Je vous soumet un article du journal "Le Monde" sur le sujet des grandes ecoles et l'université.
Vous en pensez quoi?
La formation des élites françaises est à repenser, par Yves Mény
LE MONDE | 02.08.06 | 13h30 Mis à jour le 02.08.06 | 13h30
Dans l'enseignement supérieur, la situation française est d'une simplicité dramatique : on ne peut réformer les universités en dépit de leur déclin et on ne peut pas changer les grandes écoles à cause de leur succès (apparent).
A défaut de pouvoir faire l'un ou l'autre, le ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche, François Goulard, met à l'eau un nouveau radeau de la Méduse, celui du rapprochement entre les frères ennemis du monde académique (Le Monde du 14 juillet). La proposition est pleine de bonnes intentions et part d'un constat juste, celui de la crise de notre enseignement supérieur et de la recherche. Mais je crois que la solution suggérée n'est pas viable : les universités n'ont pas grand-chose à y gagner et les grandes écoles, de leur point de vue, y ont tout à perdre.
Elle n'est surtout pas à la hauteur de la crise qui touche le système d'enseignement supérieur et de la recherche en France, universités et grandes écoles confondues, même si c'est pour des raisons diamétralement opposées. La réponse à cette crise n'est pas dans un remake d'"Aimons-nous Folleville", mais au contraire dans l'adaptation de nos structures à la concurrence internationale. Le mot d'ordre prioritaire n'est pas rapprochement mais compétition, compétition intrafrançaise d'abord, compétition internationale ensuite puisque c'est désormais au niveau mondial que sont fixés les standards.
Les grandes écoles sont incontestablement les lieux de formation de l'élite française : après une, deux ou trois années de sang et de larmes dans les prépas, les heureux élus "choisissent" leur école en fonction de leur classement dans les concours. Les quelques milliers d'élus (si l'on y intègre les écoles de commerce) fréquenteront des écoles où la formation est généralement limitée, la recherche quasi inexistante, les bibliothèques ridicules au regard des grandes institutions internationales, le corps professoral permanent très réduit, les doctorants ou post-docs peu nombreux ou inconnus.
L'école reste un lieu de sélection et de classement de l'élite française. Le contraste avec l'université classique ouverte à tout vent est saisissant. La masse d'un côté, la "classe" de l'autre. Paradoxalement ces grandes écoles, à l'exception principale des écoles de commerce qui sont en compétition sur le marché mondial, sont le plus souvent inconnues à l'étranger. Si vous parlez de Polytechnique à un étranger, il pensera d'abord à l'Ecole polytechnique de Zurich ou de Lausanne, pas à celle de Palaiseau.
Si l'on veut sortir le système universitaire français du marasme présent, la solution n'est ni dans un alignement des grandes écoles sur les universités, ni dans un "rapprochement" qui ne constituerait qu'une sorte de mariage de la carpe et du lapin.
La solution est dans la transformation des grandes écoles en universités d'excellence capables de rivaliser avec les meilleures institutions étrangères. Il ne s'agit pas, bien entendu, de rabaisser les grandes écoles à la situation médiocre que connaissent les universités du fait de l'absence de sélection et d'un système de gouvernance inadapté, mais bien au contraire de les mettre sur le même pied que les meilleures universités mondiales.
La chose est possible, car elles ont des atouts : le prestige, des standards élevés, une pratique acceptée de la sélection. Mais il faut sortir du système actuel qui réserve l'accès à quelques happy few en éliminant beaucoup d'excellents candidats. Tout se passe comme si l'excellence était définie par une seule variable, la rareté. Pourtant, l'excellence du MIT, de CalTech, de Stanford ou de l'Imperial College à Londres n'est pas le fruit d'un malthusianisme pathologique.
Les ingrédients du succès sont ailleurs : dans l'ouverture de ces centres d'excellence qui ne sont pas simplement des écoles d'application et qui combinent recherche théorique et recherche appliquée ; dans l'attraction des meilleurs professeurs à l'échelle internationale ; dans l'association de l'enseignement et de la recherche, notamment à travers des programmes doctoraux et post-doctoraux ; dans la coopération étroite entre universités et secteur privé, notamment en matière de recherche appliquée.
Les grandes écoles à la française appartiennent à un monde prestigieux mais révolu. En se transformant sur le modèle des meilleures universités au niveau international, nous pourrions faire d'une pierre deux coups : utiliser le prestige et le statut des grandes écoles pour les faire sortir de leur enfermement nombriliste ; les utiliser comme point de référence et de stimulation pour les universités normales auxquelles le même statut et les mêmes avantages pourraient être reconnus, pourvu qu'elles en aient les capacités et acceptent les contraintes et les exigences d'un modèle d'excellence.
Cette proposition n'est pas utopique et beaucoup des éléments suggérés existent déjà par exemple (dans le domaine des sciences sociales) à Science Po. Puisque les grandes écoles ne remplissent plus qu'à la marge les fonctions qui les ont légitimées (la formation des élites de l'Etat), il est temps pour elles de se repenser dans le seul cadre qui compte aujourd'hui, l'international.
Ce faisant, elles se sauveront. Mais par ricochet et grâce à la compétition, elles pourraient aussi sauver le bateau ivre qu'est devenu, bien malgré lui, notre système d'enseignement supérieur et de la recherche.
Yves Mény est président de l'Institut universitaire européen de Florence.