Un brin d'histoire partisane...
A la fin des années 40 CBS propose le disque 33 tours. Jusqu'au années 80, avec le tuner, la platine disque était la reine des sources pour écouter la musique.
Au tout début des années 80, je me souviens d'avoir lu un article sur un appareil extraordinaire (dans la Revue Du Son, qui aura vraiment marqué son époque) de la marque Sony permettant de transformer en magnétophone numérique un magnétoscope. Attention, numérique en vue !
Pour le développement du CD, les coûts étaient tellement exorbitant que Sony et Philips s'associèrent pour pouvoir financer le projet, en se partageant les mérites : l'un serait l'inventeur, l'autre le créateur. Initialement, Philips voulait se contenter de 14 bits à 44KHz, mais Sony exigea un encodage en 16 bits car la qualité en 14 bits était jugée insuffisante. La durée maximum du programme musical sur le support fut fixée à 74 minutes, car le directeur de Sony voulait absolument que sa symphonie préférée puisse tenir en entier sur le nouveau support. Lors d'une réunion de présentation un énorme dossier relié en rouge et décrivant les spécifications du produit fut présenté : The Red Book !
Les premières platines CD sortirent en 1982, et la diffusion réelle date de 1983 en France. En ces temps reculé l'informatique coûtait fort cher et la capacité de traitement était peu élevée. Pour compenser les difficultés de lecture, de traitement du signal et de correction d'erreur, la mécanique de la première génération des platines était exceptionnelle et les produits mis sur le marché affichaient un prix rédhibitoire.
Un discours très entendu à l'époque était le suivant : le son numérique étant parfait, la différence de coût pourrait être justifiée par l'aspect, la présentation, les fonctions disponibles. De leur côté les audiophiles ne partageaient pas tous l'idée de "son parfait"... Les premières platines étaient loin de pouvoir rivaliser avec les gros bras de l'analogique. Certes, les spécifications étaient flatteuses, mais la proposition sonore n'était pas en rapport : le son semblait artificiel, détimbré, distordu... Sans compter que les mesures étaient produites par les promoteurs du système, qui avaient mis au point le protocole : ils n'allaient tout de même pas se tirer une balle dans le pieds !
En France, au moment de la sortie des lecteurs CD, M. Guy Marec dans l'Audiophile n°28 de 1982 montait au créneau pour avertir les audiophiles avec un article dont le titre donnait le ton "Digital Attention Danger" : les spécifications techniques - 16bits 44KHz - figeaient dans le temps la qualité de restitution, jugée alors insuffisante. Ce dont M. Marec ne pouvait se douter à l'époque, c'est que les platines entendues en 1982 ne préfiguraient en rien le résultat que l'on atteindra 20 années plus tard, par l'intermédiaire des convertisseurs dopés aux progrès de capacité de traitement informatique.
Hélas, les premières années de production donnèrent raison à M. Marec. Assez rapidement les questions de suivi de piste furent résolues par l'informatique embarquée, les systèmes de correction d'erreur, et adieu les belles pièces mécaniques du début : bonjour les platines moins chères tout en plastique.
Le côté positif de la réduction des coûts fut de permettre la grande diffusion des lecteurs et des disques CDA. Certes le plus grand nombre accédait à la technologie numérique, mais la qualité promise n'était pas vraiment au rendez-vous. Un autre petit mensonge (le premier étant celui de la qualité parfaite) allait être mis en évidence : les disques, malgré les promesses, n'étaient pas les meilleurs ! Pour promouvoir le format numérique, de nombreux éditeurs indiquaient par trois lettres le type d'enregistrement, le type de mixage, et le type du support. Un disque enregistré en numérique, mixé en numérique, puis diffusé sur CD audio avait droit à ces trois lettres DDD, pour indiquer que tout était réalisé dans le domaine digital, et en faire la promotion. Hélas, les oreilles attentives eurent tôt fait de s'apercevoir que DDD n'était synonyme de qualité !
