bozo le clown | Je suis très curieux de savoir la réaction d'un tel article (auquel j adhere totalement au demeurant) sur ce forum.
Ecrit par Jacques Marseille, professeur à l'université Paris 1 Sorbonne et publié dans "L'Expansion" numéro 676 (Juin 2003), pages 70 à 76 :
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- Les coûteuses colonies de la France
- Thèse dérangeante d'un historien réputé : non, la France n'a pas pillé le Tiers-Monde. L'entreprise coloniale fut même une très mauvaise affaire...
- Par Jacques Marseille, professeur à l'université Paris I-Sorbonne, Bernard Poulet
- La France a-t--elle exploité ses colonies ? A-t--elle pillé leurs ressources et entravé durablement leur développement ? A ces questions, la tradition a longtemps répondu oui. De nos jours encore, la vague déferlante de la repentance nous amène à penser que les malheurs de l'Afrique ou de l'Algérie sont évidemment liés aux mauvais comptes de la colonisation. L'indignation d'André Gide témoignant dans son Voyage au Congo des abus sanguinaires de l'exploitation, la popularité de Banania s'identifiant au tirailleur sénégalais de la Première Guerre mondiale, la spoliation d'un quart de l'espace agricole algérien au profit des colons, le trafic de la piastre indochinoise et les dividendes des producteurs de caoutchouc, autant de réalités qui ont inspiré Le Livre noir du colonialisme (Laffont) et forgé le mythe d'une France vivant paresseusement des rentes de son empire, remplissant ses caisses des revenus extorqués aux pays de cocagne qu'elle avait mis sous sa tutelle.
- Autant de lieux communs qu'il faut constamment mettre en question, même si les bons sentiments, qui sont monnaie courante, nous amènent à multiplier les sanglots et à demander l'absolution pour les crimes que nous aurions commis.
- Pour ce faire, il faut tenter d'établir une stricte comptabilité de l'« entreprise coloniale », faire l'inventaire des charges et des produits de l'exploitation, évaluer les pertes et les profits, bref, faire litière des imaginaires pour répondre à une question simple mais controversée : les colonies ont--elles été une bonne affaire pour la France ?
- E n 1958, à l'époque où la France humait pour la première fois l'odeur du pétrole saharien et pouvait rêver de se libérer de sa dépendance en matière d'énergie, un lecteur de France Observateur s'était froidement livré à ce calcul : « En admettant que de Gaulle arrive à écraser dans le sang l'insurrection algérienne en deux ans, et en évaluant à 600 milliards par an l'incidence budgétaire de la guerre (évaluation ridiculement faible), on aboutit, pour la période 1956-1960, à un total de 3 000 milliards pour cinq ans. En supposant que des sociétés à capital français à 100 % puissent extraire à leur seul profit 20 millions de tonnes de pétrole par an pendant dix ans en toute tranquillité (ce qui paraît être un maximum difficile à atteindre techniquement et politiquement), on arrive à un total de 200 millions de tonnes de pétrole revenant à 15 000 francs la tonne (sans frais de recherche, ni ceux d'exploitation, de transport, ni les milliers de milliards perdus pour l'économie par suite de son orientation vers des dépenses militaires improductives, ni l'aggravation de la balance des comptes du fait même de ces dépenses militaires, tous chapitres à mettre au passif de l'opération algérienne). Or, si je suis bien renseigné, le cours de la tonne de pétrole non raffiné est à moins de 10 000 francs la tonne sur le marché international. Tout commentaire est inutile pour qui sait compter. Et si le pétrole ne rapporte pas, il y a peu de chances pour que les oranges d'Oranie ou les bananes de Guinée rapportent plus que des pelures ! » ( France Observateur, 18 septembre 1958).
