printf a écrit :
J'avais oublié que les Américains étaient bêtes comme leurs pieds (tout comme les Africains sont fainéants et les Juifs sont malhonnêtes...). Heureusement que nous, Français, savons tout mieux que tout le monde...
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a ce sujet un petit article sur les americains:
Au nom de Dieu, du drapeau et de Bush tout-puissant
Un grand reporter britannique a parcouru les Etats-Unis pendant cinq semaines. Il décrit un pays patriotique et sûr de son bon droit, mais replié sur lui-même et inquiet pour l'avenir, dans lequel la parole n'est plus aussi libre qu'elle l'était.
THE DAILY TELEGRAPH (extraits)
Londres
La première fois que je me suis rendu aux Etats-Unis, c'était il y a cinquante ans, pour aller étudier à Stanford. Cette fois-ci, je n'y suis pas allé pour m'amuser mais pour tenter de comprendre ce remarquable et, par bien des côtés, mystérieux pays. Après cinq semaines de séjour et près de 30 000 kilomètres parcourus, voici ma conclusion : même si la guerre en Irak a fourni une démonstration spectaculaire de la puissance inégalée des Américains, nous n'avons encore rien vu. Et pourtant, malgré leur domination écrasante, beaucoup d'Américains avouent qu'ils souffrent d'un sentiment de peur et d'insécurité. Ce qui montre que le simple exercice de leur puissance - au lieu d'apaiser leurs craintes - n'a fait que les accentuer. Ils sont devenus les citoyens craintifs du monde dans lequel ils vivent.
"Je dirais qu'on ressent beaucoup d'anxiété et de nervosité", remarque Fred Barnes, personnalité télévisuelle et chroniqueur bien connu à Washington. "Nous-mêmes, nous avons acheté du ruban adhésif pour les vitres, sans parler de notre provision d'eau et de boîtes de conserve pour plusieurs jours. Ma femme et moi sommes convenus que s'il arrivait quelque chose nous essaierions de nous retrouver, avec nos deux filles, dans notre résidence secondaire, à une soixantaine de kilomètres d'ici. Beaucoup d'autres gens ont pris ce genre de précautions." Et ce malaise est d'autant plus aigu qu'au fond d'eux-mêmes les Américains ont du mal à comprendre qu'on puisse leur causer du mal ou même les haïr. Ils croient dur comme fer que les Etats-Unis sont la première superpuissance bienveillante de l'Histoire. Ayant bâti ce qui est à leurs yeux la forme de société la plus éclairée de tous les temps, ils se voient comme des gens qui veulent faire le bien de l'humanité, en particulier en aidant les autres à leur ressembler un peu plus. Un des moments les plus révélateurs de mon périple a eu lieu au cours d'un repas chez Irving et Bea Kristol, à Washington [Irving Kristol est l'un des pères du mouvement néoconservateur]. Je leur demandais quel genre de personnes composaient la classe impériale américaine. Tous deux ont nié avec véhémence qu'une telle classe existât. Pourtant, ai-je objecté, l'Amérique semble se comporter d'une manière très impériale. Bea parut troublée et choquée. "Mais le terme 'impérial' sous-entend que l'Amérique se comporte mal."
Sa remarque trahit une insondable naïveté. Bea semble penser que l'Amérique n'agit jamais selon des intérêts étroits, mais toujours pour le bien d'autrui. Même à l'apogée de l'Empire, nous autres, Britanniques, n'avons jamais réussi à nous convaincre que notre entreprise était purement altruiste. Et pourtant, à ma stupéfaction, lorsque j'ai rapporté cette conversation au doyen de la Stanford Business School, Robert Joss, il n'a pas été surpris par la remarque de Bea. "Oui, c'est ce que pensent profondément les Américains, m'a-t-il expliqué . Ils sont convaincus que nous essayons d'apporter la liberté au monde entier et que nous sommes prêts à en payer le prix fort. Je sais que cela peut paraître terriblement naïf aux yeux des Européens, et pourtant c'est la conviction intime de la majorité des Américains. Ils sont choqués de voir que certains jugent différemment leurs mobiles. Il est exact que nous voulons répandre notre type de société dans le monde entier, mais nous ne considérons pas cela comme un exercice de puissance."
