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Rodolphe Buet (Fnac): «Le disque va mal, mais le téléchargement illégal n'est pas le seul responsable» Par Philippe Astor
ZDNet France
Lundi 29 mars 2004
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Entretien ? Directeur du secteur "disque" au sein du plus grand distributeur français de produits culturels, Rodolphe Buet prend à contre-pied les professionnels de la musique: l'internet n'a pas à être diabolisé, dit-il, c'est le CD qui a prix un coup de vieux. Rodolphe Buet, directeur du disque à la Fnac, est quelque peu "exposé" depuis que, début mars, il a signé un édito dans le mensuel Contact (réservé aux adhérents). Dans cette tribune, abondamment commentée dans les forums web ou autres blogs, Buet y développe la thèse suivante: «Les médias nous chantent tous le même refrain: le disque ne tourne pas rond. Faux! La consommation de musique n'a pratiquement jamais été aussi forte.» Un air plutôt dissonant dans le refrain ambiant, celui des professionnels de la musique qui, tous, presque unanimement, accusent les échanges de fichiers piratés entre internautes d'être la cause de tous leurs maux. Depuis Rodolphe Buet a mis son bémol: «Le marché du disque va mal, notamment à cause du téléchargement illégal, mais il y a d'autres raisons qui expliquent sa baisse et qui font qu'il va encore baisser en 2004.» ZDNet: Vous avez publié récemment dans le mensuel de la Fnac, un éditorial qui prend le contrepied de l'analyse que fait l'industrie de la musique sur la baisse du marché du disque. Quel était votre propos?
Rodolphe Buet: Je suis rentré du Midem avec deux visions opposées du marché. D'une part, un Midemnet en pleine forme, avec beaucoup d'idées, de projets et de perspectives, et, d'autre part, un Midem classique, celui du monde physique, dans la dépression la plus totale. Or lorsqu'on analyse les chiffres de l'année 2003, même s'ils ont été négatifs en terme de performance, il s'avère que c'était la quatrième meilleure année en terme de ventes de disques, depuis qu'on les mesure; ce qui prouve qu'il y a encore une appétence de nos clients pour l'écoute et l'accès à la musique. C'est un premier élément.
Le deuxième, c'est qu'un certain nombre d'indicateurs montrent que l'accès à la musique et l'envie de musique sont toujours forts. Les concerts ne se sont jamais aussi bien portés. Il y a une nouvelle scène, une nouvelle chanson française qui est en train de naître et qui se développe très fortement. Ce que j'ai voulu dire, c'est que même s'il y a des éléments inquiétants, en ce qui concerne la situation du marché à court terme, à cause notamment du téléchargement illégal et de la piraterie, il y a beaucoup d'éléments positifs aussi, et il ne faut pas sombrer pour autant dans la sinistrose.
Votre analyse a été largement reprise par tous ceux qui défendent l'idée que le téléchargement illégal n'est pas la principale cause de cette baisse du marché du disque. Qu'en pensez-vous?
Je suis à 100% de cet avis. Le marché a commencé à baisser en France au dernier trimestre 2002. Nous avons fait -7% sur ce trimestre et -8% sur le premier semestre 2003. Et sur le second semestre 2003, le marché a plongé très fortement. Si on regarde la montée en puissance du haut débit sur ces périodes, il y a incontestablement une corrélation. Mais il ne faut pas s'abriter derrière ce constat. Le marché va mal, notamment à cause du téléchargement illégal, mais il y a d'autres raisons qui expliquent sa baisse et qui font qu'il va encore baisser en 2004. Quelles sont ces raisons?
D'abord, le CD a vingt ans et a pris un petit coup de vieux. Ensuite, la dérégulation des prix a été mal perçue par les clients, vis-à-vis desquels il me paraît important de retrouver des références de prix cohérentes. Les éditeurs ont utilisé le prix comme un des éléments du marketing, ce qui leur a permis d'accompagner l'accroissement en volume des années 2000 à 2002. Mais désormais, nous sommes arrivés au terme des aspects positifs de cette stratégie, et les aspects négatifs commencent à se faire sentir. Lorsqu'un nouvel album sort, il y a toujours un phénomène d'achat instantané, mais certains se disent que c'est n'est pas le moment d'acheter, qu'il sera moins cher dans trois mois, ou fera l'objet d'une promotion à moitié prix, etc. Les prix peuvent varier de un à trois. Dans l'incertitude, les clients peuvent être amenés, soit à ne pas consommer, soit à consommer plutôt du DVD musical ou du DVD film. Une autre raison est le transfert de budget. Il ne faut pas se voiler la face. Le marché du livre a fait +6 % l'an dernier, le marché de la vidéo a fait +18,8 %. C'est clair qu'il y a un transfert de pouvoir d'achat du produit musical vers d'autres produits de loisirs. Sans parler du fait que les consommateurs de musique, les jeunes notamment, sont de très gros consommateurs de téléphonie mobile. Enfin, un dernier élément est la réduction des investissements marketing, qui ont baissé de 15 % l'an dernier et chutent très rapidement depuis le début de l'année.
En tant que distributeur spécialisé, comment la Fnac se positionne-t-elle face au développement du téléchargement illégal?
Le téléchargement illégal est un des facteurs de la baisse du marché et a bien sûr un impact sur les ventes de la Fnac. L'an dernier, le disque a fait -9% chez nous. Notre performance est meilleure que celle du marché mais elle est malgré tout en recul. Et tout élément qui concourt à ce recul est plutôt vécu négativement. Maintenant, notre analyse est assez pragmatique. Il y a un aspect négatif du téléchargement illégal et du "peer-to-peer", mais il y a aussi un aspect positif: à savoir que des habitudes de consommation numérique ont été prises, et qu'une démarche pédagogique a été initiée auprès des clients qui sont équipés d'un ordinateur et d'une liaison internet à haut débit. Cela dit, la meilleure réponse pour nous et pour le marché, c'est de proposer au client une offre légale et payante plus attractive que l'offre illégale, plus conviviale, plus simple, plus rapide et plus sécurisée. Un certain nombre d'éléments peuvent être conjugués et concourir au fait que les gens payent pour la musique, à condition de proposer un niveau de prix acceptable, et que la largeur de l'offre soit au rendez-vous.
Est-ce que le projet Fnacmusic.com que vous vous apprêtez à lancer est un moyen pour la Fnac de relever ce défi?
Fnacmusic.com est un nom de code. Nous avons lancé une recherche de nom auprès d'agences et du personnel de la Fnac. Notre objectif est de lancer avant la fin du semestre un site de téléchargement de musique dont nous serons totalement opérateur, que ce soit au niveau des négociations avec les fournisseurs, du packaging de l'offre, du contenu éditorial, de la facturation au client, etc., en nous appuyant sur un partenaire extérieur (MPO Online, Ndlr) pour l'encodage, l'hébergement et la DRM [gestion numérique des droits]. Notre ambition est de l'installer comme le leader de la vente de musique en téléchargement, comme la Fnac l'est déjà dans la vente de produits physiques en magasin et sur Fnac.com. Notre objectif est une offre large, avec un catalogue de 300.000 titres dès le mois de juin 2004, qui s'étendra à 500.000 titres en décembre 2004. Nous souhaitons aussi favoriser, via de nouveaux outils technologiques, l'accès du public à de nouveaux genres musicaux, de nouveaux artistes, de nouveaux courants, en nous appuyant pour cela sur nos disquaires experts, qui alimenteront le contenu du site au travers de "playlists", et participeront à des forums de discussion avec les internautes.
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