Ce n'est qu'après plusieurs années de présence sur le marché que les constructeurs commencèrent à revoir les copies, à s'intéresser aux différentes questions propres au numérique - et que l'on découvrait petit à petit : l'influence de la mécanique sur la lecture, la sensibilité au rayonnement des étages numériques, l'avantage à l'écoute des convertisseurs triés (comme quoi !), ainsi que les problème d'horloge générant du jitter. Certaines machines de démonstration permettaient de "quantifier" le jitter, et d'offrir des comparaisons instantanées avec circuit de correction On/Off. Comme quoi, cinq ans après la sortie, on se retrouvait bien loin du postulat de base indiquant que du point de vue sonore, toutes les platines seraient équivalentes !
Kenwood 1100SG
En 1988 que Kenwood proposa sur le marché un platine "révolutionnaire" : enfin un lecteur CD "écoutable" aux oreilles des audiophiles ! Avec la Kenwood 1100 SG la partie mécanique était à nouveau remise à l'honneur, et le traitement numérique suffisamment sophistiqué pour en faire la référence du moment, avec un prix encore accessible (un peu moins de 7000 F à l'époque).
Kenwood intégrait dans la même platine la plupart des améliorations que les différents constructeurs proposaient chacun de leur côté :
* un traitement mécanique très sophistiqué permettant à la platine de peser "virtuellement" 300Kg en terme de résistance aux vibrations externes
* la prise en compte des questions de jitter avec une horloge découplée mécaniquement et circuit spécifique DPAC
* l'utilisation de DAC trié PCM56P de type K
* un suréchantillonage quadruple - le fin du fin à l'époque - afin d'utiliser un filtre simplifié dans les étages de sorties
* une conception multicartes avec traitement numérique / analogique séparé
* deux transformateurs très spécifiques à faible rayonnement, un pour le numérique, un pour l'analogique, avec petit filtrage d'alimentation intégré
* un système spécifique d'asservissement
* et, petite cerise sur le gâteau, un niveau de sortie réglable dans le domaine analogique (par potard à moteur télécommandés), plutôt que par suppression des bits dans le signal numérique
Le quartz "suspendu" sur un bloc de mousse :
Les deux transfos :
Les convertos triés type K :
Une vue d'ensemble qui permet de voir la conception interne :
Une fort belle platine - dans les standards de l'époque et de la marque - et de bien beaux efforts, et pourtant les esprits chagrins regretterons deux points :
* la qualité des étages de sorties n'est pas au niveau du reste du lecteur
* hélas l'utilisation avec un convertisseur externe fait perdre une partie des avantages provenant des soins relatifs à l'horloge et aux circuits spécifiques anti-jitter.
Cependant, cette platine amorçait vraiment une tendance lourde : la prise en considération des questions générées par le numérique. La qualité (relative, mais exceptionnelle pour l'époque) de la Kenwood 1100SG était telle, que lors de sa sortie, la revue L'Audiophile (la "bible" de l'époque) d'octobre 1988 la consacrait avec ses Muses d'Or, une distinction accordée à seulement six appareils par an.
Ajourd'hui
Une Kenwood 1100SG est toujours un bel objet : le boîtier est vraiment volumineux, et le poids de la platine est surprenant lorsque l'on tente de la déplacer. L'ergonomie change -en bien mieux - de certains lecteurs ésotériques de haut de gamme actuels. La face avant propose nombre de fonctions aisément utilisable, la télécommande est complète, et l'appareil offre toutes les sorties souhaitables : niveaux de sortie fixe et variable, numérique sur optique et cinch.
L'écoute
J'avais acquis cette platine au moment de sa sortie, le prix raisonnable en faisait vraiment une affaire à ne pas manquer. Elle enfonçait littéralement ma Marantz de milieu de gamme acheté quelques mois plus tôt, sur les conseils de la NRDS. Je trouvais mon Marantz agressif au possible et les timbres ne me plaisaient pas. La Kenwood arrivait à point nommé, je l'ai conservée une année ou deux, puis ensuite connectée à un convertisseur externe, et enfin revendue pour du matériel bien supérieur.
