Luc Ferry engage la plus grande réforme de l'université depuis 1984
ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 10 Mai 2003
Son avant-projet de loi, qui devait être transmis aux syndicats vendredi 9 mai, prévoit de renforcer l'autonomie des universités. Elles pourront désormais gérer librement leur budget. Il poursuit également l'harmonisation européenne des diplômes avec le système licence-master-doctorat Le ministre de l'éducation nationale, Luc Ferry, devait transmettre aux syndicats, vendredi 9 mai, son avant-projet de loi sur la réforme de l'enseignement supérieur. Il s'agit de la plus importante révision législative depuis la loi Savary de 1984 : elle prévoit de renforcer l'autonomie des universités et de poursuivre l' harmonisation européenne des diplômes en créant le système du LMD : licence- master-doctorat. Ce système a été expérimenté à l'université de Valenciennes, où les étudiants semblent satisfaits de suivre des parcours personnalisés. Les syndicats, et notamment l'UNEF, majoritaire chez les étudiants, sont très critiques à l'égard de ce texte. L'UNEF, qui tient son congrès à Lyon, dénonce une « idéologie d'inspiration libérale et conservatrice ».
L'ENSEIGNEMENT supérieur français est en chantier. Le ministre de l'éducation nationale, Luc Ferry, devait transmettre aux syndicats, vendredi 9 mai, un avant-projet de loi qui pourrait constituer la plus importante révision législative sur les universités depuis la loi Savary de 1984. Ce texte, qui devrait être débattu avant l'été par le Parlement, renforce de manière significative l'autonomie des universités, une évolution qualifiée d' « essentielle » par le ministère, qui y voit un moyen de rendre l'enseignement supérieur « plus efficace et performant ». « Il me paraît nécessaire de donner plus d'espace de liberté et de responsabilité, en bref plus d'autonomie, à nos universités », explique le ministre dans sa Lettre à tous ceux qui aiment l'école, envoyée le 17 avril à tous les enseignants.
Pour Luc Ferry, l'enseignement supérieur a réussi à accueillir une « vague exceptionnelle d'accroissement du nombre d'étudiants », passés de 1,2 million en 1980 à 2,1 millions aujourd'hui. Mais il doit s'adapter à de « nouveaux défis » qualitatifs - concurrence internationale, formations plus professionnelles, partenariats avec les collectivités locales, etc. - qui supposent une révision du mode de fonctionnement des universités. L'opération engagée par Luc Ferry vise donc à « libérer » les universités de « certaines contraintes » de gestion. Des contraintes habituellement dénoncées par les tenants d'une conception libérale de l'enseignement supérieur, comme l'illustre le pamphlet publié en avril par Jean-Hervé Lorenzi et Jean-Jacques Payan (L'Université maltraitée, Plon), qui dénonce l' « infantilisation » d'un système universitaire trop réglementé.
En premier lieu, Luc Ferry accède à une revendication ancienne des présidents d'université d'obtenir une plus grande marge de manoeuvre dans leur gestion financière. L'avant-projet de loi prévoit l'instauration d'un « budget global » qui se substitue à un encadrement jusque-là très contraignant des crédits. Les universités devraient ainsi disposer plus librement des fonds versés par le ministère : au lieu d'être obligatoirement affectés à telle ou telle dépense, les crédits pourront être utilisés en fonction des priorités des établissements. Le ministère envisage également - mais la décision n'a pas encore été arbitrée par Matignon - de donner aux universités la possibilité de gérer leurs dépenses de personnel : les établissements pourraient ainsi décider de réaffecter les moyens budgétaires correspondant à un poste vacant sur une autre dépense.
« Pilotage rigoureux »
En contrepartie de cette liberté, le ministère souhaite renforcer les moyens de contrôle des universités. En janvier, Luc Ferry avait rappelé, à propos de la décision de l'université Paris-XI - Orsay de fermer ses portes pendant quinze jours pour réaliser des économies ( Le Monde du 25 janvier), que l'autonomie supposait un « pilotage rigoureux » de la part des établissements.
Décentralisation oblige, Luc Ferry veut aussi rapprocher les universités des collectivités locales. Ces dernières pourront être associées à la signature de certains volets des contrats pluriannuels passés entre l'Université et l'Etat. Constatant que les universités sont souvent trop petites par rapport à leurs concurrentes étrangères, le ministre de l'éducation se déclare favorable à la « mise en commun de moyens ». Les universités pourront donc s'associer au sein d' « établissements publics de coopération universitaire ».
Le statut des enseignants-chercheurs représente le deuxième dossier majeur. Comme son prédécesseur, Jack Lang, Luc Ferry a fait le constat que les missions des enseignants du supérieur sont définies de manière restrictive : leur statut prévoit uniquement qu'ils doivent effectuer 192 heures d'enseignement devant les étudiants. Leurs autres activités (recherche, suivi pédagogique, responsabilités administratives, etc.) ne sont pas prises en compte. Estimant cette situation « archaïque », le ministre de l'éducation a annoncé sa volonté de donner à chaque établissement la possibilité de « moduler les missions de ses enseignants-chercheurs » en fonction de ses priorités. Une mission a été confiée à l'ancien premier vice-président de la Conférence des présidents d'université, Bernard Belloc, qui doit émettre des propositions d'ici septembre. Système de crédits
Le troisième chantier de l'enseignement supérieur est à plus long terme encore : il concerne la mise en place du système « licence-master-doctorat », qui répond à la nécessité, pour la France, de participer à l'harmonisation européenne des diplômes. Ce processus, commencé par Claude Allègre en 1998, repris par Jack Lang puis par Luc Ferry, devrait concerner la moitié des établissements d'ici 2004. Pour favoriser la « lisibilité » internationale des diplômes français, les DEUG, licences, maîtrises, DESS et DEA vont être remplacés par les licences (bac + 3), masters (bac + 5) et doctorats (bac + 8), un système désigné par le sigle LMD ou « 3-5-8 ». L'évolution n'est pas seulement sémantique : grâce à l'instauration d'un système de crédits - une année valant 60 crédits, une licence 180 crédits -, les étudiants devraient pouvoir construire des parcours plus personnalisés. Les crédits obtenus ont, en effet, vocation à être recyclés dans d'autres universités ou d'autres formations, en France ou dans le reste de l'Europe, à condition toutefois que les parcours restent cohérents. D'ici 2004, près de la moitié des universités devraient avoir basculé dans ce nouveau système.
Ces trois dossiers provoquent des réactions critiques de la part des syndicats. Le Snesup-FSU, majoritaire chez les enseignants du supérieur, et deux organisations étudiantes, l'UNEF et la FAGE, ont déjà fait connaître leur opposition à une autonomie accrue des universités. « C'est un projet extrêmement dangereux qui vise à mettre en concurrence les établissements selon une vision très libérale », estime Maurice Hérin, secrétaire général du Snesup-FSU, également opposé au projet de réforme du statut des enseignants-chercheurs. L'UNEF et le Snesup sont également critiques au sujet des conditions de mise en place du système LMD, qui pourraient déboucher, selon eux, sur une « remise en cause du caractère national des diplômes » du fait de la liberté donnée aux universités dans la définition des diplômes. Le chantier de l'enseignement supérieur risque de ne pas être le plus facile pour Luc Ferry. |