Citation :
France: Chiffres de l'immigration, le grand flou statistique
(Le Figaro)
date: 2004-05-08 | posteur: Robert | lectures: 824
Qu'il s'agisse du flux annuel d'immigrants légaux, et a fortiori des estimations sur l'arrivée de clandestins, les statistiques disponibles auprès des différents organismes français compétents varient du simple au triple... Par manque de courage politique.
Le triste constat est qu'il est très difficile de savoir. La collecte des chiffres de l'immigration en France est un véritable casse-tête. Depuis des années le discours des dirigeants politiques se veut rassurant : on parle d'«immigration contrôlée» en avançant toujours ce chiffre d'«environ 100 000» migrants légaux chaque année (personnes entrant sur le territoire pour une durée de plus d'un an). Cent mille est un nombre fétiche, une référence constante que l'ancien ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, évoquait lui-même les 4 et 11 juin 2003 lors de son audition par la commission parlementaire sur «la maîtrise de l'immigration et le séjour des étrangers en France». Ses propos figurent dans le rapport n° 949 présenté par le député UMP Thierry Mariani :
«... Sur les 100 000 personnes environ qui sont accueillies chaque année (NDLR : en France), seules 10 000 relèvent de l'immigration du travail stricto sensu, les autres relevant du statut de réfugié (8 000), du regroupement familial (25 000) ou étant des conjoints de Français (45 000) et des clandestins régularisés (10 000)...»
Or, on sait depuis longtemps que ce chiffre de 100 000 est inexact. Essentiellement parce que les bases de calcul sont fausses. Chercheur à l'Institut national d'études démographiques (Ined) et spécialiste depuis des années de l'immigration, Michèle Tribalat a effectué de très nombreux travaux statistiques :
- Il y a trente-six manières de compter, observe-t-elle. L'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) dit une chose, le Haut Conseil pour l'intégration, le rapport annuel d'André Lebon (NDLR : «Immigration et présence étrangère en France», rédigé par la Direction de la population et des migrations au ministère des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité), l'Ined et le ministère de l'Intérieur... personne n'est d'accord. Il y a pourtant une manière de compter qui paraît plus scientifique que les autres : c'est celle recommandée par les Nations unies, qui consiste à compter sur la durée du séjour effectif ou du titre de séjour. Pourquoi la France ne l'a-t-elle pas adoptée ?
- Il serait possible, depuis le milieu des années 90, de tenir cette double comptabilité grâce à la méthode centralisée du ministère de l'Intérieur. Mais cela fait dix ans que le pouvoir politique refuse de s'y mettre. A l'Ined, nous avons mené une mission avec trois chercheurs à la fin des années 90, un rapport d'expertise sur la méthodologie où nous faisions vingt et une propositions. Or, au moment même où nous rédigions ce rapport, la Place Beauvau a décidé de changer la définition du long séjour... pour que les chiffres restent dans des proportions acceptables avec, à l'époque, 60 000 migrants de long séjour chaque année. Depuis 1997, nous sommes sur une pente croissante et cela augmente régulièrement. Aujourd'hui, nous passons en réalité la barre des 200 000, un seuil qui fait peur. Manifestement le pouvoir politique n'a pas envie de communiquer sur le franchissement de ce seuil qu'il ne parvient pas à assumer.
A défaut de certitude, le rapport annuel d'André Lebon constitue l'un des indicateurs officiels de l'immigration en France et reste bien en deçà de la barre des 200 000.
«En 2002, lit-on en préambule, l'immigration permanente augmente à nouveau de 10%, soit au même rythme annuel que depuis 1999. Elle totalise ainsi 156 000 personnes dont 31 500 ressortissants de l'espace économique européen et 124 500 étrangers des pays tiers.» On observe, à la lecture de ce document, que l'immigration légale a constamment augmenté pendant la période du gouvernement Jospin (114 924 en 1999, 126 823 en 2000, 140 953 en 2001 et 156 243 en 2002). Dans la seule période 1999-2002, l'immigration légale a fait un bond de 36%.
«La France s'est laissé déborder ces dernières années par les failles de sa législation, commentait Nicolas Sarkozy en juin 2003 devant la commission Mariani. La première faiblesse concernait l'asile : la situation laissée en 2002 par les précédents gouvernements s'avère catastrophique et ses conséquences se feront sentir au moins jusqu'à la fin de l'année 2004 (...).» L'ancien ministre de l'Intérieur ajoutait : «La deuxième faille majeure de la législation était constituée par les attestations d'accueil, dont le nombre est passé de 160 000 à 735 000 entre 1997 et 2002. La suppression de tout contrôle sur les conditions de délivrance de ces documents par la loi du 11 mai 1998 a entraîné des phénomènes considérables de fraude. Cette situation a démotivé l'Administration, submergée par la masse et la complexité des procédures...»
