EDF allonge la vie des centrales nucléaires pour lisser ses comptes
LE MONDE | 27.09.03 | 13h26   ?  MIS A JOUR LE 27.09.03 | 14h21
 
 
Electricité de France (EDF) devrait annoncer, jeudi 2 octobre, des résultats financiers semestriels en forte hausse. Selon "Le Figaro" de samedi 27 septembre, le profit dégagé par EDF devrait dépasser les 700 millions d'euros, soit près du double du résultat net consolidé de toute l'année 2002. La raison de cette spectaculaire amélioration est due pour l'essentiel à la décision d'allonger de dix ans la durée d'amortissement des centrales nucléaires, pour la porter à quarante ans. Ce jeu d'écritures comptable a obtenu l'aval du gouvernement, à qui il rapporterait un supplément d'impôts de l'ordre de 800 millions d'euros en 2004. La remontée de la rentabilité d'EDF tient aussi à celle de filiales comme EDF Energy, en Grande-Bretagne, qui contribuera cette année pour 200 millions d'euros aux bénéfices du groupe.
François Roussely et son nouveau directeur financier, Daniel Camus, l'avaient promis, fin mars, lors de la présentation des comptes 2002 : le résultat net de l'an dernier, ces 481 millions d'euros qui marquaient une baisse de 42,8 % par rapport aux 841 millions de 2001, devaient marquer un "point bas" pour EDF.
 
A peine bouclés les comptes 2002, la direction financière s'est attelée à l'élaboration des résultats semestriels 2003 - les premiers publiés dans l'histoire du groupe électrique -, que MM. Roussely et Camus doivent présenter à leur conseil d'administration puis à la presse, jeudi 2 octobre.  Tout a été mis en ?uvre pour que la remontée des profits soit spectaculaire, autant pour faire taire les détracteurs du président d'EDF, tant en interne qu'au Parlement ou à Bercy, que pour préparer le groupe à un changement de statut, toujours espéré pour la fin de l'année, en vue de l'ouverture de son capital à des investisseurs privés.
 
M. Camus et ses services ont poursuivi la mise aux nouvelles normes comptables internationales IAS, qui avaient déjà permis à l'entreprise d'afficher des résultats positifs en 2002, malgré une perte de 1 milliard d'euros de la maison mère, liée pour l'essentiel aux mauvais résultats des filiales étrangères.
 
EDF a aussi décidé de mettre en ?uvre dès 2003, sans attendre le feu vert technique de l'Autorité de sûreté nucléaire, l'allongement de dix ans de la durée de vie de ses centrales nucléaires. Celle-ci se traduira par "un amortissement des centrales nucléaires sur une durée de quarante ans en mode linéaire", ainsi que l'annonçait une note dans les comptes consolidés 2002 du groupe EDF (Le Mondedu 17 mai 2003).
 
Selon Le Figaro du samedi 27 septembre, cet allongement de l'amortissement donnera lieu à une reprise de provisions pour démantèlement "qui dépasserait le milliard d'euros". Le résultat net semestriel d'EDF devrait ainsi "dépasser légèrement 700 millions d'euros", tandis que le résultat d'exploitation atteindrait "5,5 milliards", selon le quotidien. De bons résultats, d'autant plus importants que le second semestre s'annonce moins bon du fait des surcoûts dus à la canicule. Les provisions liées au démantèlement futur des installations et à la fin de cycle du combustible nucléaire se montaient à 28,8 milliards d'euros dans les comptes 2002.
 
DÉCISION UNILATÉRALE

"Dix années de vie supplémentaire du parc représentent un cash-flow cumulé compris entre 15 et 23 milliards d'euros", soulignait, en mai, le rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. Les députés rappelaient que la valorisation de l'entreprise publique serait accrue de "7 milliards d'euros si la durée de vie passe de trente à quarante ans". Une véritable aubaine pour EDF, qui ne cesse de rappeler qu'il manque cruellement de fonds propres.
 
Ce jeu d'écritures comptables, qui permettrait à EDF de lisser ses comptes sur les prochaines années, à raison de 700 à 800 millions d'euros par an de résultat supplémentaire, a obtenu l'aval du ministère de l'économie. Selon nos informations, EDF a fait valoir que l'allongement de la durée de vie des centrales, en améliorant les bénéfices de l'entreprise, générerait à elle seule, en 2004, un accroissement de l'ordre de 800 millions d'euros des impôts à payer par l'entreprise publique au titre de 2003. Soit autant que la hausse des taxes sur le gazole. Une bonne nouvelle pour le gouvernement, en ces temps de disette budgétaire.    
 
Il reste que, politiquement, cette décision unilatérale d'EDF d'allonger de dix ans la durée de vie de son parc de 58 réacteurs nucléaires en activité ne manquera pas de provoquer un vif débat, à l'heure où la ministre déléguée à l'industrie, Nicole Fontaine, met la dernière main à son projet de loi d'orientation énergétique, qu'elle compte soumettre au vote du Parlement début 2004. La question de la poursuite du programme nucléaire français, largement évoquée l'hiver dernier, lors du "grand débat sur l'énergie" organisé par le gouvernement, est encore loin de faire consensus, a reconnu Mme Fontaine le 12 septembre, en rendant publiques les conclusions du débat. Le gouvernement hésite encore à autoriser le lancement du réacteur de troisième génération EPR.
 
Pour leur part, MM. Roussely et Camus ne manqueront pas de souligner que l'amélioration des comptes d'EDF doit aussi beaucoup aux gains de productivité mis en ?uvre au sein du groupe. Ainsi, EDF Energy, la filiale britannique, s'apprête à annoncer, elle aussi, des résultats en forte hausse. Le résultat d'exploitation de cette branche, issue de l'acquisition, depuis 1999, de plusieurs gros opérateurs outre-Manche, "sera de l'ordre de 477 millions d'euros", sur l'ensemble de l'année 2003, et sa contribution au résultat consolidé du groupe EDF "devrait atteindre, voire dépasser, les 200 millions d'euros en 2003", se félicitait, vendredi, Vincent de Rivaz, le directeur général d'EDF Energy.
 
EDF attend aussi de meilleures nouvelles de la filiale (minoritaire) italienne Edison, revenue aux bénéfices grâce à des cessions d'actifs, ainsi que de l'Argentine, où EDF pourrait se séparer de l'une de ses deux filiales, Edemsa, tandis que l'autre, Edenor, aurait retrouvé une exploitation bénéficiaire.
 
Pascal Galinier