Citation :
Votre génération n’avait rien de moins que Marin Cilic, Stan Wawrinka ou Del Potro, qui ont tous gagné un grand chelem pendant cette même période…
Il y a Murray aussi, mais vous ne le considérez pas comme une légende surement. Donc voilà. 3 mecs ! Et qui d’autres ? Ok, ces 3 types ont gagné un grand chelem. C’est magnifique. Mais est ce que gagner un grand chelem, c’est un but ultime ? Et si on n’en a pas gagné, cela signifie que notre génération est mauvaise ?
Je n’ai pas dit ça. Je vous demandais ce qui vous avait manqué pour en gagner un. Vous êtes tous rentrés dans le top 10, ce qui est formidable en soi, personne ne vous le conteste !
Pour vous, si on n’a pas gagné un grand chelem, on a, quelque part, « échoué ». J’essaie moi de vous dire que notre génération, les joueurs français cités, s’est heurté à des légendes de notre sport, Federer, Nadal, Djokovic mais il faut le dire : on était moins forts qu’eux. C’est tout.
Vous n’étiez pas moins forts que Cilic, Wawrinka ou Del Potro !
Vous pensez que j’étais plus fort ? Del Potro, je ne l’ai jamais battu par exemple. Je crois vraiment qu’il était plus fort que nous. En quoi n’est-il pas meilleur quand il est au top de sa forme ? Dites-le-moi ! La preuve : Quand il était à plein régime, il a eu de meilleurs résultats. Je me demande toujours pourquoi on nous pose cette question… Nous étions des très bons joueurs mais on n’a pas réussi à gagner parce qu’à chaque fois, on est tombé sur des joueurs qui étaient plus forts que nous. Tout simplement. Beaucoup de critiques nous disent : « t’as perdu contre Federer, ben alors Gael, il t’a manqué quoi ? Et toi Jo (Tsonga), t’as perdu contre Djoko, il t’a manqué quoi ? » Jo, celui qui est allé le plus loin de nous tous en grand chelem, dites-moi vous ce qui lui a manqué en grand chelem, dites-le-moi ?
Un revers niveau top 5 peut être…
Moi en 2000, je perds sur Federer en demie à Roland, et plusieurs autres fois en ¼. Pareil contre Djokovic. Du coup, j’ai un peu mal à vous donner la réponse que les gens aimeraient entendre. Prenons Stan Wawrinka, un de mes meilleurs potes. Stan ? Mais il est 10 fois plus fort que nous Stan !
Il ne l’a pas toujours été !
Federer non plus mais à 23 ans, il est devenu plus fort. C’est une réalité.
Dans son livre, Gilles Simon explique que si aucun Français n’a gagné de grand chelem depuis Noah en 1983, la faute n’en incombe pas seulement aux individualités, plusieurs générations de joueurs, mais peut être aussi à un système qui a sa part de responsabilité. Qu’en pensez-vous ?
Si je n’ai pas gagné de grand chelem, c’est que je n’ai pas réussi à jouer mon meilleur tennis pendant 15 jours d’affilée, sur un grand chelem. La faute, elle m’en incombe. Je n’ai pas été assez fort face aux « légendes » dont je parlais. Et si on parle des 3 (Cilic, Del Potro, Wawrinka) qui ont gagné malgré ceux-là, je les trouve plus forts que nous. On nous voit plus beaux que nous sommes ! Del Potro est un joueur incroyable. Wawrinka n’a pas le surnom « Stan the Man » par hasard. Je n’ai pas l’impression qu’on ait réussi à développer ce qu’il est capable de produire sur un court, à son meilleur niveau. Ces « patates » qu’il ait capable d’aligner pendant 4h, c’est « wouah ! » Sa finale de Roland Garros (quand il bat Djokovic en 2015) où il élève son niveau de jeu à un sommet invraisemblable, j’ai le sentiment que même si je jouais très bien, je n'ai pas atteint à ce niveau. C’est beaucoup plus fort. Marin Cilic (vainqueur de l’US Open en 2014), il a fait 2 autres finales de grands chelems, il a gagné 18 titres. Est-ce qu’on a fait ça ? Non plus. Et pourquoi ? Parce qu’il est plus fort. Il ne faut pas chercher plus loin que ça.
Mais derrière ce constat, la question est simple aussi : Au départ, ces joueurs avaient le même potentiel que vous tous, le quatuor français, peut être même moins d’ailleurs, et ils sont parvenus à progresser pour devenir plus forts que vous. Mais pourquoi eux, et pas vous ? Cela signifie-t-il que vous avez atteint votre niveau « plafond » et qu’il n’y avait rien de plus à espérer, ce qui est déjà beau, tout le monde en convient ?
La réponse est peut-être triste mais c’est ça. On n’a pas été assez forts. Je sais que j’ai eu l’image d’un joueur qui n’était pas assez bosseur. J’ai souvent entendu dans ma carrière : « Gael, tu aurais pu faire ci ! Tu aurais dû faire ça ! » Vous savez comment je prends ça ? Comme si on m’avait dit : « mais t’es un peu con en fait ? » Vous pensez que si j’avais pu gagner 15 grands chelems, je me serais gêné ? C’est ça que les gens ont du mal à comprendre : si je ne les ai pas gagnés, c’est parce que je ne suis pas si fort que vous le pensez. Ce qui est dur dans le sport, c’est que même si on bosse comme un fou, même si on progresse, il reste toujours une équation qu’on n’arrive pas à résoudre : un joueur qu’on n’arrive pas à battre, un type de jeu qui vous pose problème, une certaine pression qui vous tombe dessus au mauvais moment etc… Et si on parvient moins bien que certains à résoudre ces problèmes, ce n’est pas parce qu’on ne travaille pas, ou qu’on n’a pas de mental. Encore une fois, c’est parce qu’on est moins forts. Je connais plein d’autres joueurs qui bossent comme des malades, qui font tout bien mais qui ne seront jamais plus forts que nous par exemple. C’est comme ça.
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