Vincent, président du comité local MRAP de Moselle Est et élu au Conseil National, et son amie Sophie, juriste salariée au MRAP, vont passer en jugement devant la 12ème chambre du Tribunal correctionnel de Créteil, le vendredi 14 mai à 13 heures 30 sous l'inculpation d'outrage et rébellion à agents.
Vincent s'est fait arrêter sur la route le 8 avril, est descendu de voiture, les policiers l'ont fouillé et trouvé sur lui un couteau Laguiole. Il a été tabassé, a protesté ainsi que Sophie. Résultat: arrêtés tous les deux; 48 heures de garde à vue, procès pour rébellion.
Leurs témoignages sont hallucinants :
TÉMOIGNAGE DE VINCENT
Jeudi 8 avril 2004 aux environs de 1 heure du matin entre Villejuif et Paris.
Au moment de tourner à gauche pour rejoindre la Nationale 7, jai aperçu dans mon rétroviseur un véhicule en veilleuses qui me suivait de très près.
Après avoir mis mon clignotant, jai abordé le virage à gauche et me suis engagé sur la Nationale en direction de Paris.
Le véhicule qui me suivait sest mis à ma hauteur de très près. Il était occupé par plusieurs individus. Le passager à gauche du conducteur vêtu de noir ma fait un signe menaçant avec lindex et le majeur de la main droite.
Nétant pas de la région, je me suis senti peu rassuré, jai continué ma route en restant vigilant, je nai rien dit à mon amie.
Quelques secondes après, jai aperçu dans mon rétroviseur gauche un véhicule avec un gyrophare bleu sur le côté gauche. Jai réalisé que jétais suivi par un véhicule de police et ai mis mon clignotant pour me garer sur le côté sans gêner la circulation. Je me suis arrêté à hauteur dune station de lavage.
Trois policiers sont sortis de leur véhicule.
Un policier sest avancé vers moi, jai ouvert la vitre et lui ai demandé ce quil se passait.
Sur un ton ferme et menaçant, il ma ordonné de couper le contact. Ce que jai fait en réitérant ma question. Toujours sur le même ton, il ma répondu : « contrôle de police, sortez et passez à larrière».
Jai eu très peur et ai senti une grande tension. Je suis sorti sans oser fermer la portière de ma voiture comme je le fais dordinaire.
Le même policier ma ordonné de vider mes poches, jai demandé à nouveau ce quil se passait.
Il ma rétorqué :« Videz vos poches, je vous dis ! »
Jai sorti mon porte-monnaie, un paquet de cigarettes, mes clés, mon portable, des mouchoirs, mes lunettes.
Je mefforçais avec difficulté de faire tenir mes affaires sur lessuie glaces arrière. Javais peur de bouger ou de poser mes affaires par terre, jai pensé à lagression, lue dans la presse récemment, dun automobiliste sétant fait violenté par des policiers.
Tandis que je mexécutais un autre policier me palpait, lorsquil ma touché lentrejambes brutalement, je lui ai demandé de rester correct.
Parmi les objets que jessayais de poser tant bien que mal sur lessuie glaces arrière, il y avait un vieux petit canif de marque Laguiole souvenir de mon père.
Le policier moustachu sest écrié comme un enfant ayant trouvé un trésor : « arme blanche ! arme blanche ! »
Jai eu à nouveau peur, je lui ai dit: « Cest une blague ? Arrêtez votre cinéma cest le couteau de mon père avec lequel il coupait les radis ».
Le policier a déployé la lame du petit couteau en lagitant en disant : « cest pas une arme blanche çà ? »
Jai répondu sur un ton agacé: « Cà suffit maintenant, si cest une arme blanche, vous allez vous blesser. Refermez ce couteau. Jen ai marre, laissez moi ramasser mes affaires et rentrer chez moi ! ».
Langoisse montait, mon intention était de rassembler mes affaires et de me protéger en menfermant dans ma voiture pour téléphoner de mon portable et demander de laide.
Les policiers se sont alors jeté sur moi et mont menotté avec violence tout en disant : « Allez on tembarque au poste ! ».
Jai eu le sentiment que leur volonté de marrêter était préméditée compte tenu de la rapidité de leur interpellation : à aucun moment, ils ne mont demandé mon identité, ni mes papiers.
