, et dit d'une voix grave :
"Viens, le chef t'attends. Ce soir, ça va être rôti pour tout le monde. Tu sembles si goûteux
_Rolag, dit une voix, tu me dégoûtes !
_Hein, s'interrogea l'adorateur de la Mort, qui s'appelait donc Rolag, qu'est-ce tu m'veux encore ?"
Un autre adorateur de la Mort apparut au coin d'un couloir. Ryan remarqua qu'il avait quelque chose de différent. Sa démarche était moins rude, plus humaine. Dans ses yeux brillait une lumière différente de celle de ses congénères barbaresques.
"Bon, écoute Dalior, reprit Rolag, tu commences à m'énerver avec tes bons sentiments. On n'est pas des mauviettes. Dans la nature, les faibles n'ont pour utilité que de nourrir les forts. Alors pourquoi se priver d'un si gracieux met ? Ha ha ha ha
_Tu n'est qu'un barbare, s'indigna Dalior, j'ai honte d'être de la même race que toi !"
C'en était trop pour Rolag. Il laissât tomber au sol Ryan, qui avait suivit avec grand intérêt la scène; puis dégainât un sabre dont le fourreau était attaché à sa ceinture, et fonça sur Dalior. Mais ce dernier avait pressenti l'attaque, et fit un pas de côté, évitant ainsi un coup certainement mortel. Rolag se retourna, et le visage déformé par la rage, il refit la même attaque. Dalior réussit à l'éviter mais malheureusement, il trébucha et tomba par terre. Rolag allait lâchement l'achever au sol.
Mais c'était sans compter sur Ryan, qui s'était entre temps faufilé en rampant vers les belligérants. Il attrapa les jambes de Rolag, et fit tomber celui-ci. Dalior en profita pour se relever, et assommer son agresseur d'un coup net. Puis il aida Ryan à se relever.
"Merci, dit-il, tu m'as sauvé.
_Ce n'est rien, répondit Ryan, mais pourquoi un adorateur de la Mort aide-t-il un humain ?
_Ce n'est pas le plus important, chuchota Dalior. Tu dois partir d'ici, vite. Si d'autres soldats te trouvent, tu seras exécuté de sang froid.
_Et, et les autres prisonniers, balbutia Ryan, que vas-tu faire pour eux ?
_Ne t'en fais pas, répondit Dalior, je vais essayer d'en sauver le plus possible.
_ Bien, et moi, demanda Ryan, que dois-je faire pendant ce temps-là ?
_Il faut que tu réussisses à te faufiler jusqu'à l'extérieur sans te faire voir, expliqua Dalior, mais avant, j'ai quelqu'un à te présenter. Suis moi. Je vais te faire passer pour mon prisonnier.
_Et
et celui-là, demanda Ryan en pointant du doigt la dépouille maintenant froide de Rolag, qu'est-ce qu'on en fait ?
_Ne t'en fais pas, le rassura Dalior, les disputes ici sont fréquentes, et les morts qui en découlent nombreux. Mais nous n'avons pas de temps à perdre en bavardages. Il faut faire vite."
Dalior prit Ryan par le bras, et l'entraîna à travers les couloirs sombres et étroits. Ryan avait du mal à croire que ce Temple, qui représentait la paix en la préservant pouvait être aussi sombre. Il allait demander des explications à Dalior quand il se rappela qu'il était censé être son prisonnier.
Ils arrivèrent au bout de quelques minutes dans une salle. Elle était sombre, petite, humide. Au centre se tenait debout une silhouette, vaguement humaine. Dalior lâcha le bras de Ryan, fit quelques pas en avant, puis, en parlant d'une voix haute et claire, il s'exprima dans une langue inconnue, faite de sons étranges, rauques et barbaresques. Puis, se tournant vers Ryan, il expliqua :
" Avance, quelqu'un t'attends."
Ryan s'avança dans l'obscurité. Quand ses yeux s'y habituèrent, il vit une porte en bois au fond de la salle. Il la poussa, et celle-ci s'ouvrit en laissant échapper un grincement sinistre. Ryan fut d'abord aveuglé par la lumière qui entrait dans la pièce par les fenêtres. Dans cette lumière se détachait une silhouette humaine, que Ryan reconnu sans aucun mal : c'était celle de son frère, Myron. Ils coururent l'un vers l'autre dans un élan de joie, et sautèrent au cou l'un de l'autre.
