bon, je suis fatigué. POUR TOI SHERATAN un chap transitionnel un peu lourdingue pas trop planant. Mais fidèle au principe, j'exhume de la malle brut de fonderie ! (drôle, un anneau + une histoire de plume forets gump? mais d'ou çà venait HI HI HI)
CHAPITRE 5
La licorne noire
Une bourrasque plus violente que les autres releva brusquement le pan de la cape du chevalier Pheder sur ses reins, ce qui lobligea à se courber sur lencolure de son cheval. Le vent redoublait dardeur et des tourbillons se prenaient en sifflant dans les troncs darbre. Des milliers de feuilles jaunes séchappaient sans but vers les nuages menaçants. Une pluie de ces fragiles écus saccrocha un bref instant sur la pèlerine orange, lornant dune multitude de broches magnifiques. Le chevalier évitait de penser, stratagème quil pensait efficace pour contrer laction des djinns facétieux, mais ce faisant il perdait peu à peu la notion du temps. Lenvironnement restait toujours le même : des arbres gigantesques et innombrables à perte de vue. Il sarrêta soudainement, perdu au milieu de cet assemblage chaotique. Son but fixé dès le départ, la « roche aux loups », guidait son itinéraire imprécis, mais entre les hauts piliers des troncs millénaires il ne parvenait plus à sorienter. Pour toute arme il ne possédait quun arc jeté sur son épaule car il avait refusé lépée de son père, lançant une fanfaronnade oiseuse à propos du sabre, mais cétait à lévidence une erreur stupide. Lépée serait certainement plus efficace en cas dattaque surprise dun fauve, comme instrument idéal du combat rapproché.
Le sabre dOberayan qui lavait sauvé de lattaque mortelle dUshidi, le mettait à présent au milieu de dangers peut-être plus graves que les ours. Il sarrêta et libéra Ramej. Celui-ci caracola un instant alentour, hennissant de reconnaissance. Depuis leur intrusion dans la forêt, une inquiétante et soudaine protubérance sétait mise à pousser sur le chanfrein de la bête. Létrange tumeur, dure au toucher, ne semblait pas douloureuse et ne paraissait pas incommoder le cheval outre-mesure. Assis, inerte, calé dans la fourche racinaire dun grand pin, Pheder attendit la crise car une angoisse soudaine, sans doute façonnée par le poids du tabou, venait soudain de le saisir. Dans un geste qui devenait de plus en plus cérémoniel, il ouvrit le bijou dargent de son inconnue, habitué pourtant aux récents silences du portrait de cire. Il attendit malgré tout, non sans un peu de crainte, car bonne magie et noire sorcellerie se mélangent parfois, faces doubles et opposées dun même phénomène, théurgie qui élève les âmes et goétïe qui rabaisse lhomme, lune bonne et chérie des ancêtres, lautre mauvaise et uvre des djinns démoniaques.
Il mit au jour la cache renfermant la petite mèche de cheveux. Celle-ci shumidifiait toujours de ses larmes et Pheder constata au toucher que les minces faisceaux charbonneux refusaient de sécher. Pheder claquait des dents comme sil avait froid, bien que la paume de sa main, sous laction étonnante de la mèche, se réchauffa et commença à linonder dune tiédeur bienfaisante, pendant quune discrète odeur de menthe effleurait ses narines. Rasséréné, il se releva plein dénergie, la force de Moud sur lui et sa main sur sa route. Inexplicablement, alors quil venait de goûter avec amertume les affres empoisonnés du découragement, il chevauchait à présent hardiment, le cur rempli dune immense exaltation. Si Obyn voulait le dévorer, il se sacrifierait sans regret puisquil serait mort pour récupérer le sabre dOberayan, (noble cause sil en fût ! ), emmenant avec lui directement au paradis de Moud, lObere céleste, larme sacrée et son précieux bijou. Même si la jolie femme du portrait ne réapparaissait pas et taisait son impossible message, il lui semblait quelle lui rendrait la mort plus douce... Voyant que le cheval estimait lendroit, Pheder décida dy bivouaquer pour dormir. Avant dhabiter la nuit dObyn la maléfique, il alluma un grand feu et sallongea sur le sol en ramenant sur lui sa cape pour se protéger de lhumidité nocturne, puis il posa sous sa tête un coussin de mousse.
