Voilà une petite nouvelle écrite récemment. Torchée en 2 soirs elle n'a pas été retenu sur l'appel à texte pour lequel je l'avais composée. Pas mal de faute restaient et j'ai eu la flemme de la fignoler, mais la voici quand même pour ceux qui n'ont rien eu à se mettre sous la dent depuis longtemps.
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Alberich frappa Kataryn en pleine poitrine.
La valkyrie fut littéralement propulsée en arrière, jusqu'au mur qu'elle heurta de tout le poids de son armure. Le choc fut si violent que la guerrière se retrouva incarcérée dans la pierre.
Le maître darme, un nain bâti tout en muscle, caressa pensivement sa longue barbe rousse. Le jeune homme semblait abasourdi de se découvrir ainsi tant de force. Pourtant, fort il létait. Grand de six pieds, tout en muscles, une mâchoire carrée et des yeux bleus encadrés par une tignasse paille, Alberich avait tout du parfait guerrier.
"_ Quen dis-tu ?
_ Extraordinaire maître Draknar, » répondit le jeune homme, fixant l'aura de pouvoir qui englobait son poing. « Je naurais jamais pensé que la différence serait aussi flagrante.
_ Et encore, tu n'as pas l'expérience qui te permettrait de concentrer ton pouvoir," intervint Kataryn en se libérant de la paroi.
La valkyrie épousseta négligemment ses épaulières de mitril, puis passa la main dans sa chevelure dorée afin de la nettoyer des gravas qui s'y étaient glissé.
"_ Maintenant, repris Draknar, tu va voir ce que peut faire une immortelle au sommet de son art. Alberich, arme-toi de cette épée et de ce bouclier."
Alberich s'empara du dit bouclier. Celui-ci était composé d'écaille d'un rouge sombre, et était chaud au toucher, presque brûlant.
"_Des écailles de dragons," déduit Alberich.
Il empoigna dans la main droite une longue épée d'un métal brillant dune aura lunaire. Le vieux nain hocha la tête en direction de Kataryn, lui ordonnant d'utiliser pleinement ses capacités. Celle-ci acquiesça en retour, et se retourna vers Alberich. Le visage de la guerrière changea du sourire complice en un masque concentré. Ses yeux brillaient maintenant d'une furie colérique, son poing serrait avec fermeté sa longue épée, et les veines de son visage se teintèrent d un rouge des plus vif.
Alberich recula d'un pas, surpris devant autant de détermination.
"_ La colère du berserk," reconnut le jeune homme.
Mais la guerrière n'entendait plus. Elle se précipita sur lui si rapidement qu'Alberich n'eu que le temps d'écarquiller les yeux, et, tout en poussant un cri de rage assourdissant, elle lui asséna un coup d'une telle violence que le bouclier fut coupé en deux, ainsi que le bras du jeune homme. Sans même s'arrêter, la valkyrie poursuivit sa frappe et trancha net la jambe avant de heuter le sol si violemment qu'elle l'ouvrit en deux. Ce qui restait d'Alberich tomba dans la mare formée par son propre sang.
Aussi subitement que la mort était survenu, le cadavre s'auréola d'une brillante aura, et Alberich se releva, intact.
"_ Je suis vivant ? demanda le guerrier.
_ Tu es au Vallhalla, répondit Kataryn, et tu es un Einherar(1). Tu es déjà mort, ne te souviens-tu pas lorsque je suis venu te réclamer ? »
Alberich hocha la tête. Comment aurait-il pu oublier ne serait-ce quune once de cet instant ?
* * *
Gragnur était mort.
Le chef barbare gisait dans la neige, sa tête séparée du corps. Son cruel clan de pilleurs et de tueurs nétaient plus que cadavres, mais que de morts cette victoire avait coûté. Alberich regarda autour de lui. Il était le seul survivant. Ses compagnons gisaient non loin de lui.
Le celte Llewerynn était cloué à un arbre, son arc était à terre, brisé. Jorgun, qui semblait pourtant invincible, avait succombé au nombre. A en juger par le nombre de cadavre qui lentourait, la horde de Gragnur avait payé le prix fort pour tuer le colosse. Et puis il y avait Valeria
La guerrière aux cheveux dorés sétait sacrifiée pour sauver Alberich dun coup mortel, sinterposant devant lépée fourbe que Gragnur brandissait dans le dos de son compagnon. Elle avait eu juste le temps de lui dire combien elle laimait avant de partir.
