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Les journalistes Jean-François Peres et Daniel Riolo ont mené, l'année dernière, la première enquête fouillée sur la passion qui entoure les matches entre l'OM et le PSG. L'Equipe.fr a réuni les auteurs de ce livre foisonnant de révélations et d'anecdotes. Leur thèse : la rivalité a été montée de toutes pièces par Bernard Tapie et Canal + il y a une dizaine d'années.
« Jean-François Peres et Daniel Riolo, vous avez enquêté plusieurs mois autour de la rivalité entre l'Olympique de Marseille et le Paris-Saint-Germain, qui s'affrontent samedi en Coupe de France. Que pensez-vous avoir démontré dans votre ouvrage ? JFP : Contrairement à ce que la plupart des gens pensent, la rivalité n'a pas toujours existé. Elle ne s'était jamais exprimée dans le football avant le tournant des années 80 et 90. Après le match de mai 1989 où, pour la première fois, il y a eu lutte pour le titre de champion entre les deux équipes (1-0 pour Marseille), la rivalité est entrée dans une autre phase avec l'arrivée de Canal + à la tête du PSG en mai 1991, et ça a abouti au fameux match du Parc de décembre 1992 (NDLR, un combat de rues remporté 1-0 par Marseille après une semaine de déclarations belliqueuses dans la presse). Quand Canal + arrive, Bernard Tapie a besoin d'un concurrent fort en D1 pour préparer l'OM à une victoire en Coupe d'Europe. En même temps, Canal + détient les droits de diffusion du Championnat et veut qu'il soit le plus passionnant possible, pour qu'il y ait le plus d'abonnés possible. Des deux côtés, on se rend compte que Marseille-Paris, c'est une rivalité qui marche bien d'un point de vue sociologique, et on crée artificiellement une rivalité sportive. À Canal, on ne nie pas cette thèse. Tapie, lui, dit : "J'ai tout créé".
DR : C'est la rencontre parfaite de deux intérêts économiques. Marseille, à ce moment, est en situation de monopole. Et ça, c'est impossible en sport. Quand le même gagne tout le temps, ce n'est plus intéressant pour les télespectateurs. On l'a vu avec Ferrari en F1, où les dirigeants ont dû changer les règles. Quand on lui reparle de cette époque, Tapie nous dit : "Tout seul en haut, on se faisait chier". Canal fait aussi ses calculs. Il a, à ses portes, un club qui coule, mais qui représente le plus fort bassin de population et 60% de ses abonnés. Si la chaîne ne réveille pas le Championnat - Pierre Lescure dit qu'il "dort" - son produit ne sera pas bon. Alain Cayzac nous dit : "PSG-OM, ce sont des gens intelligents qui se sont entendus pour faire une bonne affaire". Et aujourd'hui, cet antagonisme est entré dans la culture sportive du pays.
« À Paris, on subissait » Comment ces dirigeants ont-ils fait pour l'inscrire, d'abord, dans la mentalité des joueurs ? JFP : À Marseille, le président mettait une pression pas possible sur ses joueurs. Tous nous parlent de sa "tchatche", des causeries très musclées après les entraînements, des articles de journaux les plus chauds placardés dans le vestiaires et "stabylotés", pour servir de rouge au taureau.
DR : Tapie employait des mots très précis : "Tu le lattes, ce sont des merdes, regarde : ils ont dit ça". Il a mangé du pain béni quand il a vu que la première mèche verbale dans la presse était allumée par Artur Jorge (entraîneur du Paris-SG), quand il a dit : "On va leur marcher dessus". Il n'en attendait pas tant ! JFP : Ce qui explique aussi la mainmise marseillaise à cette époque, c'est que les discours de Tapie plaçaient l'OM en position offensive. À Paris, on subissait. "Ils veulent nous rentrer dans le lard, qu'est-ce qui se passe ?".
DR : Bernard Brochand nous explique qu'il y avait une vraie différence de culture entre les deux équipes. Les gens recrutés par le PSG ont beaucoup parlé dans la presse, mais sans être capables d'aller aussi loin que les Marseillais sur le terrain. On ne dit pas à des Guérin ou des Le Guen qu'ils vont marcher sur des Boli, des Mozer ou des Deschamps. Ce n'est pas possible. JFP : De Lama à Colleter, tous les Parisiens reconnaissent cet ascendant psychologique des Marseillais. « Des clans en équipe de France » Vous affirmez aussi - ce qui paraît incroyable avec le recul - que la rivalité PSG-OM a pris l'équipe de France en otage et a rendu possible la non-qualification des Bleus à la World Cup 1994.
JFP : Il suffit de piocher dans les archives pour s'en convaincre. À l'époque, Lama dit : "Les Marseillais sont des voyous. Je suis bien placé pour en parler : j'en côtoie en équipe de France". Imaginez cela aujourd'hui ! Il faut aussi comprendre qu'à ce moment-là, les joueurs vont à l'OM ou au PSG comme une finalité. Ils défendent vraiment le maillot. DR : Tapie n'arrête pas de dire à ses joueurs : "Vous vous en branlez de l'équipe de France, c'est avec moi que vous aurez du succès."
JFP : En équipe de France, il y a clairement deux clans. Les Marseillais refusent que Lama vienne jouer aux cartes avec eux. Certains gars ne se parlent pas. L'intox de Tapie marche tellement que Ginola, personne ne peut l'encadrer. DR : Les Marseillais dominent car ils sont là depuis plus longtemps. Papin est le chef. Deschamps, le sous-chef. JFP : Desailly nous en parle très ouvertement. Il était jeune, il arrivait, et il décrit une ambiance à couper au couteau. Il nous a dit : "Si on s'était qualifié pour la Coupe du monde, la vie en groupe durant un mois et demi... Disons que les choses auraient été compliquées. Ça n'aurait pas été facile tous les jours."
DR : Houllier m'a dit : "Noublie pas qu'on joue au Parc des Princes". Le public siffle Papin et réclame Ginola. A l'heure de jeu de France-Bulgarie (1-2), Papin sort pour crampes car il est stressé à bloc ! Ginola, devant son public, veut se faire mousser en cherchant la passe décisive à quinze secondes de la fin, ce qui amène le but bulgare. Et Houllier nous redit aujourd'hui : "Ginola s'est comporté comme un vrai con pendant toute cette période". Houllier n'a jamais pu maîtriser tout ce qu'induisait la rivalité OM-PSG. D'autant qu'il souffrait d'un vrai problème de légitimité à son arrivée. Expliquez-nous... JFP : Entre 1988 et 1992, Houllier a été l'adjoint de Platini dans l'équipe la plus marseillaise possible. Platini, fidèle à lui-même, n'arrêtait pas de le chambrer sur le fait qu'il n'avait jamais été joueur. Il arrivait souvent que Platini interrompe l'exercice tactique dirigé par Houllier en disant : "Allez, on joue". Platini allait jouer et Houllier arbitrait. Sauzée nous raconte que Papin le surnommait "Quiniou". Quelques mois après, "Quiniou" devient sélectionneur. Imaginez la légitimité ! Des joueurs nous ont aussi dit que Papin faisait et défaisait les horaires des entraînements. De même, Papin et Houllier auraient fait la liste des 22 pour la Coupe du monde 1994 dans le bus ramenant les joueurs de la victoire en Finlande (2-0). Alors qu'il manquait un point ! Tout ce que nous avons recueilli sur cette période est démenti par Papin et Houllier, mais les autres joueurs nous disent que ça a vraiment existé. » (À suivre, vendredi)
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