Citation :
Le sel, la fermentation et l'oxydation
Je ne pensais pas aborder le sujet de l'oxydation, sujet éminemment complexe, si Romain, boulanger en France, n'avait pas soulevé la question lors de nos échanges. Cette question ne pouvait rester en suspens. J'ai donc entrepris un travail de lecture sur les différentes études faites sur le sujet. C'est ainsi que je suis tombé sur une étude japonaise qui pourrait mettre en faux bien des convictions. Refermer le texte
Tout au cours des recherches, que j'effectue depuis quelques années, j'ai constaté que je ne pouvais plus me fier aux évidences même si toutes les études sont là pour confondre les plus sceptiques. Pourquoi cette constatation ? En premier lieu, en marge de ces études, que je qualifierais de consensuelles – ce qui n'est pas péjoratif vu la grande rigueur de beaucoup d'entre elles– il existe des études tout aussi bien construites mais contradictoires. Comment expliquer que les études qui vont à contrario de celles qui se sont imposées ne soulèvent pas davantage de débat et de remise en question. Les évidences aveuglent-elles les chercheurs ? Pour mieux comprendre d'où provient ce consensus, il faut faire un travail historique dont la science ne semble pas être très férue et qui pourtant est riche en enseignement. Lorsqu'on remonte à la genèse de certaines études on s'aperçoit que les hypothèses et les doutes concernant ces études se sont transformées en quasi vérité au fur et à mesure que le temps a passé. De ce fait, la recherche à orienter son travail dans le sens de ces hypothèses sans forcément les remettre en cause et/ou invoquer d'autres hypothèses ce que font les contradicteurs de ces études.
Un excellent exemple est celui des ponts de disulfures reconnus pour être les seuls à favoriser la cohésion des protéines insolubles de la farine et renforcer le réseau glutineux. Cette théorie de 1963 a été secouée lorsqu'une chercheur américaine, Katherine A. Tilley, a démontré l'importance de la tyrosine dans le lien entre les protéines et le renforcement du gluten.
Voilà ce qu'a dit à propos de cette recherche Brendan Donnelly, le responsable en chef du département grain, science et industrie de l'Université du Kansas :
The baking industry has thought for more than half a century that dough forms because disulfide bonds are breaking and reforming, breaking and reforming, but no scientist had ever actually shown this to be the case,"
L'industrie de la boulangerie a pensé pendant plus d'un demi-siècle que la pâte se formait grâce aux ponts de disulfure en se cassant et se reformant et ainsi de suite. Cependant aucun scientifique n'avait prouvé jusqu'à présent que c'était le cas
Surprenant n'est ce pas ! Cela signifie que toutes les études présentes devraient être réévaluées ! On peut s'imaginer ce que cela représente.
Revenons en donc à notre sujet de départ celui du sel dont toutes les études sont là pour nous démontrer que celui-ci au-delà de 1% du poids de la farine ralentit la fermentation du fait de la pression osmotique exercée sur les cellules de la levure.
L'étude japonaise -datant de 2013- à laquelle je fais allusion s'est penchée davantage sur l'effet de l'oxydation et le rôle du sel en relation avec le levure pour arriver à une explication plus complexe. Elle démontre que le phénomène d'oxydation accélère la fermentation.
L'étude japonaise démontre que le sel va déclencher l'oxydation des lipides par la levure et provoquer la production de d'hydroperoxyde, un puissant oxydant. Cette oxydation engendrée par l'hydroperoxyde va accélérer la fermentation. Ainsi au bout de 40mn de fermentation pour une même quantité de levure avec 2% de sel la production d'hydroperoxyde et le volume de la pâte sont à leur maximum alors qu'en l'absence de sel au bout de 50mn l'hydroperoxyde est presque inexistant et le volume est moins conséquent environ 18% comparé au 96% de la pâte précédente. Étonnamment à partir de 8% de sel les chercheurs constatent une diminution importante de l'oxydation mais aussi du volume. Ce qui signifie, comme les auteurs le soulignent, que le sel ne deviendrait plus un oxydant mais un antioxydant lorsque les quantités sont plus importantes.
Cependant, il ne faut pas négliger la variation de la quantité de levure. Ainsi à 2% de levure l'hydroperoxyde atteint des sommets, /> et culmine autour de 4% à 6% en présence de 2% de sel alors que sans sel ou avec 8% de sel l'oxydation est plus faible.
