Chaque année au mois de décembre, des centaines de Pères Noël investissent les galeries commerciales de France et de Navarre. Le Monde 2 a voulu essayer ce "métier" pas comme les autres, et précaire s'il en est. Non pas tant pour décrire les souffrances endurées, une journée durant, sous un costume en fibres polymères (barbe et perruque comprises). Mais pour voir comment l'homme au grand manteau rouge est perçu par les enfants d'aujourd'hui – et par leurs parents.
 
 
 
Après avoir réglé la note de frais la plus stupide de l'histoire du journalisme ("Location d'un costume de Père Noël : 50 euros" ), notre reporter s'est installé au milieu du centre commercial des Quatre temps, à la Défense, où 100 000 personnes passent tous les jours.
 
13 heures Il est un des premiers à venir me voir. Il a dans les 3 ans et m'apostrophe franco, sans dire bonjour ni vérifier l'authenticité de ma barbe : "Je veux l'ordinateur Oui-Oui." Au moins les choses sont-elles clairement dites.
 
Une spécialiste en animation de fin d'année nous avait prévenu : les enfants sont tous différents devant un Père Noël de supermarché, mais on peut les ranger en plusieurs catégories. Il y a d'abord les hardis qui, comme lui, réclament leur cadeau sur-le-champ et n'entendent rien aux explications fournies ("Il faut que tu attendes le 25 décembre…" ).
 
Viennent ensuite les grands timides qui se plantent devant vous, sourire édenté et yeux en ronds de flan, et qui ont bien sûr totalement "oublié" ce qu'ils veulent à Noël. Il y a enfin les expansifs qui vous récitent par cœur le catalogue de Joué Club et vous parlent comme à un vieux copain.
 
Ainsi Siméon, 7 ans : "Je te remercie pour le circuit que tu m'as offert l'an dernier mais tu sais qu'il ne marche déjà plus ?" Ou Adrien, 8 ans : " 'ai oublié de te dire quelque chose quand je t'ai appelé la semaine dernière… (silence interloqué)… Ben oui, je t'ai appelé au 3630 [0,34 euro la minute], tu sais bien ? " Mais oui, bien sûr, où diable avais-je la tête ?
 
14 heures "Vous êtes sûre qu'il veut venir dans mes bras ? Mais quel âge a-t-il ?
 
– Quatre mois. Prenez-le, ça va lui faire plaisir."
 
Le Père Noël obtempère. Il n'a pas le choix. Le nourrisson, non plus, n'a pas le choix. Celui-ci a beau hurler et gigoter comme un ver de terre, rien n'y fait : quoi de plus merveilleux, franchement, que de se faire photographier à côté du Père Noël ?
 
Il n'y a d'ailleurs pas d'âge pour cela. En cet après-midi de décembre, ce sont des smalas entières de mamans, papas, papies, mamies, tatas, tontons et autres nounous qui prennent la pause à mes côtés. Plus de femmes que d'hommes, toutefois. Ce qui fait dire à l'une d'elles, photographiée avec sa sœur : "Mais vous êtes un Père Noël polygame !" Et à un adolescent passant par là avec des potes : "Père Noël, c'est top pour se taper des meufs !"
 
Les enfants de moins de 10 ans restent – heureusement – majoritaires. Enfants de toutes couleurs et de toutes origines. Enfants accompagnés de mamans en fourrure et de tantes en burqa. Enfants à qui l'on ne demande plus de dire "cheese !" en regardant l'appareil photo (ou plutôt le téléphone portable ayant l'option photo), mais… "ouistiti !".
 
15 heures La plus grande a 6 ans, la plus petite 4. Cela fait un moment que toutes deux me tournent autour. Au bout d'une demi-heure, mon devoir est de leur demander où se trouve leur maman. "Là-bas", montrent les deux sœurs. "Maman" sort effectivement du magasin Zara et s'est assise pour passer quelques coups de fil, pas mécontente d'avoir trouvé en nous une nounou à peu de frais. Après tout, le Père Noël n'est-il pas fait pour cela ?
 