Pour Tom Foley, président de la Chambre des représentants pendant six ans, la foi de l'Amérique dans ses propres vertus est beaucoup moins louable. "Nous avons malheureusement une notion très large de nos bonnes intentions , observe-t-il . Cela conduit à considérer que toute étude objective des Etats-Unis doit forcément se conclure par une approbation. Nous sommes convaincus que notre pays est merveilleux. Quand les autres ne paraissent pas l'apprécier autant, on le met sur le compte de l'ignorance ou de la malveillance. Chez nous, pas le moindre égoïsme. Par exemple, nous estimons que nous n'avons pas fait la guerre à l'Irak pour dominer le marché du pétrole, et nous sommes profondément offensés quand quelqu'un le suggère. Et pourtant, c'est ce que nous reprochons aux Russes et aux Français."
Cela semblerait indiquer, dis-je, que les Américains ont dû être soumis à un sérieux lavage de cerveau pour être à ce point convaincus de leur propre vertu. "C'est incontestable , répond Foley. Individuellement, nous sommes plutôt modestes. Mais, collectivement, on nous a toujours répété que nous étions les meilleurs de tous les temps. Et puis il ne faut pas oublier les constantes références à la bénédiction divine qui ponctuent les discours de nos dirigeants. Nous ne sommes pas un pays qui se cache pour prier. Nous attendons de notre président qu'il soit notre premier prêcheur, qu'il répète en permanence l'idée que Dieu nous a accordé une bénédiction spéciale et que nous avons donc une mission dans le monde." Cette arrogance candide explique bien le fossé d'incompréhension qui existe si souvent entre les Américains et le reste du monde. Il est difficile de ne pas être d'accord avec Michael Ignatieff, directeur du Carr Center de la Kennedy School of Government d'Harvard, lorsqu'il assure que "rien n'est plus inquiétant que l'innocence américaine. Il s'agit d'une innocence effrayante, parfois criminelle. Notre incapacité à mettre en question nos motivations est véritablement affolante."
Comment un si grand nombre d'Américains ont-ils pu tomber dans un schéma mental aussi étonnant ? L'explication tient en partie à l'étendue et à l'éloignement de l'Amérique. "En Europe" , souligne George Weigel, de l'Ethics and Public Policy Center, "les gens ne peuvent saisir l'étendue des Etats-Unis. Mes beaux-parents vivent à côté d'Edimbourg, et ils sont stupéfaits quand je leur explique que prendre l'avion de Seattle à Washington est aussi long que d'aller de Dublin à Kiev." "D'ici, vous pouvez parcourir plus de 2 000 kilomètres et vous serez toujours aux Etats-Unis" , remarque Michael Shelden, professeur d'anglais à l'université d'Etat de l'Indiana. "Nous sommes dans une sorte de bathysphère, mais dans une très grande bathysphère. Inutile de prendre la peine d'étudier d'autres cultures : elles sont si loin ! Aux Etats-Unis, vous êtes confiné à l'intérieur des frontières. Il est facile de passer toute votre vie dans l'Etat où vous êtes né. J'ai passé toute ma jeunesse en Oklahoma, un Etat qui est presque aussi grand que l'Angleterre et le pays de Galles, et j'avais l'impression qu'il n'y avait rien au-delà de ces limites. Cela signifie que vous baignez constamment dans la culture américaine. Elle vous enveloppe totalement."