Après un moment, Myron prit la parole :
"Ryan, je suis si content de te voir, mais malheureusement, nous n'avons pas de temps à perdre. Rishka m'a expliqué clairement la situation
_Rishka, interrompit Ryan ?
_Oui, répondit Myron, c'est l'adorateur de la Mort qui m'a sauvé. Donc comme je disais, il m'a clairement expliqué la situation. Il est haut gradé dans son armée, et il va utiliser son pouvoir pour nous faire sortir de là. Mais c'est une opération très dangereuse et nous devons faire très attention. Malheureusement, nous ne pouvons faire sortir personne avec nous. Nous allons devoir abandonner tous nos soldats ici.
_Mais, s'indigna Ryan, nous ne pouvons faire ça ! Nous serions alors pire que les adorateurs de la Mort !
_J'y ai déjà pensé, répondit Myron, mais aucun plan n'est possible."
Sur ces mots Ryan se dirigea vers Dalior, et lui demanda :
"Dis-moi Dalior, où sommes nous exactement ?
_Ici, nous sommes à l'intérieur du Temple que votre peuple a construit.
_Et comment y êtes-vous arrivés ?
_Vois-tu, la barrière magique qui protège votre royaume est une source considérable d'énergie magique. Des mages de mon peuple l'ont utilisée afin d'ouvrir un passage de mon royaume jusqu'ici. *
_Et où se trouve ton royaume ?
_Il se trouve à cet emplacement, mais il ne va apparaître avant plusieurs milliers d'années.
_Comment ?
_Oui, les légendes disent que des héros ont libéré une grande énergie magique à votre époque. Et cette énergie a donné naissance à huit cultes : l'Eau, le Feu, la Terre, l'Air, la Vie, la Mort, le Métal et le Bois. Mon peuple fait partie du culte de la Mort. Son roi a voulu dominer ce pouvoir. Alors il a engagé des mages pour essayer de créer un passage dans le temps jusque maintenant. Et il a dépêché toute l'armée du royaume, et si l'on ne fait rien, alors le monde entier sera bientôt sous la domination du culte de la Mort.
_Alors, que faut-il faire pour empêcher cela ? Si j'arrive à renvoyer l'armée de ton royaume là d'où elle vient, alors les soldats du mien seront sauvés !
_Je ne vois malheureusement aucun moyen de faire cela.
_Rishka a bien comme tu l'as dit un grand pouvoir au sein de ton peuple. Il peut en user, non ?
_ Bien sur, son pouvoir est grand, mais limité.
_Par quoi ?
_Il y a plus haut que lui ici. Une seule personne.
_Et si on éliminait cette personne ?
_Alors ce serait la panique
_Voilà ce qu'il faut faire !
_J'y ai déjà pensé. Mais
Iosna, notre chef, est très bien protégé .Des humains ne peuvent l'approcher que s'ils sont morts ou prisonniers
_Mais on EST prisonniers !
_Quoi ?
_Si l'on se fait passer pour tes prisonniers ?
_Comment ?
_Bien
par exemple, nous sommes deux puissants chefs de notre royaume qui voudraient féliciter votre chef pour avoir vaincu notre armée. Ca le mettra en confiance et nous pourrions alors en profiter pour mettre fin à ses jours.
_C'est une bonne idée. Bonne, mais risquée."
Chapitre III : Une rencontre dans la nuit.
