Plongée dans "Odysee", la plateforme de vidéos préférée des anti-vaccins
 
Entre contenus sur les extraterrestres et conseils en crypto-monnaie, on trouve désormais sur Odysee les grands noms de la sphère anti-vaccin française. Plongée au cœur de la plateforme préférée des complotistes.
 
https://www.lci.fr/societe/covid-19 [...] 07898.html

Sa mégalomanie, son caractère, voilà la faille. Ceux qui tiennent ses ficelles le savent. Quelques mois après le campus d’été, un service juridique apparaît. Une avocate professionnelle de renom, bien payée, se met à nous envoyer des tutos : « Maintenant que nous devenons une formation politique, il ne faut plus faire d’erreur sur la question juive. Il y a d’autres terminologies à employer. » Elle propose de remplacer « C’est la faute aux Juifs » par « Je n’ai rien contre les Juifs du quotidien, mon problème ce sont les élites ».
La marionnette Soral tente de jouer le jeu, répète sagement la phrase policée en journée. Mais vers 2 heures du matin, c’est le coup de feu, et le fil craque.

Je raccroche. Le cortège s’est brisé en deux. Les fachos blancs poursuivent le parcours, aux côtés de petites nanas en keffieh toutes flippées : « Non ça va trop loin, on ne va pas faire ça… » Les mecs des quartiers sont restés collés à Soral, prêts à partir en pogrom, m’empêchant de le manœuvrer.
Il faut qu’il bouge !
Soudain, j’ai une idée.
Je sais comment le faire sortir de là.
Je trace vers Soral et je crie : « La LDJ arrive ! »
Son visage se décompose : « Quoi ?! »
J’insiste : « Je viens d’avoir l’info. Ils te cherchent. » Soral se liquéfie comme du gaz et fait pshiiit, prêt à me suivre où j’irai. Je fais signe aux Dragons de l’exfiltrer : « Les gars, on sort Soral ! »
Le guide suprême nous suit en tremblant, prêt à se cacher dans le premier trou à rats. Il m’aurait dit : « C’est pas grave, on les baise », c’était foutu. Les fauves couraient vers la rue des Rosiers. Des Juifs se seraient fait attaquer par des hordes de noirs et d’Arabes. Le FN prenait vingt points.
Là, il rampe s’abriter dans un café.

Dès qu’il est sorti du cortège, la meute s’est disloquée, comme un pantin désarticulé. L’étincelle, c’était lui. Les racailles voulaient l’impressionner. Sans son énergie toxique, ils n’ont pas osé.
Au café, entouré des Dragons et hors de portée, Soral a repris des couleurs. Les veines gorgées d’adrénaline, les yeux injectés de sang, il marche de long en large en criant comme Chaplin dans Le Dictateur : « Tu as vu ? Maintenant je les baise tous ! Tous ! Ayoub, je le baise ! Farida Belghoul, je la baise ! La dissidence, c’est moi ! Qui peut ramener 50 000 personnes en claquant des doigts ? Elle va voir, Marine Le Pen ! Elle m’a toujours pris pour un con avec ses youpins et ses francs-maçons, elle va voir ! Je peux prendre le pouvoir ! Maurras n’a jamais fait ça. 50 000 personnes criaient mon nom ! Quand on aura pris le pouvoir, on va faire un service comme les SA. Et on les butera tous, ces enculés ! Tous ceux qui se sont foutu de ma gueule ! On va buter Marc George, ce petit fils de pute. On va buter Louis Aliot ! Marc-Édouard Nabe, aussi, on le bute ! Hector Obalk, on le bute ! Tu vas voir les images sur TF1 et sur France Télé ! Ardisson, il va voir ce qu’on a fait ! »

Sa saillie me pétrifie. C’est son moment de vérité. Ce torrent de noms dit tout de lui. Il ne cite que des gens qui ne l’ont pas assez admiré ou qui n’ont pas cru en lui. Il vient de faire crier « Juifs ! Juifs ! » dans les rue de Paris et il pense encore à Hector Obalk, l’historien d’art invité sur le plateau d’« Apostrophes » en 1984 ! Son désir le plus cher, c’est que ces images passent à la télé pour qu’Ardisson puisse les voir. Un Führer en carton. Un nazi de Saint-Germain-des-Prés. Pathétique. Et qui a perdu ses vidéastes !

