pas très réactif, tout çà !
enfin je me sens pas si mal, avec un esprit trempé dans l'acier (qui manque un peu d'humour quand même, parce qu'il veut coller la carte du monde connu sur son frigo !),et une exquise beauté à la critique perspicace (qui devra m'envoyer sa photo, si elle veut que çà dure)
bon ce soir je fais la fête avec des anglais. çà craint.
JOXEUX NOEL A TOUS
CHAPITRE 4
Le parchemin
Pour obtenir plus de confort à létude du parchemin posé sur sa table, le chevalier Pheder alluma une chandelle. Dans la clarté dansante de celle-ci il examina la texture du manuscrit qui nétait pas de peau, comme ceux dOberayan, mais dune sorte de tissu végétal seffilochant sur les bords. Lécriture ne ressemblait pas à celle dUshidi, quil connaissait, mais semblait avoir été tracée en des temps reculés, dans le style de lancien dialecte dOberayan, et paraissait une vieille traduction des maximes de Moud. Pheder dévissa le bouchon de cristal dune carafe gravée à son nom. Elle abritait dans sa forme sphérique un écarlate vin fin issu des vignes dUkbar. Mais lorsquil voulut saisir la coupe quil venait de remplir, elle tomba sur le parchemin, qui se teinta de rouge sur toute sa surface. Ennuyé, Pheder pinça celui-ci entre le pouce et lindex pour laisser ségoutter sur la table le liquide perdu. Lécriture traça aussitôt de nouveaux signes anarchiques au gré du hasard et le parchemin devint presque illisible. Pheder pesta contre sa maladresse et, pour obtenir un séchage plus rapide, le jeune homme le maintint fermement au-dessus de la flamme de sa bougie. En perdant son humidité, le parchemin se gondola et perdit sa couleur verdâtre pour se peindre dun blanc éclatant. Alors le chevalier le reposa sur la table et nen crut pas ses yeux... Totalement ahuri, il vit sinscrire sur la feuille des caractères, et au fur et à mesure quils salignaient, Pheder découvrit une sorte dalphabet, contemplant le phénomène avec stupeur. A la fin un étrange alignement de caractères soffrait à ses yeux ébahis :

En portant le parchemin au jour, le chevalier distingua la colombe dAnamaying stylisée en filigrane, et létonnement le fit sursauter malgré lui. Décidément les ancêtres linterpellaient avec insistance. Il subodorait la présence de son esprit tutélaire, dont il ignorait le nom, dans laccumulation de tous ces mystères; il devinait également intuitivement être le seul à pouvoir trouver la clé de ces secrets. Les derniers événements pris dans leur globalité signaient la synthèse dune énigme encore plus grande, morcelée mais beaucoup plus vaste.
Mû par un obscur pressentiment, il quitta sa chambre pour descendre au pied de la tour flanquante, franchissant la porte séculaire toute vermoulue, que la forêt dObyn tentait sournoisement de reprendre à elle et dont, en tant que seigneur du domaine, il possédait seul la clé unique. La clé du tabou, en quelque sorte ! Derrière ce passage clos depuis des temps immémoriaux, la forêt interdite et mystérieuse bruissait de mille voix étranges, présentant à linfini comme une offrande ironique ses taillis inviolés. Conscient de son audace, Pheder fit quelques pas prudents, sans toutefois trop séloigner, puis il sassit le dos au mur près de la porte ouverte. Tout semblait parfaitement calme. La forêt bruissait à peine, visage multiforme du grand Tout. La mousse et les digitales jaunes se bataillaient lhumus, arbitrées par les rayons du soleil qui se mouvaient sans cesse à travers le feuillage. Ce dernier frissonnait et murmurait ses encouragements aux lutteurs immobiles. Le vent, rafraîchissant, senroula un instant dans les longs cheveux blonds du chevalier et lui cacha la vue. Il crut apercevoir au même moment une forme humaine qui fuyait dans la masse confuse des frondaisons. Mais en remettant ses cheveux dans le col de sa cape, il n'y vit qu'une farce des djinns aériens et ne se dérangea pas.