Cest alors que Sophie est sortie de notre voiture en cherchant à rappeler à la raison les policiers. Elle disait désespérée « Mais quest-ce quil se passe ? Vous ne pouvez pas lemmener, calmez vous ! »
Le policier de couleur lui a répondu : « Ferme la toi ! Rentre dans la voiture ! »
Je lui ai demandé quil lui parle autrement, que nous nétions pas des voyous. Jai dit aux policiers quils navaient pas le droit de laisser seule Sophie en pleine nuit sur le bord de la route, quelle navait pas son permis.
Je me suis dégagé et me suis précipité sur le siège du côté passager de ma voiture en décrétant que je ne laisserai pas Sophie seule.
Les policiers mont fait sortir de force et mont traîné jusquà larrière de leur voiture côté droit. Jai gardé ma jambe droite à lextérieur du véhicule.
Un des policiers ma tordu la jambe et jai senti un claquement au niveau de mon genou.
Jai crié en vain « vous allez me casser la jambe ».
Sophie a tenté de sapprocher de moi. Un des policiers (Pierre DUCELLIER) sest retournée vers elle et la jetée brutalement au sol.
Sophie est tombée, jai eu peur quelle se soit cognée la tête sur un plot que javais aperçu sur le trottoir. Je lai entendu pleurer.
Je reconnais à ce moment avoir traité les policiers de misérables, de lâches et de voyous.
Jai dit : « jai bientôt 50 ans et je nai jamais vu çà ! »
Le policier moustachu ma répondu : « Il y a 60 ans je taurai fait la peau ! » tout en me coinçant la jambe entre la portière et le bas de caisse du véhicule.
Jai rétorqué : « cest des propos de fascho, il y a 60 ans cest mon père qui se serait occupé de toi ! »
Le policier de couleur est rentré sur ma gauche dans la voiture et ma donné un grand coup dans le bas du ventre.
Jai vu Sophie se relever en pleurs, elle sest mise à crier « Au secours ! ». jen ai fait de même, mais le policier à ma gauche ma étranglé pour me faire taire.
Comme Sophie criait fort, le policier qui métranglait est sorti en hurlant « ferme ta bouche ! ferme la !»
Jai vu que Sophie avait peur et que jétais dans lincapacité de lui venir en aide face à des voyous, en uniformes certes mais des voyous tout de même. Cest la première fois de ma vie de citoyen que je nai pas pu porter assistance à une personne en danger.
Elle a été menottée de manière très musclée par le même policier qui mavait frappé au ventre, elle criait en pleurant : « ne me serrez pas si fort, vous me faîtes mal ! »
Jétais hors de moi de ne pouvoir lui venir en aide.
Je les ai traités de lâches, jai voulu sortir et ai réussi à détacher la ceinture de sécurité malgré les menottes.
Le policier moustachu ma à nouveau coincé la jambe entre la portière et le bas de caisse du véhicule pour mempêcher de sortir. Il a réitéré ses menaces en déclarant : « tu as de la chance que je sois en uniforme, sinon
».
Des voitures de police sont arrivées, Sophie a été emmenée et je lentendais supplier en pleurant : « Ne le laissez pas seul avec ce policier (en désignant celui qui lavait brutalisée), il est violent, cest une brute, je porterai plainte ! ».
Dans la voiture me conduisant au commissariat, les policiers ont continué à minsulter et à me tutoyer. Jai dit au policier de couleur quil devait être malade pour être aussi violent.
Arrivé au commissariat, jai été malmené par le même policier. Tout en me poussant vers la salle du commissariat, il me serrait volontairement les menottes en les tournant ce qui était extrêmement douloureux . Les policiers mont jeté sur le banc à côté de Sophie et my ont attaché. Jai vu Sophie en larmes, angoissée, jétais très inquiet pour elle, je la sais fragile.
Jai demandé que lon me desserre les menottes qui me faisaient souffrir et ai réclamé que lon fasse appel à un médecin.
La seule réponse a été des sarcasmes des policiers qui riaient entre eux en nous regardant avec mépris.
Sophie pleurait, je nai pas supporté ces humiliations et ai exigé quon nous manifeste plus de respect.
Un policier ma répondu « ferme la ! »
Je lui ai rétorqué quil navait le droit de nous tutoyer ainsi et ai exigé dêtre emmené à lhôpital pour subir un examen. Il est sorti de derrière le guichet, sest jeté sur moi pour me serrer la gorge pendant que deux autres se sont affairés à pousser Sophie pour lemmener plus loin.