Mais ce qui distingue le plus l'Amérique du reste du monde, c'est qu'elle est animée d'une idéologie d'une puissance et d'une visée aussi vastes que le communisme. Lorsque j'étais étudiant, la seule idéologie que je connaissais était le marxisme, c'est-à-dire des petits groupes de conspirateurs occupés à fomenter des révolutions plus ou moins sanglantes. A mes yeux, les Américains n'étaient que des libertariens insouciants. Pourtant, depuis quelque temps, plus j'écoute les Américains et plus il m'apparaît évident que les Etats-Unis sont une nation profondément idéologique. "L'Amérique est essentiellement une idée" , remarque Raymond Seitz, ancien et très anglophile ambassadeur américain à Londres. "On nous a souvent considérés comme étant un peuple non idéologique et nous en sommes fiers. En fait, notre idéologie, c'est l'Amérique."
"L'un des événements les plus extraordinaires de la dernière décennie a été le triomphe de l'économie de marché et de la démocratie, ajoute Raymond Seitz . La seule autre idée concurrente, le marxisme, n'a pas marché. Dieu est descendu sur terre et - à notre immense satisfaction - a dit : 'Voici les bons, et voilà les méchants.' " A l'instar des marxistes, les Américains sont persuadés qu'ils finiront par conquérir le monde grâce à la puissance de leur idée. "L'empire américain est idéologique et non territorial , remarque le général Odom. Nous sommes tellement pénétrés de notre point de vue que nous ne comprenons pas qu'il puisse en exister d'autres. Nous ne voulons pas diriger votre pays, mais, par Dieu, vous feriez mieux de le gérer selon les principes du libéralisme..." Michael Ignatieff enfonce le clou. "Comme toutes les idéologies, la nôtre est persuadée qu'elle n'en est pas une. Elle estime simplement qu'elle est la Vérité. Bush y croit à un degré stupéfiant. En ce qui le concerne, le chemin qu'emprunte l'Amérique est forcément le chemin de Dieu."
Bien entendu, qui dit idéologie dit lavage de cerveau. Et, en Amérique, celui-ci débute très tôt. Chaque matin, les 900 élèves - parmi lesquels 50 % de Latinos, 20 % de Moyen-Orientaux et seulement 5 % de Blancs - de l'école élémentaire Glen Forest de Church Falls, en Virginie, se lèvent, la main sur le coeur, et, tournés vers le drapeau, répètent les mêmes paroles vibrantes : "Je jure allégeance au drapeau des Etats-Unis d'Amérique... une seule nation unie en Dieu, indivisible et garante de la justice et de la liberté pour tous." "Même mes petits de 3 ans répètent ces mots", observe l'institutrice Teresa West. Un peu plus loin, à l'école Lake Anne de Reston, la moitié des élèves suivent une grande partie de leurs cours en espagnol et prononcent le serment d'allégeance dans cette langue : "Juro fidelidad a la Bandera de los Estados Unidos de Norteamérica." Dans les deux établissements, il s'agit d'un moment solennel.
"Nous faisons cela chaque matin à 8 h 30" , explique Wanda Nelson, la directrice adjointe de Lake Anne. "Si un élève arrive en retard avec ses parents et que les haut-parleurs annoncent le serment, ils s'arrêtent et le récitent là où ils sont, élèves comme parents." J'ai demandé à un groupe de charmants bambins de 6 à 8 ans ce qu'ils éprouvaient en prononçant ces phrases. "Je me sens fière en disant cela parce que l'Amérique est un très bon pays, un pays libre", m'explique Acadia. Un garçonnet ajoute que parfois il sent "battre son coeur". "La plupart des enfants veulent être américains , dit Wanda Nelson, et réciter le serment leur donne un sentiment de fierté. Ils se sentent transportés. Ils ont le sentiment de goûter au rêve américain."