Vaguement déçu, le chevalier referma la porte qui lui masqua les arbres. Il retourna vers labri confortable du château, sentant bizarrement poindre en son cur une nuance de regret. Le collier séchappa de sa poitrine pendant quil marchait et se mit à flotter librement sur la tunique rose, le tangage de la chaîne la faisant scintiller joliment au soleil. Comme à chaque fois quil sentait venir ses infernales crises, Pheder ouvrit le collier et libéra la figure de cire. Il tomba sur le sol sans avertissement préalable. Trois pages qui le trouvèrent peu-après, dans la cour du château, le crurent mort et partir prestement prévenir Babaa. Mais cest sa mère Dypa qui accourut la première. Lorsquelle le vit étendu sans connaissance, elle crût dabord que les djinns de lair avaient définitivement bouché son nez. Mais elle se rassura un peu en sentant battre le cur de son fils. Aidée de son époux qui venait darriver, elle transporta Pheder dans sa chambre et fit quérir Emer Soufir, qui connaissait les principes secrets de la science magique et leur puissance sur les forces naturelles. La vielle sorcière dUkbar fut exceptionnellement tirée de ses bois et adjurée dutiliser sa grande connaissance des herbes. De conjurations en appels à Moud , elle fit respirer à Pheder des parfums puants et sulfureux. Babaa et Dypa durent quitter la pièce en se protégeant les yeux des mains. Emer Soufir, elle-même, procédait aux fumigations en se cachant le visage dun mouchoir crasseux. Elle parla tout haut, croyant sa seigneurie toujours dans son dos :
- « Il faut détruire lair que respire le jeune seigneur, les djinns quil a avalé vont crever ! »
Pheder se releva brusquement, en se tapant au front de la mégère, qui en jura des abominations terribles. Quand elle vit que Pheder reprenait ses esprits, elle plongea linfecte encensoir dans une bassine remplie deau. Celle-ci bouillonna un instant mais la fumée noire disparut complètement. Seul témoignait de lexpérience un baquet deau bouillante, parsemée de fleurs de laurier et de feuilles de gui qui lui donnaient une belle couleur daigue-marine. Emer Soufir fit boire à Pheder quelques gouttes de ce breuvage et le chevalier se leva aussitôt. Il appela ses parents qui revinrent dans la pièce en se tenant leurs nobles nez. Mais lendroit respirait à présent le muguet... Pheder les remercia pour les soins prodigués et demanda à rester seul. Il ne tenait pas à leur faire part du rêve quil venait de faire, et qui ne lui donnait rien de moins que la clé du parchemin dAnamaying. Lorsquil avait mis le camé à nu, le petit visage de cire sétait illuminé dans un halo rosâtre que seul Pheder semblait voir. Il sétait alors évanoui sur le sol, puis une femme bien réelle avait fini par sapprocher, qui ressemblait exactement au portrait de cire. Une fois de plus, lamie souriante lavait subjugué par sa beauté rayonnante et lui avait murmuré des mots dans une langue inconnue; alors quil restait paralysé et privé des réalités. Cette femme splendide à la peau brune ne pouvait être quune princesse de légende; elle vint auprès de Pheder pour lembrasser sur les lèvres avant de disparaître subitement dans un halo de lumière rouge. A sa place, un nuage mauve traça dans la nuit comateuse de Pheder, les mêmes lettres que ceux du parchemin. Le texte devint étrangement compréhensible. Il traduisit aussitôt le texte car il pouvait clairement le lire :
La souffrance
Exige sa santé
Il ny a pas de sabre plus rapide
Celui qui se fait le serviteur dAr
Et qui obéit à sa loi
Celui là ordonne
Pourtant Ar ne commande rien
Cest le mouvement du sabre
Qui nest pas le sabre.
