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Quels sont pour vous les trois livres de philo à lire pour un honnête homme ?


 
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1.  "La république" de Platon
 
 
6.7 %
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2.  "La métaphysique" d'Aristote
 
 
15.7 %
 279 votes
3.  "l'Ethique" de Spinoza
 
 
1.5 %
    27 votes
4.  "Essai de théodicée" de Leibniz
 
 
15.0 %
 266 votes
5.  "Critique de la raison pure" de Kant
 
 
17.8 %
 315 votes
6.  "Par delà le bien et le mal" de Nietzsche
 
 
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7.  "L'évolution créatrice" de Bergson
 
 
6.4 %
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8.  "Etre et temps" d'Heidegger
 
 
7.5 %
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9.  "Qu'est-ce que la philosophie" de Gilles Deleuze
 
 
8.1 %
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10.  "Moi, ma vie, mon oeuvre" de obiwan-kenobi
 

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Auteur Sujet :

Philo @ HFR

n°9916927
desclous
Posté le 10-11-2006 à 22:35:57  profilanswer
 

Reprise du message précédent :

Mine anti-personnel a écrit :

Perdu!
 
Tu viens de prouver la fausseté de la thèse que tu cherches à défendre, simplement en la défendant.


Holà!  
Mais mais mais, s'il est impossible de les désunir, chaque croyance est aussi une vérité...?
Ne suis-je pas donc toujours dans mon droit?

mood
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Posté le 10-11-2006 à 22:35:57  profilanswer
 

n°9916961
Mine anti-​personnel
Posté le 10-11-2006 à 22:39:11  profilanswer
 

desclous a écrit :

Holà!  
Mais mais mais, s'il est impossible de les désunir, chaque croyance est aussi une vérité...?
Ne suis-je pas donc toujours dans mon droit?


Ça tourne à la joute sophistique, mais pourquoi pas ?
 
S'il est impossible des les désunir, toute croyance est la vérité et l'expression "croire en la vérité" n'a même plus de sens.

n°9917019
desclous
Posté le 10-11-2006 à 22:44:45  profilanswer
 

Mine anti-personnel a écrit :

Ça tourne à la joute sophistique, mais pourquoi pas ?
 
S'il est impossible des les désunir, toute croyance est la vérité et l'expression "croire en la vérité" n'a même plus de sens.


Ah non! tautologie n'est pas absence de sens.
Je t'accorde que prétendre que "je crois donc en ce que je crois" n'apporte peut-être pas grand-chose...
(Je ne savais pas que de tels pinailleurs rôdaient par ici.)

n°9917141
desclous
Posté le 10-11-2006 à 22:54:51  profilanswer
 

Soit dit en passant, le principal incriminé pourrait peut-être nous éclairer sur ce point: les a-t-il désuni ou pas?
Ce faisant, il pourra me donner raison en me discréditant...

n°9919669
daniel_lev​rai
Semper eadem sed aliter
Posté le 11-11-2006 à 12:33:11  profilanswer
 

Baptiste R a écrit :

Si la croyance n'est pas un contenu mais une disposition, alors pourquoi ne pas laisser tomber cette notion batarde et mal fichue et la remplacer par le désir ? Si Rahsaan n'a pu jadis conclure qu'à une contradiction tragique et à l'impossibilité d'unir croyance et réalité, sinon sous forme de pis-aller comme celui "d'illusion nécessaire", n'est-ce pas le signe que cet outil de réflexion n'est pas assez puissant ?
La croyance réduit le désir à une proposition simple, à un "je crois que". Même en positivant la croyance et en cessant d'en faire une rationalité défectueuse, cet héritage subsiste, sous-jacent et intact, et nous fait oublier le "je crois" tout court, le "je crois en la vie" fondamental (affirmation quelque peu niaise mais justement parce que le copain-copain avec la vie n'est pas une proposition et ne devrait pas être exprimée sous cette forme). Je crois en la vie - ou pas : pour expliquer l'erreur obstinée, ce n'est pas le "savoir défectueux" que l'on doit examiner mais le lien malade avec la vie.


 
 
Ouais, ou alors déplacé le centre de gravité de la croyance qui à mon sens cherche toujours à simplifier le monde et le rendre uniforme en une grande croyance de la diversité, où la gravité du respect serait en la différence intrinsèque de chaque étant, que leur totale singularité les rendrait à ce point en dehors de tout schème régulateur existant qu'il n'y aurait plus la place qu'à la joie du devenir fluctuant où l'homme se courberait devant le mystère de la différence. La sainteté de l'expérience de la multiplicité a jusqu'à maintenant tellement effrayé l'homme qu'il n'a pu que la combattre.
 
 
PS: je délire :d

n°9921097
Baptiste R
Posté le 11-11-2006 à 16:49:34  profilanswer
 

desclous a écrit :

Citation :

Si Rahsaan n'a pu jadis conclure qu'à une contradiction tragique et à l'impossibilité d'unir croyance et réalité


J'avais cru comprendre qu'il avait conclu à l'impossibilité de les désunir ?!
Sur le mode de: on voit ce que l'on croit...


Liés paradoxalement et tragiquement plutôt qu'unis et fondus ("Si bien que pour agir réellement, nous devons faire appel à des entités qui n'ont aucune réalité" ), ce que je ne trouve pas très satisfaisant.

n°9924236
Lampedusa
Posté le 12-11-2006 à 00:37:59  profilanswer
 

Baptiste R a écrit :

Liés paradoxalement et tragiquement plutôt qu'unis et fondus ("Si bien que pour agir réellement, nous devons faire appel à des entités qui n'ont aucune réalité" ), ce que je ne trouve pas très satisfaisant.


C'est vrai, c'est un peu mi-chair mi-poisson.
 
Quant à la question de la croyance en tant que "disposition", ce n'est pas tant en opposition au "contenu" qu'on pourrait l'envisager, mais, et là Rahsan reçoit le considérable appui de Queen (Wiilard van Orman), à la pensée:

Citation :

Croire est une disposition. Penser est une activité. On peut s'épuiser à penser, pour peu qu'on s'y applique, mais croire n'est jamais fatigant.


(Quiddités)
A la notable exception de la Reine blanche dans Alice, cependant, qui faisait profession de croire à six choses impossibles avant le petit déjeuner, comme une sorte de jogging pré-prandial.
(L'allusion à Alice est dans le texte.)

Citation :

Je crois en la vie - ou pas : pour expliquer l'erreur obstinée, ce n'est pas le "savoir défectueux" que l'on doit examiner mais le lien malade avec la vie.


Mais qu'est-ce que serait un "lien sain" avec la vie?
Peut-on ici, et d'une façon générale, introduire des impératifs de salubrité recommandée pour être en adéquation avec quelque chose qui serait "la vie"?

n°9924404
Baptiste R
Posté le 12-11-2006 à 01:19:09  profilanswer
 

Citation :

Peut-on ici, et d'une façon générale, introduire des impératifs de salubrité recommandée pour être en adéquation avec quelque chose qui serait "la vie"?


Jusqu'ici, j'ai parlé d'examen, pas d'impératif ni de recommandations.
Toutefois, tu me rétorqueras peut-être que pour distinguer une vie saine d'une vie malade, je dois bien poser une norme, que je considère comme étant l'essence même de la vie, mais qui n'en est pas moins norme arbitraire, ou en tout cas partiale et relative, dangereuse à ériger en absolu.
J'ai bon ?
 

Citation :

Mais qu'est-ce que serait un "lien sain" avec la vie?


J'appelle à la barre le sens commun : rappelle-toi ta dernière déprime et ta dernier euphorie puis compare.
 
 

Citation :

prandial


Le mot n'est pas dans le Petit Robert => +1
(Mais quand même dans le TLF, j'ai eu peur.)


Message édité par Baptiste R le 12-11-2006 à 01:23:16
n°9928337
Lampedusa
Posté le 12-11-2006 à 19:43:32  profilanswer
 

Citation :

J'ai bon ?


Excellent.

Citation :

Le mot n'est pas dans le Petit Robert => +1
(Mais quand même dans le TLF, j'ai eu peur.)


Ça m'étonne beaucoup, qu'il n'y est pas.
Ça n'a rien à voir, mais le Robert peut avoir d'autres qualités: le noble mot de "tétonnière", par exemple, qui ne figure pas dans le petit Larousse, a bien sa place dans les Robert, même le petit.

n°9935001
rahsaan
Posté le 13-11-2006 à 17:20:18  profilanswer
 

>Lampedusa : très bien venue, cette citation de Quine (et pas Queen :D).
Ce qui, pour répondre à Desclous, irait dans le sens d'une séparation entre croyance et pensée. La première étant passive et ne demandant au fond rien à personne, et surtout pas à la réalité, tandis que la deuxième a des comptes à rendre avec le monde et doit aussi lui demander des comptes : la pensée doit dire le réel mais elle doit exiger du réel qu'il montre ce qui le rend compréhensible.  
Un tel souci est absent de la croyance.  
 
