Citation :
Quel est le point commun entre le chanteur Renaud, l'inimitableGeneviève de Fontenay, le dessinateur Cabu ou encore le philosopheMichel Onfray? Tous ont pris le parti de l'alliance anti-corrida,un groupe d'associations qui réclament depuis le début des années 90l'interdiction des corridas avec mise à mort du taureau. Au nom des"droits à la vie, à la liberté et à l'intégrité des animaux". Autant le préciser d'emblée: il ne s'agit pas ici de refaire un débat dont les arguments -pour et contre- sont bien résumés par leurs promoteurs. Et, si je me range dans le camp des "neutres", en lisant dans Libération les dernières manifestations des "antis", je me suis demandé depuis combien de temps la polémique existe...
Torquemada et le pape Pie V du côté des taureaux
En fait, les pourfendeurs de l'estocade sont presque aussi anciensque ses amateurs. Sans remonter aux temps des jeux du cirque, dont lesspécialistes estiment que les venationes (spectacles dumatin) furent l'ancêtre, il est clair que les catholiques furent lespremiers à contester des pratiques jugées païennes. En 1489, le Grand Inquisiteur espagnol Tomas de Torquemadas'élève contre ces spectacles du dimanche, déjà très populaires, quimettent en scène des individus marginaux et souvent issus des milieuxouvriers: les toreros. Mais les souverains catholiques estiment alorsqu'il y aurait plus de risque à priver le peuple et la noblesse de cesréjouissances. En 1567, le pape Pie V interdit la corrida dans la bulleDe salute gregis. Le texte ne sera jamais appliqué et son successeur Grégoire XIII libère les laïcs de l'interdiction.
L'Eglise et l'Etat contraints de composer D'un côté, l'Eglise tire abondamment profit des courses de taureauxqui, souvent, financent ses oeuvres de charité. De l'autre, elle estobligée de dénoncer leur cruauté par charité... chrétienne. Attitudesimilaire des représentants de l'Etat qui, toujours, prendront soin dene pas froisser les coutumes locales, au risque de déclencher destroubles. En 1808, Joseph Bonaparte, nouveau maître de l'Espagne,autorise les corridas, interdites depuis quelques années parce qu'ellesdéciment les cheptels bovin et chevalin. A l'époque, les chevaux meurent par dizaines dans les arènes, fautede caparaçon protecteur. Idem pour le lâcher de chiens sur le taureau.Cette pratique, fort répandue, disparaît totalement à la moitié du XIXesiècle. Elle est alors jugée trop barbare, les dogues étant déchiquetéspar les cornes taurines.
Le cas d'école français: Paris contre la province
L'introduction de la corrida espagnole en France -avec mise à mortde l'animal en fin de course- résume à elle seule les contradictionsdes pouvoirs publics. Considérée comme la première vraie corridafrançaise, à Bayonne le 21 août 1853, le spectacle est organisé eninfraction totale avec la nouvelle loi Grammont, punissant les "mauvais traitements aux animaux". Mais grâce à la bienveillante protection de l'impératrice Eugénie,les courses se multiplient. Pendant un demi-siècle, l'Etat va alorscomposer avec les aficionados qui tentent d'installer la corrida dansle Sud-Ouest, mais aussi au Havre, à Bruxelles, Milan ou.. au bois deBoulogne! Dans les villes où une tradition taurine existe de longuedate (courses landaise ou camarguaise), les préfets appliquent rarementla loi Grammont. Dans les autres, les organisateurs sont régulièrementpoursuivis et condamnés. En septembre 1895, le gouvernement expulse Mazzantini, un matadorespagnol, juste avant une course à Bayonne. Résultat: trois joursd'émeutes, la démission du conseil municipal et, dans l'hiver qui suit,une formidable campagne pour la défense de la tauromachie. La corridaest désormais bien installée dans le paysage français.
La bataille des intellectuels
Au XXe siècle, les campagnes des défenseurs des animaux vont suivrede près les cycles de prospérité et de repli des courses taurines. Achaque fois que la corrida connaît un nouvel essor, les "antis"retrouvent de la voix. Dans les années 20 et 30, des intellectuelscomme Ernest Hemingway et Pablo Picasso rallient le camp del'"aficion". La SPA proteste. En faisant de la corrida un thème decréation, les artistes justifient la corrida comme mise en scène despulsions de mort. Idem dans les années 60, puis dans les années 80 oùla montée en puissance de Nîmes suscitent de nouvelles oppositions. Aujourd'hui, chaque camp empruntent à l'autre la référenceintellectuelle. Objectif: gagner la bataille de l'opinion. Sur le sitede l'alliance anti-corrida, l'internaute peut lire cet extrait d'un courrier de Michel Onfray: "La poignée d’arguments des défenseurs recycle toujoursles mêmes lieux communs. Or tous évitent cette question cardinale: quesignifie jouir du spectacle de la mort? Car il s’agit bien de cela:fanfare et habits de lumière, discours techniques et justificationsesthétiques, bénédictions littéraires et légitimations cathartiques n’yfont rien: on paie, on s’excite, on vocifère en bande, le tout pourconnaître l’orgasme dès que le tueur ôte la vie..." De quoi s'empailler encore quelques siècles... à moins que l'Union européenne n'y mette son nez. Mais c'est une autre histoire.
|