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Faire payer le forfait internet fixe au Go « pourrait être envisagé »
Le journal des bonnes nouvelles, ce n'est pas ici
Selon un document commandé l'an dernier par le Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies (CGEIET), ainsi que par le ministère de l'économie et des finances et le ministère du redressement productif, l'idée de faire payer l'abonné Internet en fonction de sa consommation est bien un « scénario possible ». Les auteurs du document concèdent toutefois que faire payer au Go ou au-delà d'un certain seuil de consommation ne résoudra pas le problème des finances des FAI.
Internet illimité fin owni
L'Allemagne a déjà cédé
Ces dernières années, l'idée de mettre fin au forfait internet fixe tout illimité fait son chemin. En août 2011, déjà, notre confrère Owni nous alertait d'un projet de segmentation des forfaits dans le fixe, ceci en fonction des protocoles (P2P, VoIP, etc.) ou de la consommation générale des données. La Fédération Française des Télécoms, qui représente la plupart des grands opérateurs du pays (hormis Free et Numericable), expliquait d'ailleurs que les Net-goinfres, cette minorité d'abonnés qui consomme la majorité de la bande-passante, était visé par ce projet. À cette époque, Orange et SFR ne cachaient pas y être favorables.
Depuis, le sujet est revenu sur la table au niveau européen. Neelie Kroes, la commissaire européenne, a ainsi affirmé qu'elle n'était pas opposée à ce que les opérateurs cassent le mythe de l'internet tout illimité afin de proposer des offres de qualité. « Selon moi, l’intérêt public ne s’oppose cependant pas à ce que les consommateurs s’abonnent à des offres internet limitées, plus différenciées, éventuellement pour un prix moins élevé » expliquait-elle en janvier dernier dans une tribune publiée dans Libération.
Cette idée est loin d'être enterrée et devrait selon nos informations être proposée par la commissaire en septembre prochain, au sein du son fameux paquet télécom, qui s'intéresse notamment à la mort du roaming en Europe. Néanmoins, les opérateurs n'ont pas besoin de l'aval de l'Europe pour mettre en place des offres différenciées. Depuis le mois d'avril dernier, Deutsche Telekom, l'opérateur principal en Allemagne, a en effet déjà imposé à ses nouveaux clients xDSL et fibre des quotas. Passé un certain seuil (75 Go pour les abonnés ADSL, 200 Go pour le VDSL, 300/400 Go pour les abonnés FTTH), les abonnés voient désormais leur débit sombrer à quelques centaines de kb/s, à l'instar des offres mobiles que l'on retrouve en France.
Pour le moment, dans l'Hexagone, de telles limites n'existent pas, que ce soit en ADSL, VDSL, en fibre ou même en câble, hormis quelques exceptions. Mais cela va-t-il durer ? Il y a un peu plus d'un an, le 21 mai 2012, Pascal Faure, vice-président du CGEIET, écrivait au président de l'ARCEP afin de l'avertir d'une étude portant sur l'investissement des FAI et en particulier de « la consommation passée, actuelle et anticipée en bande passante pour répondre aux usages des services de communications fixes et mobiles ».
Une idée évoquée en 2010
Pascal Faure, qui a fait partie du conseil d'administration d'Orange dans le passé, précisait que Emmanuel Sartorius, ingénieur général des Mines et Dominique Varenne, contrôleur général économique et financier, réaliseront cette étude. Maurice Sportiche, administrateur civil hors classe, a lui aussi été chargé de cette mission. Monsieur Sportiche comme Madame Varenne avaient déjà travaillé ensemble pour le CGEIET en 2010 sur un sujet quasi similaire : la neutralité des réseaux. Dans ce document, nous pouvions d'ailleurs déjà y lire ceci parmi les solutions envisagées pour éviter que les FAI gèrent leurs réseaux fixes comme le font les opérateurs mobiles :
« Faire payer les utilisateurs en fonction de ce qu’ils consomment, soit via le paiement au volume, soit via l’offre de services premium avec débit garanti. Une obligation de tarification au volume, à intégrer au code de la consommation, mériterait d’être étudiée ;
Pour faire face à l’accroissement de la consommation de bande passante, les opérateurs peuvent opter pour une pratique de différenciation par les tarifs. Plusieurs solutions existent pour faire payer différemment la bande passante consommée. On peut relever deux mesures principales : faire payer les consommateurs au volume consommé ou mettre en place des services premium. Le paiement de chaque internaute selon le débit auquel il peut accéder à internet est une autre manière de différencier les tarifs mais correspond plus à une logique de qualité de service qu’à une logique de paiement du trafic consommé. »
Il était donc déjà question ici de faire payer le consommateur passé un certain seuil, ou de faire un forfait en fonction des débits offerts. Il s'agit ici d'un modèle très proche de celui visible dans les pays où le câble est généralisé, à l'instar de l'Amérique du Nord par exemple.