Par ailleurs, j'ai plutôt traité du lien entre croyance et connaissance, en montrant d'abord que la croyance était une connaissance défectueuse, puis en examinant la position inverse : le désir de connaître repose sur une croyance.  
J'aboutis à ce paradoxe : la croyance est nécessaire pour vivre même si elle ne doit pas être jugée comme un contenu de connaissance sur le monde.  
Si j'ai le courage (bis :D), je montrerai comment le problème se noue en fait autour non de la croyance proprement dite mais du besoin de croire. La croyance est à la fois nécessaire à l'action mais dérisoire pour l'entendement, qui n'y trouve que des mots vides de sens, sans référence à rien de réel.  
 
Bon je m'y mets... :D
 
Croyance et affirmation de la vie
Comme le dit Clément Rosset, le fanatique ne se pardonne pas d'être un incrédule honteux : incapable de saisir aucune croyance solide, il doit sans cesse prouver par des attitudes, des actes, des "preuves", de la mise en scène sociale qu'il croit réellement -pour mieux masquer qu'il ne sait pas du tout de quoi il parle, pour cacher le vide de toute croyance.  
C'est le besoin de croire qui fait le malheur de l'homme. Pas la croyance en tant que telle mais la croyance issue du besoin de sécurité, d'être rassuré, de trouver une chose identique à elle-même, stable, à laquelle se "raccrocher" par l'imagination -une planche de salut en fait.  
Comment croire sans avoir besoin de croire ? Comment la croyance pourrait-elle provenir non de la peur de vivre mais d'un besoin de vivre plus, plus intensément, du besoin d'agir et non de se rassurer face à l'incertitude de la vie ? Voilà la question.
Deleuze répond en disant très justement qu'à notre époque on ne croit plus à grand'chose... si bien qu'on ne réalise plus rien de grand. Mais que peut bien vouloir dire "croire en la vie, croire en ce monde-ci" ?... Comment savoir si notre croyance embrasse notre monde, ou si elle ne se perd pas dans la recherche d'un au-delà ?...  
Les grands mystiques, qui ont embrassé fortement la vie (Sainte-Thérèse d'Avila, Sainte-Thérèse de Lisieux...) ne se sont-ils pas dévoués à une cause surnaturelle, après avoir vu la Vierge ?... Mais chez elle, l'apparition de la Vierge n'aboutissait pas à une stupide bigoterie de punaise, mais à la recherche d'une vie plus forte, plus intense : Sainte-Thérèse de Lisieux se jetant aux pieds du Pape, à peine adulte, pour le supplier de la laisser entrer au Carmel avant l'âge... Sainte-Thérèse d'Avila exortant son frère à partir sur la route des Croisades, pour s'y faire tuer au nom de l'amour de Jesus...  
Nietzsche dit : "le prêtre, ce mélange de volonté de puissance et de maladie."  
Mais dans le cas des deux Thérèse, ce qui était "maladif" (la recherche de l'anéantissement, de l'au-delà, la condamnation de ce monde) n'était-il pas au service d'une santé plus forte (l'amour de Jesus, le feu mystique de la passion sacrée) ?  
 
Dans ce cas, le lien tragique entre croyance et réalité (nécessité de croire à qqch qui n'est pas pour agir sur ce qui est) devient affirmation de ce qui est par référence à un devoir-être, un idéal plus haut, qui exige la transfiguration de la vie, le dévouement de tout son être à une cause supérieure.  
Paradoxe nietzschéen, magistralement énoncé par Slavoj Zizek : la première victime de l'absence de croyance à des valeurs supérieures à la vie, ce n'est pas la croyance, mais la vie elle-même, qui dépérit de n'être pas au service d'une direction. "Un oui, un non, un but." Il est fou de croire que la vie tend à une finalité, mais sans finalité, la vie perd de sa valeur et s'enlise dans le nihilisme de celui qui ne croit plus en rien.  
 
Dès lors, comment croire en la vie sans être inconditionnellement attaché à sa croyance et sans que cela soit pour autant un affaiblissement de cette force qui nous pousse "à y croire", comme on dit si bien ?... Nietzsche, encore (:D) dit que le scepticisme romain, le scepticisme de Ponce Pilate face à Jésus, est issue de la force : les Romains avaient assez confiance en eux, en la vie, ils croyaient assez en leur idéal, pour se payer le luxe du scepticisme.
En sorte que, comme je voulais le montrer, l'incroyance n'est pas nécessairement le contraire de la croyance. L'incroyance peut constituer un surplus de vie, une force d'affirmation qui ne peut que reposer sur les bases solides d'une croyance saine. Mais plus un homme est faible, démuni, en détresse face à son incertitude, et plus il aura besoin d'une croyance unique, solide, inébranlable. Il aura besoin d'obéir à une cause, d'obéir à ceux qui disent aux autres ce qu'il faut croire.  
Au contraire, le scepticisme marque une victoire sur la superstition, sur le discours nébuleux, morbide du croyant, car il triomphe lorsque le monde a été rationalisé, dominé et que le sentiment de maîtrise sur les choses s'est accru.  
 
Voilà en deux mots comment résoudre cette affaire... Peut-être qu'il faudra que je reprenne ça un peu... :o

mood
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Posté le 13-11-2006 à 17:20:18  profilanswer
 

n°9940422
daniel_lev​rai
Semper eadem sed aliter
Posté le 14-11-2006 à 11:57:03  profilanswer
 


 
J'aime beaucoup ta manière de disserter, je mets un 18/20 personnellement  :sol:


Message édité par daniel_levrai le 14-11-2006 à 12:11:39
n°9942799
rahsaan
Posté le 14-11-2006 à 17:06:34  profilanswer
 

Merci m'sieur ! :D
 
...
 
Wesh enculé d'sarass, j'voulais 19 au moins ! :o

n°9956719
daniel_lev​rai
Semper eadem sed aliter
Posté le 16-11-2006 à 10:06:45  profilanswer
 

18/20 stou é dja bien :o
 
moi-même je n'ai jamais eu plus de 18/20 à la fac, y'a pas de raison
  :whistle:


Message édité par daniel_levrai le 16-11-2006 à 10:08:24
n°9956956
rahsaan
Posté le 16-11-2006 à 10:58:36  profilanswer
 

:D

n°10006838
Baptiste R
Posté le 22-11-2006 à 17:40:47  profilanswer
 

Pour répondre à Lampedusa, s'interdire d'être ''''normatif'''', c'est s'interdire de revendiquer des valeurs (ou alors de façon inavouée et malhonnête), donc c'est s'interdire de penser. J'ai fait appel dans un précédent message à l'expérience de chacun, mais s'appuyer sur l'évidence empirique est peut-être une erreur, car dire "je ne dis rien au fond d'extraordinaire, ne vivons-nous pas tous de cette façon ?", n'est-ce pas une voie facilement irénique, parce qu'elle cherche trop le consensus et surtout suppose celui-ci comme originel ("nous étions d'accord depuis le début" ) ? N'est-ce pas une démarche à la fois niaise et peu respectueuse d'autrui ("au fond nous sommes d'accord... ou plutôt au fond, vous êtes d'accord avec moi, vous vivez comme moi" ) ? Ne devons-nous pas forcer nos interlocuteurs à penser (et réciproquement) ? Je ne parle pas d'une brutalité rhétorique mais d'idées qui intriguent et choquent. Ne devons-nous pas penser comme jamais on n'avait pensé, ne devons-nous pas créer de nouvelles explications de l'humain ? Au lieu de présupposer un fond commun à tous, une nature humaine inchangée qu'il suffit d'expliquer sagement, ne devons-nous pas créer de "nouvelles formes de vie" (Nietzsche), la philosophie ne doit-elle pas "dépasser la condition humaine" (Bergson), parce que la vie est changement et dépassement d'elle-même, parce qu'elle ne se vit que dans un corps à corps avec elle-même, ne se pense que fouettée et poussée à son comble ?