Dans le cours de la nuit, jusquici paisible, il ouvrit les yeux brusquement, car des chuchotements curieux séchappaient de deux formes quil devinait plus quil ne voyait, dans la clarté encore vive de son feu. Peu à peu il découvrit deux petits nains minuscules, à peine hauts comme ses bottes, et qui se chamaillaient en gesticulant. Les petits êtres verts, du vert des grenouilles, ouvraient de grands yeux globuleux, et portaient à leur cou des colliers de grelots quils agitaient frénétiquement. Les plus hardis se tenaient devant le visage de Pheder, toujours allongé. Ce dernier, au comble de la stupéfaction, regardait avec étonnement ces deux djinns incarnés et bavards qui se disputaient sur la conduite à tenir en manipulant de minuscules javelots, et lon distinguait une petite fronde qui pendait à leur ceinture.
Les gnomes secouaient toujours leurs grelots, donnant limpression de communiquer ainsi entre eux; mais ils nétaient pas muets car Pheder entendait leur petite voix aiguë et criarde. Celui qui paraissait le plus âgé remua fortement son collier de grelots devant le nez de son compère de toute la force de ses petites mains vertes et poilues. Ny tenant plus, Pheder se releva brusquement en effrayant les gnomes, qui se ruèrent brusquement dans les fougères en piaillant. Attentif à lobscurité environnante, Pheder se frotta les yeux, constatant que la nuit, la forêt se montrait paradoxalement plus bruyante que dans la journée. La chouette surtout présidait de ses hululements sporadiques ce théâtre nocturne. Le jeune seigneur attisa de son souffle la flamme renaissante de son maigre foyer. Il prêtait loreille à une multitude de ricanements moqueurs qui se répercutaient dans la nuit en se rapprochant. Pheder en déduisit que les gnomes revenaient en force, car les cris saccompagnaient de centaines de petits pas feutrés piétinant le tapis végétal.
Dans la clarté dansante des flammes, Pheder napercevait que les branches des arbres les plus proches, dont certains dardaient déjà vers la lune, en cette fin dété, leurs moignons dhiver. Soudain il aperçu en tournant la tête une armée de gnomes jacassant, semblables aux autres, plus nombreux que des fourmis, brandissant leurs courts javelots et hurlant deffroyables gargouillis vocaux. Le tintement des grelots devint infernal. Les gnomes verts sortirent leurs frondes et Pheder se protégea dune pluie de petites pierres coupantes quil réussit par miracle à esquiver. Il ressentait les sifflements des projectiles comme une vraie menace et comprit lurgence de sauver sa vie, car les pierres éclataient à présent de toute part sur les troncs, démontrant sans équivoque leur dangereuse efficacité. Pheder enfourcha prestement létalon noir, piétinant à mort la marée des lutins belliqueux. Grâce aux ruades énergiques de Ramej, les petites sagaies qui venaient de remplacer les frondes ne latteignirent pas, mais en faisant bondir sa monture pour senfuir, un déferlement de courtes flèches blessèrent le cheval affolé qui rua prestement.
De toute la puissance de ses jarrets, ce dernier sengouffra prestement dans le puits ténébreux des taillis de la forêt dObyn. Lancé dans un dangereux galop, le cavalier ne parvenait pas toujours à éviter les branchettes qui lui fouettaient le visage et il sentait des gouttes de pluie glacée traverser sa tunique. Enfin, il se retourna au bout dun moment, estimant avoir distancé ses curieux agresseurs. Prenant le pas, il saperçut que Ramej soufflait bruyamment, montrant des blessures sérieuses. Descendant de cheval il toucha les naseaux brûlants de celui-ci et retira trois fléchettes de sa croupe, devinant la présence dun poison, peut-être mortel. Rapidement il senquit dun bouquet de saule pour y attacher sa monture, mais comme il lavait prévu le cheval sécroula dun coup en hennissant. En caressant la tête du cheval qui respirait avec difficulté, Pheder remarqua que lespèce de bosse qui poussait en torsade sur son front avait encore grandi pour devenir une véritable corne. Perdu dans le grand labyrinthe végétal où les plantes et les arbres nétaient plus que lombre deux-mêmes, Pheder saccroupit en maudissant les djinns, quémandant labri précaire dun peuplier qui trembla dindignation. Lendroit regorgeait dhumidité et couvrait toute chose dune terre grasse et collante qui alourdissait les bottes du jeune homme. Il ne pouvait se résoudre à abandonner son cheval, lequel remuait à présent faiblement la tête, les yeux exorbités. Le chevalier se couvrit entièrement le corps de sa lourde cape, dun revers frileux de sa main gauche, il sempara ensuite de son arc de sa main droite et sendormit jusquà laube qui lappela dans la même position.