Ainsi le sel favoriserait le développement d'hydroperoxyde et de ce fait l'oxydation de la pâte d'autant plus que la quantité de levure et de sel est importante. De plus, l'oxydation favoriserait la structure du gluten et accélérait la fermentation
À noter que la levure contient une enzyme la catalase sensée la protéger de l'oxydation. Selon une autre étude, on suggère, à titre d'hypothèse, que la farine contiendrait un inhibiteur de la catalase et qui expliquerait pourquoi celle-ci n'agît pas ou très peu.
Les chercheurs invitent leurs collègues à poursuivre les recherches pour mieux comprendre les interactions du sel dans la pâte.
À noter que cette étude soulève une autre question celle de la température de fermentation. Les chercheurs ont effectué la fermentation à des températures élevées. On peut s'interroger sur ce que seraient les résultats si la pâte aurait été soumises à des températures plus basses.
Voilà ce que disent en conclusion les auteurs de l'étude : Cette étude démontre de nouvelles propriétés chimiques du sel. Le sel améliore la formation du gluten durant la fermentation de la pâte. De plus, le sel déclenche la peroxydation des lipides par la levure entraînant une production d'hydroperoxyde. Cette étude démontre que l'hydroperoxyde issu de cette réaction accélère la fermentation. De plus amples études sont nécessaires pour comprendre comment les molécules de sel sont associées à la formation du gluten au cours de la fermentation et comment la variation de la quantité de sel active à la fois l'oxydation et l'antioxydation des lipides.
Cette étude soulève plusieurs questions :
1-Comment se fait-il qu'un tel phénomène n'ait pas été remarqué plus tôt ? Cela signifie-t-il que les tests menés jusqu'à présent non jamais été faits sur des pâtes mais selon d'autres protocoles ?
2-Est-ce que la présence du beurre dans la pâte de l'étude a eu un impact sur l'oxydation ou les 1% à 1.2% de lipide présents dans une farine blanche seraient suffisants pour provoquer une réaction similaire ?
3-Est ce vraiment la fermentation qui s'accélère ou est ce le fait que la structure du gluten étant plus forte, la pâte gonfle davantage ?
Dans un précédent article, j'expliquais toute la complexité de la relation entre élasticité, extensibilité et ténacité. On peut donc se demander si la pâte étant moins oxydée, donc un gluten moins structuré, la ténacité étant moindre, le réseau glutineux est plus flasque et malgré la présence de CO2 générée par la levure la pâte s'étale davantage qu'elle ne gonfle. À contrario, si la pâte est plus structurée, il y a une plus grande rigidité et donc l'air va faire pousser davantage la pâte. Reste à savoir si l'oxydation a un impact sur la production du CO2 de la levure ce dont je ne crois pas. De ce fait ce serait davantage la structure du gluten qui pourrait expliquer le phénomène. D'autre part la fermentation ne générait pas d'oxydation en l'absence de sel. Le sel serait donc le facteur favorisant l'oxydation au cours de la fermentation et renforcerait le gluten.
Ceci m'amène a conclure que cette étude confirme ce que j'ai évoqué dans d'autres articles c'est à dire de s'en tenir qu'à un frasage au lieu d'un pétrissage avec un maximum de 10g de levure par kilo de farine avec un calcul de sel adéquat et non pas sur le poids de farine. En effet, l'oxydation de la pâte qui va se produire au cours de la fermentation sera suffisante pour structurer le gluten sans pour autant être délétère pour la qualité du produit puisque le sel sera en quantité adéquate et que l'oxydation engendrée sera moitié moindre qu'à 2% de levure donc moins de chance d'avoir une pâte élastique même avec des farines fortes. L'erreur est de penser que si la pâte n'a pas suffisamment poussé au cours du pointage, elle n'est pas suffisamment prête. En effet si le gluten est suffisamment capable de retenir du gaz mais sans être trop élastique, la pâte pourrait accumuler de l'air sans forcément doubler de volume comme les expériences le montre avec juste un frasage
Une fois encore cela démontre que nous ne pouvons rester figé sur nos certitudes. La science du pain est complexe et ce qui est vrai aujourd'hui peut ne plus l'être demain. Les études scientifiques sont là pour nous éclairer à condition de les lire avec les précautions d'usage. Il ne faut pas se laisser tromper par notre enthousiasme ou par notre manque de connaissance qui nous font voir les vérités que l'on souhaite voir au lieu de voir celle que l'on devrait voir.
Le travail que je mène depuis ces quelques années m'oblige constamment à m'interroger sur mes analyses et sur la façon d'orienter mon travail. Les évidences ont parfois la facilité à nous guider sur un chemin qui n'est pas toujours le bon. Il faut s'en méfier.
|