Message cité 1 fois
Message édité par Baptiste R le 22-11-2006 à 18:16:15
n°10011222
rahsaan
Posté le 23-11-2006 à 10:28:47  profilanswer
 

>Baptiste R : il y a une formule de Lyotard, dans son livre La condition post-moderne qui dit un peu la même chose que toi : à l'homologie des experts , il faut préferer la paralogie des inventeurs.  
Il dit cela dans le cadre d'une société qui ne croit plus à des récits englobants, des récits d'explication du monde : chrétien, marxiste ou autre... Le post-moderne se caractérise par l'abandon des méta-récits, ceux qui donnent une justification globale des discours d'une société.  
"Période" qui se caractérise aussi par le triomphe des experts, des techniciens, des technocrates, qui prétendent appliquer leur compétence particulière dans un domaine à la politique, envisagée comme gestion rationelle des moyens de l'Etat et de la société.  
 
L'homologie désigne donc un discours d'uniformité, de consensus, de nivelage, tandis que la paralogie est un discours inventif, nouveau, créateur, inattendu. Un discours qui échappe aux codes établis, qui invente des normes nouvelles, singulières.  
Lyotard dit qu'il faut "jouer des coups" dans l'arène des jeux de langage rivaux. Tenter un coup, c'est un peu lancer une bouteille à la mer. Ce n'est pas "communiquer", c'est prendre le risque du singulier, de ce qui ne se comprend que de soi-même, pas à partir d'une norme donnée.  

n°10017045
Baptiste R
Posté le 23-11-2006 à 22:19:36  profilanswer
 

rahsaan a écrit :

qui dit un [tout petit] peu la même chose que toi



Message édité par Baptiste R le 24-11-2006 à 13:19:23
n°10017110
Profil sup​primé
Posté le 23-11-2006 à 22:26:05  answer
 

Tiens en ce moment je lis "Kant et l'ornithorynque" d'Umberto Eco, c'est rigolo et passionnant (même si un peu ardu à cause des références incessantes à d'obscurs sémiologues italiens). Pas vraiment de la philo mais par moment ça y ressemble bigrement :D

n°10018094
phyllo
scopus inornatus
Posté le 24-11-2006 à 00:30:24  profilanswer
 

Je l'ai tenté aussi.
 
A part ma signature (que j'ai choppée là) et le titre, j'avoue que cela m'a pas mal ennuyé.
 
Mais je n'avais (et sans doute n'ai encore) pas le niveau.

n°10018293
fennecfou
Vehementer Cupio Vitam
Posté le 24-11-2006 à 01:26:05  profilanswer
 

Baptiste R a écrit :

Pour répondre à Lampedusa, s'interdire d'être ''''normatif'''', c'est s'interdire de revendiquer des valeurs (ou alors de façon inavouée et malhonnête), donc c'est s'interdire de penser. J'ai fait appel dans un précédent message à l'expérience de chacun, mais s'appuyer sur l'évidence empirique est peut-être une erreur, car dire "je ne dis rien au fond d'extraordinaire, ne vivons-nous pas tous de cette façon ?", n'est-ce pas une voie facilement irénique, parce qu'elle cherche trop le consensus et surtout suppose celui-ci comme originel ("nous étions d'accord depuis le début" ) ? N'est-ce pas une démarche à la fois niaise et peu respectueuse d'autrui ("au fond nous sommes d'accord... ou plutôt au fond, vous êtes d'accord avec moi, vous vivez comme moi" ) ? Ne devons-nous pas forcer nos interlocuteurs à penser (et réciproquement) ? Je ne parle pas d'une brutalité rhétorique mais d'idées qui intriguent et choquent. Ne devons-nous pas penser comme jamais on n'avait pensé, ne devons-nous pas créer de nouvelles explications de l'humain ? Au lieu de présupposer un fond commun à tous, une nature humaine inchangée qu'il suffit d'expliquer sagement, ne devons-nous pas créer de "nouvelles formes de vie" (Nietzsche), la philosophie ne doit-elle pas "dépasser la condition humaine" (Bergson), parce que la vie est changement et dépassement d'elle-même, parce qu'elle ne se vit que dans un corps à corps avec elle-même, ne se pense que fouettée et poussée à son comble ?


 
qu'induis-tu? j'ai un peu de mal à suivre un raisonnement à pléonasmes supposés mais qui sont en fait des métaphores dont tu détiens la clef^^
 

rahsaan a écrit :

>Baptiste R : il y a une formule de Lyotard, dans son livre La condition post-moderne qui dit un peu la même chose que toi : à l'homologie des experts , il faut préferer la paralogie des inventeurs.  
Il dit cela dans le cadre d'une société qui ne croit plus à des récits englobants, des récits d'explication du monde : chrétien, marxiste ou autre... Le post-moderne se caractérise par l'abandon des méta-récits, ceux qui donnent une justification globale des discours d'une société.  
"Période" qui se caractérise aussi par le triomphe des experts, des techniciens, des technocrates, qui prétendent appliquer leur compétence particulière dans un domaine à la politique, envisagée comme gestion rationelle des moyens de l'Etat et de la société.  
 
L'homologie désigne donc un discours d'uniformité, de consensus, de nivelage, tandis que la paralogie est un discours inventif, nouveau, créateur, inattendu. Un discours qui échappe aux codes établis, qui invente des normes nouvelles, singulières.  
Lyotard dit qu'il faut "jouer des coups" dans l'arène des jeux de langage rivaux. Tenter un coup, c'est un peu lancer une bouteille à la mer. Ce n'est pas "communiquer", c'est prendre le risque du singulier, de ce qui ne se comprend que de soi-même, pas à partir d'une norme donnée.


 
Tenter des coups, c'est précisément prendre le risque de se couper tant de son auditoire que de l'écho contradictoire ou profond qui en découle. Pourfendre la norme à tout bout de champ, c'est fort sympathique mais qu'en devient-il si tout le monde prend une décision similaire? Un brouhaha s'élevant d'un puit d'égo. Harbermas l'avait compris, tout en appréciant modérément la post-modernité et ses avatars (ultra-égoïsme, panique existencielle, narcissisme, culte scientiste virant à la cécité ect...) il savait qu'avoir le dénominateur commun qu'est la juste-compréhension de tous, était progressiste et contraire à l'ultra-rationalisme quasi bureaucrate. Jouer à la carte de son propre vocable de l'esprit est au contraire terriblement post-moderne.
 

n°10021554
Karousel
Posté le 24-11-2006 à 16:27:25  profilanswer
 

Ayant une colle de philo qui approche sur la société, le droit, l'Etat etc.. J'aurais voulu savoir quels passages des grands livres traitant du sujet doivent être impérativement lus? Je cerne les ouvrages ( Léviathan, Contrat Social, République ) mais vu l'importance de ceux-ci, j'ai pas envie d'ingurgiter 2000 pages :o

n°10021605
daniel_lev​rai
Semper eadem sed aliter
Posté le 24-11-2006 à 16:33:07  profilanswer
 

Le Da Vinci Code ? :o

n°10048961
rahsaan
Posté le 28-11-2006 à 16:52:05  profilanswer
 

Cet été, j'ai lu Différence et Répétition, de Deleuze, sa thèse universitaire de 1969. De cette somme colossale, chaotique, un grand nombre de choses m'ont échappé plus ou moins. J'en retiens surtout les fabuleux chapitres centraux, appelés L'image de la pensée et Synthèse idéelle de la différence.
En les lisant, j'ai vécu un de ces rares moments qu'on peut, dans une vie, qualifier de philosophique. Au fond, peut-on commencer à penser avec un auteur sans l'avoir admiré ? D'abord l'exaltation de la vie, puis la rigueur du concept, dirait (peut-être) Hegel...
 
C'est à ces deux chapitres de D&F que je me réfère surtout dans le texte qui suit.  
J'y traite de l'importance cruciale du concept de différence chez Deleuze et j'essaie de montrer l'ampleur des problèmes qu'il permet d'aborder.  
 
DELEUZE : LA DIFFERENCE, LE BON SENS ET LE CHAOS
 
Dans un livre récent sur Bergson, Frédéric Worms a montré que chez cet auteur, les chapitres primordiaux de ses livres n'étaient ni le premier ni le dernier, mais au contraire les chapitres centraux. La force conceptuelle de Matière et Mémoire rayonne des pages du milieu, les chapitres extrêmes étant en quelque sorte sous la dépendance de l'intuition primordiale exposé au coeur du livre.  
N'est-ce pas là un des secrets de la phrase de Deleuze "l'herbe pousse par le milieu" ? Ce qui compte, n'est ni le point final ni l'origine ou le commencement, mais le milieu, là où croîssent les forces, où elles atteignent leur plein déploiement.  
Ce secret de composition est manifestement utilisé par Deleuze le bergsonien dans D&F. L'ouvrage commence par l'étude du concept de répétition, se termine par celui de différence. Mais tout se joue en fait entre ces deux moments, entre l'ouverture et le final, dans l'oeil de ce livre-cyclone.  
 