Reste qu'il existe d'autres chiffres, encore beaucoup plus explosifs, et donc volontairement occultés, rassemblés dans un document que Le Figaro Magazine a pu consulter. Son auteur, lui-même haut fonctionnaire en poste dans un ministère, tient pour l'instant à garder l'anonymat. Selon cette source, «le rapport sur les titres de séjour établi par les services du ministère de l'Intérieur pour 2001 fait état de 200 000 titres de séjour délivrés à de nouveaux migrants». Et d'ajouter : «La différence s'explique essentiellement par la prise en compte (NDLR : dans ce rapport) des étudiants accueillis en France qui sont au nombre de 60 000 par an. Jusqu'à l'an 2000, ces étudiants devaient, à l'issue de leur formation, retourner dans leur pays pour participer à son développement. Or, depuis une circulaire du 15 janvier 2000, les étudiants étrangers en France sont autorisés à s'établir définitivement dans notre pays. C'est pourquoi ils doivent être considérés comme des migrants.»
Visa de tourisme : le pied dans la porte
Ce flou statistique est encore bien plus grand quand on aborde le volet de l'immigration clandestine. Dans une interview au Figaro, le 30 avril 2003, Nicolas Sarkozy évaluait à 30 000 les entrées de clandestins chaque année sur le sol français. Il expliquait notamment que «la réalité de l'immigration clandestine d'aujourd'hui, c'est une entrée légale et un maintien illégal : près de 80% de ceux que l'on appelle les sans-papiers sont arrivés en France avec un visa de tourisme de trois mois. Une fois sur le territoire, ils déchirent leurs papiers, les perdent et ne sont plus expulsables puisque leur pays d'origine est inconnu...»
Dans le document qu'a pu consulter Le Figaro Magazine, ce haut fonctionnaire écrit sans ambages que le chiffre de 30 000 entrées clandestines «n'est pas vraisemblable» et précise : «Au rythme actuel, la France compte chaque année 80 000 déboutés du droit d'asile supplémentaires. Il s'agit de personnes qui sont entrées sur le territoire de la République d'une manière ou d'une autre, qui ont déposé une demande à l'Ofpra (NDLR : Office français de protection des réfugiés et apatrides) en vue d'obtenir le statut de réfugié et dont la demande a été refusée. Tous ou presque deviennent automatiquement des migrants en situation illégale sur le territoire français. On a donc un socle de 80 000 migrants clandestins supplémentaires chaque année, mais les chiffres sont sans doute bien plus élevés, car beaucoup de migrants illégaux ne demandent pas l'asile et ne sont donc pas comptabilisés.»
Dans ces conditions, à combien peut-on évaluer le flux réel des migrants illégaux ?
«Il s'inscrit sans doute dans une fourchette de 100 000 à 200 000... Au minimum, la France accueille chaque année au total 300 000 migrants (hypothèse basse). Or nous savons que le nombre des naissances annuel est d'environ 750 000 dans notre pays (...). Cela signifie qu'à l'échéance d'une cinquantaine d'années, en 2050, sur la moitié de la population de la France qui se sera renouvelée dans l'intervalle, un tiers sera constituée des migrants actuels et de leurs descendants. Le phénomène qui s'esquisse aujourd'hui est celui d'une modification profonde du peuplement de la France sans équivalent dans l'histoire. Il correspond au scénario esquissé par un rapport de l'ONU du 20 mars 2000 sur les "migrations de remplacement"» (lire encadré en page 52).
Magistrat en disponibilité et membre de la commission des lois, le député UMP de Gironde Jean-Paul Garraud devait poser cette semaine au Premier ministre une question orale liée au phénomène de l'immigration en France et proposer la création d'un «observatoire» ou d'une «mission interministérielle» sur l'immigration.
- Ce qui me choque, confie-t-il, c'est que nous ne disposions pas dans notre pays des véritables outils statistiques permettant d'évaluer objectivement le phénomène de l'immigration. Il est impossible de savoir où l'on en est et aucun organisme en France n'est capable de donner une vraie réponse. Or, il ne se passe pas une journée sans qu'un de mes concitoyens m'interpelle sur la question...
Dominique Rizet
(Le Figaro - Disclaimer) ajoutée le 2004-05-08
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