Revenu à lui, il regardait à présent par la fenêtre dont on avait ouvert les battants vitrés, éteignant dun coup ses vitraux chamarrés. Le ciel dun bleu merveilleux accueillait au loin des nuages arrivant par le nord, qui iraient sans doute masquer Oberayan de leurs lentes volutes en fin de journée. Pheder prit une plume doie et la trempa dans lencre pour recopier les paroles avant quelles ne senfuient. Ar, ou plus exactement «Ar la Divine», signait la grande déesse dAnamaying, comme lexpliquait le Livre de Moud. Le chevalier couru chercher son exemplaire, quil conservait posé sur un coussin doré, encadré dun chevalet en bois précieux, marqueté de nacre. Ainsi écrivait Moud :
(...) Le siège dUkbar dura trois années et tous ceux dAnamaying qui y participèrent devinrent muets. Les archers de Moud, postés sur les remparts dUkbar, en ordre de bataille, assistèrent souvent aux sacrifices monstrueux que les assiégeants offraient rituellement à ma sur, Ar la Divine qui porte le sceau de la colombe. Et Je fis taire la colombe. Mes fils combattaient sous la bannière de laigle, Je leur donnais la victoire. Puis Je pris la parole des gens dAnamaying pour ne plus entendre la voix de ma propre sur Ar la Suprême (qui est). Les gens de la grotte haïe rentrèrent chez eux sans donner lassaut final, angoissante armée silencieuse !, car Je divise lorsque Je réunis et du bruit des armes qui sentrechoquent Je puis faire naître le silence. (...).
AR DANAMAYING !!! le mot résonnait à présent dans la mémoire du chevalier Pheder. Il possédait dans son enfance un chat quil affubla de ce nom, ce qui fit rire aux éclats son père, mais hurler sa mère. Elle disait que cétait attirer les djinns dans le nez de la pauvre bête que de lappeler ainsi par le nom de lennemie de Moud. Le chat garda néanmoins son nom sous la forme Arda, plus pratique à lusage. Pheder essayait toujours de découvrir dans le Livre de Moud des indications se rapportant au texte du parchemin, mais ne trouvait pas de références, quand un passage lui sauta soudain aux yeux. Moud disait :
Sa santé
Exige la souffrance
Il ny a pas de sabre plus lent
Celui qui se fait le maître de Moud
Et qui obéit à sa loi
Celui là obéit
Pourtant Moud nobéit pas
Cest le repos du sabre
Qui est le sabre.
Mais Moud ne donnait pas les commentaires. Pheder se rappelait seulement que cette maxime justifiait une fête annuelle dans les ruelles dOberayan. Tout ce qui ressemblait à un sabre, de près ou de loin, devait soigneusement être caché, masqué ou enterré. Un jour sans balais, sans pelles, sans râteaux dont les manches de houx possédaient trop la forme évocatrice. On allait même ce jour-là jusquà nourrir les mouettes du haut donjon pour que leur vol incessant masque la haute tour. Pheder se concentrait toujours sur les similitudes des textes contraires, lorsquun coup de vent imprévu et soudain fit senvoler le précieux feuillet. Le parchemin franchit la fenêtre ouverte qui accueillait la chaleur de lété, puis senvola au-delà des douves du château. Il plana un instant en feuille morte en direction dObyn, où les djinns aériens sen emparèrent sans doute, puisquil disparut sans paraître se poser. Obyn ! Encore ! pensa Pheder, cest bien elle qui mattend ! Il ne possédait plus que la maxime écrite à la plume et celle de son exemplaire du livre sacré. Selon toute vraisemblance le parchemin devait déjà senfouir dans le terreau dObyn. Le chevalier médita un moment sur la direction empruntée par le manuscrit. Le doigt mouillé de salive il prit le vent et sassura quil venait du nord. Contre la logique le papier mystérieux avait fuit vers lest, à lhorizon de limmense forêt, et sa légèreté intrinsèque rendait ce fait encore plus fabuleux. Pheder en vint à considérer quune main invisible avait happé la feuille, signant une farce de djinn, que lon disait nombreux dans Obyn. Pheder ne croyait pourtant que très peu aux esprits malins, quil considérait comme superstition de sorcière droguée. Nulle part on trouvait mentionné leur existence dans le Livre de Moud. Il se prit à sourire de ses propres incertitudes et reconsidéra attentivement la citation de Moud.