Faire payer a la consommation réelle
Comment augmenter les revenus des FAI ?
Quelques années plus tard, leur logique n'a guère évoluée. Dans le document publié il y a quelques mois et passé totalement inaperçu jusqu'à lors, deux grandes solutions pour aider les FAI à assurer dans le futur un investissement minimal dans le réseau internet sont évoquées. Parmi elles, nous retrouvons le peering payant, mis en avant en France après l'affaire Orange-Cogent. Mais c'est bien entendu l'autre solution qui nous intéresse. Les auteurs de l'étude expliquent en effet que les opérateurs doivent augmenter leur ARPU, c'est-à-dire leur revenu moyen par abonné. Pour le moment, les FAI français ont usé de deux techniques pour atteindre cette augmentation : proposer des services (vidéo à la demande, etc.) et des offres Premium (Freebox Révolution, Bbox Sensation, etc.).
Mais pour accroître l'ARPU et donc les revenus des fournisseurs d'accès à internet, l'étude remet sur le tapis le paiement en fonction de la consommation, ceci sous couvert que cela « respecte pleinement le principe de la neutralité d’Internet », contrairement aux services Premium. Les auteurs de l'étude expliquent que 10 à 20 % des abonnés consomment 80 à 90 % de la bande passante. Fixer un forfait de base et faire payer au-delà d'un certain seuil n'aura donc de conséquence que sur une minorité d'abonnés. « Cette solution aurait le mérite de permettre de mieux réguler la consommation, sans faire payer à tous les excès de quelques-uns. » Une logique déjà utilisée par la FFT il y a deux ans, la fédération nous expliquant que les fameux « Net-goinfres » n'étaient en fait que 5 %.
Une idée qui a ses limites
L'étude pointe toutefois les failles de cette logique de faire payer les abonnés en fonction de leur consommation. En effet, l'abonné n'est pas forcément responsable à 100 % de sa consommation. « C’est ainsi que les vidéos de publicité qui apparaissent de plus en plus sur les pages demandées ou les échanges de données entre le terminal et le fournisseur de contenus en dehors de toute utilisation active d’une application paraissent difficiles à facturer directement à l’internaute. » L'abonné n'ayant pas une maîtrise totale de sa consommation, le faire payer pour le moindre octet serait une forme d'injustice.
Pour Emmanuel Sartorius, Dominique Varenne et Maurice Sportiche, si l'idée du paiement en fonction de la consommation « ne doit pas être rejetée, (...) elle peut sans doute difficilement être utilisée comme seul moyen de faire payer le trafic ». En 2010, l'étude portant sur la neutralité du net n'était pas arrivée à pareille conclusion, mais elle pointait malgré tout d'autres limites à la mise en place de ce concept. Le fait que le forfait illimité soit proposé depuis de très nombreuses années empêche par exemple tout retour en arrière par la seule loi du marché. Par contre, « une obligation externe, inscrite par exemple dans le code de la consommation à l’instar des obligations de tarification à la seconde inscrites pour les mobiles, qui les pousserait en ce sens, ne serait pas forcément mal reçue ». Une remarque potentiellement lourde de sens.
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