C'est bien parce que c'est vous. Aujourd'hui, nous allons parler de ceci :
Quoi d'étonnant ? Ma foi, on parle d'un mec blessé qui en pleine bagarre, dépose son courrier dans un mortier ce qui vous en conviendrez, est quand même peu commun.
Ce pourquoi aujourd'hui, nous allons parler d'un garçon des plus sympathiques : Monsieur Laurent Augustin Pelletier de Chambure. Que voici :
L'histoire est un peu longue, aussi n'hésitez pas à scroller, et désolé pour le dérangement pour ceux que ça n'intéresse pas
Mais commençons plutôt. Car Laurent est un garçon qui commence mal dans la vie : il naît dans une famille noble, certes, mais en 1789. En résulte une grande absence de son papa, qui est parti avec la guillotine. Laurent n'a donc pas une enfance très heureuse, entre le bon peuple qui veut le pendre avec sa famille, et les divers soucis liés au fait que le pognon paternel ne rentre plus. Arrive donc au bougre ce qui arrive à bien des désargentés : il termine à l'armée.
Et bien qu'il parvienne à devenir officier sous l'empire, il n'a toujours pas de bol puisqu'on l'affecte en 1810 à l'un des coins les plus merdiques qui soit : l'Espagne. Pourquoi merdique ? Parce que l'Espagne est certes occupée par la France, mais à part les places fortes où se trouvent les armées, le reste est plutôt en révolte ouverte. Les messagers sont égorgés par des partisans, les locaux s'enrôlent en douce dans les armées espagnoles qui rôdent encore, et les convois français sont régulièrement attaqués.
Ici, les troupes françaises occupant pacifiquement Madrid, saluées par la population locale
C'est à ce moment de notre histoire qu'intervient Monsieur de Chambure
Jeune officier, on lui confie une bien belle mission de merde : escorter un convoi de munitions jusqu'à l'une des places fortes de l'armée française en Espagne. Évidemment, à peine lui, ses soixante hommes et ses munitions ont-ils commencé à cheminer sur les routes d'Espagne qu'ils se font repérer par les villageois. Qui rapportent leurs mouvements aux troupes espagnoles soulevées contre Napoléon. Celles-ci décident donc de tendre une embuscade à Chambure pour s'emparer de ses munitions. Et par sécurité, non seulement ils choisissent un coin avantageux, mais à un contre dix, ça devrait passer créme.
L'Espagnol est taquin
De Chambure et ses hommes se retrouvent donc soudain pris sous le feu des fusils ennemis. Mais Chambure a des principes : ce sont ses munitions, alors les Espagnols peuvent toucher à leur cul
Les Espagnols sont donc forts surpris, puisqu'alors qu'ils s'attendaient à ce que les Français se barrent en abandonnant les munitions... Chambure commence à méthodiquement leur péter la gueule
Peu après, le convoi arrive donc à destination, après avoir mis en déroute 600 Espagnols. D'après les témoignages, Chambure est dans un état lamentable, puisqu'il a pris des balles et coups de baïonnettes dans l'affaire façon "C'est bon les mecs, voilà les munitions, tout s'est bien passé, rien à signaler "
Monsieur de Chambure ayant bien travaillé, on l'envoie à Ciudad Rodrigo pour se reposer un peu.
Le donjon de Ciudad Rodrigo, parce que vous êtes des gens de culture.
Sauf que sur place, un terrible incident va arriver : il faut savoir que Monsieur de Chambure est de Côte-d'Or, et qu'il aime bien ce qui est bon. Et là, il se ferait bien un bon bœuf bourguignon.
"Pas possible, M'sieur de Chambure." lui répond le cuistot "Parce qu'il n'y a plus de bœuf. Le convoi de bétail a été attaqué par les Espagnols."