- D eux ans auparavant, François Bloch-Lainé, ancien directeur du Trésor, président de la Caisse centrale de la France d'outre-mer, un homme qui savait compter mieux que tout autre, avait lui aussi lancé - à sa manière et dans un langage plus feutré - une véritable bombe en écrivant dans La Zone franc, un ouvrage publié aux Presses universitaires de France : « Le système du "pacte colonial", si critiqué depuis la guerre, s'est presque renversé au bénéfice des pays d'outre-mer. Désormais, ceux-ci importent beaucoup plus en provenance de la métropole qu'ils n'exportent vers elle. La différence entre leurs importations et leurs exportations est compensée par des transferts de capitaux, pour la plupart publics, qui sont effectués dans le sens métropole-outre-mer. Ces transferts sont principalement destinés à contribuer aux dépenses d'investissements des territoires. Tout se passe comme si la métropole fournissait les francs métropolitains qui permettent à ses correspondants d'avoir une balance profondément déséquilibrée ; ainsi s'opère, aux frais de la métropole, le développement économique de tous les pays d'outre-mer sans exception. »
- Telle est bien, en effet, la seule façon d'établir les comptes de l'entreprise coloniale et de mesurer comment elle aurait pu être avantageuse pour la France. Elle aurait pu l'être de deux façons seulement.
- Premièrement, et c'est une idée difficile à comprendre pour tous ceux qui pensent qu'une balance commerciale positive est le signe de la puissance et de la compétitivité, si nos exportations à destination des pays de l'empire avaient été inférieures à nos importations en provenance de ces mêmes pays. Dans ce cas, le système colonial des paiements aurait permis à la France de régler son déficit en inscrivant simplement des francs au crédit de ses colonies, qui auraient ainsi été contraintes de lui faire crédit. Un système largement pratiqué par la Grande-Bretagne avec les pays du Commonwealth, ou par les Etats-Unis avec le reste du monde.
- Deuxièmement, si les colonies avaient exporté vers l'étranger plus qu'elles n'en importaient. Dans ce cas, elles auraient procuré à la France des devises qui lui auraient été utiles pour équilibrer sa propre balance des paiements avec l'étranger.
- En fait, ni l'une ni l'autre de ces hypothèses n'a été réalisée. En longue durée, au contraire, les colonies ont accumulé à l'égard de la France des déficits commerciaux dont le montant mesure le volume des crédits que cette dernière a dû consentir pour leur permettre d'équilibrer simplement leurs comptes. De 1900 à 1971, ces crédits s'élèvent à un peu plus de 50 milliards de francs 1914, soit plus de quatre fois le montant des emprunts russes, soit plus de trois fois le montant total des aides américaines à la France de 1945 à 1955 ! Obnubilés par la mystique des investissements et par la comptabilisation des capitaux investis par les entreprises, nous avions fini par oublier que le crédit commercial est la forme privilégiée du financement de l'économie.
- A cet égard, l'ampleur des crédits offerts de 1945 à 1962 (32,5 milliards de francs-or) peut aujourd'hui surprendre. Représentant, bon an mal an, près de 10 % des recettes budgétaires de la France, ces crédits mesurent aussi ce qui a fait défaut à la métropole pour reconstruire son économie dévastée par la guerre et mieux loger ses habitants, à une époque où l'abbé Pierre entamait sa campagne en faveur des sans-logis. Mieux encore, en pourcentage du PIB, la France a largement dépassé au cours de la période coloniale le 0,7 % d'aide au développement souhaité par les instances internationales.
- Fallait--il avoir confiance dans l'avenir - ou être totalement aveugles - pour engloutir des sommes aussi considérables avec pour seul profit les critiques acerbes de ceux qui dénonçaient et dénoncent toujours le pillage des colonies ! Ainsi, dans les dix années qui précédèrent l'indépendance, l'Algérie avait beau absorber 20 % des exportations françaises et être le premier client de la France, les 3 350 milliards d'anciens francs qu'a représentés le débouché algérien de 1952 à 1962 étaient inférieurs aux 3 528 milliards que le budget métropolitain a dû transférer en Algérie au cours de la même période pour assurer la solvabilité de son premier client. Comme l'écrivait le sénateur Pellenc en 1956, « s'il est exact de dire que l'Algérie est le "premier" client de la métropole, on ne saurait dire que c'est le "meilleur" client, car c'est un client très particulier ; pour un tiers, il ne paie ses achats qu'avec des fonds que le vendeur lui donne ». En 1961, l'année qui précède l'indépendance, l'Algérie achetait par exemple 421 milliards de francs de marchandises à la métropole, qui lui en versait 638 pour rétablir le déséquilibre de son budget et de sa balance des paiements !