Chaque salle de classe de ces deux écoles - comme toutes les classes d'un bout à l'autre du pays - possède son drapeau. Quand j'ai avoué à mes interlocutrices qu'en Grande-Bretagne nous n'avions pas de drapeau à l'école, Wanda Nelson n'en est pas revenue : "Pas de drapeau ? s'est-elle étonnée. Mais alors comment faites-vous pour insuffler le patriotisme à vos élèves ?" Le phénomène ne s'arrête pas au serment et à l'omniprésence du drapeau. Dans ces deux écoles, les élèves apprennent tout une série de chants patriotiques - The Star-Spangled Banner , This Land is Your Land , America the Beautiful . Lorsque j'ai demandé aux écoliers de Lake Anne s'ils accepteraient de chanter pour moi, ils se sont aussitôt assis par terre en demi-cercle et ont entonné America the Beautiful sous la direction d'une fillette noire aux cheveux impeccablement tressés nommée Jasmin : "Amérique, Amérique , Dieu t'a accordé Sa grâce, Il a posé sur ta bonté la couronne de la fraternité, de la mer scintillante jusqu'à l'océan." Impossible de ne pas être ému.
Teresa West m'explique que son objectif personnel n'est pas de produire des Américains, mais "des individus éduqués qui feront une Amérique plus forte" - même si le fait de passer douze ans à réciter le serment, à étudier les symboles patriotiques américains, à entonner des chants patriotiques et à écouter des orchestres interpréter John Philip Sousa [1854-1932, auteur de nombreuses marches militaires et patriotiques] doit forcément finir par avoir des effets profonds. Pour certains immigrants, c'est trop, et trop vite. Un soir, je suis allé dîner au restaurant à Atlanta avec Mike McCarthy et sa femme, Christina. Mike est arrivé récemment de Grande-Bretagne pour travailler à CNN International. Un mois à peine après avoir inscrit leurs deux petits garçons à l'école élémentaire du quartier, ils se sont étonnés de les voir revenir à la maison en chantant des chants patriotiques et en disant qu'ils devraient tous aller en famille à Washington voir le Lincoln Memorial. A la rentrée de cette année, Mike et Christina ont envoyé leurs fils dans une école internationale.
Bien souvent, les écoles élémentaires préparent leurs élèves à devenir des membres à part entière d'une société capitaliste. Durant un vol au départ de Bentonville, dans l'Arkansas, je me suis retrouvé à côté de Steve Kaza, employé d'une entreprise qui vend des jouets aux supermarchés Wal-Mart, la plus grosse entreprise américaine [et mondiale] du secteur. Il m'a raconté qu'un mois ou deux auparavant son fils aîné de 11 ans, Tanner, avait suivi un cours dans lequel chaque élève recevait de façon fictive 100 000 dollars à investir en Bourse. "Ils devaient s'aider de statistiques, de records annuels et de ratios cours-bénéfices de différentes actions et, bien sûr, demander conseil à leurs parents , m'a-t-il expliqué . A un moment, Wal-Mart est descendu à 47 dollars, alors j'ai dit à Tanner d'acheter, et les actions ont remonté à 56 dollars. A la fin du premier mois, il avait gagné 18 000 dollars. Il suit les marchés tous les deux ou trois jours pour voir où en est son portefeuille. Il y a quinze jours, il m'a annoncé qu'il était deuxième." De l'école ? "Non, de l'Etat." "C'est intéressant de voir , conclut benoîtement mon voisin, à quel point on les initie tôt aux mécanismes de la Bourse. Ce n'est pas du lavage de cerveau, mais ça n'en est pas loin."
Aujourd'hui, après la guerre en Irak, l'Amérique baigne dans une ambiance étrange ; elle est troublée, désorientée, saisie de doutes. Je l'ai ressenti partout où je me suis rendu. Lors d'un vol entre New York et Atlanta, j'ai demandé à mon voisin, Tad McCraney, un avocat du Mississippi de 35 ans, ce que lui avait inspiré l'invasion de l'Irak. "C'était de l'impérialisme pur et simple, m'a-t-il répondu. Mais dans ce pays vous devez faire attention à ce que vous dites . L'opposition à la guerre était ressentie comme une opposition aux Etats-Unis. Vous auriez facilement pu vous battre avec quelqu'un. C'est pour cela que je parle à voix basse. Pendant la guerre, nous avons assisté à une criminalisation de toute forme de désaccord. Les gens avaient peur de se voir pointés du doigt s'ils osaient protester. Si vous ne pouvez pas vous exprimer librement sur un tel sujet, alors que signifie la liberté d'expression ? Si nous ne sommes pas extrêmement vigilants, cette tendance pourrait nous ramener au maccarthysme. Si vous n'êtes pas d'accord avec l'actuel président et sa politique, c'est que vous n'êtes pas patriote, voire que vous faites partie d'Al Qaida. C'est très déroutant pour un Américain moyen comme moi."
