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« La logique des droits de succession (par opposition à un impôt sur la fortune, par exemple) est d’égaliser partiellement les conditions financières des nouvelles générations. Les résultats de l’enquête montrent que les Français ne plébiscitent pas l’imposition des successions, mais aussi que leur perception est fondée sur des considérations éthiques contradictoires. En effet, une grande majorité d’entre eux considèrent que les parents ont le droit de transmettre à leurs enfants un patrimoine durement gagné sans être imposés. Mais ils considèrent également en majorité que permettre l’inégalité des chances à la naissance en raison de dotations différentes constitue une injustice. Ces points de vue font apparaître une tension évidente. Ils reflètent clairement une demande d’égalité des chances, et cette dernière peut servir de ligne directrice pour une réforme. La logique d’égalité des chances implique de s’intéresser, non pas à ceux qui donnent, mais à ceux qui reçoivent, en retenant comme base imposable le montant total reçu par le bénéficiaire. Cela étant, la transmission d’un « patrimoine durement gagné » devrait être en grande partie exonérée grâce à un niveau d’abattement élevé, et les recettes fiscales concernées pourraient être explicitement affectées à des mesures de redistribution. Tel n’est pas le cas aujourd’hui. Tout d’abord, les droits de succession sont fondés largement sur le donateur et non sur le bénéficiaire. À titre d’exemple, à montant d’héritage égal, le taux d’imposition est plus faible si le bénéficiaire hérite de deux personnes (ses deux parents) plutôt que d’une seule (un seul de ses parents). Or, au regard de l’égalité des chances et selon les préférences exprimées par la population sondée, ce n’est pas ce que l’on donne mais ce que l’on reçoit qui doit compter. Par ailleurs, le Code des impôts prévoit des abattements tous les quinze ans, avantageant ainsi les donateurs et les bénéficiaires qui connaissent ces dispositions et peuvent planifier la transmission du patrimoine longtemps à l’avance. La logique voudrait ici que l’on prenne en compte l’ensemble des donations reçues par le bénéficiaire au cours de sa vie dans le calcul de l’impôt. La recommandation […] selon laquelle les bénéficiaires devraient être imposés sur la totalité des sommes qu’ils reçoivent des donateurs au cours de leur vie, est séduisante. Nous la reprenons à notre compte, en exprimant toutefois la même réserve que celle formulée par les auteurs : nous disposons de peu d’éléments sur les obstacles à sa mise en œuvre pratique (le seul pays européen à avoir adopté cette approche est l’Irlande, où le montant total des donations et héritages reçus au cours de la vie constitue la base imposable, après abattement de 335 000 euros pour les transmissions entre parent et enfant). Ratio des transmissions annuelles estimée à 32 % en 2050 La transmission de patrimoine entre générations est loin d’être négligeable. Le ratio des transmissions annuelles (donations et héritages) sur le revenu disponible annuel des ménages est estimé à 19 % et devrait atteindre entre 25 % et 32 % en 2050. Sans surprise, ce ratio est plus élevé pour les catégories ayant des revenus élevés. En dépit de leurs taux d’imposition élevés (1), les droits de succession ne représentent cependant que 1,2 % de l’ensemble des recettes fiscales : pour répondre à l’impopularité de cet impôt, le législateur français n’en a pas changé les taux ou la progressivité, mais il a créé des exonérations et des possibilités d’évitement, un mal bien français. Nous ne voyons pas comment le fait d’encourager des ménages bien informés à pratiquer l’optimisation fiscale peut rendre le système plus juste. Un exemple en est donné dans le Chapitre II : celui du traitement réservé aux polices d’assurance-vie, avec un abattement de 150 000 euros par bénéficiaire et des taux préférentiels au-delà de ce seuil. La commission recommande de taxer mieux plutôt que de taxer davantage. Nous craignons toutefois que les droits de succession restent impopulaires, même s’ils sont « améliorés ». Les deux mesures présentées ci-après peuvent contribuer à réduire l’écart entre les perceptions de la population et la recommandation de la commission. Tout d’abord, quelle que soit notre opinion sur l’imposition des successions du point de vue de l’éthique, il est clair que sa logique et sa justification impliquent de la fonder sur ce que reçoit le bénéficiaire, et non sur ce que donne un donateur. Il peut y avoir des divergences de vue sur les taux à appliquer, mais pas sur des caractéristiques qui rendent cet impôt aléatoire ou manipulable. Enfin, afin de tenir compte du souhait légitime de pouvoir transmettre un patrimoine « durement gagné », le seuil à partir duquel celui-ci est imposé doit être élevé. Des consultations citoyennes et des débats publics sur la question pourraient contribuer à réduire l’impopularité de cet impôt.
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