Le lendemain Ramej semblait guéri et broutait tranquillement un bouquet dherbes tendres. Lil de Moud luisait dans lil de la bête et seules les trois petites plaies sanguinolentes témoignaient encore de lattaque des gnomes. En sassurant que le cheval se portait vraiment bien, Pheder remarqua la taille impressionnante de la corne effilée dont la croissance paraissait à présent terminée, et qui avait poussé dans la nuit sur le front de sa bête : Ramej nétait pas un cheval normal mais un exemplaire de lespèce des licornes, toutefois aussi noir que les bêtes de légendes quon prêtait aux Elfes, dans le livre de Moud, étaient dune blancheur immaculée! Pheder admit quil ne connaissait pas lorigine exacte de sa monture, en tout point si étrange et magnifique, car les bûcherons qui le lui donnèrent avaient récupéré le poulain errant isolé dans les bois dUkbar.
Pheder flatta lencolure du superbe et extraordinaire animal, tout à sa joie de cette quasi-résurrection, puis il admira longtemps lappendice torsadé de létalon qui en faisait une bête totalement fantastique. Ensuite, il remarqua dans le jour naissant une petite colline en partie masquée par la brume, et décida de reprendre son périple dans cette direction. De nombreuses averses revinrent troubler la matinée. Pheder attendit le zénith pour voir le soleil réapparaître, alors que la chaleur évaporant lhumidité du feuillage dObyn rendait lair environnant lourd, étouffant. Un orage éclata brusquement pendant quun éclair bleu fendait lespace ouaté de filaments embrumés. Dans le ciel soudain effrayé, les djinns aériens prenaient le sentier de la guerre, cernant le chevalier du roulement lugubre de leurs tambours. Malgré le risque de foudre, il grimpa sur la plus haute branche dun vieux chêne. La joie sincère quil exprima en cet instant chassa dun coup lorage et faillit presque le déséquilibrer : devant lui soffrait la « Roche aux loups »...
Le piton rocheux se rapprochait singulièrement et Pheder remercia lil de Moud pour lavoir maintenu dans la bonne direction. Jamais aucun homme ne sétait vanté davoir examiné larête granitique dune telle proximité et cette vision méritait à elle seule davoir vaincu la nuit dObyn. Un couple daigles nichait au sommet de la roche. Les majestueux rapaces sifflèrent en planant au-dessus du perchoir de Pheder, indiquant peut-être lapproche imminente du sabre des ancêtres, puisque le totem dOberayan veillait sur lui. Des grognements furieux se firent entendre à la base du tronc et Pheder se pencha pour apercevoir son cheval qui tirait furieusement au renard sur sa longe. Il voyait la bête prise de panique ruer en hennissant de terreur et vit une meute de loups affamés bondir en direction de Ramej furieux, prêt à mener un dur combat. Sans attendre, Pheder fit glisser son arc sur son avant-bras et dégagea une flèche de son carquois dorsal. Il visa posément et tua net un premier loup, aussitôt déchiqueté par ses frères enragés. Leurs rugissements jaillissaient à travers les canines claquantes. Pheder décocha une seconde flèche, supprimant un deuxième loup. Ce nouveau repas nempêcha pas trois féroces mâles, visiblement affamés, de continuer à harceler le cheval, bondissant tour à tour pour atteindre sa gorge.