Ynnas et Ordan voyageaient depuis plusieurs heures à bord d'une vieille charrette prêtée par un ami qui leur devait de l'argent. Ils voyagèrent pendant deux jours sans rencontrer le moindre problème. Au soir du second jour, ils s'arrêtèrent au bord de la route afin de se reposer. Ynnas s'endormit rapidement, mais Ordan n'arrêtait pas de penser à ce qu'il pourrait faire avec l'argent qu'il allait amasser. Il décida d'aller marcher un peu pour se changer les idées. Il s'enfonçât dans des fourrés, ayant cru entendre un bruit. Mais ce n'était qu'un renard qui revenait de la chasse avec un oiseau mort dans la gueule. Ordan, curieux, essaya de le suivre. Il s'approcha discrètement du terrier, et vit deux renardeaux en train de jouer. Tout à coup, il les vit pousser des gémissements craintifs et aller se cacher au plus profond de leur nid. Il sentit des frissons lui parcourir le dos, et fut pris d'une peur irraisonnable et tout à fait incontrôlable. Il partit en courant, mais ne se rappelait plus par où se trouvait Ynnas.
Après quelques minutes de course folle, Ordan déboucha finalement sur la route. Mais cela ne le rassura pas. Il se retourna et vit une silhouette derrière lui. Il cria de toutes ses forces avant de s'évanouir. Il se réveilla auprès d'Ynnas et d'une jeune femme. Elle paraissait jeune, mais ses traits étaient usés. Elle paraissait élégante, mais elle était habillée en haillons. Elle paraissait belle, mais son visage était recouvert de poussière.
Ordan se leva, et demanda ce qu'il s'était passé. Ynnas lui répondit :
" Laryana, t'a trouvé dans cet état, expliqua Ynnas en montrant sa voisine d'un geste rapide de la main. Cela fait plusieurs jours que tu es inconscient.
_Plusieurs jours ?
_Oui, environ trois. Tu avais le visage figé dans une expression de peur. Mais qu'est-ce qui a pu te faire çà ?
_Je
je me rappelle plus. J'ai été pris de peur, mais je ne sais plus pourquoi. Je crois même qu'il n'y a aucune raison valable.
_Etrange, étrange
"
A ce moment, Laryana poussa un cri de joie, en voyant au loin se découper sur la ligne d'horizon les silhouettes des bâtiments de Ramiere. En à peine une heure, ils étaient arrivés au niveau des premiers bâtiments de la ville, et les enfants de la ville s'amusaient à courir derrière leur charrette.
Jusque là, Ynnas n'avait pas encore pensé à la façon dont ils allaient procéder pour retrouver Branian. Car Ramiere était une grande ville de plus de dix mille habitants et il n'avait aucune indication précise sur l'endroit où pouvait habiter ce vieil homme. Mais il commençait à se faire tard et le plus important était de trouver une auberge pour la nuit.
Les trois compagnons arrivèrent finalement sur la gigantesque place du marché de la ville, où débouchaient toutes les grandes rues de la ville, qui vomissaient leur flot multicolore de négociants, marchands, acheteurs et badauds en tout genre venus ici afin de commercer avec des personnes venues des quatre coins du monde. Parfois une voix s'élevait au dessus du brouhaha général, avant de retomber dans cet abysse auditif, vite remplacée par un autre bruit plus fort. Des senteurs diverses s'élevaient des tavernes où de corpulentes cuisinières préparaient les énormes quantités de nourriture nécessaires pour nourrir cette masse de bétail humain venus ici afin de s'enrichir.
Mais il est connu que ce marché survit au déclin du jour, et se poursuit tard dans la nuit. Alors Ordan, d'un puissant coup de rênes fit avancer les bufs qui traînaient, non sans mal, ce chariot alourdi par de nombreux enfants qui avaient trouvé là un moyen rapide et amusant se déplacer, malgré les brimades incessantes d'Ynnas et de Laryana.
Finalement, à la tombée de la nuit, ce curieux convoi s'arrêta devant une petite auberge entourée de champs, à l'extérieur de la ville, où le seul bruit venait des animaux sauvages qui osaient s'aventurer si près des nids humains. Au travers des fenêtres se dessinaient des silhouettes de personnes en train de danser au son d'une musique entraînante, qui ne déplaisait pas du tout à Ordan.
Le propriétaire accueillit les trois voyageurs avec plaisir, et les invita à faire la fête avec les autres clients présents. Ordan alla s'asseoir à une table qui semblait être la plus bruyante de toutes, alors que Laryana s'installa dans un coin de la salle, et ne dit pas le moindre mot. Pendant ce temps-là, Ynnas échangeait des conseils avec l'aubergiste sur la façon de recevoir les clients.