Alors, qu'en est-il de ces deux chapitres ?
Rapidement, il est clair qu'à ce moment du livre, pour Deleuze l'ennemi à abattre (du moins à combattre) est le bon sens et tous ses avatars.
Toute philosophie commence en acceptant une certaine image de la pensée, qui constitue son idée reçue, son présupposé, bref son opinion. Au 17e siècle, on croit à la méthode, aux notions communes, à l'universalité de la raison et à la science physico-mathématique. Donc, en son coeur, la philosophie accepte une image pré-donnée, pré-conçue, qu'elle ne pense pas en tant que tel. Par là-même, elle affronte à la fois le danger qu'il y a à se séparer de l'opinion et celui qu'il y a à y rester.  
Or, ce qui caractérise l'opinion, c'est qu'elle a réponse à tout, mais qu'elle ne se pose aucune question. Autrement dit, elle pose les problèmes comme toujours déjà faits, et les réponses comme à disposition de celui qui veut mettre un peu de bonne volonté à les chercher. L'opinion vit donc sur sa belle assurance, qui, métaphysiquement, se traduit par le respect du principe d'identité, qui veut que chaque chose ne soit rien d'autre qu'elle-même et que tout doive être à sa place.  
Contre cette conception, qui grève toute philosophie d'un poids de non-pensée, Deleuze va montrer qu'on ne peut se mettre à penser sans affronter la différence.  
 
Opinion et bêtise
 
Penser n'est pas un acte de bonne volonté, ni une faculté de l'esprit, ni un désir naturel de l'homme. Penser est un évènement, qui rompt avec le cours habituel de l'existence, qui nous arrache brutalement, quand nous ne nous y attendons pas, à la platitude de l'opinion. Penser advient sous le coup d'un choc, d'une expérience douloureuse, d'une prise de conscience inattendue : toujours comme une agression, qui mord sur nous et nous force à penser.  
Disons que la pensée est moins un paisible herbivore, qui sait faire la part des choses, qu'un prédateur qui doit attaquer et se défendre. Déjà Platon disait que la mort était une des incitations de la philosophie : c'est bien dire que le cours ordinaire des choses ne donne rien à penser, sauf quand nous nous en étonnons, brusquement et que le monde devient alors insolite, inconnu et qu'il fait alors problème.
 
Plus profondément, Deleuze montre que le problème sous-jacent n'est pas tant l'opinion elle-même que sa platitude, son ignorance, sa lourdeur. Et c'est là que l'ennemi est vraiment démasqué : la bêtise. L'ennemi de la philosophie est moins l'opinion que la bêtise elle-même. Dans des pages fabuleusement drôles et impitoyables, Deleuze entreprend d'en dresser un vaste panomara, des discours de ministres aux sujets de concours de journaux en passant par les sondages.  
Tous ont un point commun : celui de poser des questions en supposant la réponse déjà faite (mais à découvrir) et sans s'interroger sur le problème qui amène cette question. Mais comment comprendre la bêtise ?
Deleuze montre que nombre de penseurs (sinon tous) ont affronté la question de la bêtise : pour les Grecs, c'est une folie inspirée par les dieux, pour les rationalistes de l'âge classique elle se confond souvent avec la simple erreur, pour Schopenhauer elle marque la soumission de l'intelligence aux besoins de la volonté...  
Deleuze n'a pas de mots assez durs pour dénoncer l'amalgame erreur/bêtise. Trop souvent, nous nous contentons de dire qu'être bête, c'est dire 2+2=5 ou "Bonjour Thêêtète" quand c'est Glaucon qui passe. Deleuze, à demi-mots, en note de bas de page, signale que même chez Spinoza (oui chez Spinoza, et c'est Deleuze qui le dit !) subsiste le préjugé de l'image classique du monde et de son corrélat, la réduction de la bêtise à un mauvais usage de nos facultés.  
L'image que la pensée accepte, passivement, la retient prisonnière de l'opinion dont elle prétend se déprendre. Deleuze cherche comment construire une pensée sans image : il trouve une réponse dans une pensée qui serait purement différentielle et répétitive, et dont les ébauches sont chez Kierkegaard, Peguy, Nietzsche bien sûr et d'autres...  
 
(Il me semble ici important de préciser que sur ce point, Deleuze variera : il s'agira peut-être moins de parvenir à une pensée sans image qu'à comprendre qu'une pensée ne peut advenir sans nous donner aussi, en même temps, une nouvelle image de la pensée : la pensée comme déployant en même temps qu'elle ses propres conditions de possibilité - cette coïncidence parfaite entre la pensée et ses conditions étant peut-être le nerf de tout acte de penser authentique...)
 
La forme de la bêtise
 
Comment Deleuze cerne t-il la bêtise ?... Nous la trouvons incarnée en littérature par des personnages tels que Bouvard et Pécuchet, qui constituent pour Deleuze des monstres de bêtise, des géants, des héros de la bêtise ! La pensée doit parvenir à s'arracher à la forme toute faite de l'opinion, mais sans pour autant s'effondrer dans l'informe. Or, l'effort pénible de la pensée la fait osciller entre l'image toute-faite de l'opinion, le principe d'identité (rassurant, stable) et la forme conceptuelle qu'elle crée.  
Deleuze peut alors définir la bêtise comme une forme de pensée qui ne parvient pas à la forme, comme un fond qui ne se forme pas, comme une forme menacée par l'informe. La bêtise est donc, au sens littéral, du mal-formé, du monstrueux : quelque chose qui donne soudain à voir une forme avortée, une forme déformée.  
En quoi il est toujours faux de comparer la bêtise humaine à une réduction de l'esprit à son animalité.  
- Vous êtes une bête, dit-on au 17e siècle, assimilant donc bien la stupidité à l'animalité, l'homme perdant soudain sa belle forme humaine pour ressembler à un animal, considéré comme ignoble.  
Seulement, ce qui pose réellement problème dans la bêtise, c'est qu'elle ne consiste en rien d'animal ! En aucun cas le "mode d'être" animal (comme le dirait Heidegger) ne nous fait comprendre la bêtise. Celle-ci n'a pas de référent. Elle n'est pas seulement un raté de la pensée, une erreur, une déviation, mais un mode problème de formation de la pensée, qui vire au difforme, au grotesque.  
La bêtise semble donc incompréhensible, bien que toute tête pensante soit bien forcée de se confronter à ce problème un jour ou l'autre. Puisque la bêtise ne fait guère problème quand il s'agit de celle des autres mais beaucoup plus quand il s'agit de la sienne.  
Deleuze ne propose pas de théorie, de réponse définitive. Il creuse le problème et en montre l'étendue. La littérature a su abondamment décrire ce phénomène : la philosophie peut-elle aussi rendre compte de cette vieille ennemie sans la travestir en erreur ? La question reste posée.  
 
