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Le gouvernement cherche à mettre fin au "blocage parlementaire" sur les retraites
LE MONDE | 24.06.03 | 12h53 Le débat va se prolonger samedi 28 et lundi 30 juin après-midi. Les responsables de l'UMP demandent à Jean-Louis Debré de se montrer "moins compréhensif" à l'égard de l'opposition
La droite "craque". Quand, à 23 h 45, lundi 23 juin, François Baroin, qui siège au "perchoir" depuis le début de l'après-midi, annonce que la séance de débat sur les retraites est levée, faute de quorum pour le vote sur l'article 12, les élus de l'UMP ne peuvent s'empêcher d'adresser des noms d'oiseau aux députés communistes.
"Bande de vieux croûtons !" "Vous êtes la honte de la République. Le peuple jugera...", peut-on entendre des tribunes, entre autres amabilités.
Il est vrai que, lundi, le groupe "communiste et néanmoins républicain", comme l'appelle le rapporteur du projet de loi, Bernard Accoyer (UMP), n'a pas lésiné sur l'obstruction parlementaire : pas moins de dix-sept votes au scrutin public ont ainsi été demandés. Les députés de la majorité, contraints au silence dans l'Hémicycle depuis deux semaines afin de ne pas rallonger la discussion, manifestent à présent leur exaspération. Et s'en prennent directement à leurs responsables, leur reprochant de ne pas faire preuve de la fermeté nécessaire. Première cible de cette "bronca" majoritaire, le président de l'Assemblée nationale, Jean-Louis Debré, accusé de "complaisance" à l'égard de l'opposition.
Aussi le gouvernement doit-il tenir compte de cette poussée de contestation dans les rangs de sa majorité. La déclaration du ministre des affaires sociales, François Fillon, juste avant que la séance ne soit levée, a valeur d'avertissement : "Nous sommes manifestement face à un blocage caractérisé du travail parlementaire, estime le ministre. Il faut que l'opinion publique sache ce qui se passe désormais dans l'enceinte du Palais-Bourbon. Certains sont en train de ridiculiser l'institution parlementaire."M. Fillon s'esquive ensuite sans s'attarder. Mais il est clair que des choix devaient être faits afin de débloquer la situation. Le sujet a été abordé, mardi matin à Matignon, au petit-déjeuner des responsables de la majorité. En l'absence de M. Debré, retenu par d'autres obligations, aucune décision formelle n'a été prise.
Plusieurs solutions s'offrent au gouvernement. S'il continue à exclure le recours ? comme il l'avait fait en février sur la réforme des modes de scrutin ? à l'article 49-3 de la Constitution, c'est-à-dire l'engagement de sa responsabilité sur le texte en discussion, dès lors considéré comme adopté sauf si une motion de censure est votée, il dispose d'autres armes. A commencer par l'article 44-3 de la Constitution, qui définit la procédure de "vote bloqué": "Si le gouvernement le demande, l'Assemblée saisie se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le gouvernement." M. Fillon, toutefois, affirmait encore, la semaine dernière, ne pas envisager cette hypothèse.
C'est donc le règlement de l'Assemblée ? et tout particulièrement son article 95 ? qui pourrait offrir au gouvernement une porte de sortie. Le président de l'Assemblée pourrait décider, "dans l'intérêt de la discussion", d'en modifier le déroulement, en réservant un certain nombre d'articles. La conférence des présidents, réunie mardi matin, devait donc servir de cadre à l'organisation de la suite du débat. Le président du groupe UMP, Jacques Barrot, comptait mettre en demeure le groupe communiste. De même demandait-il que la présidence se montre "moins compréhensive". Enfin, l'Assemblée siégera toute la journée de samedi et le débat se prolongera lundi après-midi.
Pour la droite, une seule chose compte à présent : en finir au plus vite. Le PCF, de son côté, ne cache pas sa volonté de faire durer la discussion : "Nous voulons aller jusqu'au bout de la session ordinaire -lundi 30 juin-, afin d'obliger Chirac à inscrire le projet sur les retraites à l'ordre du jour de la session extraordinaire", prévient Alain Bocquet. Pour le président du groupe communiste, les limitations d'ores et déjà appliquées au temps de parole s'apparentent à "un 49-3 larvé" : "Ce sont les godillots de l'UMP qui font le sale boulot", ajoute-t-il, tout en comptant sur le président de l'Assemblée nationale pour laisser le débat se poursuivre.
Le PS est plus réservé. Au cours de la première partie du débat, il avait occupé l'essentiel du temps de parole. Le voilà, à présent, lui aussi obligé de ronger son frein pendant que le groupe communiste multiplie les incidents de procédure. Il a en effet réservé ses principaux amendements sur quelques articles du projet de loi (16, 27, 32, 78 et 79) qu'il juge déterminants. Or, à l'issue du onzième jour de discussion, l'article 12 n'a toujours pas été voté. Le porte-parole du groupe, Pascal Terrasse (PS, Ardèche), est désormais seul à croiser le fer avec le ministre des affaires sociales. Le groupe socialiste devait, mardi matin, recaler son "timing", excluant cependant de se prêter, lui aussi, à une bataille d'obstruction.
"Au fond, ces séances sont utiles, tente de relativiser M. Baroin. Cela réveille les consciences sur les limites de l'application d'un règlement intact depuis si longtemps." Cela ne suffira pas, dans l'immédiat, à apaiser les impatiences de la majorité parlementaire, qui n'en peut plus d'attendre pour pouvoir savourer sa "victoire". Quant au projet de loi lui-même, la bataille de procédure l'a proprement éclipsé.
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