Le miracle d'ebay, c'est que j'ai cherché une Kenwood 1100SG pendant des mois, jusqu'à ce qu'un jour l'offre survienne. A ma grande surprise, je fut le seul enchérisseur ! Certes le prix était un poil élevé par rapport à des machines plus cotées, mais je me disais que je venais d'acquérir une merde supplémentaire, juste pour le plaisir du collectionneur, et pas celui de mes oreilles. Et pourtant...
Sur la sortie cinch, connectée au convertisseur Audio Synthesis, la Kenwood 1100SG décoiffe ! L'Audio Synthesis est assez délicat : il n'aime pas les platines qui ont un jitter élevé. Cela survient avec certaines platines haut de gamme très renommées, sur lesquelles il ne vérouille pas du tout. Sur certaines autres, il affiche un indicateur d'erreur mais accepte de convertir, en général avec une perte de définition dans les aigus. Sur la Kenwood, à part sur de mauvais disques CDR mal enregistrés et sales, le Kenwood sort un signal propre, du moins du point de vue du convertisseur.
En connectant le Kenwood au convertisseur, je redoutais un peu l'écoute. Il y quelques semaines j'ai réalisé l'opération, avec une Marantz pourtant plus récente et a priori de bon aloi, hélas pour des résultats peu probants.
La première minute d'écoute, je fus plus que rassuré. Le premier terme qui me vint à l'esprit, ce fut "huilé" ! Ceux qui ont connu cette sensation comprendrons, par contre, pour les autres, cela va être difficile à expliquer.
J'avais mis un disque pour vérifier le fonctionnement de la platine, et je fus tellement surpris par la retranscription que je l'écoutais en entier, pour le plaisir d'entendre la proposition de la Kenwood : une grande richesse de détails, des graves bien tendus, une dynamique surprenante, un pouvoir analytique inattendu... Voila, je viens d'écouter un disque en entier que d'habitude j'ai du mal à supporter.
Sur le disque du Trio Soma "Tacha", la plage n°1 intitulée jack est retranscrite avec moult détails : les cymbales ont toutes une hauteur différente, beaucoup d'énergie, chaque instrument est très bien positionné, tout passe avec une facilité déconcertante. Je ne suis pas loin de penser qu'il faudra que je compare avec ma platine de référence pour être certain qu'elle est toujours devant ! Est ce du au pouvoir analytique du système qui a été augmentée par le mode biamplification, ou bien la Kenwood qui vient d'être installée ? La proposition est différente, moins analytique et sèche, mais mon Dieu que ça marche !
Nous voila déjà sur la seconde plage : les cymbales sont toujours aussi belles, et la contrebasse apparait avec une beau niveau dans le grave, sans baver ni faire cinq mètres de large. Les quelques coups sur la caisse claire transmettent de l'impact et la platine Kenwood montre une belle dynamique ! Obnibulé par les détails, je viens juste de m'apercevoir que la scène sonore est superbe. Allez, hop, la plage n°, le sommet du disque. Rhaaaa, c'est bon...
Rokia Traoré, Album "Wanita". Encore une fois, tout passe à la perfection : la lisibilité est déconcertante. C'est peut être pour cela que ma première impression était une métaphore à base d'huile : tout s'emboite parfaitement. Les instruments africains ne sont pas faciles à retranscrire : ignare que je suis, je n'en connais pas leur nom, mais les cordes sont riches d'harmoniques, et ce truc là, cette percussion "pneumatique", elle vient me frapper le sternum.
Mmm... Jacques Loussier et son Trio pour une réinterprétation de Bach. Bon, voila, je viens de comparer avec la RME installée sur mon PC, et je trouve la platine Kenwood est meilleure. La définition est meilleure, il y a beaucoup plus de détails sur les cymbales, le son parait plus propre. Un jour je trouverais bien le temps de comparer avec ma platine de référence. Pour l'instant, contentons nous de douter.
Le résultat global est plus que positif : franchement, c'est une énorme surprise... Elle est belle, elle est grosse, sa qualité de fabrication est exceptionnelle, et ses qualités sonores sont époustouflantes. Il se peut que Kenwood n'en ait pas vendu beaucoup. Il se peut qu'elles soient toutes tombées en panne. Il se peut aussi que la faible présence sur la baie vienne du fait que ceux qui l'ont... La gardent !
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