La rage avait alors submergé Alberich. La vengeance était tout ce qui comptait, et seul le sang de Gragnur pouvait létancher. Et pourtant, même inspiré par lesprit de la colère, Alberich ne réussit à rien. Le chef barbare était trop fort, trop grand, trop rapide, et infiniment brutal.
Quelques instants plus tard, Alberich était à quatre pattes, interloqué devant son épée brisée, laquelle reposait dans la neige, juste sous son nez. Gragnur leva son épée Zweihander (2) au-dessus de lui, prêt à le couper en deux.
Le temps sembla sarrêter, Alberich revécu cet instant magique où lui et Valeria avaient échangé leurs vux devant lautel dOdin. Lavoir vu mourir dans ses bras lavait rendu fou, mais ce ne fut que maintenant quil comprit quil ne la verrait jamais plus.
Quelque chose se passa en lui, et avant même quAlberich ne réalisa ce quil advint réellement, tout était terminé.
Plus vite quun laigle plongeant sur sa proie, Alberich sempara de son épée brisée, bondit, et rentra la lame dans la gorge du barbare jusquà la garde. Il taillada le cou de Gragnur, encore et encore, jusquà ce que sa tête tombe dans la neige.
Cest à cet instant, lorsque Alberich ressentit le soulagement den avoir terminé, alors quil comprit ce quil venait de faire, quil ressentit la douleur. Obsédé par la mort du barbare, Alberich ne sétait pas aperçu que celui ci lui avait asséné un coup mortel au ventre tandis quil le décapitait. Ses jambes fléchirent, et il tomba à genoux. Guerrier depuis son plus jeune âge, Alberich sut quil ne sortirait pas, mais malgré la douleur, malgré la mort de ceux qui lui était si proche, il était en paix ; il avait accompli sa tâche, il avait vengé les morts de ceux qui comptaient pour lui.
Cest alors quElle apparut. Une lumière plus brillante et plus aveuglante que le soleil lentourait. Son armure argentée épousait son corps comme une fine robe satinée, ses longs cheveux blonds tombaient sur ses épaulières de métal, et ses yeux bleu clair était plus limpide quun ciel dété.
« _ Alberich, appela la valkyrie. Par ce sacrifice, Odin a reconnu ta valeur et taccepte parmi les vaillants. Prend ma main, et rejoint les champs glorieux du Vallhalla, Einherar dAsgard ! »
Et cest ainsi quAlberich, fils de Thorvan de Wersbrug, était devenu Alberich lEinherar, un immortel au service dOdin. Délaissant sa dépouille mortelle, lesprit du jeune homme fondit dans le ciel, guidée par la brillante aura de la valkyrie. Celle-ci guida son âme par delà Midgar ainsi que se nommait la sphère des royaumes mortels, jusquà Bifrost, larc-en-ciel menant à Asgard lEternelle.
Kataryn présenta le nouvel immortel au puissant Heimdall(3) tout de fourrure vêtu, lequel était assigné pour léternité à la porte du royaume céleste. Ils pénétrèrent celui-ci par un interminable escalier bordée par de titanesques effigies à limage des dieux. Au sommet, Alberich eu sa première vision dAsgard lImmortelle. Le spectacle du divin royaume du Père de Toute Chose lému jusquaux tréfonds de son être.
De royales routes traversaient des champs de batailles verdoyants ou les immortels et les Einherars saffrontaient en de splendides joutes. A sa droite, les serviteurs du puissant Thor affrontaient les chevaliers du glorieux Tyr(4). La bataille était sans fin car dès que lun tombait, victime dune blessure mortelle, il se relevait intact pour sen retourner au combat. A sa gauche, de longues tables de banquet étaient pleines de guerriers au repos, servies par les sensuelles prêtresses de Freya(5) qui leur apportait des plateaux débordants de viandes de gibiers, des tonnelets dambroisie, et des coupes de fruits succulents.
Au-delà, la route continuait, interminable, serpentant entre les festivités, les luttes, et les célébrations en hommage aux dieux, pour se diriger, tout au fond de la plaine verdoyante, vers la citadelle dOdin.
Deux puissants bras se saisirent du jeune Einherar et larrachèrent à sa contemplation en le soulevant dun bon mètre au-dessus du sol
« _ Par les mânes de Thor, célébra Jorgun, tu es des nôtres !
_ Jorgun ! sétonna Alberich, mais je te croyais mort !