Quelqu'un vient de voler son bœuf bourguignon à Monsieur de Chambure. Quelqu'un va mourir
De Chambure rassemble quelques hommes et se lance à la recherche du convoi de bétail perdu. Non seulement il le retrouve, mais il revient à Ciudad Rodrigo avec :
- Les bœufs
- 40 prisonniers français libérés
- 50 prisonniers espagnols
- Les commandants espagnols qui avaient ordonné la saisie du convoi
Les commandant en question se demandent encore ce qu'il s'est passé : une espèce de taré est tombé sur leur camp l'air furieux et les a traînés jusque là sans qu'ils aient le temps de comprendre
Mais le calme ne revient pas pour autant car peu après, il se trouve que Ciudad Rodrigo se retrouve dans une situation peu enviable : les armées ennemies apparaissent à l'horizon... et viennent l'assiéger. Le commandant de la place doit absolument prévenir l'armée française qui se trouve à Salamanque. Sauf que Salamanque, c'est à 100 kilomètres. Et qu'il faut traverser une armée de plusieurs milliers de types qui ne sont pas des partisans : il y a de l'infanterie, de la cavalerie, de l'artillerie...
Aussi le commandant décide de confier le message à Monsieur de Chambure. Parce que Chambure, faut pas essayer de lui piquer ses affaires
Chambure fait une sortie avec 300 cavaliers. Les Espagnols organisent 3000 hommes pour tenter de le stopper. Un contre dix ? Déjà fait : Chambure passe. Les Espagnols ne comprennent plus trop
Tant pis : ils envoient des cavaliers à sa poursuite. Chambure et ses hommes vont les mettre en déroute. Pas une fois. Pas deux fois : non. Durant quinze heures, et sur 100 kilomètres, Chambure colle branlée sur branlée à tout ce qui s'approche. Avant d'arriver à Salamanque, avec seulement cent cavaliers, et là encore, les témoins décrivent de Chambure comme étant quasiment à poil tant son uniforme est déchiré, il a des balles dans les jambes, a pris des coups de sabre mais...
"Les copains ! Messaaaage ! "
Napoléon visitant les restes d'une armée espagnole après le passage de Monsieur de Chambure
La légende de Monsieur de Chambure qu'il ne faut pas trop titiller commence à tourner dans les armées françaises.
Mais ce n'est pas fini. Car trois an plus tard, à Dantzig...
Cette année-là, les Français sont à nouveau assiégés, loin de chez eux, dans la riante Dantzig. Et face à eux, les armées ennemies, dont principalement les Russes, décident d'épuiser les assiégés en les bombardant de nuit. Canons et mortiers ouvrent le feu, et les boulets pleuvent sur la ville. Un mortier, particulièrement taquin, fait tomber son projectile juste devant une porte. Et réveille l'occupant qui était à l'intérieur. Je vous laisse deviner de qui il s'agit.
Quelqu'un vient de s'en prendre au sommeil de Monsieur de Chambure. Quelqu'un va mourir
Les Français qui voient Chambure sortir en pétard de sa chambre pouffent d'avance : ils savent que ça va être bon
Chambure est en effet en tenue, et porte à la main une lettre qu'il vient d'écrire. Oui, le premier truc que le mec fait quand on le bombarde, c'est d'écrire une lettre. Et ce que les Russes ignorent en plus, c'est que Chambure venait à peine de mettre sur pied sa propre compagnie, constituée de 100 types sélectionnés par ses soins. La "compagnie des braves", comme il l'appelle. Chambure réunit ses hommes et annonce qu'il est temps d'aller,dire deux mots à l'ennemi, parce que réveiller les gens qui dorment, ça se fait pas.
Chambure sort. Ils sont 100. Et foncent sur la position d'où tirent les canons ennemis, tenue par 600 hommes. Un contre six, c'est limite du gâteau : 80 ennemis sont tués avant que les autres ne préfèrent se barrer. Chambure, bien que blessé au bras, reste sur place, fait enclouter les canons (ça oblige à les réparer si on veut tirer à nouveau avec) et.... dépose dans le mortier qui l'avait réveillé (ou qu'il a identifié comme tel) son courrier. Avant de rentrer dans Dantzig avec la satisfaction du devoir accompli.
D'où cette gravure :
Le lendemain, le commandant russe trouve donc dans le mortier de la position abandonnée, le courrier suivant :
Citation :
« Prince, vos bombes ont troublé mon sommeil ; j'ai résolu de faire une sortie avec mes braves pour enclouer vos mortiers : l'expérience vous prouvera qu'il est toujours dangereux d'éveiller le lion qui dort.
Minuit, 16 novembre 1813 ; un quart d'heure avant ma sortie.