Les hennissements de Ramej baissaient dintensité et le mouvement incessant des animaux noffrait pas de bonnes cibles à Pheder qui risquait de blesser sa propre monture, déjà éprouvée par lattaque brutale des gnomes nocturnes. En descendant sur une branche plus basse, de façon à obtenir une meilleure vision, son collier magique saccrocha aux fines et tentaculaires ramilles. Le porte-camé tomba vers le sol en ricochant sur les branches pour atterrir au milieu des combattants, et la mèche de cheveux se mit à tournoyer en virevoltant dans les airs, car le bijou sétait ouvert dans sa chute. Une étrange odeur de menthe sinstalla aux milieux des combattants, paralysant les loups un court instant. Le cheval devenu licorne le mit à profit pour percer de sa corne le flanc offert de ses assaillants, sacharnant sur les fourrures sanglantes des deux derniers loups qui restaient en lice. Quand tous les loups furent enfin hors de combat, Ramej secoua sa splendide crinière noire en caracolant sur place pour marquer son triomphe. Le chevalier sauta dune dernière branche pour se mettre immédiatement à la recherche du bijou dargent. Ne le trouvant pas, une immense angoisse se mit à grandir en lui. il sagita dans tous les sens, fouettant les ronces dun solide gourdin, scrutant intensément les fougères autour des cadavres des loups, dont les pause grotesques attestaient une mort brutale. Il récupéra ses flèches une à une, en les essuyant sur le sur le pelage sale des animaux faméliques, lhiver dObyn pourtant encore lointain apprenait déjà, avec un peu davance, à tous ses habitants ses premières exigences. Toutefois, le collier restait toujours introuvable. Cherchant encore, il le vit enfin miroiter au soleil et sen saisi respectueusement pour le nettoyer, car les sabots de Ramej avaient sauvagement pétri lherbe tendre en une vaste flaque de boue. Heureux de remettre la main sur son précieux talisman, Pheder constata labsence de la mêche de cheveux, pour sintéresser subitement à un étrange phénomène. Évidemment contrarié par la perte des cheveux il allait fouiller les environs, quand une petite plume blanche de colombe en suspension se montra devant son nez. La voix magique du collier lui enjoignit de suivre cette plume qui ne se posait jamais, comme si elle ignorait la dictature de la gravitation, qui fait tomber invariablement les êtres et les choses. Curieusement, dans son sillage on décelait un fin parfum de menthe, et la voix douce de la belle inconnue prodiguait toujours ses encouragements. Soudain elle se tut et le silence dObyn se fit écrasant. Saisissant rapidement la plume qui volait en face de lui, il la dressa dans la lumière. Dans léblouissante clarté du soleil, qui lobligea à plisser les paupières, il lâcha un instant la plume qui séleva très haut dans le ciel.
Décontenancé par cette perte, Pheder attendit un long moment avant de voir tout à coup une colombe se poser près de lui sur la basse branche dun saule. La blancheur du volatile sépanouissait sur le fond des bruyères et regardait Pheder en roucoulant. Ce dernier resserra les sangles de la licorne pour reprendre sa route. La colombe voleta sur place en battant lair de ses ailes immaculées, et Pheder décida de la suivre, car elle prenait la direction approximative de la «Roche aux loups» qui restait sa destination, en dépit de tout. Loiseau le précédait dun vol gracieux et planant, freinant ses descentes de sa large corolle antérieure. De temps en temps il se posait sur une branche pour attendre le chevalier et sa monture. Si Pheder ne marquait pas de halte, il estima que son paisible guide lamènerait rapidement à la « Roche aux loups ». Le singulier cortège arriva enfin à lorée dune clairière ensoleillée ou la colombe, posée sur une grosse pierre écarta ses ailes en roucoulant.
