gronky a écrit :
Fichtre! C'est ce qu'on appelle un joli grand écart! Voir un parralèlle entre une OPA entre deux multinational et un reportage "de société" sur les marriages forcés en Inde, j'avoue que c'est du grand art. Tiens a propos, je ne savais pas que le rachat d'entreprise était soumis à la volonté du peuple, c'est nouveau? J'étais pas au courant.
Jusqu'ici, ce que peut penser l'opinion publique d'une OPA, les marchés financiers s'en cognent comme de leur premières cotations. Faut-il à la lumière de cette puissante analyse que tout reportage sur le mode de vie de tel ou tel pays est une manipulation visant a préserver les entreprises nationales du rachat par leur concurents étrangers?
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Le grand art c'est d'avoir un gode dans l'anus et de croire qu'il est arrivé là par hasard. Heureusement que tout le monde n'est pas aussi peu alerte que toi
Extrait chronique Agora :
*** PATRIOTISME ECONOMIQUE : UN BLUFF COMME UN AUTRE ?
** Nous l'écrivions vendredi : "un sensationnel vent d'optimisme semble souffler depuis 48 heures en Europe (...). Les émissaires de Pékin et de Delhi sont venus en force cette année à Davos. Ils affichent un optimisme qui s'avère manifestement communicatif, puisque les autres participants, débarqués en Suisse avec un sentiment très mitigé sur les perspectives macro-économiques en 2006, respirent maintenant un air 'chargé de bonne énergies'".
Quelle ne fut pas notre surprise de découvrir vendredi matin les termes de l'offre de 18,5 milliards d'euros du groupe indien Mittal sur Arcelor -- dont vous connaissez naturellement tous les détails à présent. Cela a déchaîné une tempête médiatico-politique au moins aussi intense que celle provoquée l'été dernier par la tentative d'OPA du groupe pétrolier chinois CNOOC sur Unocal (d'un montant de 18,5 milliards... de dollars).
A l'époque, les Américains et les investisseurs anglo-saxons, qui brocardaient quelques jours auparavant les "mauvais réflexes" d'un autre temps et l'interventionnisme de l'Etat français concernant l'hypothèse d'un rachat de Danone par Pepsico (une simple rumeur démentie un peu tardivement par les deux protagonistes), n'hésitèrent pas à faire jouer le patriotisme économique pour faire échec aux appétits du n°2 chinois de l'énergie aux Etats-Unis.
Avec l'OPA de Mittal, le concept de patriotisme économique fait de nouveau florès ; le ministre de l'économie Thierry Breton est monté immédiatement au créneau ce week-end -- avec l'assentiment du Premier ministre Dominique de Villepin, lui-même soutenu par l'Elysée et tout ce que la France compte de syndicats pourfendeurs de la mondialisation.
Nous avons du mal à retenir nos éclats de rire devant ces gesticulations de la classe politique française. Après tout, Arcelor est un groupe de droit luxembourgeois ; le choix d'un siège social situé hors du périmètre d'intervention du gouvernement espagnol ou hexagonal fut justement guidé par l'impératif d'échapper aux griffes du fisc français ou ibérique... puis aux pressions politiques et syndicales de ces deux grands pays de l'Union européenne (réputés "interventionnistes" ). Autant d'acteurs mis sur la touche hier, et qui sont opportunément appelés à la rescousse aujourd'hui !
Par ailleurs, il devient carrément impossible de ne pas se tenir les côtes devant l'argumentaire de monsieur Guy Dollé -- pour lequel nous avons par ailleurs la plus grande estime concernant son action à la tête du groupe Arcelor. Pour lui, l'OPA hostile lancée sur son groupe sidérurgique est foncièrement illégitime et potentiellement "destructrice de valeur" pour les actionnaires.
En ce qui concerne la destruction de valeur, en passant d'un coup de 22 euros à 31 euros le vendredi 27 janvier en cours de séance, le titre a pris à un moment +40%. En matière de dévalorisation de l'actif boursier, nous avons déjà connu avec l'ex-Usinor, pourtant soutenu à bout de bras par l'Etat français de l'époque, des expériences plus douloureuses que l'OPA de Mittal (d'autant qu'une surenchère de 10% est d'ores et déjà anticipée) !
