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Les tarifs de consultation de huit spécialités augmentent le 1er mars. D'autres suivront le 1er mai et le 1er juillet. En cas de succès du plan Douste-Blazy, ces augmentations pourraient creuser le déficit de la Sécurité sociale. Les ménages verront croître la part des dépenses restant à leur charge.
Le "succès" de la réforme de l'assurance-maladie menace-t-il de se retourner contre ses auteurs ? Peut-il creuser le déficit de la Sécurité sociale au lieu de le réduire ? Et renchérir très sensiblement le coût des soins pour les patients ? C'est possible et, dans certains cas, vraisemblable.
Le gouvernement Raffarin avait pourtant fait voter la loi du 13 août 2004 sans difficulté. La préparation du texte n'avait pas provoqué de manifestations monstres comme celles suscitées, au printemps 2003, par la réforme des retraites. Dès la fin août, le ministre de la santé, Philippe Douste-Blazy, se réjouissait : "Les difficultés sont derrière nous", assurait-il.
Rien n'est moins sûr. La mise en uvre de la réforme, telle que la prévoit la convention médicale du 12 janvier 2005 et telle qu'elle se précise au fur et à mesure de la publication des décrets au Journal officiel, s'apparente au contraire à un exercice à haut risque pour le gouvernement.
A l'origine, les pouvoirs publics s'étaient fixé deux objectifs : "responsabiliser" les patients en accroissant la part des dépenses de santé qui reste à leur charge, et contribuer au retour à l'équilibre des comptes à l'horizon de 2007, notamment en limitant l'accès direct à la médecine de spécialité.
Un troisième objectif est apparu à l'automne pendant la négociation conventionnelle : renouer le dialogue avec des spécialistes pénalisés par le blocage de leurs tarifs pendant plus de dix ans.
Au nom de la rationalisation et de la qualité du système de soins, la réforme a prévu, à partir du 1er juillet 2005, de faire bénéficier de la meilleure prise en charge les patients s'inscrivant dans un parcours de soins coordonné par un médecin traitant (le plus souvent leur généraliste). Les autres s'exposeront à une double peine : de moindres remboursements - probablement 60 % ou 65 % au lieu de 70 % - et des consultations plus chères. Au nom de la restauration de la confiance avec les spécialistes, la convention a programmé une cascade compliquée de revalorisations tarifaires. Elle a aussi laissé subsister le secteur 2 (à honoraires libres) et assoupli, en les encadrant, les possibilités de dépassement.
Le tout ne contribue pas à freiner la progression des dépenses. A partir d'hypothèses de travail élaborées par la Caisse nationale d'assurance-maladie, la Mutualité française a cherché à mesurer l'impact du succès de la réforme sur les remboursements de soins de spécialistes. Dans le cas où 75 % des actes médicaux seraient effectués à l'initiative d'un médecin traitant, les dépenses de l'assurance-maladie en soins de spécialités augmenteraient de 2 %. En revanche, si le dispositif rencontre moins de succès et ne concerne que 50 % des actes médicaux, elles diminueraient de 3 %. Autrement dit, sur le seul poste des soins de spécialistes et à comportement constant des patients, le succès de la réforme creuse le déficit.
UN SYSTÈME INFLATIONNISTE
Certaines mesures prévues dans la convention médicale, comme la consultation d'un "médecin correspondant" pour avis d'expert, fixée à 40 euros et possible deux fois par an, sont potentiellement ruineuses pour l'assurance-maladie. Pour qu'elles ne le soient pas, il faudra que des dizaines de millions d'assurés et plusieurs dizaines de milliers de professionnels de santé acceptent de se discipliner et de jouer le jeu de la réforme.
La convention, elle, et c'est là que le bât blesse, n'a pas prévu d'incitations fortes à la vertu. Et les caisses n'auront guère de moyens de contrôler effectivement le bien-fondé des déclarations des médecins. A partir du 1er juillet, il suffira aux généralistes de secteur 1 (à tarifs opposables) de cocher la case "médecin correspondant" pour voir augmenter leur consultation de 10 % à 22 euros. Tentant.
Les dérives possibles sont donc légion. Elles nourrissent des inquiétudes dans les rangs syndicaux et suscitent de multiples commentaires dans les caisses et dans les organismes complémentaires. Le premier à avoir jeté un pavé dans la mare est le président de la Fédération nationale interprofessionnelle des mutuelles (FNIM), Romain Migliorini. "Nous commençons à mesurer l'impact du parcours de soins et de la convention médicale sur les cotisations des mutuelles, qui sera très lourd, de l'ordre de + 7 %, auquel s'ajoute l'augmentation des dépenses de 5 % pour une année moyenne, soit une hausse des cotisations de 12 %", a-t-il déclaré le 16 février. Au grand dam de M. Bertrand, qui avait jugé "inacceptable" une telle évaluation. La Mutualité française et la Fédération française des sociétés d'assurances tablent, en revanche, sur des augmentations de 3 % à 5 %.
Tous sont persuadés que les patients devront payer davantage pour leur santé, comme l'avait souhaité le premier ministre. La FNIM s'attend à une "augmentation massive" de la part qui restera à la charge des ménages : + 16,6 % avec la participation de 1 euro par assuré ; + 166 % quand la consultation d'un spécialiste sera systématiquement précédée de celle d'un médecin traitant.
La Mutualité, moins alarmiste, prévoit toutefois une hausse "importante" de ce reste à charge : + 10 % dans le parcours de soins coordonnés, et + 20 % en dehors dudit parcours. De quoi nourrir le débat sur le pouvoir d'achat.
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