Il fallait supprimer Belzébuth en le tuant. Tous les systèmes qu'il imagina étaient bons, mais présentaient des difficultés insurmontables. A la fin, il en conçu un qui lui paru viable. il consistait à badigeonner d'huile le toit de la pension. Quand Belzébuth monterait rôder sur le toit, comme font tous les chats, il glisserait et tomberait. Du quatrième étage à la rue, direct, il devait se tuer, calculait Onofre. Pour peu qu'il ne se tue pas, lui, en réalisant son plan. Quand il eut huilé toutes les tuiles sans laisser sec un seul recoin, il s'en fut à sa chambre et s'allongea sur le dos. Cette nuit-là, il ne se passa rien. La nuit suivante, alors qu'il s'était endormi (l'horloge de San Ezequiel avait sonné deux heures), un bruit le réveilla. Du balcon parvenaient des lamentations et des malédictions. Il craignit que Belzébuth ne fût tombé sur un noctambule. Ce serait le comble de la malchance, se dit-il. Il ouvrit le balcon et sortit. A la lumière de la lune, il eut une bonne frayeur : à la balustrade était suspendu un individu qui demandait de l'aide tout en essayant en vain de glisser ses pieds dans un quelconque interstice de la façade.

Le XIXème siècle, qui était né de la main de Napoléon Bonaparte  le 18 brumaire de 1799, s'achevait à présent sur le lit de mort de la reine Victoria. Au dehors de la chambre royale, les rues de l'Europe avaient résonné en leur temps des sabots des chevaux de la garde impériale, des canons d'Austerlitz, de Borodino, de Waterloo et d'autres champs de bataille également célèbres. A présent, on entendait seulement le va-et-vient des métiers, le ronronnement et les détonations du moteur à explosion. Cela avait été, relativement, un siècle économe en guerres ; très riche, au contraire, en nouveautés : un siècle de prodiges. A présent, l'humanité passait le seuil du XXème siècle avec un frémissement.

Je veux avoir mes coudées franches, et estre courtois et affable à mon point, sans remords ne conséquence. Je ne puis du tout estriver contre mon penchant, et aller au rebours de mon naturel, qui m'emmeine vers celui que je trouve à ma rencontre. Quand il m'est égal et qu'il ne m'est point ennemy, j'anticipe sur son accueil, je le questionne sur sa disposition et santé, je luy fais offre de mes offices sans tant marchander sur le plus ou sur le moins, ne estre, comme disent aucuns, sur le qui vive

Je n'aime pas un homme que je ne puis aborder le premier, ni saluer avant qu'il me salue, sans m'avilir à ses yeux, et sans tremper dans la bonne opinion qu'il a de lui-même. MONTAIGNE dirait :

Déclarerai-je donc ce que je pense de ce qu'on appelle dans le monde un beau salut : la décoration souvent profane, les places retenues et payées, des livres distribués comme au théâtre, les entrevues et les rendez-vous fréquents, le murmure et les causeries étourdissantes, quelqu'un monté sur une tribune qui y parle familièrement, sèchement, et sans autre zèle que de rassembler le peuple, l'amuser, jusqu'à ce qu'un orchestre, le dirai-je, et des voix qui concertent depuis longtemps, se fassent entendre? Est-ce à moi à m'écrier que le zèle de la maison du Seigneur me consume, et à tirer le voile léger qui couvre les mystères, témoins d'une telle indécence? Quoi! parce qu'on ne danse pas encore aux TT**, me forcera-t-on d'appeler tout ce spectacle, office d'Eglise?

Dans une lignée qui, au cours des siècles, n'avait su faire ni l'addition de ses dépenses ni la soustraction de ses dettes, il était le premier ( et le dernier) à posséder de fortes et réelles dépositions mathématiques; il les avait appliquées à l'astronomie et en avait tiré bon nombre de succès publics ainsi que des joie privée savoureuses. L'orgueil et l'analyse mathématique s'étaient si étroitement unis en lui qu'il se flattait de voir les astres obéir à ses calculs; et de fait, il semblait en être ainsi. Il pensait de bonne foi qui les deux petites planètes qu'il avait découvertes (il les avait nommées Salina et Svelto, en hommage à son fief et en souvenir d'une braque inoubliable) propageaient la renommée de sa maison entre Mars et Jupiter, à travers les espaces stériles du firmament. Les fresques de la villa exprimaient à son avis une prophétie, bien plus que l'adulation d'une peintre courtisan.