Deux heures plus tard, alors que la nuit était maintenant bien entamée et le repas terminé, plusieurs hommes dont Ordan se commencèrent à danser sur les tables, manquant de peu de renverser les verres,assiettes voire même les tables à chaque temps. L'un des danseurs bondit sur la table de Laryana, et lui renversa la carafe d'eau dessus. Elle poussa un cri, se leva et sortit de la salle.
Ynnas se pressa de terminer la conversation avec l'aubergiste qui était de plus en plus bavard et sortit rejoindre Laryana dehors. Elle était adossée contre un arbre et parlait :
"Non, vas-t'en ! Tu as eu ce que tu voulais, maintenant j'ai rempli ma part du contrat. Laisse moi être libre."
A ce moment apparu une forme sombre, qui apeura Ynnas et le poussa à se cacher dans un buisson du jardin de l'auberge. La forme sombre prit parole :
"Mais j'ai besoin de toi, de ta magie, sans ça je vais certainement mourir. Je suis encore faible, et j'ai besoin d'énergie pour survivre. Lorsque je dominerai le monde, tu seras libre, peut-être même que tu seras récompensée
_Récompensée ? Pourquoi ? Pour régner sur des terres désolées, où plus rien ne vivra, à part tes démons ?
_Je ferai de toi une immortelle ! Tu domineras mes sujets ! Ensemble nous partagerons des richesses infinies !
_A quoi bon être riche s'il n'y a plus rien à acheter ! Plus personne à qui donner ! Et une vie éternelle en plus ! Pour que mes remords ne cessent jamais !
_Sotte ! Comment oses-tu me parler comme çà ! Tu mérites d'être punie !
_Vas-y, tant que tu ne peux faire de mal à personne d'autre qu'à moi ! Si tu me tues, tu mourras aussi !
_Je ne vais pas te tuer, je vais faire pire !"
A ce moment, la forme sombre éclata d'un rire macabre, et commença à envelopper Laryana. Mais c'en était trop pour Ynnas, qui sauta hors de son fourré, et courut vers Laryana, maintenant évanouie. Il cria de toutes ses forces :
"Arrête ! Tant que je serai là, tu ne la prendra pas !"
La forme sombre se retourna, et un monstrueux visage apparut, déformé par la colère. Ynnas tressaillit, recula de deux pas, et bégaya :
"Qu
qui est-tu ? Qu'est-ce que tu lui veux ?
_Je suis celui que tu serviras ! Humain, je sens en toi une grande force, rejoins-moi et je ferai de toi un grand seigneur que tous servirons !
_Jamais !
_Tu as l'air déterminé ... Mais tu ne peux rien faire contre moi. Je suis le maître, celui qui commande
"
Après ces mots, la forme tourna autour d'Ynnas, avant de l'étouffer.
Chapitre IV : Une évasion fatale
Ryan et Miron marchaient, encadrés de près par Dalior et Rishka. Ils traversèrent de sombres couloires tortueux, où se croisaient de nombreux soldats, qui exprimaient autant de respect pour Rishka que de dégoût pour Ryan et Miron.
Tous les quatre finirent par arriver devant une porte en bois, qui était la seule de toutes celles qu'ils avaient vu non ensanglantée depuis un long moment. Rishka se mit en face de Ryan et de Miron et leur murmura :
"Nous voilà devant la salle du trône. Derrière se trouve le maître de cette région. Surtout, ne parlez pas sans qu'il ne vous en ai donné l'autorisation explicite. Il est aussi très strict sur le protocole. Il ne faut jamais le regarder dans les yeux, toujours baisser la tête, et surtout ne pas lui parler directement. Je ferai l'interprète. Lorsque je taperai trois fois du pied, alors vous sortirez un poignard que je vais vous donner. Essayez de vous défendre le mieux possible, la diversion sera suffisante pour créer une panique. Pendant ce temps là, Dalior sera en train de libérer les prisonniers. Ensuite, vous deux vous sortirez et rejoindrez vos soldats à l'extérieur."