- P is : à l'opposé de ce qu'affirme une légende tenace, la France n'a aucunement « pillé » les matières premières de ses colonies. Bien au contraire. C'est le constat surprenant que permet de dresser le calcul des termes de l'échange entre la France et ses colonies. Dans le cas de l'Algérie toujours, après s'être améliorés pendant la crise des années 30, les termes de l'échange de marchandises de l'Algérie passent de l'indice 100 en 1949 à l'indice 124 en 1960. Preuve de la détérioration des termes de l'échange pour la France : de 1948 à 1954, si les tonnages importés en Algérie depuis la France s'accroissent de 135 %, les exportations de l'Algérie à destination de la métropole ne progressent que de 32,5 %. En fait, dans de nombreux cas, la France achetait les matières premières coloniales au-dessus des prix mondiaux. Certes, ces surprix, qui s'élevaient à 25 % pour le vin algérien, avaient pour utilité de permettre aux industries traditionnelles (comme l'industrie cotonnière ou celle des savons ou des bougies de Marseille) d'écouler aisément des produits médiocres sur des marchés protégés. Mais ces facilités contribuaient par là même à rendre ces secteurs moins aptes à la compétition internationale, et à affaiblir la compétitivité globale de l'économie française.
- Autant de constats qui amenaient les esprits les mieux avertis et les comptables les plus secs à souhaiter la rupture précoce des liens qui unissaient la France à ses colonies. Dès les années 30, certains hommes d'affaires se posaient déjà la question. Envoyé en mission en Afrique noire par le ministre des Colonies Paul Reynaud, au mois de décembre 1931, un jeune inspecteur des finances, Edmond Giscard d'Estaing, père de l'ancien président de la République, écrivait à son retour qu'il valait mieux, « pour l'avenir même du pays, ne rien faire plutôt que d'engloutir des fonds destinés à se perdre, s'ils [étaient] versés dans une économie qui n'[était] pas faite pour les utiliser au bon endroit et de façon productive ». C'était reprendre l'argumentation des économistes libéraux qui, un demi-siècle plus tôt, s'étaient opposés aux conquêtes. « Il s'agit de savoir ce que valent ces nouveaux débouchés et ce qu'ils nous coûtent, écrivait en 1898 Gustave de Molinari. Que dirait--on d'un industriel ou d'un négociant qui dépenserait chaque année 100 000 francs de frais de commis voyageurs, de circulaires et de réclames pour placer 100 000 francs de marchandises ? On dirait qu'il n'a pas la tête bien saine et on conseillerait à sa famille de le faire interdire, ou tout au moins de l'obliger à renoncer au commerce. »
- T el fut bien le cas pour la France. Même si la colonisation a pu enrichir certains aventuriers, faire le miel d'entreprises spécialisées ou de milieux d'affaires, assurer de solides prébendes aux fonctionnaires et militaires qui ont fait carrière outre-mer, on ne peut pas dire qu'en longue durée elle a servi la France et les Français. On peut même dire que l'Empire français, considéré avant toute chose comme un marché destiné à protéger l'industrie française de la concurrence, a freiné sa modernisation et fait en définitive plus de mal que de bien à l'économie métropolitaine dans son ensemble.