J'ai entendu le même son de cloche sur un autre vol, entre Dallas et San Diego. Il a fallu trois gin-tonics pour délier la langue de Jennifer, une consultante en soins médicaux de 50 ans. Et encore, elle a préféré ne pas me donner son nom de famille. "Nous n'exprimons pas notre opinion sur la guerre en Irak parce que cela peut nous causer des ennuis. Beaucoup de gens ne disent pas ce qu'ils pensent vraiment parce qu'ils ont peur , m'a-t-elle expliqué . Je ne suis pas démocrate - je suis indépendante -, mais je dois dire que le président est en grande partie responsable de cette ambiance. Il devient presque un dictateur. L'Irak ne nous a rien fait. Que l'on puisse faire marcher les gens comme des moutons - car nous avons été des moutons - est stupéfiant. Mon mari est un ancien marine et nous en parlons beaucoup entre nous. Mais cela ne va pas plus loin. Il est totalement ridicule que nous ne nous soyons pas sentis capables de faire entendre notre opinion sur un tel sujet."
A la Fletcher School of Law and Diplomacy, l'un des établissements les plus prestigieux des Etats-Unis, le langage est fort peu diplomatique. "Après le 11 septembre", souligne Horst Hannum, un professeur de droit international, "on a constamment cherché à nous faire peur, de sorte que, lorsque la question de la guerre a été soulevée, le peuple américain avait été conditionné pour penser qu'il n'était pas possible d'émettre de façon publique des doutes sur ce que les dirigeants du pays proposaient dans l'intérêt de la sécurité nationale. Toute interrogation était immédiatement taxée d'antipatriotisme et pouvait s'avérer très risquée en termes de carrière et d'amitiés . Je ne cesse de relire le passage de 1984 d'Orwell qui décrit un monde en état de guerre permanent. Nous allons dans cette direction car il est impossible d'aboutir à une victoire contre le terrorisme. Avec cette façon de suggérer qu'être américain, c'est être en guerre, nous en revenons peu à peu à McCarthy."
Le doyen de la Fletcher School, Stephen Bosworth, ancien ambassadeur en Corée, se montre encore plus virulent. "Le facteur qui a tout compliqué, c'est le 11 septembre. Les attentats ont suscité un sentiment exagéré de vulnérabilité chez le peuple américain, mais aucun homme politique ne veut le dire clairement parce que cela risquerait d'entraîner pour lui de graves conséquences personnelles et de mettre fin à sa carrière. C'est effrayant, et cela continue. Nous sommes un pays qui a peur. Quand je vais dans un aéroport, je dois me retenir de demander à mes voisins : 'Vous sentez-vous vraiment plus en sécurité parce que j'ai ôté mes chaussures et défait ma ceinture, ou parce que cette vieille dame a mis ses chaussures dans son sac ?' Nous avons cette mentalité étroite - nous sommes comme une bande de lemmings nageant vers le large. Le président dit qu'il n'y aura pas de retour à la normale, mais la vérité, c'est que nous avons une équipe de dirigeants qui trouvent utile de jouer avec nos angoisses. Y a-t-il un aspect totalitaire là-dedans ? Cela a en tout cas quelque chose d'orwellien. A cause de nos craintes pour notre sécurité physique, nous avons de plus en plus tendance à réprimer nos réactions normales et à taire nos désaccords. J'ai également été stupéfait de la façon dont les médias ont couvert la guerre. A part de rares notes négatives, on nous a juré que tout allait comme sur des roulettes. CNN a préféré taire les aspects les moins ragoûtants, mais même eux n'ont pas été aussi loin que Fox News, qui a été d'un chauvinisme absolu. La BBC a été beaucoup plus objective. Le fait que nous ne voyions pas les mêmes informations que le reste du monde est aussi quelque chose d'effrayant."