Sans prévenir, un javelot traversa le petit corps de loiseau pour aller se planter dans le sol, entraînant sa malheureuse victime. La longue sagaie navait fait aucun bruit. Alerté, Pheder regarda le gracieux volatile planté sur la lance, mais par chance lui-même navait pas encore surgit dans la clairière et resta prudemment à couvert. Saisissant prestement son arc, il se glissa sans bruit dans un buisson de chèvrefeuille très touffu. Le jeune homme observait son petit guide empalé sur la sagaie trempée de sang et sa fureur monta en lui à cette vue. Prudemment, il encocha sans attendre une flèche sur la corde de son arc, attentif à la suite des événements. Un homme extraordinairement tatoué sortit alors de la forêt en trottinant, sapprochant de la colombe quil venait doccire. Il la prit dans sa main, récupéra sa lance et, satisfait, attacha loiseau à la ceinture de son pagne en peau de renard sans lequel il aurait été nu. Grand et puissant, ses cheveux bouclés tombaient sur un dos large et musclé. Il sapprêtait à retourner sur ses pas et Phéder était partagé, devait-il se découvrir et surgir de sa cachette pour héler létrange inconnu, où décocher sa flèche sans attendre ?. Bien que la perte de la colombe lalimenta dune vilaine colère, il résolut dappeler lhomme. La surprise de lautre fut énorme. Immédiatement, létranger plongea dans les genêts pour disparaître de la vue de Pheder, laissant comme témoignage de sa présence un faible bruit de feuilles froissées. Le javelot qui venait de prendre la vie de la colombe se ficha bientôt dans le tronc dun sapin proche de Pheder, corde tendue, prêt à tirer. Croyant apercevoir lhomme, il décocha rapidement, mettant en pratique la science dUshidi. Un cri de douleur fit brièvement résonner la cathédrale végétale, suivit du bruit mat de la chute dun corps. La flèche empennée de rouge venait datteindre son but. Pheder restait attentif aux bruits des fourrés, mais seul un rossignol égaré sautillait dans les branches de cerisier larmoyantes de sève. Lhomme devait heureusement être seul, songea Pheder, en prenant pour sapprocher dextrêmes précautions, pour découvrir le ravisseur de sa colombe, sa flèche plantée au milieu des épaules. Le jeune seigneur reprit celle-ci en récitant la prière des morts du Livre de Moud. Le sang coulait comme une araignée cynique sur les omoplates du défunt, dont la tête sculptée de rides féroces, plongeait dans un fouillis de longs cheveux bouclés. Une barbe touffue cachait un menton percé dune griffe dours. Pheder laissa là sa macabre inspection pour regarder la colombe, toujours fixée au pagne de lhomme. En regardant attentivement il remarqua un anneau dor qui baguait loiseau à lune des petites pattes raides. Il sempara de la bague qui changea alors miraculeusement de diamètre dans la paume du jeune homme ébahi, lui permettant de la glisser à son index gauche où le bijou, griffé dusure, sadapta parfaitement. Il reconsidéra le cadavre de lhomme dont les bras révélaient détranges tatouages circulaires, se demandant ou pouvait vivre cet inconnu. Soudain, il réalisa quil venait de tuer un troisième être humain après lamazone dUkbar et Ushidi lui-même, cela lui laissa un goût amer dans la bouche, même sil devinait que lautre ne lui aurait laissé aucune chance. Il reconnaissait toutefois que sa présence insolite au milieu dObyn le rendait anormalement fébrile, esseulé au milieu de ce sombre chaos, dans l'immensité si justement taboue de cette forêt pétrifiée d'elle-même. Ce meurtre ne faisait que rajouter à son malaise. Faisant taire plus avant ses réflexions, il reprit sa route, chevauchant droit devant lui, délaissant pour linstant lanalyse de ces nombreux mystères, sa cape orange enroulée sur la croupe de Ramej, qui sétait débarrassée du velours recouvrant sa corne unique, laquelle témoignait à présent dun ivoire parfait.
Dans les dernières chaleurs de la saison, il méditait sur lattitude de plus en plus distante de son curieux cheval, pourtant jusquà présent dune solide fidélité. Alors quil approchait de la «Roche aux loups», la licorne profitait des bivouacs pour ségarer dans les chemins empruntés par les cerfs, fuyant dans le mur vert comme sil sélançait à la recherche de quelquun ou de quelque chose; puis elle réapparaissait un plus loin, en toute fantaisie. De plus, Pheder remarqua que son coursier ne broutait plus, cessant même carrément de salimenter, sans pourtant en souffrir ni maigrir, continuant juste de fouler fidèlement sa piste imprécise. Le lendemain matin le seigneur dUkbar se retrouva seul; la licorne noire, perdue dans son silencieux dialogue intérieur, avait rejoint sans doute son but inconnu des humains.