_ Mais je le suis ! Ici commence léternité du Vallhalla » répondit le colosse en présentant la plaine avec le bras. Et regarde, nous ne sommes pas les seuls. »
Jorgun pointa au loin un archer qui concurrençait dadresse sur de lointaine cible. Alberich reconnut le nez en bec doiseau et les cheveux couleur corbeau de Llewerynn.
« _ Et Valeria, ? » demanda Alberich non sans angoisse.
Jorgun regarda Alberich gravement. Celui-ci appréhendait la réponse, et comme le colosse refusait den dire davantage, Alberich comprit quelle nétait pas là. Finalement, Jorgun éclata de rire dès quil vit la mine abattue de son ami.
« _ Elle a été choisie, évidemment. Elle sert la Dame Sif(6) désormais. Tu la trouveras au temple de la déesse aux cheveux dor.
Le cur dAlberich se remit à battre. Il senquit de la direction à prendre, et sen alla retrouver sa bien aimée.
Des festivités partagées avec ses compagnons, et des instants de volupté aux cotés de Valeria, tel était limage quAlberich se faisait de léternité au Vallhalla. Mais le lendemain, il fut réveillé par une vive douleur, par la pointe de la lame de Kataryn balafrant son torse. Il écarta lacier et se redressa dans les draps de soie violet.
« _ Ou est Valeria, demanda-t-il à la valkyrie.
_ Elle sentraîne. Et dici quelques instants, ce sera ton tour. Si je dois faire de toi un guerrier, autant commencer dès maintenant.
_ Mais je suis un guerrier ! se révolta Alberich
_ Oh vraiment ! Alors allons juger de cela sur le champ de bataille ! »
Lorsquil fut gisant sur le sol, couvert de bleus et dégratignures, soufflant comme un veau agonisant, si fatigué quil ne parvenait même plus à lever le bras, Alberich accepta de concéder que le terme de guerrier avait effectivement une connotation différente sur les terres divines.
« _ Nest pas Siegfried(7) qui veut, » commenta Kataryn que le combat navait même pas échauffée. « Relève-toi, guerrier dAsgard ! Relève-toi et suis-moi, je vais te présenter au maître Draknar. Cest lui, qui tenseignera lart du combat tel quil est pratiqué dans lAsgard Eternelle. »
* * *
Un coup de marteau sur sa tête sortit Alberich de sa rêverie.
« _ La prochaine fois je te fracasse le crâne, dit Draknar, si jamais je te reprends à dormir pendant linstruction.
_ Oui, maître Draknar. »
Alberich neu pas le temps de sexcuser davantage. Se dirigeant vers eux à travers la plaine où prenait place lentraînement quotidien des Einherars, une silhouette féminine avançaient vers eux. Ses formes étaient dissimulées sous une robe brune grossière, et son visage masqué par un voile noir ainsi quun capuchon.
« _ Qui est-ce ? demanda Alberich lorsquil comprit que la personne venait expressément vers eux.
_ Une servante des Norns(8) , les trois déesses du destin
« _ Kataryn lhérault de Hel(9) , et Alberich lEinherar dOdin, appela la prêtresse. Suivez-moi. »
Puis, elle se retourna et repartit par le même chemin quelle avait usé pour venir. Alberich interrogea la valkyrie dun regard interrogateur, et celle-ci lui exprima son ignorance des circonstances dun haussement dépaules. Ils emboîtèrent alors le pas à la prêtresse.
Celle-ci les guida sans mot dire à travers les batailles et les festins qui animaient journellement le Vallhalla, jusquà un bosquet aux arbres immenses dans lequel il pénétrèrent. Dans une clairière, la prêtresse voilée sarrêta devant une mare aux eaux limpides.
« _ Voici le Bassin des Songes, expliqua celle-ci, ici on peut voir ce qui fut, on peut contempler ce qui est, et avoir une vision de ce qui sera peut-être. Mais aujourdhui, cest ce qui naurait pas dû être qui vous amène ici. »
Elle esquissa un geste du bras au-dessus des eaux. Celles-ci se troublèrent et devinrent le reflet dun village en proie au chaos.
« _ Wersbrug, reconnu Alberich. Cest le village de mon père ! »
Dans le reflet, les maisons brûlaient et les habitants criaient et couraient. Une chose sombre passa, aux bras large comme des troncs darbres.
« _ Un troll du Nivelheim(10) , pesta Kataryn. Pourquoi un troll arpente-t-il Midgar ?
_ Il ny a pas de réponse à ta question, répondit la prêtresse, car ceci ne peut pas être. Les créatures malfaisantes des royaumes inférieurs ne doivent pénétrer en Midgar, et vous ferez en sorte que cela ne soit pas.
