L'heure du jugement pour le sordide Josef Fritzl
A Vienne, Maurin Picard  
16/03/2009  
 
 
Le septuagénaire, qui avait séquestré et violé sa propre fille pendant vingt-quatre ans dans une cave, comparaît devant les assises à partir de lundi.
 
Ce samedi 19 avril 2008, une Mercedes gris argent s'immobilise devant l'entrée des urgences de l'hôpital d'Amstetten, coquette bourgade du Land de Basse-Autriche, à 120 km à l'ouest de Vienne. L'homme à la stature imposante qui en descend porte dans ses bras une jeune fille inanimée. Kerstin, 19 ans, ne possède ni documents d'identité, ni sécurité sociale et souffre d'une maladie inconnue. Elle est un fantôme, un être blafard et agonisant, inconnu des services de l'État. Josef Fritzl, le septuagénaire, raconte aux médecins intrigués une étrange histoire : il serait le grand-père de Kerstin, dont la mère, Elizabeth, disparue depuis 1984, serait tombée dans les bras d'une secte inconnue.  
 
Albert Reiter, le médecin chef du service d'anesthésiologie et de médecine intensive, ne gobe qu'à moitié ce récit invraisemblable. Mais qu'à cela ne tienne : il lui faut connaître les antécédents de la jeune patiente qu'il vient de placer en coma artificiel. Un appel à la mère est lancé aux informations régionales, sur les radios et télévisions de Basse-Autriche. Diffusée en boucle à partir du lundi 21 avril, cette bouteille à la mer va trouver son destinataire quatre jours plus tard : Elizabeth, qui n'a jamais été enlevée par une secte mais qui croupit depuis vingt-quatre ans dans un étouffant réduit souterrain de 55 m², où la séquestre son propre père. Pis encore, celui-ci l'a violée d'innombrables fois, sans lui permettre de revoir la lumière du jour. La menaçant de périr gazée si elle tentait un jour de s'enfuir.
 
 
Sept naissances et une fausse couche
 
Ces relations incestueuses ont entraîné sept naissances, sept enfants nés au fond du cachot sans aucune assistance médicale. L'un d'entre eux, frappé de difficultés respiratoires, n'y a pas survécu, tandis qu'une huitième grossesse s'achevait en fausse couche. Monika, Lisa et Alexander, nés respectivement en 1992, 1994 et 1996 ont été discrètement sortis de terre pour être élevés à l'air libre, dûment adoptés, comme si de rien n'était. Les trois autres, Kerstin, Stefan et Felix, nés en 1988, 1990 et 2002, croupissent dans le fond du cachot avec leur mère. Pourquoi eux, et pas les autres ? «J'ai sorti ceux qui geignaient trop », dira plus tard leur bourreau, inquiet à l'idée que les suppliques s'échappant du jardin puissent être captées.
 
Vendredi 25 avril, campée devant le poste de télévision que son bourreau a bien voulu installer dans le réduit, Elizabeth découvre l'appel du Dr Reiter. Elle qui a réussi une semaine auparavant à convaincre son père d'amener Kerstin à l'hôpital réitère sa requête au monstre : le seul moyen de sauver la jeune fille entre la vie et la mort, c'est de l'amener elle, cette fois-ci, à l'hôpital. Pour la première fois depuis un quart de siècle, Josef Fritzl voit sa détermination vaciller.
 
Samedi 26 avril. La Mercedes de Josef Fritzl réapparaît devant l'hôpital. Albert Reiter voit débarquer ce drôle d'équipage, le même septuagénaire et un frêle bout de femme, guère plus de 1,60 m, aux cheveux blanchis et au teint aussi cadavérique que Kerstin. Cette «vieille femme» n'a en fait que 42 ans, et c'est bel et bien Elizabeth, volatilisée depuis le milieu des années 1980. Le sang du Dr Reiter ne fait qu'un tour : il faut gagner du temps, appeler la police. La première patrouille arrive sur les lieux au moment où Fritzl et sa protégée s'apprêtent à prendre congé. L'étau se resserre sur le suspect, il l'a compris. Tandis que les policiers interrogent Elizabeth au premier étage, Reiter observe Josef Fritzl de plus en plus mal à l'aise, fixant la porte avec angoisse. «Il y a quelque chose qui ne colle pas», se dit le perspicace médecin.
 
C'est l'hallali. Un étage plus haut, Elizabeth livre aux agents éberlués une histoire abracadabrante. Onze heures de confessions vidéo enregistrées vont suivre. Conduite dans le garage de son père le 28 août 1984 pour subir les remontrances habituelles parce qu'elle venait d'inhaler des substances interdites, elle est ligotée, chloroformée et «enfermée pour son propre bien». Elle décrit en détail la séquestration, les viols réguliers, les grossesses successives, les absences répétées du tortionnaire qui ne se prive pas de partir un mois en Thaïlande en leur laissant de maigres réserves de nourriture. Et surtout la peur, indicible, de ne jamais remonter à la surface, de mourir asphyxiée dans cette antichambre de l'enfer.
 
Tandis que le soir tombe, les secours foncent vers la maison Fritzl, au 40, Ybbstrasse, à Amstetten. La gentille petite vieille dame de 68 ans qui leur ouvre la porte est la femme de Josef, Rosemarie. Tombant des nues, elle dit n'avoir jamais rien su des agissements de celui-ci, qui refusait l'accès du garage à tout autre que lui. Quelques instants plus tard, Stefan et Felix sortent de leur prison, grimpant les marches lentement, comme dans un rêve.  
 
