Je me suis senti vaguement honteux d'écrire des choses aussi dures. Les gens que je fréquente, cela ne leur pose pas de problème qu'un livre soit horrible : beaucoup y voient au contraire un mérite, une preuve d'audace à mettre au crédit de l'auteur. Les lecteurs plus candides, comme la mère de Patrice sont troublés. Ils ne jugent pas que c'est mal d'écrire ça, mais se demandent tout de même pourquoi l'écrire. Ils se disent que le type gentil et bien élevé qui les aide à couper en rondelles les concombres, qui a l'air de sincèrement prendre part au deuil de la famille, que ce type doit tout de même être bien tordu, ou bien malheureux, en tout cas que quelque chose chez lui ne va pas, et le pire, c'est que je ne peux que leur donner raison.

   --- Si ta petite-fille de quatre ans était morte, ou si tes fils étaient morts, est-ce que tu t'occuperais des pêcheurs de Medaketiya ?
   --- Moi, reprend Jean-Baptiste, je crois que je m'en foutrais pas mal.
   Après réflexion, je dis que ne pas s'en foutre, c'est soit la preuve d'une générosité extraordinaire soit une stratégie de survie et que je préfère y voir une stratégie de survie. Cela me parait plus humain. À un certain moment, c'est ne penser qu'à soi qui est le plus humain. Se soucier de l'humanité en général quand son enfant est mort, je n'y crois pas, mais je ne crois pas que Philippe et Jérôme se soucient de l'humanité en général, je crois qu'ils se soucient de survivre à la mort de Juliette.

C’est ici la terre morte
Une terre à cactus
Ici les images de pierre
Sont dressées, ici elles reçoivent
La supplication d’une main de mort
Sous le clignotement d’une étoile pâlissante.

Les yeux ne sont pas ici
Il n’y a pas d’yeux ici
Dans cette vallée d’étoiles mourantes
Dans cette vallée creuse
Cette mâchoire brisée de nos royaumes perdus

En cet ultime lieu de rencontre
Nous tâtonnons ensemble
Evitant de parler
Rassemblés là sur cette plage du fleuve enflé

Sans regard, à moins que
Les yeux ne reparaissent
Telle l’étoile perpétuelle
La rose aux maints pétales
Du royaume crépusculaire de la mort
Le seul espoir

Les yeux que je n’ose pas rencontrer dans les rêves
Au royaume de rêve de la mort
Eux, n’apparaissent pas :
Là, les yeux sont
Du soleil sur un fût de colonne brisé
Là, un arbre se balance
Et les voix sont
Dans le vent qui chante
Plus lointaines, plus solennelles
Qu’une étoile pâlissante.
 
Que je ne sois pas plus proche
Au royaume de rêve de la mort
Qu’encore je porte
Pareils francs déguisements : robe de rat,
Peau de corbeau, bâtons en croix
Dans un champ
Me comportant selon le vent
Pas plus proche -

C’est ainsi que finit le monde
C’est ainsi que finit le monde
C’est ainsi que finit le monde
Pas sur un Boum, sur un murmure.

This is the way the world ends
This is the way the world ends
This is the way the world ends
Not with a bang but a whimper.

Nous sommes les hommes creux
Les hommes empaillés
Cherchant appui ensemble
La caboche pleine de bourre. Hélas !
Nos voix desséchées, quand
Nous chuchotons ensemble
Sont sourdes, sont inanes
Comme le souffle du vent parmi le chaume sec
Comme le trottis des rats sur les tessons brisés
Dans notre cave sèche.

  --- Bérenger : C'est une chose anormale de vivre.
  --- Jean : Au contraire. Rien de plus naturel. La preuve : tout le monde vit.
  --- Bérenger : Les morts sont plus nombreux que les vivants. Leur nombre augmente. Les vivants sont rares.

MATTHIAS, dit MATTHIAS-FAUSSE-MONNAIE, entre en brandissant un revolver et éclaire l'écurie : Haut les mains, s'il y'a quelqu'un !
 
Macheath entre et fait une ronde, en longeant la rampe.
 
MACHEATH : Alors, il y'a quelqu'un ?
MATTHIAS : Pas un chat ! Nous pouvons tranquillement célébrer notre mariage ici.
POLLY entre, en robe de mariée : Mais c'est une écurie !
MAC : En attendant, assieds-toi sur la mangeoire, Polly. (Au public :) C'est dans cette écurie qu'aura lieu aujourd'hui mon mariage avec mademoiselle Polly Peachum, qui m'a suivi par amour, afin de partager désormais ma vie.
MATTHIAS : Je connais Londres et bien des gens qui verront là l'action la plus audacieuse que tu aies jamais entreprise, Mackie. Enlever la fille unique de monsieur Peachum !
MAC : Qui est ce monsieur Peachum ?
MATTHIAS : Lui-même te répondrait qu'il est l'homme le plus pauvre de Londres.