Rishka tendit deux petits poignards à Ryan et Miron, et Dalior s'en alla. Rishka frappa à la porte, et deux gardes l'ouvrirent, laissant entrer les trois hommes. La salle du trône était grande, sombre, et avait pour unique décoration des corps pourrissant d'animaux et d'hommes sauvagement mutilés et pendus au plafond. Ryan était comme hypnotisé par cet affreux spectacle quand Rishka lui sonna un coup de coude dans les cottes. Il lui chuchota :
"Fais attention, il ne faut pas que tu donnes l'image d'un visiteur qui est là pour admirer le paysage. Tu dois baisser la tête et ne jamais croiser le regard de personne."
Ensuite, Rishka commença à parler avec l'Adorateur de la Mort assis sur le trône. Après quelques minutes qui semblèrent des heures, Ryan vit son allié taper du pied. Une fois
deux fois
Mais la troisième fois ne vint pas. Apparemment, il n'était pas très sûr de lui. Encore un moment, quelques battements de cur, un clignement d'il. Le pied se leva, lentement, redescendit, il allait presque toucher le sol, plus que quelques secondes. Les tempes de Ryan gonflaient et dégonflaient au fur et à mesure de ses battements de cur.
Ca y est, le pied a touché le sol, Miron commença à tâter ses vêtements pour retrouver son poignard. Ryan avait le sien caché dans sa botte, il le sentait contre son pied. Il allait se baisser pour le prendre, quand il reçut un autre coup de coude dans les côtes. Rishka murmura :
"Qu'attends-tu ? Il faut y aller."
Ryan se baissa, prit son poignard et l'enfonça dans la poitrine d'un des gardes situés derrière lui. Miron avait, pendant ce temps là, déjà tué trois autres gardes. Rishka bondit et attrapa à la gorge son chef, avant de le jeter violemment au sol. Il hurla :
"Courez tant qu'il est encore temps. L'effet de surprise ne va pas durer éternellement."
Miron se tourna vers Ryan, et lui dit :
"Vas-t-en, sauve-toi ! Je reste ici pour aider Rishka."
Ryan recula de trois pas, se retrouva dos à la porte. Il essaya de l'ouvrir, mais un des gardes, prudent, l'avait fermée à clef. Ryan se retrouva encerclé par les ennemis, essayant de se débattre. De tous les côtés arrivaient des gardes. Ryan pensait que tout était perdu, il arrêta de se battre, quand un gigantesque bruit de choc se fit entendre de l'autre côté de la porte, qui céda violemment sous le choc.
Une centaine d'autres adorateurs de la Mort entrèrent dans la salle. L'un d'eux se rapprocha de Ryan, et lui sourit. Mais sous le casque, ce n'était pas une de ces abominables créatures. Ryan reconnut qui c'était. C'était un de ses soldats, sous ces habits.
Dalior avait en fait vêtu les soldats du royaume Ifinn en adorateurs de la Mort. Cela avait permis aux hommes de passer inaperçus au milieu de la masse de barbares. Ils avaient ensuite emprisonné tous les ennemis dans les cachots du Temple.
Dalior prit Ryan et Miron à l'écart du combat, et leur expliqua :
" C'est la débandade. Il faut en profiter pour s'échapper.
_Mais, interrompit Miron, on n'est pas totalement débarrassés des adorateurs de la Mort. Ton royaume va envoyer encore plus de soldats. Il faut refermer le passage pour que plus personne ne puisse l'utiliser à ses fins personnelles.
_Mais si nous refermons le passage, reprit Dalior, le bouclier qui protège le royaume Ifinn disparaîtra, et vous serez de nouveau vulnérables.
_Mais on doit apprendre à être vulnérables ! Pendant des siècles nous nous sommes endormis sans avoir peur du lendemain, sans connaître le danger. Et qu'est-ce que ça à donné ? Un peuple chétif, incapable de se défendre, qui reste à attendre mollement que demain arrive. Pendant tous ce temps nous avons stagnés, car rien ne nous poussait à avancer. Mais maintenant, il faut rattraper le temps perdu !"
Miron était de plus en plus énervé, ce qui impressionna fortement Dalior. Autour d'eux, la bataille avait cessé, et le sol était jonché de cadavres. Maintenant, il était temps d'agir. Rishka