La pensée larvaire
 
Nous voyons le problème qui se dégage : c'est celui de la forme, comme condition de possibilité de la formation de la pensée.  
La pensée ne peut pas éviter l'informe, mais ne peut s'y plonger non plus. L'opinion, avec son dogmatisme, est une forme toute donnée. Bergson lui trouve l'excuse de répondre aux besoins pratiques de la vie courante, d'avoir une dimension sociale et vitale indispensable. Oui, mais s'il fallait ne pas chercher d'excuse à l'opinion ? S'il fallait la séparer de ses justifications, la prendre au piège, l'enserrer et l'étudier pour de bon ?... En somme, l'opinion n'a toujours que trop de raisons pour se justifier et trop de forces, trop de persévérance. Face à elle, la pensée, chêtive, solitaire, pénible, est démunie.  
S'arracher à la forme toute faite de l'opinion nous fait donc prendre le risque de l'informe. Dans des pages quasiment lovecraftiennes (et certainement kafkaïennes à tendance Dostoievsky du Sous-sol :D... donc nietzschéennes ! :D ), Deleuze montre que la pensée ne jaillit pas d'un sujet bien constitué, autonome et stable, mais au contraire du multiple, du chaos, du choc. Kant s'aperçoit que jamais le "je-pense" qui constitue la synthèse primordiale qui rend possible toute expérience ne peut arriver à coïncider parfaitement avec le moi comme objet de savoir. Entre le je et le moi s'insinue une faille, une différence, qu'il est impossible de combler. Avec la Critique de la raison pratique, Kant bouche ce "jeu" qu'il y avait entre le moi et le je, grâce à l'exigence d'autonomie du sujet de la morale.  
Mais Deleuze montre que le sujet n'est jamais donné tout constitué, qu'il est au contraire travailler par l'extériorité de l'expérience, par un Dehors. En bonne phénoménologie, on dirait qu'il existe une distance entre le moi et le moi-même, entre le pur "je" et le moi réfléchi. Deleuze dit qu'il ne saurait y avoir de pensée sans accueil, volontaire ou non, de la différence.  
La pensée exige non pas un sujet bien constitué, mais au contraire ce qu'il nomme un "sujet larvaire", un sujet éclaté, vaincu, écrasé par la pensée. La pensée comme épreuve qui soumet le je-pense à des déformations qui le rendent méconnaissable, transformé, monstrueux. La pensée n'est pas le serein exercice de nos facultés, fût-il inquiet et passionné, mais une recherche dangereuse, périlleuse -et que vaut une pensée conquise sans danger ? Face à la pensée, le sujet devient larvaire, minable, difforme. Le livre vire presque au fantastique dans ces moments, où Deleuze cite des livres sur l'embryologie, où il est dit que le foetus affronte des conditions de pressions, de forces, qui seraient parfaitement invivables pour un être déjà né, déjà formé. Deleuze suggère ainsi que le penseur doit apprendre à redevenir embryonnaire, pour affronter à nouveau des forces qui écraseraient, déchireraient, le penseur lucide et autonome.  
L'accueil de la différence bouleverse le je-pense, menace de le métamorphoser. Encore une fois, que vaut pour nous une philosophie qui ne saurait bouleverser notre vie ?...
 
Après ces chapitres centraux et l'étude de ce qu'est un problème (texte lui aussi crucial pour comprendre notre auteur, mais dont je ne traite pas ici), Deleuze se propose, dans la fin du livre, de montrer que la différence est partout, dans le domaine du biologique, que le monde entier, en quelque sorte, est différence. (On voit tout de suite le lien qui existe entre un "je" fêlé, fendu et le concept de pôle schizoïde du désir, le schizophrène étant précisément celui qui se vit comme dédoublé).
 
Un panthéisme de la différence ?
 
Alors ici, s'insinue un problème : avec ce concept de différence, Deleuze ne revient-il pas à une sorte de scolastique, qui ne serait plus spéculation sur l'Etre suprême, mais panthéisme de la différence ? Deleuze bâtirait un système de la différence, comme d'autres de l'Etre. Il reviendrait ainsi en deça du criticisme kantien, se permettant soudainement de disserter sans contrainte sur l'être en soi des choses, qui serait, non plus l'Idée, ou le Premier Moteur, ou l'Un ou Dieu, mais la Différence. Deleuze transgresserait l'interdit kantien, qui nous avertit que toutes nos pensées sur les objets au-delà de l'expérience possible ne mènent qu'à de stériles controverses, à des antinmomies et des paralogismes insolubles. Deleuze développerait soudain une scolastique de la différence, du chaos, une sorte de vaste panthéon, où viennent s'ordonner systématiquement Nietzsche, Spinoza, les Grecs et d'autres encores...  
 
Peut-on laver notre auteur de cette accusation ?  
Oui, nous allons voir comment.  
 
Pensée et expérience
 
Un auteur (peut-être Lalande ?) disait que les conditions de possibilité de la pensée se trouvent être aussi celles de l'expérience -ce qui nous assure par là qu'il n'existe pas de séparation tragique entre l'homme et le monde, que l'expérience est pensable car elle est analogue à la pensée, que les deux peuvent donc, finalement, se rejoindre, se réconcilier. A cela, cet auteur associe l'idée que l'esprit humain vise un Bien idéal, Bien qui ne saurait être (évidemment !) donné dans l'expérience, mais qui est une visée pure justifiant à ses yeux une sorte de finalisme bien entendu : un peu de Platon, un peu de Kant, et nous voici armés pour la vie ! :D
A peu de choses près, ce que dit Deleuze constitue un combat impitoyable contre cette bonne philosophie toute faite, paisible et sure d'elle.  
Car ce qui pose en réalité problème, c'est bien que, la plupart du temps, les conditions de la pensée ne coïncident pas avec celles de l'expérience ! Car si l'expérience constitue en effet un donné (il existe des choses que je rencontre sans les avoir produites, sans qu'elles viennent de moi), la pensée n'est pas donnée, sauf à la croire disponible à tout moment, quand on veut bien exercer ses facultés -la confondant ainsi avec une opinion qui, elle, en effet, ne demande qu'à servir dès qu'on en a besoin.  
Or quand l'expérience devient douteuse, problématique, pénible, la pensée doit s'arracher à son morne endormissement pour faire face à cet inconnu qui, objectivement se présente.  
 
Le donné et la différence
 
Si Deleuze disait que la différence constitue un donné, alors oui il en viendrait à écrire une nouvelle théologie, une théologie post-moderne, une théologie de la différence, une théologie nietzschéenne ou que sais-je encore... Mais Deleuze ne le dit jamais. Il dit au contraire que "la différence n'est pas le donné mais est ce par quoi le donné est donné."
On ne saurait trop insister sur l'importance de cette phrase. Elle est peut-être la plus importante du livre. On cite souvent celle-ci : "à la limite, il n'y a que la différence qui se répète" -phrase qui claque comme un slogan, comme un cri de ralliement deleuzien.  
Mais non, ce qui est central, c'est ceci : "la différence n'est pas le donné mais est ce par quoi le donné est donné."
Tout philosophe doit bien s'interroger sur ce qui constitue "les données immédiates de l'expérience", sur ce qui est premier pour nous, immédiat. Mais une philosophie qui s'en tiendrait à étudier ce donné sans s'interroger sur la manière dont il est donné, précisément, ignorerait la critique kantienne -et même, tout simplement, virerait au simple constat. Donc, toute pensée ne peut manquer de s'interroger sur ce qui est donné, et sur ce qui, en se donnant, se différencie de nous, mais ne peut pas non plus parvenir à penser une pure hétérogénéité de l'expérience, du monde.  
A la limite, et c'est cette limite là qu'il est intéressant d'approcher, la différence n'est pas pensable. La différence pure n'est plus rien pour la pensée. C'est un autre, un tout autre.  
Alors pourquoi penser la différence ?  
Mais parce qu'il n'y a que la différence qui nous fait penser !
La différence constitue la condition de possibilité de la pensée. Mais cette différence qui la conditionne, la pensée ne parvient jamais à la penser en tant que telle. La pensée tend à vouloir remonter nen deça de ses conditions, à se penser elle-même (et penser la pensée constitue, depuis Platon voire même Parménide, le plus haut point de la pensée, son but ultime cf. "Penser et être ne sont qu'une seule et même chose" ).  
La pensée vit de la différence mais ne peut la penser. Elle pense le plus souvent ce que la différence donne, le donné (quel qu'il soit) mais pas le fait qu'il y ait du donné. C'est cela qui nous permet de saisir que penser n'a rien de naturel. Un commentateur de Heidegger disait justement que penser l'Etre est la chose la moins naturelle du monde, car l'Etre n'est rien d'étant. On en dirait autant de la différence pour Deleuze.  
 
Voilà pour une première approche du concept de différence. A ce point du développement, j'aurais voulu poursuivre en montrant comme Deleuze affronte alors le concept de contradiction chez Hegel et comment celui-ci esquive la différence en tant que telle.  
Ce sera pour une prochaine fois. ;)


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Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com
n°10050034
Baptiste R
Posté le 28-11-2006 à 19:25:34  profilanswer
 

Donc, c'est quoi la différence ?

n°10050566
phyllo
scopus inornatus
Posté le 28-11-2006 à 20:43:18  profilanswer
 

Je dirais volontier que c'est très joli si ce mot n'avait pas l'horrible connotation péjorative qu'on lui connait.
 
Ou alors 'j'aime bcp ce que vous faites' mais c'est encore pire.
 
Bref, on attend la suite.
 
http://www.thinkgeek.com/images/products/zoom/largevalues.jpg
 
Et sinon, j'ai lu récemment "De l'art de dire des conneries" (une mauvaise traduction du titre original qui est 'On bullshit' mais 'Du baratin' n'est pas très heureux non plus) qui rejoint un peu ton premier paragraphe sur la bêtise quoique le bon sens n'y soit pas abordé.
La bêtise est à la mode ?

n°10050854
Ache
immatriculé-conception
Posté le 28-11-2006 à 21:22:16  profilanswer
 

phyllo a écrit :

[..] On attend la suite.