- Doit--on pour autant regretter ces milliards versés outre-mer ? Ce serait absurde. En fait, et c'est bien le plus insidieux des héritages, pendant longtemps, la France a fait croire aux pays d'outre-mer que l'argent était monnaie courante et que la réduction des déséquilibres ne nécessitait aucun effort particulier. Pour les pays autrefois colonisés, le sévère apprentissage des contraintes est aujourd'hui le prix de ce laxisme que la France a pratiqué pendant de trop longues années. Ce n'est pas le reproche habituel qui lui est fait, mais c'est probablement le seul qu'elle mérite.
- Jacques Marseille a publié plusieurs ouvrages consacrés au colonialisme dont « Empire colonial et capitalisme français. Histoire d'un divorce » (Seuil, Points histoire, 1990), et « La France et l'outre-mer. Un siècle de relations monétaires et financières » (Comité pour l'histoire économique et financière de la France, 750 pages, 37,96 euros).
- Colonies : une vague éditoriale en forme de mea culpa
- L e temps de la repentance n'est pas près d'être clos, au moins sous les latitudes de la vieille Europe. L'abondance de la production éditoriale récente le prouve. Ainsi, au risque de parallèles ambigus avec le communisme (et pourquoi pas avec le nazisme ?), Marc Ferro a dirigé un imposant Livre noir du colonialisme (Robert Laffont, 843 pages, 29 euros), qui fournit une étude exhaustive de cette épopée. Des conquêtes espagnoles aux guerres de la décolonisation, rien n'est oublié. Pas même, bien sûr, la question des « réparations » et la qualification de l'esclavage comme « crime contre l'humanité ». La multiplicité des contributions en fait un ouvrage de référence que complète bien le Marianne et les colonies de Gilles Manceron (La Découverte, 318 pages, 13,50 euros), car il se situe dans la même volonté de dresser l'acte d'accusation. Il s'agit d'une critique systématique de l'« idéologie coloniale » et des crimes qui l'ont accompagnée.
- Le même éditeur s'attarde sur un aspect méconnu et « collatéral » du colonialisme : les génocides provoqués par la famine à la fin du XIXe siècle ( Génocides tropicaux, Mike Davis, La Découverte, 479 pages, 25 euros). Quelque 50 millions de morts, victimes des phénomènes climatiques, mais aussi de la « négligence active » des colonisateurs, nourris de dogmes libre-échangistes.
- Tous ces livres ont l'inconvénient d'oublier la complexité du phénomène, excepté Le Livre noir de la guerre d'Algérie, (par Philippe Bourdrel, Plon, 426 pages, 24 euros), qui évite cet écueil, mais il est d'une lecture peu facile. Ainsi n'y rappelle-t--on pas que les nationalistes européens furent de farouches opposants à l'aventure coloniale. Lacune comblée par un excellent petit ouvrage consacré à la culture coloniale (Pascal Blanchard et Sandrine Lemaire, Autrement, 253 pages, 19 euros). On nous rappelle que Paul Déroulède, tout à sa croisade pour l'Alsace-Lorraine, répondait à Jules Ferry : « J'ai perdu deux enfants et vous m'offrez vingt domestiques. » C'est aussi l'occasion de comprendre comment la colonisation a nourri nos imaginaires, notamment par le biais des expositions coloniales et d'une abondante production littéraire, musicale et graphique. Les visions culpabilisées-culpabilisantes de la colonisation - sans doute utiles puisqu'elle a bouleversé le monde et parce qu'elle s'est accompagnée de beaucoup de violences - ont aussi le tort d'étouffer la dimension humaine de cette histoire. Si on veut la retrouver, on lira le joli livre que l'anthropologue Sophie Caratini a consacré à un conquérant du Sahara ( L'Education saharienne d'un képi noir, L'Harmattan, 383 pages, 29 euros). L'histoire de Jean du Boucher, lieutenant à la tête d'un « groupe nomade » en 1934, n'est pas toujours « politiquement correcte », mais elle dit, mieux que beaucoup de thèses, une période déjà oubliée.
- Bernard Poulet
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Message édité par bozo le clown le 13-06-2003 à 18:25:40 ---------------
Les cons ça ose tout ! C'est même à ça qu'on les reconnaît
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