Citation :
Quand ils ont commencé à y travailler, il y a un an, ils n'y croyaient pas. Vouloir réformer le système fiscal français pour faire face à la compétition européenne montante, sans que personne y perde et sans que l'Etat réduise ses recettes : Christian Saint-Etienne, professeur d'économie à Tours, et Jacques Le Cacheux, directeur des études à l'OFCE, haussaient les épaules. Le rapport qu'ils s'étaient engagés à rédiger pour le compte du Conseil d'analyse économique (CAE) auprès du premier ministre s'annonçait comme la quadrature du cercle. Impossible. Une réforme fiscale oblige forcément à choisir. Il faut bien déshabiller Paul pour habiller Jacques. On ne peut donner à tous, aux pauvres, aux riches et à l'Etat.
Pendant l'été, les auteurs ont demandé au ministère des finances de calculer le taux global, tout compris, des impôts en France ; moulinage informatique que les experts de Bercy n'avaient jamais opéré. Ajoutez les recettes de la CSG, les impôts sur le revenu, l'impôt sur les sociétés, etc., divisez par l'addition des revenus, des bénéfices, etc. et répondez à la question simple : combien prend l'Etat sur l'ensemble de la richesse créée ? "On pensait obtenir 20-25 %, explique Christian Saint-Etienne. On a trouvé 12 %, hors cotisations sociales ".
TAUX INTRINSÈQUE
C'est une immense bonne surprise. L'Etat, finalement, contrairement au sentiment général, ne taxe qu'à hauteur de 12 % ! C'est beaucoup moins que les contribuables le pensent, mais aussi moins que ne l'estimaient, jusqu'ici au jugé, les experts en fiscalité. Et si l'on ajoute la TVA dans cet ensemble d'impôts, le taux, dit "taux intrinsèque", tombe à 10,5 %.
Ce résultat ouvre grandes les portes du possible. Car ce 12 % "don ne des marges de manoeuvre énormes pour faire ce que nous voulions faire, une réforme efficace mais équitable", poursuit Saint-Etienne. Et ce 12 %, c'est, en plus, justement, le niveau vers lequel convergent en Europe les taux d'imposition des sociétés et les taux d'imposition de l'épargne. Si nous, Français, sommes déjà à 12 %, point n'est besoin de baisser ! Nous pouvons être compétitifs sans nous engager dans une grande baisse générale des impôts et des taxes.
UN GRUYÈRE
C'est tout l'intérêt de ce rapport du CAE de faire la démonstration que les réformes, ici la réforme fiscale, peuvent aboutir à l'exact inverse de ce que les adversaires des réformes serinent : des réformes, y compris eurocompatibles, peuvent être socialement justes. Efficacité fiscale, équité sociale et compétitivité économique vont ensembles.
Par quel miracle ? La réponse est dans les détails. Dans la complexe société moderne, la réponse est toujours dans les détails et jamais dans les slogans politiques. En fait, notre fisc est comme un gruyère où il y a désormais beaucoup plus de trous que de pâte : bien peu de contribuables paient l'impôt sur le revenu (20 % des ménages en paient 91 %) ; bien peu d'entreprises paient l'impôt sur les sociétés ; bien peu d'investisseurs paient l'impôt sur le capital ; et les vrais riches ne paient pas l'ISF. L'ensemble des 400 "niches" de dérogations, de dégrèvements et les autres astuces d'"optimisation fiscale" utilisées par les petits et les gros malins ont exempté de plus en plus de contribuables de l'impôt citoyen. Le fisc n'est pas coupable de trop taxer, mais de taxer toujours les mêmes.
LE COÛT DES BIENS PUBLICS
Or, et c'est là le malheur, cette politique fiscale "hyperconcentrée" désavantage le pays dans la compétition européenne. Car les mégataxés sont "les salariés les plus productifs et potentiellement les plus mobiles ", susceptibles d'émigration fiscale. On se plaint de la fragilité du capital des grands groupes (Danone), mais les revenus du capital investi en actions sont plus taxés que partout ailleurs. Cherchez l'erreur. La France doit desserrer "le noeud coulant " qu'elle s'est mis autour du cou en focalisant les impôts sur les éléments créateurs de richesses.
"Toutes les activités délocalisables ne vont pas partir du jour au lendemain, nuancent les auteurs. Les activités non délocalisables représentent peut-être 60 % du PIB et 80 % des emplois. Mais, ce qui est en jeu, c'est le taux de croissance potentielle de notre économie. Même en cas de départs mesurés, la croissance serait durablement faible et les reports de charges sur les facteurs non mobiles seraient vite insupportables." L'autre intérêt du rapport est de fixer à 6 % le coût des biens publics économiquement acceptables, autrement dit le surplus de taxes que les investisseurs en France acceptent de payer pour profiter de ses infrastructures de qualité (autoroutes, TGV, hôpitaux, formation...). Pourquoi 6 % ? Les évaluations sont ouvertes. Mais cette idée permet de remonter à 18 % (12 + 6) le taux effectif d'imposition possible des entreprises et des capitaux.
Sur ces bases, et tous calculs faits, les auteurs proposent une réforme d'ensemble de neuf impôts (revenu, sociétés, ISF, CSG, taxe professionnelle...) qui permet de jouer de toutes les marges de manoeuvres. Plusieurs scénarios sont examinés qui donnent avantage tantôt aux entreprises, tantôt aux ménages (avec des variantes sur les différentes catégories) et tantôt à l'Etat.
ÉBORGNÉ
Le résultat est très ouvert. Il est fort possible de privilégier et les entreprises et les ménages les moins bien lotis. Supprimant les niches, le projet rétablit l'équité horizontale (les mêmes revenus sont taxés de façon identique) et verticale (les riches paient proportionnellement plus).
Le premier ministre a éborgné la réforme en limitant les changements au seul impôt sur le revenu. Il oublie le point de départ des auteurs : répondre à la compétition européenne inévitable. L'intérêt politique du dispositif gouvernemental n'a échappé à personne à l'horizon 2007 encore que ce sont les ménages riches qui en profiteront et non pas les classes moyennes comme il le dit. Mais l'intérêt économique est lui devenu quasi nul. Il faudra y revenir vite. Réformer est possible sans mettre le feu au lac.
|