Oui, j'ai aussi apprécié cette fois le développement de rahsaan, l'occasion de plein de rencontres d'idées.

 

Toutefois, je ne vois pas ce qui empêche la construction d'un accord sur les "conditions de possibilité de la pensée", c'est à dire, "cette coïncidence parfaite entre la pensée et ses conditions de possibilité" est parfaitement envisageable comme objectif d'une philosophie de la cognition. Dans ce cas, le programme serait de construire les structures corporelles (le rhizome) qui sont les conditions de la pensée et la pensée elle-même, et pour cela il faudrait donc faire preuve d'un acte de penser authentique, lequel consiste précisément en.. cette coïncidence parfaite entre la pensée et ses conditions de possibilité.

 


Maths Lesson.

Message cité 2 fois
Message édité par Ache le 28-11-2006 à 21:41:44
n°10050913
pascal75
Posté le 28-11-2006 à 21:33:32  profilanswer
 

Rahsaan : [:bien]
Quelques idées qui me sont venues en lisant ton texte (via Deleuze, et sans doute que ces idées sont déjà présentes dans ton texte) :
La bêtise c'est pas un manque d'idées, c'est plutôt un trop plein d'idées. C'est, il me semble, l'état dans lequel on est submergé par elles, incapables de faire le tri et incapables, surtout, de les arrêter. Un mouvement brownien de trucs qui nous passent par la tête. On en est tous là, on n'a pas à faire les malins. Comme dit Deleuze, quand on pense, qu'on écrit, qu'on crée, on n'est jamais devant une page blache mais devant une page avec déjà plein de ratures, de bouts de mots et de phrases avec lesquelles il faudra composer.
C'est quoi la solution ? peut-être l'idiotie... Est-ce que l'idiotie est mieux que la bêtise ? d'un certain point de vue, oui. L'idiot c'est celui qui n'est capable que de faire ou de penser à une seule chose à la fois. C'est Gerald Ford qui se casse la figure en descendant la passerelle de son avion parce qu'il ne peut pas mâcher son chewing gum en même temps. Dans tous les cas, là non plus, on n'a pas à faire les malins. L'idiot c'est aussi le spécialiste, que Deleuze oppose à l'intellectuel. Un intellectuel c'est bête et cultivé, il connait plein de choses mais son savoir ne se tient pas, il part dans tous les sens. Un spécialiste (philosophe, entomologiste, artiste...) c'est un idiot parfois cultivé, mais d'une culture assez étroite et bornée, le gars qui connait tout et qui a tout compris sur tel gène de la mouche drosophile et comme dit Deleuze, ce savoir-là, ça fait un monde, ça se tient. Deleuze le dit de lui-même dans son abécédaire : il n'a pas de savoir de reste, rien qui ne lui serve en dehors de l'exercice de son métier. Et évidemment, il est du côté du spécialiste, de l'idiot, même génial.
Tu as raison de ne pas mêlanger la bêtise et l'animalité, les animaux ne sont pas bêtes, ils ne font qu'une chose à la fois, et ce qui les pousse à agir ainsi c'est la peur. Une chose après l'autre, c'est déjà difficile de rester en vie quand il y a tous ces rapaces qui voudraient vous bouffer, on va pas en plus compromettre ses chances de survie en se dispersant. C'est aussi ce que dit Celine dans le voyage : la grande qualité qui a fait qu'il a su (Bardamu) échapper à la boucherie internationale, c'est la peur et l'extrême méfiance. Les animaux ne sont pas des héros, ils ne sont pas suffisamment bêtes.


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GAFA  We are stardust Billion year old carbon We are golden
n°10051099
Baptiste R
Posté le 28-11-2006 à 22:00:11  profilanswer
 

pascal75 a écrit :

Rahsaan : [:bien]
Quelques idées qui me sont venues en lisant ton texte (via Deleuze, et sans doute que ces idées sont déjà présentes dans ton texte) :
La bêtise c'est pas un manque d'idées, c'est plutôt un trop plein d'idées. C'est, il me semble, l'état dans lequel on est submergé par elles, incapables de faire le tri et incapables, surtout, de les arrêter. Un mouvement brownien de trucs qui nous passent par la tête. On en est tous là, on n'a pas à faire les malins. Comme dit Deleuze, quand on pense, qu'on écrit, qu'on crée, on n'est jamais devant une page blache mais devant une page avec déjà plein de ratures, de bouts de mots et de phrases avec lesquelles il faudra composer.
C'est quoi la solution ? peut-être l'idiotie... Est-ce que l'idiotie est mieux que la bêtise ? d'un certain point de vue, oui. L'idiot c'est celui qui n'est capable que de faire ou de penser à une seule chose à la fois. C'est Gerald Ford qui se casse la figure en descendant la passerelle de son avion parce qu'il ne peut pas mâcher son chewing gum en même temps. Dans tous les cas, là non plus, on n'a pas à faire les malins. L'idiot c'est aussi le spécialiste, que Deleuze oppose à l'intellectuel. Un intellectuel c'est bête et cultivé, il connait plein de choses mais son savoir ne se tient pas, il part dans tous les sens. Un spécialiste (philosophe, entomologiste, artiste...) c'est un idiot parfois cultivé, mais d'une culture assez étroite et bornée, le gars qui connait tout et qui a tout compris sur tel gène de la mouche drosophile et comme dit Deleuze, ce savoir-là, ça fait un monde, ça se tient. Deleuze le dit de lui-même dans son abécédaire : il n'a pas de savoir de reste, rien qui ne lui serve en dehors de l'exercice de son métier. Et évidemment, il est du côté du spécialiste, de l'idiot, même génial.
Tu as raison de ne pas mêlanger la bêtise et l'animalité, les animaux ne sont pas bêtes, ils ne font qu'une chose à la fois, et ce qui les pousse à agir ainsi c'est la peur. Une chose après l'autre, c'est déjà difficile de rester en vie quand il y a tous ces rapaces qui voudraient vous bouffer, on va pas en plus compromettre ses chances de survie en se dispersant. C'est aussi ce que dit Celine dans le voyage : la grande qualité qui a fait qu'il a su (Bardamu) échapper à la boucherie internationale, c'est la peur et l'extrême méfiance. Les animaux ne sont pas des héros, ils ne sont pas suffisamment bêtes.


Moi-je dirais qu'il y a trois types de bêtise : l'idiotie (trop lente), l'imbécillité (trop rapide) et la stupidité (immobile, cf. étymologie).
Socrate feint l'idiotie, il freine sans cesse le dialogue par sa lenteur à comprendre : "attend, ça veut dire que... ?", "attend, revenons en arrière..."
Bon, le choix des mots est un peu arbitraire, ces catégories sont limitées et forcément elles ne se recoupent pas totalement avec les tiennes. Mais j'aime bien ton message.
Deleuze a un coté appliqué, lent et idiot, mais il est aussi speed, délirant, à prendre tout le monde de vitesse. Je dirais qu'il est tout simplement intelligent et que l'idiotie ne peut être qu'une réponse de circonstance, tactique et insuffisante. Deleuze est à la fois sobre et foisonnant, il va vite, mais dans un rythme juste.  
 
Une émission de France-Culture sur une meuf qui a écrit un Stupidity.

Message cité 1 fois
Message édité par Baptiste R le 28-11-2006 à 22:00:53
n°10051114
Profil sup​primé
Posté le 28-11-2006 à 22:03:43  answer
 

pascal75> tu devrais aller balancer ton dernier post dans le tomic Génétique bio mol :whistle:

n°10051208
phyllo
scopus inornatus
Posté le 28-11-2006 à 22:20:48  profilanswer
 

Ache a écrit :

Maths Lesson.


 
And now :
 
"try to describe the algorithm used by Pa and Ma and the set of inputs for which it produces consistence results"
 
Très bon.

n°10051423
pascal75
Posté le 28-11-2006 à 22:53:37  profilanswer
 

Baptiste R a écrit :

Moi-je dirais qu'il y a trois types de bêtise : l'idiotie (trop lente), l'imbécillité (trop rapide) et la stupidité (immobile, cf. étymologie).
Socrate feint l'idiotie, il freine sans cesse le dialogue par sa lenteur à comprendre : "attend, ça veut dire que... ?", "attend, revenons en arrière..."
Bon, le choix des mots est un peu arbitraire, ces catégories sont limitées et forcément elles ne se recoupent pas totalement avec les tiennes. Mais j'aime bien ton message.
Deleuze a un coté appliqué, lent et idiot, mais il est aussi speed, délirant, à prendre tout le monde de vitesse. Je dirais qu'il est tout simplement intelligent et que l'idiotie ne peut être qu'une réponse de circonstance, tactique et insuffisante. Deleuze est à la fois sobre et foisonnant, il va vite, mais dans un rythme juste.  
 