Soral déteste se faire voler la vedette, et en veut à ses alliés. À Dieudonné, il reproche son imprudence : « Il s’est fait griller et nous a coupé l’herbe sous le pied pour Jour de colère 2 ! » Avec Farida Belghoul, c’est carrément la guerre. Soral la traite de tous les noms, de « putain de bougnoule », de « tartuffe » vivant avec une nonagénaire. Il menace de sortir l’info.
Ces deux-là n’ont pas été durs à fâcher. Avant même Jour de colère, j’ai croisé Farida Belghoul lors d’une conférence à Lyon. Son mouvement marchait bien, elle n’avait plus besoin d’Égalité & Réconciliation et pensait déjà à les lâcher : « Ce sont des manipulateurs, ils se croient malins, mais on va leur faire à l’envers. C’est une merde, Soral. Dans l’organisation il y a des gens sympas, mais lui c’est une merde. » Pas besoin d’insister pour l’éloigner. La perquisition achève de la convaincre. Elle annule une conférence à Nantes avec Soral en envoyant ce message : « Je préfère prendre mes distances. 650 000 € c’est un scandale. » Les insultes fusent. Aux injures de Soral, Belghoul répond : « Vous êtes des escrocs. Nous, on est purs. » Un peu flippée tout de même, elle me demande de la prévenir si Soral décide de s’en prendre à elle. Je la tranquillise.
Son Pacs avec une nonagénaire finit quand même par fuiter dans la presse. Ce qui la coupe de tous ses alliés homophobes, l’essentiel de ses troupes.

Tous leurs petits secrets commencent à s’éventer. L’un après l’autre. Ils ne sont pas beaux à voir en caleçon, eux qui donnent des leçons à la terre entière.
 
Au moment où je traque la moindre faiblesse, le ciel s’ouvre en deux sur une faille gigantesque. Quelques jours après Jour de colère, je reçois un message vocal affolé de Soral. Ce qu’il ne fait jamais : « Mathias, il faut absolument que je te voie, c’est urgent ! »
 
Sa convocation tombe mal, pour changer. On prévoyait de partager la galette des Rois avec les enfants. Le mois de janvier a été fou. Je n’ai toujours pas eu le temps, j’ai promis à Prissi de me rattraper. Le message de Soral chamboule tout. À 18 heures, je sors de la maison pour l’appeler. Sa voix tremble : « Viens à la maison, j’ai un gros souci, je t’envoie l’adresse par texto. Il faut absolument que tu viennes. » Il ne m’a jamais invité chez lui. Ça doit être grave. Ce qui redouble ma curiosité.
 
Je remonte prévenir ma femme que je dois y aller. Elle explose : « Il n’en est pas question. On a tout prévu. J’ai acheté la galette. Tu restes et tu y vas après ! » Je n’ai pas le temps ni les mots pour lui expliquer. Soral ne fait jamais ça. Il se passe quelque chose. Je dois y aller. C’est tout ce que je lui dis : « Désolé. Je n’ai pas le choix. Je dois y aller. Si ça se trouve, je reviens à temps pour le dîner. » Son regard me glace, mais je dois y aller.
 
Trente minutes plus tard, me voilà sur le palier de son duplex, au dernier étage d’un immeuble bourgeois à Saint-Germain-des-Prés. La porte s’ouvre sur un Soral en larmes et en peignoir.
 
— Je suis foutu !
 
La dernière fois que je l’ai vu, c’était Jour de colère, en mode Führer aux JO de Munich. Là, c’est plutôt le moment du bunker, et il est en chaussons.
 
Son appartement est immense, avec une déco bobo-branché. Très peu de babioles nazies. Surtout des photos de lui et des dessins de Zéon. Je cherche le canapé rouge qu’on voit sur toutes ses vidéos. En réalité, depuis qu’il a déménagé, il l’a transporté dans un autre lieu qui lui sert de studio. Pour faire croire qu’il vit toujours modestement. Effondré sur son vrai canapé, sous un très haut plafond, Soral chouine, désespéré. Je lui demande ce qui lui arrive.
 
— Je suis foutu, tu ne comprends pas ! Je vais tout perdre, à cause d’une connasse !
 
— Quelle connasse ?
 
— Une voilée !
 
— Elle a des infos compromettantes sur le mouvement ?
 
— Mais nan, tu comprends pas… Elle a une vidéo de moi, putain !
 
Soral me lâche le morceau, cash comme à son habitude. Et je comprends enfin qu’on le fait chanter avec l’enregistrement d’un Skype perso, très perso même, de lui en action. Mon cerveau imagine la scène. Et ce que je pourrais en faire.
 
— C’est relou.
 
Ma sollicitude doit sonner faux. Soral dégoupille.
 