Chip Blacker, ami de Condoleezza Rice, la conseillère du président Bush pour la sécurité nationale, et lui-même ancien conseiller spécial aux affaires de sécurité nationale auprès de Bill Clinton, est d'accord avec Bosworth. "La guerre a transformé nos journalistes télé en marionnettes et en béni-oui-oui , déplore-t-il. Ils n'ont pas donné les informations - ils ont joué aux majorettes enthousiastes. Sur certaines chaînes, il fallait voir comme ils brandissaient le drapeau ! Je crois que la liberté d'expression a reçu du plomb dans l'aile durant cette période."
Je lui ai raconté qu'à Harvard, à l'occasion d'un repas où avaient été conviés étudiants et journalistes de la télévision et de la presse écrite, j'avais posé la question de savoir s'il y avait eu, avant la guerre, un véritable débat à la télévision, comme nous en avions eu un en Grande-Bretagne. "Vous posez cette question parce que vous savez pertinemment qu'il n'y en a pas eu" , répliqua aussitôt une femme d'une chaîne de télévision. Au contraire, ai-je répondu, j'ai demandé cela parce que j'ignorais la réponse. "De toute façon" , a alors poursuivi la femme, "les chaînes n'auraient pas considéré le sujet comme suffisamment commercial pour attirer une part d'audience importante, et il n'y aurait pas eu assez de gens pour débattre du problème en défendant un point de vue opposé à la guerre."
En entendant cela, Blacker a explosé. "Bien entendu qu'il aurait dû y avoir un débat ! C'est ridicule de prétendre qu'il n'y aurait pas eu assez de personnalités de poids pour défendre le point de vue antiguerre. De toute manière, il faut parfois agir dans l'intérêt commun et, dans ce cas précis, les grands médias ont complètement oublié ce principe, alors qu'ils auraient très bien pu réagir collectivement." Sa remarque m'a rappelé une conversation que j'avais eue avec une responsable de l'une des plus grandes chaînes américaines. Elle m'a prié de ne pas citer son nom, mais s'est déclarée "très inquiète de l'état des médias américains, car ils renoncent de plus en plus à être les observateurs vigilants et sceptiques qu'ils devraient toujours être".
L'état d'esprit qui règne actuellement aux Etats-Unis n'est pas bon du tout, observe Blacker. "Pour l'instant , dit-il, les Américains ont le pressentiment désagréable que la vie va devenir plus difficile et plus dangereuse. Leur réaction par rapport aux interventions militaires en Afghanistan et en Irak me fait penser à ces gens qui sifflotent en longeant un cimetière. On fait semblant de croire que tout va bien, mais on sait que le danger guette partout."
Au vu de cette situation, je lui demande si le renforcement du pouvoir présidentiel l'inquiète vraiment. "Sans aucun doute , répond-il. Le pays a une claire conscience que, étant donné que la guerre contre le terrorisme sera un conflit sans fin, on va assister à un glissement progressif vers un renforcement de la prééminence de l'exécutif. Le pays court un grand danger s'il s'enlise dans un conflit interminable avec des terroristes indépendants des Etats. Le risque est réel de voir nos libertés grignotées, parce que nous voyons partout des ennemis de l'Amérique."