_ Pourquoi nous ? demanda Alberich
_ Parce que les Norns lont décidé ainsi, et ce que les Norns décident nest jamais sans raisons. Je ne suis que leur prêtresse, pas leur interprète, aussi vous faudra-t-il découvrir pourquoi en arpentant le chemin quelles vous ont indiqué. Maintenant,
»
La prêtresse esquissa un autre geste, et limage de collines sous la lune remplaça lhorrible vision. Puis, Alberich et Kataryn se sentirent tomber.
Ils tombèrent encore et encore jusquà ce que le sifflement de lair les hypnotise et les endorment tous les deux.
* * *
« _ Tu crois quil est encore en vie ? demanda la voix dune petite fille ?
_ Sûrement, répondit celle dun garçon. Nas tu pas vu létoile filante tombée des cieux qui la déposé ? Cest un dieu je te dis !
Les paroles résonnèrent aux oreilles dAlberich tandis quil reprenait conscience. Il ouvrit les yeux, se dressa précipitamment, la main sur la garde de son épée.
Le jeune garçon qui était penché sur lui en tomba de peur sur ses fesses ! Lenfant portant une tunique de coton, des braies sales et de vulgaires chausses de fourrures. Une petite fille dà peine dix ans laccompagnait.
« _ Etes-vous un dieu de lAsgard ? » demanda timidement la fillette.
Alberich faillit éclater de rire, puis, il se rappela quil était vêtu de larmure des Einherar, dont la facture splendide et la savante alliance des métaux lui donnait sans aucun doute lallure dun dieu pour ceux qui ne les côtoyaient pas.
« _ Qui es-tu, enfant ? dit-il en guise de réponse.
_ Ilda, fille de Ygrail
_ Ygrail de Wersbrug ? »
La fillette hocha la tête.
Ainsi donc son jeune frère avait eu une descendance ? Il estima lâge de la fillette et sinterrogea. Combien dannée sétait écoulée depuis linstant ou il était devenu un élu dOdin ? Personne ne gardait trace du temps dans lAsgard Eternelle, et pour cause, cétait toujours lété !
« _ Connaissez-vous la grotte des chasseurs ? demanda Alberich, celle où il y a les vieilles tombes. »
Le garçon acquiesça.
« _ Alors rendez-vous y prestement, ordonna Alberich dune voix forte.
Les deux enfants reculèrent sous le ton menaçant et coururent dans la direction de la caverne. Alberich regarda autour de lui et reconnu lendroit ou il était, puis il sen alla dans la direction du village.
Il eu à peine parcouru une centaine de mètre quune voix larrêta.
« _ Où ten vas-tu, guerrier ? »
Assis sur un rocher, un homme aux cheveux noirs et au long visage imberbe lobservait. Il était vêtu en noir de la tête au pied. Alberich le regarda avec étonnement. Sa chemise était fine et soyeuse, ses bottes dexcellentes factures. Tout cela navait rien à voir avec les vêtements rustres de son peuple.
« _ Vous êtes en danger, messire, répondit finalement Alberich. Vous devriez partir.
_ Parlerais-tu par hasard de ce monstrueux troll que jai vu rôder tout à lheure ? Dans ce cas je nai rien à craindre et toi non plus, car si laid soit-il, il est doux comme un agneau.
_ Cest impossible, répliqua Alberich.
_ Et pourtant ! Un scalde du Nivelheim en quête dinspiration, un voyageur des terres divines rapportant à son peuple les chants et les contes du Midgar, voilà sa véritable identité.
_ Un troll poète ? Jamais je nai entendu pareille bêtise.
_ Tu ne me crois pas ? Veux-tu que je te montre le campement quil a dressé et que nous allions le salue ? »
Alberich hésita. Lhomme avait lair sincère, et de bon conseil, aussi le guerrier sapprocha-t-il de lui en tendant la main.
« _ Je suis Alberich, se présenta lEinherar, et vous êtes ?
_ Appelez-moi Ikol, » répondit lhomme avec un chaleureux sourire.
Ils sapprêtèrent à partir lorsque tonna la voix de Kataryn.
« _ Non, hurla-t-elle, ne lécoute pas ! »
Alberich se retourna pour la voir surgir dun fourré en courant, mais celle-ci neu pas le temps de sexpliquer. Elle cracha un flot de sang et sabattit au sol comme un arbre. Juste derrière elle, un deuxième Ikol en tout point identique au premier tenait une dague serpentine, maintenant couverte du sang de la valkyrie.