Jentendais crier Sophie pour quon appelle un médecin en disant que javais des problèmes cardiaques.
Jétais très en colère, javais très peur et je les ai insulté en les traitant de « lâches ».
Je suis resté assis sur le banc et me suis calmé. Un jeune homme menotté était assis à ma droite. Doù jétais je ne pouvais voir Sophie mais lentendais pleurer en demandant un avocat.
Un des 3 policiers qui ma interpellé sur la route ma demandé si je voulais me soumettre à léthylomètre. Je lui ai dit « oui mais détachez moi ! ». Il ma reposé la même question, jai à nouveau dit : « oui mais comment voulez-vous que je le fasse alors que je suis attaché ». Il ma regardé, jai cru quil allait me détacher, mais est parti sans rien dire. Jai compris quil navait pas lintention de me soumettre à léthylomètre qui se trouvait derrière le comptoir puisquil refusait de me détacher.
Un agent de police en civil est entré en conduisant un homme menotté. Il ma regardé avec mépris et ma dit « Pousse toi ! ». Jai répondu : « je ne peux pas bouger, jai mal partout et je suis attaché ».
Il sest approché de moi, ma regardé avec dégoût, il avait une mauvaise haleine. Il ma donné un grand coup de poing au ventre. La personne à ma droite nétait plus là, ce qui ma permis de me glisser au bord du banc pour éviter les autres coups. Jai pu me lever malgré la menotte à mon poignet droit. A ce moment, jétais très en colère. Jentendais toujours Sophie crié sans savoir ce quil lui arrivait.
Dautres policiers ont retenu lagent en civil. Un policier ma fait un croche-pied et je suis tombé par terre.
Ils mont à nouveau frappé, mont tordu le bras gauche, jai senti un claquement et une douleur vive à lépaule. Jai dit quils mavaient esquinté, quils devaient memmener à lhôpital. Je voyais les autres policiers rire derrière le comptoir.
Une policière ma pris en photo après que je me sois relevé, ce qui ma mis en colère.
Je me suis retrouvé plaquer violemment sur le banc et ai été traîné brutalement dans une cellule. Une odeur insoutenable se dégageait des toilettes souillées dexcréments. Jai été fouillé par plusieurs agents qui me secouaient et me frappaient. Lun dentre eux ma plaqué la tête contre la litière en béton. Je voyais le « WC turc ».
Ils sont sortis de la cellule après mavoir enfin démenotté. Je voulais quon me laisse tranquille, je me suis évanoui, javais envie de mourir.
Jai été réveillé par le froid et les douleurs.
Alors que je somnolais, une femme policier est entrée dans la cellule. Elle ma dit quelle était venue voir si jétais apte à rester en garde à vue.
Je lui ai dit que personne ne pouvait être apte à être retenu dans un lieu aussi sale en lui montrant les toilettes et les excréments sur les murs.
Elle ma répondu : « ce sont les moyens de la France ! Ma question est par rapport à votre santé physique».
Je lui ai dit « vous nêtes ni médecin, ni psychiatre pour juger de ma santé, je souhaite être présenté à des personnes compétentes en la matière, hospitalisez moi !»
Elle ma demandé si je voulais un avocat, je lui ai répondu que oui que je souhaitais le même que Sophie. Elle ma répondu : « vous lui faites confiance ? » en souriant.
Je lui ai répondu « bien entendu ».
Un policier est venu me chercher pour me faire signer un document. Nayant pas mes lunettes, je lui ai dit que je ne pouvais pas signer. Il a insisté en précisant quil sagissait dune simple formalité, jai répliqué que je ne faisais pas confiance à des gens mayant agressé et ai demandé à ce que lon me ramène dans la cellule.
Lagent de police est entré dans la cellule pour me faire signer un papier prétendant que je refusais de me soumettre à léthylomètre, jai précisé que je navais pas mes lunettes et que je voulais être présenté à un médecin pour une prise de sang. Il ma répondu quil était de toute façon trop tard, quon ne verrait plus rien. Il ma dit quil pouvait me lire le procès-verbal, ce quil a fait. Je lui ai demandé dajouter que je navais pas refusé mais réclamé quon me détache. Il ma répondu quil aurait dû de toute façon me détacher pour que je souffle dans lappareil en insistant pour que je signe. Je lui ai demandé pourquoi il ne lavait pas fait plus tôt, il ne ma pas répondu.