Les remarques de Blacker soulèvent certaines questions. Un pays gouverné ainsi par la peur - malgré sa puissance militaire - est-il vraiment apte à jouer un rôle impérial ? Plus encore, ce pays peut-il prétendre être véritablement religieux s'il a aussi peur ? Pour ma part, je déteste voir les Etats-Unis sombrer dans le triomphalisme. Je déteste voir les Américains partir en guerre derrière des slogans arrogants, brutaux et vantards comme "Shock and Awe" ["Choc et stupeur", du nom de la stratégie militaire utilisée au début de la guerre contre l'Irak]. De tels comportements ne font que les rabaisser. Et je désapprouve une société dans laquelle tout ne semble être trop souvent qu'une question de marketing. Mais, d'un autre côté, j'éprouve un pincement au coeur en entendant chanter America the Beautiful ou en voyant la Maison-Blanche. J'ai été sensible à la personnalité éclatante de Robert Kennedy, aux manières modestes et élégantes de Ronald Reagan, à la pure bonté de Jimmy Carter, si rasoir fût-il parfois. Est-ce que je ressens quelque chose d'approchant à l'égard de Chirac, de Schröder, du Signor Prodi ou de leurs récents prédécesseurs ? J'en suis très loin.
Les meilleurs des Américains commencent à se rendre compte que, s'ils veulent faire la police dans le monde, il leur faudra bien comprendre quelque chose aux autres cultures. A l'académie militaire de West Point, j'ai pu observer de nombreuses lueurs d'espoir. Même CNN International est en train de devenir une chaîne vraiment internationale. "Quand je suis arrivée ici, en 1985, nos programmes n'étaient qu'une simple exportation des productions nationales", me dit Rena Golden, une femme d'origine indienne qui travaille à CNN . "Aujourd'hui, notre bureau de Londres produit 30 % de nos émissions, celui de Hong Kong 20 %. Je me suis occupée de l'embauche des présentateurs, et ils viennent des quatre coins du monde - du Kenya, de Singapour, de Bulgarie, d'Australie." Il ne s'agit là que d'un début. La grande majorité des Américains continuent à regarder le monde comme Gulliver considérait les Lilliputiens. Un de mes amis qui a travaillé plusieurs années à Bruxelles pour le compte de l'OTAN m'a confié un jour qu'il recevait "sans arrêt la visite de hauts responsables américains - diplomates, généraux, politiciens. Leur attitude se résumait à dire : 'Si seulement les gens nous comprenaient, ils nous apprécieraient.' " J'ai rapporté cette remarque à une amie américaine en ajoutant qu'ils auraient mieux fait de dire : "Si seulement nous comprenions les autres peuples du monde..." "Ouh ! Mais ils sont si nombreux !" m'a-t-elle répliqué.
Pendant mon périple de cinq semaines à travers les Etats-Unis, j'ai rencontré beaucoup d'Américains qui s'inquiètent profondément pour leur pays et son rôle dans le monde. Des hommes tels que John Hamre, responsable d'un important cercle de réflexion de Washington, ont parfaitement conscience que le genre de culture que l'Amérique exporte aujourd'hui ne peut que susciter révulsion et colère dans le monde arabe et ailleurs. "C'est une culture immorale, gratuite, nombriliste et indisciplinée. Cela me mortifie de sentir que le monde croit que nous sommes ainsi", m'a-t-il avoué. Beaucoup de gens qui ont réussi se posent les mêmes questions sur les besoins profonds de l'Amérique. John Thornton, directeur adjoint de Goldman Sachs, a passé des années à travailler au coeur de Wall Street et pèse aujourd'hui plusieurs centaines de millions de dollars. "Si nous ne sommes pas vigilants, l'absence de sens va finir par rattraper l'Amérique , analyse-t-il. Ici, l'aune commune est la recherche de l'argent et de la réussite. Il nous faudra bien un jour passer de la réussite au sens. Si nous n'y parvenons pas, notre vie sans âme deviendra insatisfaisante, ce qui agit toujours comme un corrosif sur une société. Il nous faut devenir adultes. Nous n'en sommes encore qu'au stade de l'adolescence."
Graham Turner
Courrier International
11/09/2003, Numero 671