Tout à coup, il fut surpris par la position anormale de son sabre : celui-ci, posé jusque là à plat sur la table, venait de se redresser sur la pointe! Le fourreau entraîna un instant le ceinturon dans un bref ballet hésitant et séleva dans les airs, accomplissant le même chemin que le parchemin, traversant la pièce sous lil médusé de Pheder qui le regarda traverser la fenêtre et senfuir vers lEst. Bizarrement, il se mit à briller dune étrange luminosité qui ne devait rien aux rayons solaires, et cette faculté le rendit visible jusquaux confins de lhorizon, si loin que normalement il naurait plus été perceptible. Alors quil devenait à peine manifeste, simple fétu tremblant et clinquant sur le tapis vert du continent boisé, le chevalier le vit chuter brusquement dans la sylve. Affolé, Pheder sétait reculé contre le mur le plus proche, mais il se pencha à la fenêtre au moment précis où la petite étoile qui trahissait encore le sabre senfonçait dans le feuillage sombre et poussiéreux de lété dObyn. Repérant en plissant les yeux la distance qui séparait le point de chute du château, il en déduisit quelle était considérable. Personne ne sétait enfoncé si loin dans la forêt. La perte du sabre donnait à Pheder le sentiment dune immense défaite, comme autrefois quand Ushidi lappelait « léternel perdant ». Obyn taboue par la sentence de Moud, nul noserait le suivre sil tentait de récupérer son sabre. Plusieurs jours passèrent ensuite. Allégé de larme des ancêtres, qui normalement battait son flanc, Pheder jetait de temps à autre un regard furtif mais pénétrant sur le front vert dObyn. Il fixait un point précis appelé « la roche aux loups », qui émergeait dans le lointain du couvert végétal, sorte de balise naturelle, crête minérale qui marquait précisément lendroit où était tombé le sabre. La pointe rocheuse paraissait vraiment très éloignée dUkbar et le jeune seigneur plissait les yeux dune certaine manière, dans la vaine tentative de réduire la distance. Toutefois la suggestion sécroulait bien vite et un mois passa sans action voyant lautomne couvrir de son or la dame Obyn.
La « roche aux loups » se distinguait mieux à présent que les feuilles tombaient. Un certain jour de pleine lune, les loups vinrent roder au pied de la muraille du domaine. Le lointain rocher paraissait cette nuit là illuminé par les torches de milliers de djinns. Brusquement, Pheder sétait levé de son lit en hurlant les noms dAr et de Moud, balançant doucement sa tête dun geste mécanique... Sous ses paupières fermées, il vit clairement le clin dil dun vieillard qui ne pouvait être que son aïeul spirituel. Il sétait redressé en semparant du collier magique pour louvrir dun geste fébrile. Cette fois, le portrait nagit pas et il sentit une crise inexorable le submerger. A linstant il se mit à maudire le tabou dObyn et ses tremblements satténuèrent, parce quil tenait résolument sur sa joue le petit profil de cire. Le sabre le narguait, encastré dans les pierres du « rocher aux loups » et sa reconquête prit pour Pheder une importance prioritaire. Le camé toujours dans le creux de sa main droite, langoissante oppression revenait à la charge; le petit visage profilé dans son cadre dargent se taisait toujours. Soudain, Pheder vit quelque chose quil navait pas remarqué avant : Le couvercle relevé possédait sa propre cache et il distingua une sorte de double fond. En actionnant un petit renflement de la décoration, il fit jaillir à la lumière une mèche de cheveux noirs comme la suie, des cheveux de femme, il laurait juré... Ces derniers navaient pas la blondeur délavée qui couronnait le visage de celles dOberayan. Ceux de la mèche évoquaient dans le même temps le duvet du corbeau et le glacis des aiguilles de pins. Légers au contact leur aspect les faisait paraître plus lourds et en les portant à son nez, Pheder respira une persistante odeur de menthe. Quant à la façon dont ils emprisonnaient les reflets du soleil dans leurs fibres, Pheder crût sen arracher les yeux de bonheur !, Car ils possédaient eux aussi le pouvoir bénéfique du portrait. Le chevalier percevait à présent le parfum dune multitude de fleurs inconnues. Il enroula la mèche autour de son doigt dans le plus grand ravissement et cela baissa instantanément la tension quil sentait monter en lui comme un coup de bélier. La mèche se dispersait au contact de ses doigts, il alluma donc une chandelle pour en tremper une extrémité dans la cire chaude et en faire un brin plus solide.