Auguste de Chambure. »
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Les Russes se demandent ce que c'est que ce bordel. Le type dit qu'il ne faut pas le réveiller ? Ils se disent que ce mec bluffe, c'est pas possible
Les Russes décident de prouver à Chambure que ce sont eux les plus forts, et qu'ils réveillent qui ils veulent, quand ils le veulent. C'est couillu
La nuit suivante, une tempête fait rage. Mais cela n'empêche pas les canons russes de tirer. Ils savent très bien qu'ils viennent de réveiller toute la ville. Monsieur de Chambure va-t-il retenter une sortie ? Car ils l'attendent de pied ferme. Mais... rien.
"Vous voyez, ce Français bluffait. Il faut leur apprendre la vie, à ces rustres " déclare le commandant russe à ses hommes, très fier d'avoir remis à sa place cet arrogant petit capitaine.
C'est à ce moment exact que le commandant russe entend une énorme explosion. Derrière lui. Il découvre... que les villages où il entrepose les munitions de son armée, derrière les lignes, sont en train de cramer les uns après les autres
En effet : il a à nouveau réveillé de Chambure avec ses canons. Mais ayant bien compris qu'on l'attendant, Chambure et ses hommes ont pris des barques, descendu le fleuve en profitant de la tempête, et sont tombés sur les arrières de l'ennemi. Là, ils ont égorgé les sentinelles façon commando, avant d'attaquer les villages où se trouvaient les munitions. 2000 hommes défendaient ces villages. À un contre vingt, Chambure les remet en déroute. Avant de retourner à ses barques pour découvrir...
... que la tempête les a emportées
Chambure est bien embêté. Car comment rentrer à Dantzig à présent ? Entre lui et la ville se trouve toute l'armée russe ! Mais bon, il ne va quand même pas abandonner son poste. Alors il fait ce qu'il y a de plus simple à faire.
Il attaque l'armée russe. Avec cent mecs
Les Russes ne comprennent pas ce que c'est que ce bordel. Ils se font attaquer à revers par des mecs qui font tout pour retourner se faire assiéger. Et le pire... c'est que ça passe.
À 8h du matin, Monsieur de Chambure et ses hommes se présentent au rapport à Dantzig. Dans les deux camps, personne n'arrive à y croire
Les exploits du capitaine de Chambure remontent bien le moral des assiégés. Et mieux encore, les Russes continuent à se dire que c'est impossible, c'est de la chance. Par dix fois, ils vont retenter de réveiller Chambure. Par dix fois, il va sortir leur péter la gueule, obligeant les Russes à se calmer quand Chambure commence même à leur reprendre des positions pourtant fortifiées.
Le seul mec de l'armée que même le sergent n'ose pas réveiller trop brutalement et qui invite le clairon à jouer en sourdine.
Mais le siège de Dantzig est perdu. Et de Chambure invité à se rendre avec les autres militaires français. La défaite est là, l'empereur abdique... et tout semble terminé pour le capitaine de Chambure.
Sauf que Napoléon revient pour les cent jours
Pourtant, on n'entend pas parler de Monsieur de Chambure sur la ligne de front. Où il se passe pourtant des choses terribles. Comme par exemple... des Suisses qui brûlent un village français et pendent le maire. Pourquoi je vous en parle ? Parce que ça a des conséquences.
À savoir que quelques jours plus tard, en Suisse... un bourgmestre est réveillé en pleine nuit par la froide sensation d'un canon de pistolet appuyé contre sa joue. Le garçon a dû salir son pyjama très fort, puisqu'en ouvrant les yeux, il put constater que se tenait au-dessus de lui un certain Monsieur de Chambure. Qui avait repris du service, réuni à nouveau ses lascars, et qui explique au maire que ça va être très simple : il a un courrier pour le commandant de l'armée suisse (oui, Monsieur de Chambure n'avait jamais appris à passer par la poste). Courrier qui dit très simplement "Messieurs, vous avez brûlé un de nos villages. Comme vous le confirmera le Monsieur que je viens de réveiller, je peux rentrer quand je veux et apparaître où je veux dans votre pays. Cramez encore un seul village français et je crame tout votre putain de pays."
Les Suisses se calment en comprenant qu'ils viennent de se prendre la première version du script de Taken dans la gueule
"Je ne sais pas qui vous êtes. Je ne sais pas ce que vous voulez. Je n'ai pas d'argent, par contre ce que j'ai, ce sont des compétences particulières, que j'ai acquises d'une longue carrière. Des compétences qui font de moi un véritable cauchemar pour vous. Si vous arrêtez de cramer des villages maintenant, ça s'arrêtera là. Si vous continuez, je vous chercherai, je vous trouverai, et bon dieu, je vais tout cramer."