Une émission de France-Culture sur une meuf qui a écrit un Stupidity.


Ca serait bien de faire une typologie de la connerie :jap:


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GAFA  We are stardust Billion year old carbon We are golden
n°10051428
pascal75
Posté le 28-11-2006 à 22:54:27  profilanswer
 


Ils sont mes idiots préférés  [:wanobi le vrai]


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GAFA  We are stardust Billion year old carbon We are golden
n°10051537
Mine anti-​personnel
Posté le 28-11-2006 à 23:11:20  profilanswer
 

pascal75 a écrit :

Ca serait bien de faire une typologie de la connerie :jap:


Déjà fait, par un certain Emmanuel Kant
 
http://img70.imageshack.us/img70/1084/essaisurlesmaladiesdelapb9.jpg


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Jouez à un jeu intelligent
n°10052750
neojousous
Posté le 29-11-2006 à 09:27:42  profilanswer
 

Par rapport au post de Pascal75, je suis pas sûr que les animaux soit incapables de faires deux choses à la fois.

n°10056051
rahsaan
Posté le 29-11-2006 à 17:59:16  profilanswer
 

Oui, l'idée d'une typologie de la bêtise est amusante. :D
 
Mon texte parlait davantage des rapports entre la pensée et la différence, et abordait dans cette perspective la notion de bêtise. C'est cette dernière que vous avez retenue, pourquoi pas. :D
 
Pour reprendre ce que dit Baptiste R, je dirais qu'on peut proposer cette classification (inspirée de ce qu'en dit Clément Rosset) :  
 
Sottise et bêtise
 
La sottise s'oppose à la bêtise. Celui qui est sot ne comprend pas ce qu'on lui dit et reste planté, bouche bée. "Que vous êtes sotte ma fille, vous ne saurez jamais faire un point de croix !"
Au contraire, celui qui est atteint de bêtise, nommément le con, est infatigable. Et c'est même pour cela qu'il est dangereux : il fonce droit devant, obnubilé par une idée et une seule, qui suffit à remplir sa vie, et à laquelle il se voue sans penser à rien d'autre.  
Si vous avez vu le Dîner de cons, vous voyez à quoi on peut penser : François Pignon a une passion, la construction de monuments célèbres en allumettes.  
Alors que la sottise est une simple incapacité de comprendre, la bêitse est complexe : il y entre de la médiocrité (1), de l'acharnement (2) et de la passion (3).  
De la médiocrité (1) car le con ne s'intéresse qu'à des choses inintéressantes, vulgaires, sans intérêt. Ou bien il considère comme très important ce qui n'est qu'un passe-temps futile et veut se prouver que c'est quelque chose d'essentiel. Exemple : collectionner les boîtes de camembert, construire des monuments en allumettes, collectionner les timbres hongrois du 14e siècle etc.  
Le con est essentiellement passionné (2). Passionné au sens où il entretient un rapport passionnel à l'objet de son intérêt. C'est à dire qu'il est en perpétuel conflit avec lui-même, car il veut mettre toute son énergie, son acharnement, dans un projet dérisoire, faible, ridicule et qu'il prétend imposer à qui veut l'entendre (ou ne veut pas) l'exposé détaillé de sa passion (3). Son seul souci porte sur un objet, à l'exclusion de tout autre.  
 
Il y a donc une folie inhérente à la bêtise. Et si la bêtise voisine avec la folie, c'est qu'elle se compose de trois sentiments, analysés précisément par Rosset : la folie elle-même, la haine et la jalousie.  
 
Dans la Recherche de Proust, la grand-mère du narrateur produit des efforts desespérés pour ne pas admettre que Swann fréquente des gens du grand'monde. Elle fait la sourde oreille : c'est une vieille dame têtue, butée, bornée, qui est secrêtement jalouse de cette aristocratie et qui veut se protéger de cette réalité. Elle est jalouse et aussi haineuse, car elle hait ces gens et se hait de ne pouvoir les approcher. La folie n'est pas loin, car elle advient, dit Rosset, non pas lorsqu'un sujet est coupé de la réalité, mais au contraire, lorsqu'il en est trop rempli et qu'il n'est plus capable de supporter ce réel désagréable, vexant, perturbant.  
Freud étudie le même problème dans les cas de refoulement, de dénégation, qui proviennent d'un traumatisme insupportable au sujet, ce qui l'amène à censurer l'expérience qu'il ne peut pas s'approprier.  
Pour Rosset, cela pose le problème de la capacité humaine à refuser le réel. L'homme a cette étrange capacité à refuser le réel, à lui demander "d'aller se faire voir ailleurs".
 
Ce qui rejoint ce que tu dis, Pascal : c'est que la bêtise n'est pas le manque d'idée, mais le trop plein. Bouvard et Pécuchet sont les géants de la bêtise, car ils veulent accumuler un savoir encyclopédique, par pur volonté de tout connaître, comme si la connaissance se suffisait à elle-même, comme si elle constituait une fin en soi.
 
Donc opposons la sottise et la bêtise, après avoir vu combien la seconde est plus intéressante que la première. :D
 
Pour continuer, on peut reprendre ce que dit Baptiste R : la stupidité est l'effarement complet. On reste stupide, bouche bée, comme pétrifié, face à un évènement si incroyable, si inattendu, si incompréhensible qu'on ne sait même pas quel comportement adopter face à lui. La stupeur, la stupéfaction est une paralysie, une immobilité soudaine.  
Schopenhauer, prédécesseur de Freud, dit que quand nous nous apercevons que quelqu'un est sot, c'est que nous pensions nous adresser à son intelligence, alors que nous parlions en fait à sa volonté. Et c'est sa volonté, émanation du vouloir-vivre, qui a paralysé, empêché, le fonctionnement de l'entendement, en le soumettant à ses propres besoins. L'intelligence s'en trouve engourdie, alourdie, comme si on lui coupait ses moyens. Quand quelqu'un ne comprend pas, il peut comprendre en usant de son entendement. Mais quand il ne veut pas comprendre, c'est qu'il a un intérêt secret à ne pas entendre (aux deux sens du terme), c'est qu'une motivation plus profonde le pousse à refuser une réalité qui le perturberait trop.  
 
Affirmation et dénégation du réel
 
Avec Deleuze, on pourrait tenter d'établir une cartographie des machines-désirantes.  
Je m'explique. :D Chacun de nous, individu ou collectivité, est un territoire. Un territoire ne se définit pas d'abord selon ses propriétés, substantielles et/ou accidentelles, mais par ses limites. Hors, un territoire est toujours accolé à d'autres territoires, ce qui définit un ensemble de frontières mouvantes, changeantes. Apprendre quelque chose, c'est accroître cette territorialité, c'est conquérir sur de l'inconnu. C'est s'approprier cet inconnu, l'intégrer à son territoire.  
Bien. Mais en retour, ce qui vient s'adjoindre à ce territoire le transforme en retour. C'est un effet rétro-actif : j'agis sur cette chose, mais alors elle agit en retour sur moi. Donc si un territoire s'agrandit trop, trop vite, ou dans une mauvaise direction, il en devient si perturbé que sa composition s'effrite. Montesquieu dit que les grands empires barbares s'effondrèrent quand ils atteignirent des tailles si gigantesques que la capitale devenait incapable d'en contrôler la périphérie.  
 
Il en va au fond de même pour l'esprit humain : quand il s'incorpore une trop grande masse de connaissance, ou surtout quand il fait l'expérience de quelque chose de traumatisant pour lui, il doit soit trouver la force plastique d'accepter cette nouveauté, soit passer des compromis avec cette chose pour l'oublier, soit s'effondrer pour de bon. Ainsi le narrateur de Proust surprenant Charlus avec les deux malabars homos, Bardamu face au traumatisme de la guerre et son sergent écrabouillé et réduit en charpie par un obus...  
Chacun est exposé au réel et en subit un jour ou l'autre des traumatismes, petits ou grands. Mais c'est aussi comme cela qu'on grandit ! Entre l'enfance et l'âge adulte, on comprend que le monde est moche, violent, injuste, malsain, dangereux, jaloux, incertain... Après, chacun s'en accomode comme il peut !  
 