Après quelle eut refroidi, Pheder replaça le bouquet parfumé ainsi constitué dans sa cache du bijou dargent. Il sentit une goutte deau glacée tomber sur sa main. Machinalement il leva la tête au plafond mais il était sec. Dans le reflet inversé de létui argenté quil venait de refermer, il aperçut sa propre image et vit quil pleurait. En sessuyant les yeux dun revers de manche, il remit le collier sur sa poitrine nue que les ans et les exercices militaires avaient fini par muscler. Il venait de décider de récupérer son bien; même si pour cela il devait maudire tous les djinns des mondes inconnus. Il descendit aux écuries pour examiner sa monture. Cet animal lui avait été rapporté divaguant dans les bois dUkbar, un an auparavant. La bête était puissante et remarquablement musclée. Lhomme et la bête saccordait parfaitement, et le superbe cheval prouva sa grande résistance à plusieurs reprises; respectueux, Pheder flatta lencolure de létalon qui offrait au soleil sa parure de ténèbres. Toute la robe du cheval sirisait dun noir profond, y compris la crinière et la queue. Sattardant un instant sur cette touffe de crins noirs il repensa immédiatement à la mèche de cheveux. Inconsciemment, sa main caressa la chaîne dargent qui lui pendait au cou, et ce faisant il continuait de caresser le cheval en lappelant par son nom, Ramej. Vraiment, tous les deux rivés lun à lautre dans des chevauchées étourdissantes, on avait du mal à deviner lequel dominait lautre... Ramej secoua la tête un moment, pour libérer sa crinière en désordre des brins de paille qui sy attardait. La grâce de ses courbes dessinait un animal superbe dont la robe noire tranchait majestueusement sur lorange vif de la cape de laine de son maître. Ainsi juché sur Ramej, Pheder prenait lallure dun frelon. Satisfait de son inspection, Pheder remonta au logis de la tour flanquante, pour y faire ses adieux à ses parents. Il eut du mal à les convaincre quil allait trahir le tabou dObyn. Son père appela sur sa tête lil de Moud pour le garantir dun tel sacrilège, mais il ne parvint pas à le dissuader et il hésitait à faire emprisonner son propre fils, le seigneur dUkbar, qui plus est ! La charmante Dypa, le visage défait, les yeux cernés, pleurait beaucoup. Pheder les rassura en leur promettant un retour rapide, dès la récupération du sabre des ancêtres. Enfin il sarracha deux et revint aux écuries. Il retrouva Ramej devenu soudain très nerveux. Lorsque Pheder savança vers lui, létalon frappa le sol dun coup de sabot rageur, mais après tout, se dit le chevalier, peut être projetait-il sur son étalon langoisse de pénétrer Obyn ? Lintention du chevalier était de rejoindre la « roche au loup » pour retrouver larme et cette perspective lui faisait oublier tout le reste. Les vieux hommes dUkbar qui se jettent du haut des créneaux pour sacrifier leur corps à Moud devaient connaître un état desprit similaire. En soffrant ainsi aux djinns cachés dans leau stagnante des douves, ils assuraient ainsi protection aux nouveaux enfants de Moud. Mais ce nétait pas dans les fossés du château quil plongeait, lui, le seigneur du domaine, mais dans la sinistre splendeur de la forêt dObyn.
Le pont-levis fut abaissé pour lui laisser le passage. Contournant le château, il atteignit la porte de lEst après le franchissement dun court tunnel, et sélança des quatre sabots rapides de Ramej, dans lintimité des frondaisons obscures. Les tourelles dUkbar ne mirent guère longtemps à seffacer derrière les branches aux formes grotesques des chênes et des châtaigniers millénaires. Lenvironnement paraissait silencieux mais il semblait au chevalier que de ce calme émanait un curieux rayonnement, une sorte de paix menaçante. La seule vibration vraiment insolite en ces lieux privés de lumière naissait des pas feutrés de Ramej, que la couche dhumus amortissait. Des centaines despèces de plantes et de fleurs profitaient de ce tapis bienfaisant, et lagrémentaient de leurs formes pour certaines jamais dévoilées à quiconque. Le chevalier Pheder évoluait dans un monde nouveau, un univers darbres énormes qui ridiculisait les bois dUkbar pourtant très étendus. "Forêt cruelle, pensa Pheder, ton Règne est vieux !".Il poursuivit des yeux la course dun lièvre qui bondissait dune détente formidable sur les souches pourries garnies de lierre. Quand lanimal ne fut plus en vue, la forêt dObyn habillée dor et de cuivre offrait au vent du nord sa chevelure dété.