Les Suisses ayant effectivement entendu parler de la légende de Monsieur de Chambure, et constaté par la présente qu'il pouvait effectivement mettre ses menaces à exécution, la légende raconte que ce jour-là, ils produirent bien plus de chocolat que d'accoutumée.
Monsieur de Chambure et ses hommes décident donc de reprendre la route pour retourner en France, et à peine la frontière passée, il se passe un truc improbable : le capitaine de Chambure et sa compagnie s'arrêtent dans un village pour se faire un petit bœuf bourguignon. Sauf que le paysan qui les accueille leur explique qu'il y a un souci.
Il n'y a plus de boeuf. Tout a été volé... par les Suisses.
Quelqu'un. Cherche. La. Merde
Chambure va écrire un second courrier aux Suisses, leur disant que s'ils ne restituent pas le bétail immédiatement, il revient et comme convenu, il crame tout. Si nous n'avons pas la réponse de l'armée suisse, puisque le pays existe encore, on peut supposer que les bœufs furent retournés en France.
Mais, la guerre s'achève, et cette fois-ci, Napoléon ne reviendra pas.
Napoléon se disant que s'il avait simplement largué Monsieur de Chambure sur Londres, c'était plié.
Chambure doit s'exiler, car bonapartiste, ce que la restauration apprécie moyennement. Pour s'assurer qu'il reste loin, les royalistes décident de charger un peu la mule : ils le font condamner à mort par contumace en arguant qu'il aurait violé les codes de la guerre en dépouillant deux pauvres officiers anglais à la suite d'une bataille.
Monsieur de Chambure l'apprend. Lui ? Un voleur ? Sérieusement ?
De Chambure écrit une lettre en Angleterre, qu'il fait paraître dans le Morning Chronicle, lettre qui dit peu ou prou "Aux deux officiers anglais que j'ai capturés à telle date, je ne me souviens plus de vos noms, par contre vous devez vous souvenir du mien : je suis Monsieur de Chambure. On m'accuse de vous avoir volés. Merci de rétablir la vérité."
Les officiers en question tombent sur le message. Et écrivent en France pour expliquer ce qu'il s'est vraiment passé. Oui, une nuit, ils ont bel et bien été capturés par les hommes de Monsieur de Chambure. Oui, les hommes de Monsieur de Chambure leur ont bel et bien volé une caisse d'argenterie. Mais ils ont demandé à voir Monsieur de Chambure pour s'en plaindre, et celui-ci, en apprenant que ses hommes volaient ses prisonniers, il est devenu tout rouge. Et ses hommes, bien que non-payés depuis plusieurs semaines, ont préféré tout rendre que d'essuyer la colère du patron. Mieux encore : de Chambure a escorté les deux officiers jusqu'à un lieu sécurisé pour qu'il leur évite d'autres mésaventures du genre. Et les Anglais de conclure que sans de Chambure, ils seraient sûrement mort.
De Chambure rentre donc en France façon "J'avais cru entendre une peine de mort ? J'ai dû rêver "
Les royalistes ont dû annuler sa peine et l'ont mauvaise. Ils se vengent en le gardant bien à l'écart de tout poste. De Chambure se retrouve donc... au chômage. Sauf que cela va irriter bien des gens, dont un petit peintre du nom de Vernet, qui produira donc ceci :
Illustrant l'un des plus grands moment de sa carrière, Vernet explique qu'il est injuste qu'on n'emploie pas pareil talent. Ce qui permettra à Chambure de retrouver un poste à l'état-major en 1831. Mais pas bien longtemps : il meurt l'année suivante du choléra, ce qui est quand même ballot. Mais bon : tout ne peut pas se régler à coups d'espingole dans la truffe. Il ne laisse derrière lui aucun descendant.
Qu'en reste-t-il ? Ma foi, un tout petit truc que vous avez sûrement déjà vu de loin, amis parisiens : l'Arc de Triomphe. Allez vers le pilier est et regardez bien en bas, il est écrit "Chambure".
Maintenant, vous savez pourquoi