enufsed a écrit :
J'estimais aussi que ce n'était qu'un jeu dans lequel on pouvait remplir un rôle : après tout ils ont déjà des amis, une famille, pas la peine de se prendre la tête, passée l'émission ils ne se revoient plus.
Seulement, contrairement à une partie de Risk où on se rassemble entre amis, où l'enjeu est situé sur le plateau et dans le cadre strict d'une partie, ici ce qui est mis dans le jeu c'est la personne elle-même et sa capacité à être avec les autres (qui sont des inconnus). D'où l'ambiguité permanente : on joue comme dans un jeu mais avec des valeurs qui relèvent de l'humain. Et malheureusement pour les candidats, cette ambiguité va bien au-delà du lieu et du temps de jeu puisque en reprenant la vraie vie, ils peuvent subir le retour de bâton de leur comportement sur l'île. Et du point de vue des candidats eux-même, KL est vécu comme une expérience personnelle en lien avec la vraie vie ; ils viennent tous avec plus ou moins le même discours : se prouver que..., prouver quelque chose aux autres..., à la mémoire d'un père, d'une mère, d'un frère..., il faut les voir pleurer sur leurs mômes, faire des déclarations de mariage, formuler des décisions sur leur vie après KL, décider de faire un gamin...bref pas vraiment le genre de discours qu'on entend après une partie de Monopoly.
KL est clairement vécu par les candidats comme un moment important dans leur vie (que l'on trouve ça niais ou pas) : je n'ai pour ma part jamais vu de candidat ne parler de KL qu'en termes de jeu et de compèt, peut-être Patrick justement qui semble vraiment s'amuser, ce qui me le rend moins antipathique au final même si son air vraiment idiot me rend dingue.
En même temps, les candidats adoptent des comportements typiquement de joueurs : le fait d'être mis dans une équipe et de s'y tenir quels que soient les révélations, déceptions et confrontations humaines. Si on prend le cas de Raphaëlle c'est patent. Elle met en avant certaines valeurs et affinités mais considère que sa famille c'est les rouges avec qui visiblement elle ne partage rien, mais comme elle est "née" là-bas, elle considère qu'elle leur doit quelque chose et sait pertinemment qu'elle ne sera pas acceptée dans l'autre équipe. L'élimination des joueurs en fonction de l'équipe afin d'assurer sa propre progression est vécu et expliqué comme un comportement de jeu. La trahison d'un des siens (Isabelle) pour sa progression personnelle est expliqué comme une séquence de jeu aussi.
Là où ça devient malsain (et intéressant psychologiquement), c'est quand on mélange allègrement des séquences vécues comme jeu par les candidats et des séquences vécues comme un accomplissement personnel. Ce qui importe alors c'est leur réception par les autres : de fait son élimination n'a pas été reçue par Alexandre comme un moment de jeu mais comme une trahison personnelle. Pas comme une décision d'une Isabelle candidate réduite à un prénom dans le cadre d'une compétition mais bien comme la condamnation prononcée par Mme Isabelle Bidulletruc, mère de famille et marchande de fringue qui assurait juste avant qu'elle préserverait son équipe au nom de ses valeurs.
D'une manière générale, les candidats ont tous une perception relativement claire de la nature bonne ou mauvaise de leurs actions : lorsqu'ils jugent une action bonne et juste, ils mettent en avant des valeurs positives de la "vraie" vie, lorsqu'ils jugent une action mauvaise, ils s'empressent de l'exposer et de la justifier comme une séquence de jeu qui n'a pas d'autre ressort que celui-ci. En temps de guerre (d'où ma référence à la France de 40), je ne vois pas bien ce qui empêcherait une Isabelle de dénoncer un voisin non issu de sa communauté de départ si elle avait admettons la perspective de récupérer une partie de ses biens. Au lieu de légitimer son acte par "c'est le jeu" elle le légitimerait par un "c'est pour protéger ma famille", et de la même manière, une Raphaëlle en temps de guerre serait probablement le profil type de la citoyenne qui ferme les yeux. Au final je pense que le "jeu" n'est que le concept un peu abstrait, le cadre, qui permet aux candidats de se sentir protégés des conséquences à long terme et de laisser libre cours à leur nature. Le problème étant (comme on le voit sur HFR avec certains qui viennent fouiller internet pour trouver l'adresse d'Isabelle, et qui donc de fait confondent bien la Isabelle candidate et la Isabelle réelle) que l'île n'est pas du tout un refuge pour les bas-instincts, et en sortant la douche doit être limite froide pour certains.
L'ambiguité permanente et le mélange volontaire jeu/vie fait que les candidats peuvent difficilement in fine être des acteurs. Bien-sûr on dira que le jeu exacerbe et met à jour des possibles qui restent sous le boisseau dans la vie réelle, et après tout on ne juge les gens que sur leurs actes et pas sur leurs intentions. Ca c'est un autre débat, mais reste qu'après un tel KL, je ne me verrais pas faire confiance IRL à une Isabelle
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