Ils sont conduits à la clinique d'Amstetten-Mauer, à 35 km de là. Le chauffeur a reçu consigne de rouler lentement, très lentement. Il s'agit de ne pas bousculer les enfants, qui souffrent d'une «absence prononcée de repères spatiaux», selon le Dr Berthold Kepplinger, leur protecteur désigné. Tout est nouveau pour eux : les voitures roulant en sens opposé, les gens dans la rue, le soleil couchant sur l'horizon derrière les collines boisées du Mostviertel. «Que c'est beau !», s'enthousiasme le petit Felix surexcité.
 
Le lendemain dimanche, aux informations du matin, la télévision publique ORF révèle la tragédie. En l'espace de quelques heures, Amstetten l'industrieuse voit fondre sur ses faubourgs des hordes de journalistes, de caméras, de photographes, de camions satellites venus du monde entier. Autour de la clinique, les paparazzis escaladent les arbres pour photographier au vol Elizabeth dans les couloirs du bâtiment. En vain. Le secret est bien gardé. Une nouvelle forme de détention, plus sournoise, commence pour les victimes, condamnées à vivre cachées.
 
Placé en garde à vue, Josef Fritzl craque, à bout de forces nerveusement. Il confesse ses crimes, la construction minutieuse (et illégale) de l'abri antiatomique sous le jardin. Les médias internationaux commencent à fustiger ce «pays des oubliettes» où, décidément, on a la sordide habitude de séquestrer des jeunes filles dans des caves. «Toute la nation doit se demander ce qui ne tourne pas rond» dans la société autrichienne, lance le quotidien Der Standard. Personne n'a oublié Natascha Kampusch, la jeune Viennoise qui séjourna huit ans et demi dans une cave, avant son évasion spectaculaire, le 23 août 2006.
 
 
«Si j'avais su…», soupire un ancien locataire
 
Tous les regards se tournent vers Rosemarie. Se peut-il vraiment qu'elle ait tout ignoré des agissements de son mari, durant toutes ces années ? «Cela ne tient pas une seconde, lâche une voisine retraitée d'un mouvement d'épaules. Une femme sait ces choses-là, un point c'est tout.»  
 
C'est au tour d'un ancien locataire du 40, Ybbsstrasse de témoigner. Sepp Leitner, qui a vécu quatre ans dans une garçonnière de 30 m², fait de surprenantes confidences. Et il n'a jamais compris ses exorbitantes factures d'électricité, 5 000 schillings par trimestre (400 euros). «Fritzl me faisait payer l'électricité de la cave», s'étrangle l'ex-locataire. Et puis il y a Sam, le chien de Sepp, qui se fige chaque fois qu'il passe devant l'escalier qui mène à la cave, et se met à aboyer furieusement. Le manège durera un an et demi. «Si j'avais su…», soupire Sepp Leitner.
 
Josef Fritzl croupit en détention provisoire depuis onze mois. Craignant pour sa vie, les autorités l'ont isolé des autres détenus. Dans la hiérarchie très subtile qui prévaut en milieu pénitentiaire, pédophiles, violeurs et assassins d'enfants, remisés tout en bas de l'échelle, ont intérêt à se tenir à carreau. Le patriarche tortionnaire n'est plus qu'une bête traquée, apeurée. Pour la première fois de sa vie, le chasseur est devenu chassé.  
 
Dans sa cellule, il a eu le temps de peaufiner sa défense. Sous les lambris de la cour d'assises de Sankt Pölten, cette semaine, il plaidera coupable des faits de viol, séquestration, menaces aggravées et d'inceste. Mais il contestera l'accusation d'homicide pour non-assistance à personne en danger et pourrait aussi réfuter celle d'esclavagisme. Prêt à tout pour échapper à la perpétuité, il invoquera humblement le pardon de ses victimes, s'excusant pour tout le mal infligé. Dans l'espoir un peu vain d'obtenir le pardon de tout un peuple traumatisé.

Fritzl plaide coupable de viols et d'inceste
AFP  
16/03/2009
 
Le père incestueux autrichien Josef Fritzl, dont le procès s'est ouvert ce matin devant la cour d'assises de Sankt-Pölten, près de Vienne, a plaidé coupable de viols, séquestration et inceste mais non coupable de meurtre et d'esclavage.
 
Interrogé par la présidence du tribunal, Fritzl, 73 ans, accusé d'avoir séquestré et violé pendant 24 ans sa fille Elisabeth, a plaidé "non coupable" pour le meurtre d'un des sept enfants né de cet inceste, mort quelques heures après sa naissance. Cette accusation est passible de la prison à vie. Il a également rejeté l'accusation d'esclavage, jugée pour la première fois en Autriche et passible de 10 à 20 ans de détention.
 
En revanche, l'accusé a reconnu sa culpabilité pour séquestration, viols et inceste, des accusations passibles de peines non cumulables allant d'un an à 15 ans de prison. En réponse à une question de la cour, il a nié avoir menacé ses prisonniers de mourir gazés s'ils tentaient de s'échapper de leur cachot de 40 m2, sans fenêtre ni ventilation et protégé par une série de portes à verrouillage électronique.
 
L'enquête judiciaire de près de sept mois a établi qu'Elisabeth avait été enlevée à l'âge de 18 ans le 29 août 1984 par son père, alors âgé de 49 ans. Il a fait croire à une fugue de l'adolescente qui aurait rejoint une secte. En réalité, il voulait constituer une seconde famille entièrement à sa merci, enfermée dans un réduit aménagé dans le sous-sol de sa maison.