Jai à mon tour réclamé quil modifie sa version, il est sorti et est revenu avec une version modifiée quil ma lue, jai signé sans avoir pu relire nayant pas mes lunettes.
Jai attendu longtemps dans la cellule. Dans la nuit, mon avocat, Maître Vincent MERRIEN, est passé. Il a pu constater mon état. Je lui ai demandé davertir mes proches, il ma rassuré sur létat de Sophie en me disant quelle était courageuse, mais quelle naurait pas du dire quelle porterait plainte et quelle était juriste au Mouvement contre le racisme et pour lamitié entre les peuples.
Après sa visite, jai essayé dadopter un profil bas.
Jai été conduit à lhôpital pour être présenté à un médecin qui ne ma pas ausculté. Je pensais au moins quil maurait fait une prise de sang.
De retour au commissariat, on ma conduit dans ma cellule où jai attendu longtemps dans le froid et les odeurs dexcréments. On est venu me chercher pour mauditionner, menotté dans le dos, lagent me poussait en serrant les menottes. Javais du mal à marcher : mon genou et mes poignets me faisaient souffrir.
Lors de laudition, les policiers avaient du mal à comprendre ce quil sétait passé. Ils ont essayé de me faire avouer que jétais ivre, ce que jai nié.
Ils ont maccusé davoir tenu des injures qui ne font pas partie de mon vocabulaire. Jai reconnu avoir proféré certaines injures mais ai précisé que cétait en réplique à celles tenues par les policiers qui mavaient frappé.
Au moment de signer, je leur ai dit que je navais pas mes lunettes. Ils sont allés les chercher, je me suis aperçu quun verre était tombé . Jai essayé le maintenir avec la main droite, la gauche étant menottée à la chaise. Je ne pouvais pas signer et tenir mes lunettes. Je nai pas pu relire ma déposition, mais je lai signé après que lagent me lait lue.
Mes facultés découte étaient réduites : je souffrais à lépaule, au genou, aux poignets étais aphone, choqué et épuisé.
Lorsque lon ma reconduit dans la cellule, un agent ma demandé de me déshabiller.
Je lui ai dit que ses collègues navaient pas agi de la sorte. Il ma dit quils navaient pas respecté la procédure. Je me suis senti à nouveau humilié.
Jai attendu à nouveau de longues heures avant dêtre auditionné par les mêmes agents : javais du mal à parler ayant très mal à la gorge. Je navais plus de notion du temps, ma cellule étant privée de la lumière du jour.
Les conditions daudition ont été similaires. Je ne me souviens plus de ce que jai signé.
Nous avons été présentés dans la soirée aux 3 policiers nous ayant agressés. Cest la première fois que je revoyais Sophie depuis notre arrestation. Le commissaire nous a dit que nous ne pouvions pas nous parler directement. Les 3 policiers eux discutaient à voix basse entre eux en riant tout en lisant un document, je pense quil sagissait de nos dépositions. Jai eu le sentiment que cette confrontation était partiale.
Le policier consignant nos dépositions tutoyait ses 3 collègues et ne nous a pas permis de nous exprimer librement.
Pour ma part, à aucun moment je nai pu donner ma version des faits survenus lors de mon interpellation.
Plus tard, nous avons été emmenés au dépôt du palais de justice.
Dans la matinée, jai été présenté à Madame le Substitut au Procureur. Elle ma dit « excusez moi mais jai une vingtaine de dossiers et vais être obligée daller vite ».
Là encore je nai pas eu la possibilité dexposer librement ma version des faits et des agressions subies.
Jai vu par la suite une avocate commise doffice.
Après plusieurs heures dattente, on est venu me chercher. Jai été menotté avec Sophie et conduit dans la salle daudience. Nous avons obtenu le report de laudience et avons été relâchés.
Paris, le 5 mai 2004
(1) Ce nest que plus tard quelle ma avouée avoir fait pipi de peur, condition dans laquelle on la laissée toute la période de garde à vue, ainsi quau dépôt du palais de justice jusquà notre mise en liberté.
(2) Jai appris par la suite de la bouche dun policier lors de mon audition que cétait des méthodes apprises lors de leur formation pour faire avancer les prévenus.
(3) Ce sont des lunettes neuves à verres progressifs.
Message édité par Marc le 14-05-2018 à 21:48:33