Alberich se retourna vers le premier Ikol, le regard furieux et inquisiteur. Celui-ci lui répondit dun sourire narquois et malicieux.
« _ Loki, devina Alberich, le prince des mensonges.
_ Tu me donne trop dimportance, Einherar, je ne suis quune partie de Loki. »
Le deuxième Ikol saisit la valkyrie agonisante par les pieds et commença à la tirer dans le fourré avec un mauvais sourire. Alberich se saisit de son arme mais le premier Ikol lui pressa le poignet.
« _ Regarde petit guerrier, regarde, dit-il en montrant les volutes de fumées qui sélevaient du village. Réfléchis bien à ce que tu vas faire, car pendant que tu guerroie ici, mon compagnon le troll extermine ton village.
« _ Et ce nest pas la mort de lun dentre nous, dit un troisième Ikol, surgissant de derrière un arbre, qui changera la donne.
« _ Si toutefois tu parvenais à nous vaincre tous, » dis un quatrième.
Alberich était paralysé par lindécision. « Que faire ? » se demanda-t-il.
« _ Va, murmura Kataryn, fait ton devoir Einherar dOdin, et laisse moi ! »
Alberich regarda la valkyrie disparaître dans les buissons, traînée par le deuxième Ikol. Il savait ce quil devait faire, aussi tourna-t-il le dos à la scène et courut vers le village, larme au poing. Vainement, il tenta de se boucher les oreilles tandis que les rires des Ikol résonnaient derrière lui.
* * *
Le troll traversa la maison comme le sanglier passe un buisson. Le mur éclata comme un fruit trop mûr lancé au sol, les pierres volèrent sur plusieurs mètres tandis que le troll bondit pour sortir de la demeure.
La créature atteignait les quatre mètres, elle était grosse, laide, et incroyablement musclée. Son nez crochu descendait jusque là où naissait une barbe grossière, ses oreilles porcines se dressaient hors de ses nattes serties dossements. Dans une main il tenait une masse de métal dont lembout était plus gros que deux enclumes, dans lautre, un pauvre villageois.
Le troll leva le bras et jeta le malheureux au sol de toutes ses forces. Alberich arriva juste pour entendre lécurant bruit des os fracassés ainsi que lodieux rire gras du monstre.
Invoquant le nom dOdin, Alberich fonça tête baissée, lépée en avant sur le troll.
Il frappa de toutes ses forces mais son coup ne parvint qua dessiner une estafilade sur le cuir épais du troll. Celui-ci répliqua dune gifle qui envoya voler le Einherar jusque dans les décombres de la maison quil venait de détruire. Larmature dune cheminée en pierre arrêta son vol, et neu-t-il été un immortel guerrier de lAsgard quil aurait eu le dos rompu.
Alberich se releva, sonné, en prenant appuis sur son arme.
Le troll lavait envoyé bouler comme rien, cela lui rappela le coup quil avait porté à Kataryn lors de son entraînement.
« _ Bien sûr, dit-il à lui-même, le pouvoir ! Quel imbécile je fais ! »
Il se releva, brillant de laura majestueuse des Einherars, et lhideux sourire du troll seffaça. La créature se saisit de sa masse avec ses deux grosses mains, et savançant à pas pesant vers le guerrier.
Le troll bondit pour atterrir dans les décombres de la maison où se tenait Alberich, il leva sa masse haut au-dessus de sa tête et frappa avec un hurlement de rage. La masse pulvérisa la pierre et le sol. Des monceaux de pierre et de terre volèrent aux alentours, mais le troll dû se rendre à lévidence, il navait blessé personne. Alberich, lequel avait esquivé dun pas de coté, posa le pied sur la masse du troll à moitié enfoncée dans le sol, et empoigna son épée des deux mains pour lenfoncer dans lil du monstre. Lépée traversa le crâne du monstre pour ressortir derrière.
Le troll hurla, mais au lieu de décéder, il se saisit du guerrier et le lança au loin. Alberich neu pas le temps de se relever que le troll courut vers lui et lui asséna un coup de masse sur le dos, faisant craquer les os du Einherar. Sonné au sol, Alberich tenta de ramper hors datteinte du monstre, dont le crâne était toujours transpercé par son épée. Mais le troll leva son énorme pied et aplatit le Einherar, lenfonçant littéralement dans le sol. La bête commença alors à piétiner le guerrier, et Alberich comprit quil ne résisterait pas très longtemps.