Mais surtout, comment Guy Dollé fait-il pour garder son sérieux en fustigeant le caractère "hostile" de l'OPA de Mittal alors qu'il est lui même l'initiateur d'une OPA tout aussi inamicale sur Dofasco ? Cette opération a été dénoncée avec la même vigueur par la direction et les syndicats du groupe canadien, puis remportée de haute lutte face à Thyssen Krupp (qui faisait office de chevalier blanc) à l'issue d'une féroce bataille d'enchères dont les fonctionnaires d'Ottawa se garderont bien de se mêler.
Une OPA lancée par un groupe de droit néerlandais (si, si), détenu majoritairement par un citoyen britannique d'origine indienne, sans diplôme international reconnu, est intolérable -- fut-il le troisième homme le plus riche au monde... Tandis qu'une OPA lancée par une holding basée dans ce qui s'apparente à un paradis fiscal européen, dirigée par un polytechnicien président de la Fédération française de l'acier et d'Eurofer, est -- de facto -- une opération "créatrice de valeur" aux yeux des analystes occidentaux.
A ce propos, qu'en pensent les détenteurs d'emprunts émis par Thyssen Krupp, groupe sidérurgique dont la notation par Standard & Poor's vient d'être mise sous surveillance à BBB- ? Cette mesure préventive a été assortie d'une menace de dégradation de la notation qui la ferait passer au statut de junk bond en cas de nouvelle surenchère sur Dofasco. Le risque persiste alors qu'au terme d'un accord conclu avec Mittal, Dofasco soit rétrocédé au géant allemand au niveau de sa dernière enchère, soit 68 euros.
Une bataille médiatique et judiciaire de longue haleine s'engage ; de quoi rendre exaltants les mois de préretraite de Guy Dollé, qui devrait transmettre le flambeau cet été à un successeur luxembourgeois... A moins bien entendu que M. Lakshmi Mittal ne rafle la mise en proposant plus de 20 milliards d'euros -- alors que la capitalisation d'Arcelor flirtait tout juste avec les 14 milliards d'euros il y a moins d'une semaine.
** Mais il n'est pas question d'accabler certains acteurs de sarcasmes et de faire preuve d'angélisme concernant les autres. Arcelor et Mittal ne partent pas sur un pied d'égalité, puisque le capital du groupe indien -- même coté à New York ou Amsterdam -- est totalement verrouillé par la famille fondatrice, rendant toute contre-OPA impossible.
D'autre part, Mittal s'est développé en investissant dans des pays de cocagne, en restructurant des sites de production souvent obsolètes (pour les rendre, certes, très compétitifs à l'échelle mondiale). Le rachat d'Arcelor va impliquer un changement complet de stratégie industrielle, car les recettes qui ont fait le succès de la décennie écoulée ne sauraient être appliquées dans ce cas. La formule d'échange de titres soulève également quelques interrogations vu le médiocre parcours boursier du groupe indien l'an passé.
Il apparaît effectivement difficile de déterminer quelles synergies industrielles pourraient découler d'une telle opération. Les lieux de production de Mittal sont situés dans des zones géographiques très éloignées de l'Europe, avec un environnement social aux antipodes du nôtre s'agissant des pays d'Asie ou de l'ex-empire soviétique.
La mainmise d'Arcelor sur Dofasco à 71 euros "fait du sens" en termes de structure d'entreprise (forte productivité par salarié, méthodes de gestion rigoureuses) et de clientèle, avec une complémentarité incontestable des parts de marché entre l'Europe et l'Amérique du Nord.
La question est maintenant de savoir si les règles du capitalisme "sauvage", qui réjouissent tant les actionnaires occidentaux lorsque les cibles sont situées dans des pays en voie de développement, s'appliquent de la même façon lorsque les prédateurs proviennent justement de ces zones en devenir économique -- où les multinationales basées en Europe ou aux Etats-Unis ont l'habitude de faire leur marché.
Les groupes industriels chinois et indiens qui manifestent de grandes ambitions planétaires ont non seulement les moyens financiers de mener à bien leur politique expansionniste mais défendent également la logique consistant à former des ensembles de taille mondiale pour répondre aux défis du 21ème siècle.