— Bien sûr que c’est relou ! Je me suis fait piéger sur Skype par une petite pucelle ! Elle menace de les montrer à tout le monde ! Les bougnoules, s’ils me voient à poil, je suis foutu ! Je perds tout : les bougnoules, l’Iran, la Russie, tout le monde, je deviens la risée ! Ils ont déjà réussi à piéger Dieudonné, il y a les Services derrière ça, c’est sûr. Je suis foutu !
 
Et c’est à moi qu’il demande de l’aider…
 
Ne surtout pas sourire. Poser sa main sur son épaule.
 
— Qu’est-ce que tu veux que je fasse, Alain ?
 
— J’ai son nom, son numéro et son adresse, à cette pute ! Il faut absolument que tu récupères cette vidéo. Tu la butes, tu fais ce que tu veux, mais tu la récupères sinon je suis mort. Et si je suis mort, Égalité & Réconciliation aussi. Ils ne me survivront pas. Le mouvement, c’est moi !
 
Je l’apaise.
 
— Donne-moi l’adresse, je vais gérer.
 
À ce moment, je domine totalement Soral, perdu comme jamais. Il me sort la photo de la fille.
 
Je découvre une gamine, entre 16 et 18 ans, effectivement voilée. Calmement, je note son adresse, dans le Nord, près de Lille. C’est là que je trouverai une vidéo qui peut faire exploser Soral, sa boutique et son projet. Ma porte de sortie. De quoi tenir la promesse faite à Jo et Valentin, et à Prissi. Je n’ai qu’une idée : me mettre en route.
 
Juste avant de partir, Soral s’accroche à moi.
 
— Tu ne le dis à personne, Mathias ! Il faut absolument que tu récupères ça !
 
— Ne t’inquiète pas, je vais le récupérer.
 
— Si tu as besoin d’argent, d’une équipe, je suis là, ok ?
 
— T’en fais pas.
 
Il entre en hystérie. Une fontaine hurlante.
 
— Parce que j’en ai marre, je suis en train de craquer, je fais des trucs pour mon pays et une petite pute veut me faire tomber ! Je ne peux pas tout perdre ! Il faut que tu récupères ça !
 
Je n’arrive pas à ressentir la moindre compassion pour cet homme et sa boutique. Je promets de retrouver cette vidéo. J’en ai bien l’intention. Je n’arrive pas à faire plus, ni à le consoler. Je tourne les talons pour dévaler les escaliers, un sourire éclatant aux lèvres. Cette vidéo de Soral, c’est mieux que 650 000 euros sous un matelas ! De l’or en barre. Je dois absolument mettre la main dessus.

 
Il est trop tard pour la galette des Rois. Prissi a tout débarrassé. Les enfants sont couchés. Elle aussi. Je me glisse sous les draps en priant pour ne pas la réveiller. Elle fait semblant de dormir. Je sens qu’elle est fâchée. Et je n’ai plus la force de l’affronter.
 
Ma seule façon de la reconquérir, c’est d’en sortir au plus vite. Le lendemain, je lui laisse un mot : « Je dois faire l’aller-retour sur Lille. Je t’expliquerai. »
 
Mon pote Clovis, celui qui m’a tout appris sur les faux crédits, accepte de m’amener en voiture. On roule vers le Pas-de-Calais, en se racontant nos vies. Je m’aperçois qu’elles n’ont plus rien à voir. Dans ma période débrouille, on se voyait beaucoup, on partageait tout, les mêmes délires, les mêmes combines. Clovis court toujours après les licornes. Moi, je cours après une sextape de Soral. Pas facile à expliquer. Comme avec Prissi, je ne sais pas par où commencer.
 
En chemin, je réalise que je n’ai pas prévenu Antoine.
 
C’est mon affaire, désormais.
 
Arrivés en banlieue de Lille, j’envoie un texto à la fille. « Descends, c’est Mathias Cardet, je suis en bas de chez toi, ne t’inquiète pas, il ne t’arrivera rien. »
 
Je reçois un message paniqué : « Non, je ne descends pas. Si c’est Soral qui t’envoie, je vais appeler la police. » Je l’appelle. Elle refuse de décrocher. Je renvoie un texto : « Je suis dans telle voiture en bas de chez toi, si j’avais voulu faire une dinguerie, je serais monté, je serais allé voir tes parents. »
 
Bonne pioche. Elle accepte de venir me parler.

Je sors de la voiture et je vois arriver une enfant. Physiquement, il n’y a pas de grande différence entre elle et ma fille de 13 ans. Écœurant. J’essaie de la mettre en confiance.
 