 
Ce n'est qu'ainsi qu'on peut comprendre que le plus haut d'intensification de la volonté de puissance se manifeste, selon Nietzsche, comme approbation inconditionnelle au monde. Etre si fort, si sûr de soi, si heureux qu'on puisse s'approprier de façon réussi tout hasard, toute rencontre, et vivre pleinement dans un monde éphémère, incertain, changeant, tragique. C'est la figure du surhumain que Nietzsche décrit là, celle qui s'oppose, dans le Zarathoustra, au singe, au bouffon, à l'esprit de pesanteur, c'est à dire précisément à la bêtise.  
 
Bêtise ordinaire, bêtise littéraire
 
Reprenons le paradoxe développé par Schopenhauer au 3e livre du Monde... : le vouloir-vivre, en tant qu'il est vécu, est douloureux, mais en tant qu'il est représenté, dans le domaine esthétique, devient agréable.  
Une tragédie vécue est un supplice, une tragédie au théâtre est belle, magnifique. Autrement dit, l'art rend agréable ce qui est pénible. Car nous représentons la chose, nous parvenons à nous en détacher, à n'y plus prendre d'intérêt personnel, à ne plus éprouver de besoin vis-à-vis d'elle.  
Le paradoxe est particulièrement vrai dans le cas de la bêtise : incessante, fatigante, pesante dans la vie, elle est dans le domaine de la fiction un inlassable objet d'amusement, de rire, car nous pouvons enfin nous la représenter sans les désagréments qu'elle nous cause. Qu'on pense à l'abondante littérature sur le sujet, à la fin du 19e siècle : Maupassant, Flaubert, Baudelaire, Léon Bloy, Verlaine ("Monsieur Prudhomme" ), Rimbaud et tous les poètes maudits... Leur cible de choix est soit le bourgeois (gras, satisfait, besogneux, anti-artiste, matérialiste, pragmatique, conformiste, honnête et canaille à la fois...) ou le petit-bourgeois (le même en plus mesquin). Le personnage est lui-même inépuisable, tant nos écrivains n'en ont jamais fini de creuser à la petite cuillère les recoins les plus laids de son caractère, de ses attitudes, de ses idées, à la façon d'entomologistes disséquant scrupuleusement un animal en laboratoire.  
Bien sûr, il n'est pas à exclure que dans cette volonté de traquer la bêtise, il n'entre du ressentiment : la volonté de vengeance contre la réalité trouvant à se satisfaire dans le domaine de la fiction, de l'imaginaire. Deleuze disait que les romantiques étaient plutôt idéalistes, critiques de la vie qu'inventeurs de vie (au contraire des grands romanciers américains). Et Nietzsche a suffisamment stigmatisé chez Schopenhaeur cette esthétique de la vengeance, les arts ne servant alors qu'à assouvir des pulsions de ressentiment contre la vie, au lieu de l'embellir, de la glorifier, de la magnifier.  
 
La bêtise, ça se soigne ?
 
Alors, reprenons :  
Sottise = incapacité à comprendre, "panne" de l'esprit
Stupidité = effarement complet, mais passager, incapacité d'agir et de penser
Bêtise = passion immodérée pour un objet vulgaire ou bien : volonté obstinée de nier une réalité qui s'impose à nous.
 
On voit bien le problème qui se pose. Si la bêtise est une telle saloperie, comment y remédier ?
Quelle solution trouver à ce grave problème ?
Dans une copie d'élève de terminale qui veut soit bien se faire voir du prof, soit se prend d'un amour démesuré de la philosophie, on lit que la pensée, l'esprit critique, la raison, bref la philo sont des remèdes à la bêtise et que si les gens réfléchissaient plus, ils seraient moins bêtes. Certes.  
Dans le même genre d'idée, tout le monde sait que si tous les Etats du monde étaient des démocraties à l'occidentale, il n'y aurait plus de problème. Bien sûr !
Et si tous les hommes se tournaient vers l'intérêt commun au lieu de penser à leurs problèmes personnels, on pourrait peut-être construire un monde meilleur...
 
Bref... nous ne sommes pas beaucoup plus avancés, puisqu'il semble que proposer un remède à la bêtise apparaisse déjà comme une belle ineptie... Nous voyons au moins que les solutions naïvement rationalistes semblent bien peu efficaces (use de ton esprit et tu seras moins bête). En revanche, se confronter à des gens meilleurs que soi, à qui l'on fait confiance, ayant davantage vécu, ayant fait des erreurs et mûri leur expérience, éprouver parfois ce que Canguilhem avait appelé une "honte salutaire" (comment continuer d'écrire ou de penser si bassement après avoir senti la puissance, la rigueur, la maîtrise conceptuelle, d'un auteur...), accepter de rire de ce qu'on tenait pour indispensable et sacré, accepter que la bêtise c'est d'abord la sienne, savoir que l'adversaire peut aussi avoir raison, qu'il y a d'autres choses et d'autres mondes à vivre... peut-être que ce sont des moyens d'échapper à la bêtise...  
 
 :hello:


Message édité par rahsaan le 29-11-2006 à 18:00:00

---------------
Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com
n°10056345
neojousous
Posté le 29-11-2006 à 18:41:03  profilanswer
 

C'est bien bête ce que tu nous racontes rahsaan... ;)
 
EDIT : (c'est une invitation à developper un éventuel rapport entre bêtise et philosophie... je préfère être sûr d'être bien compris :) )


Message édité par neojousous le 29-11-2006 à 18:44:00
n°10056786
phyllo
scopus inornatus
Posté le 29-11-2006 à 19:38:19  profilanswer
 

Il va falloir invoquer un des philosophes contemporains les mieux armés pour répondre à ce genre de problèmes :
 

Spoiler :

http://img438.imageshack.us/img438/7352/vandafh7.jpg

n°10059598
rahsaan
Posté le 30-11-2006 à 08:10:27  profilanswer
 

>Neo : j'ai déjà commencé un peu à développer ce rapport. La philo combat la bêtise. ;)
 
> Phyllo : JCVD avec la moustache de Nietzsche ?  :lol:

Message cité 1 fois
Message édité par rahsaan le 30-11-2006 à 08:11:06
n°10060195
phyllo
scopus inornatus
Posté le 30-11-2006 à 10:59:51  profilanswer
 

rahsaan a écrit :

>JCVD avec la moustache de Nietzsche.


 
Désolé.

n°10110279
The NBoc
Quo Modo Deum
Posté le 07-12-2006 à 22:29:19  profilanswer
 

L'imposture du XXème?

 

http://www.physics.nyu.edu/faculty [...] ation.html

 

J'ai lu cet article, et je reste circonspect : vous les philosopheux, quelle est votre position vis-à-vis de cet apparent clivage entre postmodernisme philosophique "à la française" et les attaques qualifiables de terre à terre des scientifiques auteurs de cet article (et de ce bouquin, impostures intellectuelles)?

 

:)

 

Merci.


Message édité par The NBoc le 07-12-2006 à 22:30:03
n°10111770
rahsaan
Posté le 08-12-2006 à 08:16:33  profilanswer
 

Il y a sans doute beaucoup de malentendus derrière cette attaque... Je m'en voudrais de défendre Julia Kristeva ou Baudrillard, mais je dirais que pour Deleuze, Sokal et Bricmont se trompent... Certes, je ne serais pas le dernier à dire que dans certains de ses textes (généralement les plus datées), Deleuze use d'une proportion affolante de vocabulaire abscons, mais je ne crois pas qu'il s'agisse dans mettre plein la vue au lecteur. J'y sens une vraie passion de creuser des problèmes nouveaux et tant pis si, sur cette voie d'exploration, se trouvent de nombreuses ornières.
 
Je lis un livre très intelligent de Jean Piaget, Sagesse et illusion de la philosophie (1965), qui, déjà, dénonce un manque flagrant de culture scientifique chez les professeurs de philosophie, et certains philosophes contemporains aussi, et relie cette question à celle de la coupure toute récente entre philo et science.  
D'un côté, certains philosophes se réfugient dans un idéalisme spéculatif (pour affirmer la supériorité de la discipline par rapport aux sciences), de l'autre des scientifiques dénient toute valeur à la philosophie et affirment leur matérialisme scientiste sans ambages.  
 
Bergson avait émis le voeu d'une collaboration des philosophes entre eux, à la manière des collectifs de scientifiques qui se mettent d'accord sur des protocoles de recherche et des méthodes de validation des expériences.  
Un tel travail collectif est-il possible en philosophie ?...


---------------
Mon roman d'anticipation, L'I.A. qui m'aimait : https://tinyurl.com/mtz2p872 | Blog ciné/JV : http://cinecourt.over-blog.com
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