Désormais Pheder confiait sa vie à ses uniques jambes, gardant toutefois son arc et ses flèches, et son sentiment de solitude alourdissait le poids du carquois dans son dos. Il cessa dappeler Ramej, comprenant quil avait perdu létalon cornu. Au fil des heures, Pheder prenait subitement la décision, sans motifs apparents, dentamer une course folle au milieu des sapins coalisés en armée dun vert sombre et qui remplaçaient peu à peu les cerisiers sauvages. Après de nombreuses haltes, il hurla sa joie, car il arrivait au pied de la «Roche aux loups» ! Son cri de triomphe réveilla les aigles du rocher qui senvolèrent dans le ciel, sifflant des reproches indignés. Larc en balancier sur lépaule, Pheder parvint à la base du roc béni, mais la recherche du sabre perdu nétait pas évidente, au milieu des ronciers et des ajoncs pleins dépines qui habitaient les lieux. Un long reflet brillant attira un moment son attention sur le triangle que formaient trois immenses peupliers. Il sapprocha deux guidé par la lueur...
Au pied dun arbre, à la pointe de ce triangle, un squelette dhomme en arme se ramassait lugubrement sur lui-même. Le grand trait de lumière qui lavait intrigué était provoqué par le reflet du soleil sur un grand javelot dor planté dans le sol à quelques pas des ossements. Le chevalier sapprocha de sa sinistre trouvaille; sur le radius blanchâtre saccrochait encore un large écu dargent presque pur. Le crâne, quant à lui, se protégeait par un casque du même or que la lance. Au comble de létonnement, Pheder aperçu le sabre des ancêtres profondément enfoncé dans la charpente des côtes du squelette. Il dégagea prestement la lame sacrée de sa prison thoracique et lexamina attentivement pour constater quelle possédait toujours son fantastique tranchant. A la question muette quil lui posa, le mort sembla approuver, indiquant que le sabre lavait tué. A coté, comme délaissé, Pheder reconnu le fourreau noir gravé du nom de Moud. Il saisit le javelot, étonné de sa légèreté, car il pensait trouver un pieu trop lourd. Le projetant par jeu sur le tronc dun épicéa, la pointe se ficha docilement dans lécorce et Pheder décida aussitôt de garder la lance, dexcellente facture. Sous le seul aspect défensif elle lui serait utile pour son retour, en cas de rencontre inopportune. Considérant la matière de ce javelot Pheder su quil tenait dans ses mains une petite fortune. De même, le bouclier dargent brillait dune égale splendeur. Au moment où Pheder le tira à lui, le squelette se coucha dans la mousse en se disloquant; le casque dor gravé de signes mystérieux, roula un instant dans lherbe sur lui-même en libérant le crâne grimaçant.
Faisant une fois de plus taire ses interrogations vaines, la chaleur bienfaisante du sabre dans la main, Pheder remercia Moud du succès de son expédition. Un homme avait enfin atteint la «Roche aux loups» sain et sauf, affranchissant Obyn de son tabou. Toutefois il restait à parcourir le chemin du retour vers Ukbar et lOberayan, où son arrivée marquerait peut-être la nouvelle ère annoncée par le roi. En se rappelant les gnomes guerriers et les loups sanguinaires, il se para du casque et du bouclier, tandis que sa main libre étreignait un trait de feu, emprunté au soleil lui-même. Ainsi accoutré, il grimpa sur le sommet caillouteux de la «Roche aux loups», car il espérait apercevoir au plus loin de lhorizon les tourelles du château dUkbar. A sa grande stupéfaction, la forêt dObyn ne livra au regard que sa seule et glorieuse toison enflammée, quand Pheder parvint sur la hauteur du rocher.