— Écoute, je ne vais pas te faire de mal. Je ne m’appelle pas Mathias Cardet, je travaille pour les flics. Je ne suis pas là pour faire une dinguerie. Je sais que tu as une vidéo sur Soral…
 
— Mais non…
 
— Arrête de mentir. Soral m’a appelé. Tu connais ma réputation sur les réseaux. Il m’a demandé de venir te secouer. Il fera tout pour la récupérer. Avec moi, il ne se passera rien, je te protège. Mais si tu as une vidéo, il faut me la donner.
 
— Je ne peux pas.
 
Cette gamine me rend chèvre. J’en viens à la supplier.
 
— S’il te plaît, il faut me la donner. Ce mec, c’est un fils de pute. Il t’a fait du mal, il fait du mal à un tas de gens. Il est dangereux. Ses potes sont dangereux. Ils se moquent de toi, de vous. Tu sais comment Soral vous appelle, les voilées ? « Les petites putes. » Dans votre dos, il pactise avec des nazis. Il faut l’arrêter. Donne-moi cette vidéo. Je vais le tuer avec ça. Personne ne t’embêtera plus, pas même la justice.
 
La fille me regarde. Et m’achève.

— Je ne peux pas te donner cette vidéo. Y a pas de vidéo !
 
Mon cœur cesse de battre.
 
— Comment ça ?
 
— Ce connard m’a trompée ! Dans une vidéo, il raconte qu’il a une meuf. En fait, il a plein de meufs. Alors pour le faire chier, j’ai dit que je l’avais enregistré !
 
À ce moment précis, malgré son âge, je pourrais gifler cette gamine. Elle se fiche totalement d’avoir flirté avec un nazi. C’est même pour ça qu’elle le kiffe. Tant pis si le voile qu’elle porte est en totale contradiction avec cette liaison hors mariage. Non, vraiment, ce qui la choque, c’est d’avoir été trompée ! Et moi, comme un con, je lui ai tout déballé ! Je n’ai rien en échange pour me protéger, aucun enregistrement. Si elle parle à Soral, c’est mort. Heureusement, elle n’a rien pigé. Et pleure sur son sort.
 
— Si mes parents l’apprennent, si mes frères savent, je suis foutue, me dit-elle en tremblant. Je peux aller m’excuser auprès de Soral si tu veux…
 
— Surtout pas, dis-je. Tu vas lui envoyer un message que je vais te dicter : « Mathias Cardet est passé. C’est bon, j’arrête, je ne veux plus jamais avoir affaire à toi. »
 
Elle l’envoie devant moi. Au mot près.
 
Soral m’appelle juste après :
 
— C’est bon ? Elle a compris, cette pute ? Et la vidéo, tu l’as ?
 
— Ne t’inquiète pas, j’ai tout détruit.
 
— Mais tu l’as récupérée ?
 
— Y’a rien à récupérer. J’ai niqué le disque dur de son ordi.
 
Soral respire et s’emballe.
 
— Très bien ! J’espère qu’elle a compris, cette pute ! Fous-lui deux, trois tartes de ma part !
 
Je lève les yeux au ciel. La gamine rentre chez elle. Et moi sur Paris, dégoûté. En ramant pendant des jours pour que Prissi cesse de me fusiller du regard.
 
Je pensais tenir la faille et ma promesse. Au moins, je sais où chercher.
 
Jusqu’ici, je n’avais pas imaginé qu’il était assez fou pour se laisser aller devant une caméra. À partir de là, je comprends qu’il est capable de tout. Et qu’on peut le coincer. Valentin compte sur moi : « Il faut que tu sois patient, accumule les preuves. Quand tu frappes, porte un coup fatal. Dès que tu auras frappé, ils comprendront. »
 
Antoine me relance parfois : « Tu n’as pas d’infos ? Pas besoin de sous ? »
 
Les sous, je m’en fiche. Ce que je veux, c’est me les payer.
 
 

CHAPITRE 25
Bras d’honneur
Soral n’est pas fichu, loin de là.
 
Il s’apprête à parader à un Congrès de la dissidence à Bruxelles, en compagnie du gratin de la planète conspirationniste : Laurent Louis de Debout les Belges, Hervé Ryssen, Kemi Seba. Sa boutique tourne comme jamais. Kontre Kulture vend à mort. Des sportifs l’adulent. La vedette de téléréalité, Mickaël Vendetta, lui écrit des petits mots. Tombé par hasard sur lui dans les rues de Biarritz, le rappeur Morsay l’accoste pour le féliciter et lui demander un selfie. C’est pourtant l’incarnation même de l’« islamo-racaille » que vomissait Soral dans ses premiers livres, avant de changer de crémerie et de prôner le Front de la foi. Là, ils posent ensemble, tout sourires, en mode frères d’armes.