Qui peut se targuer d'inspirer autant confiance que lui ? Les enfants, en tout cas, ne s'y trompent pas qui voient en lui un confident. Telle Inès, 7 ans : "Moi, je veux pas de cadeau à Noël. Par contre, j'aimerais bien que ma petite sœur arrête de se réveiller entre 3 et 4 heures du matin." Le Père Noël va voir ce qu'il peut faire. Sans garantie.
 
16 heures C'est l'âge de la grande contradiction, entre 8 et 10 ans. Comment continuer de croire au Père Noël quand les copains, à l'école, vous assurent qu'il n'existe pas ? Pas simple. Sauf si l'on se fabrique une théorie aussi imparable que celle d'Hamid, 9 ans : "Bien sûr que tu existes. Je sais que tu es vrai mais je sais aussi que ce sont les parents qui… [donnent les cadeaux]."
 
Autre thèse, plus nuancée – celle de Lucas, 8 ans : "Toi t'es pas le vrai Père Noël. Le vrai, il vit dans le ciel et il ne descend jamais sur Terre. Ce sont ses petits lutins qui apportent les cadeaux." Surtout, éviter de polémiquer.
 
D'autres s'en chargent à votre place, notamment ceux qui ont définitivement arrêté d'y croire. Comme Dallal, 8 ans : "T'as un déguisement, ça se voit !" Sentant le danger, le Père Noël s'éloigne. Trop tard. Dallal a empoigné ma barbe et dévoilé l'élastique qui la tient. J'abdique. KO technique.
 
17 heures Le meilleur moyen de "faire vrai" est, en fait, d'être aussi calé que les enfants dans le domaine qu'ils connaissent le mieux : les jouets. Quand un bout de chou de 4 ans vous lance tout de go : "Moi, je veux des Winx", ne pas répondre "Des quoi ?", sinon il répliquera : "Quoi ! T'es Père Noël et tu connais même pas les Winx !"
 
Idem des PetShop, Diddl et autres Yu-Gi-Oh !. Le barbu céleste se doit d'être incollable, irréprochable. Paradoxalement, il doit aussi laisser planer le mystère. A la question traditionnelle, entendue cent fois ce jour-là : "Et ton traîneau, il est où ?", il évitera ainsi d'affirmer que ledit traîneau est garé au troisième sous-sol – les mamans vous en seront reconnaissantes en regagnant le parking.
 
Tout l'art est bien là : suggérer sans trop en dire. Voire ne rien dire du tout, ce qui est le meilleur moyen d'éviter les gaffes. Du genre : "Fais un sourire à papa et maman. Ils font une photo." Moue boudeuse d'Anaïs, 7 ans : "La dame-là, c'est pas ma maman !"
 
 
18 heures Terrorisé. Mateo, 4 ans, a la peur de sa vie en s'asseyant à côté de moi. Le seul à ne pas s'en rendre compte est son papa. Celui-ci insiste pourtant : "Donne-moi cinq, Mateo, donne-moi cinq !" Portable tenu à bout de bras, l'homme en costume-cravate aimerait tant que son fils tape dans la main ("donne-moi cinq" ) du Père Noël. Sauf que voilà, Mateo ne veut pas. Car Mateo est tétanisé.
 
Mais l'adulte ne veut rien entendre, et donne maintenant de la voix : "Allez Mateo, quoi, donne-moi cinq, donne-moi cinq !" Mateo éclate en sanglots, ce qui énerve passablement son papa et laisse tout chose le Père Noël. Lequel se rappelle alors sans regret avoir dit non à une dame pressée qui lui demandait, un peu plus tôt : "Je cherche un Père Noël pour la soirée du 24 décembre. Vous ne seriez pas libre ?"
Frédéric Potet