Cest alors quune fourche fut lancée et ricocha contre lépaisse peau du monstre. Puis vint une volée de pierres, de flèches et de fruits pourris, tandis que toute la population du village tentait de divertir lattention du monstre. Le troll, ne sachant plus ou donner de la tête alors quun vase venait justement de se briser dessus, recula. Ce fut suffisant pour Alberich qui pu ramper hors de sous son pied, et se relever.
Autour de lui les villageois sétaient rassemblés, armés de ce quils avaient pu trouver. Parmi eux, Alberich reconnut Thorvan son père, dix ans plus vieux, son frère Ysgrail, son cousin, Ranka, celle qui fut son premier amour, et beaucoup dautres
« _ Tu ne tueras pas notre protecteur, lança le vieux Thorvan avant de savancer, armé de lantique épée familial et équipé de sa vieille cotte de maille, vers le monstre. »
Le troll, trop stupide pour se souvenir de la présence dAlberich, sapprêta à bondir sur le vieil homme, mais lEinherar sauta et lagrippa au cou. Saisissant sa lame toujours coincée dans le crâne du monstre, il tenta de len extirper. Celle-ci, coincée dans les solides os du monstre, se brisa, et Alberich se retrouva avec seulement la moitié de la lame.
Comme sil revivait la scène de sa mort, Alberich enfonça dans le cou du troll la lame brisée jusquà la garde. Celui-ci hoqueta un dernier souffle et sabattit sur le sol à en faire trembler tout le village.
Le Einherar se releva du cadavre, son épée brisée en main. Les villageois étaient à genoux devant lui. Le vieux chef lui adressa une prière de remerciement.
« _ Nous te remercions, dieu de lAsgard Eternelle, toi qui porte les traits de mes aïeux, » dit le vieillard , ne reconnaissant pas son défunt fils dans le splendide guerrier en armure. « Nous élèverons un autel là où ta victoire .. »
Mais Alberich ne put comprendre la suite. Tout devint lointain et linstant suivant, il était près du Bassin des Songes. LEinherar se retourna vers la prêtresse.Celle-ci restait silencieuse.
« _ Et Kataryn ? demanda le guerrier.
_ Les valkyries ne meurent pas si facilement. Ta protectrice est pour linstant captive dans les cavernes du Nivelheim, prisonnière des trolls qui uvrent pour le prince des mensonges.
_ Alors cela se termine ainsi ? demanda Alberich. Jai vaincu le monstre mais jai perdu mon amie ?
_ Non cela ne se finit pas ainsi, Einherar, cela ne fait que commencer, » répondit la prêtresse.
_ Tu ne crois tout de même pas que tu va partir tout seul ? dit la voix puissante de Jorgun derrière lui.
_ Partir pour ou ? demanda Alberich en se retournant.
_ Pour le royaume des brumes, répondirent Valeria et Llewerynn.
_ Je comprends, fit enfin Alberich en se retournant vers la prêtresse, cela ne fait effectivement que commencer.
Bien des années et des aventures plus tard, Alberich lEinherar allait devenir Alberich à la Lame Brisée, limmortel connut pour ne vaincre quen possession dune arme cassée. Dans le Hall du Père de Toute Chose, il sagenouillerait pour recevoir des mains dOdin lui-même Gandunyr, la demi épée forgée à son attention.
Quand à ce quil advint de lui pendant Ragnarok, ceci est une autre histoire.
* * *
« _ Par le pouvoir de lAsgard, meurt, » dit ladolescent en abattant une épée de bois sur son amie.
Celle-ci se laissa tomber à terre, imitant un râle agonisant.
« _ Pourquoi est-ce toujours toi qui joue le rôle du Protecteur ?
_ Parce que je suis un garçon et que toi tu es une fille, répliqua ladolescent. »
Songeur, il tourna la tête vers la statue de pierre. Le village avait été reconstruit, plus robuste quavant, tout autour de lautel du dieu Protecteur.
Leffigie était exactement à limage du souvenir que le garçon en gardait, lorsquil lavait découvert dans les collines, juste après lavoir vu tombé des cieux.
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Notes de bas de page :
(1) Einherar : héro mort au combat et choisit par Odin pour être un immortel du Valhalla
(2) Zweihander : Signifie en allemand "Deux mains". Epée à deux mains dorigine germanique utilisée du 14eme au 17eme siècle. Sa taille pouvait atteindre jusqu'à 1m80. Elle était larme favorite de ceux qui chargeaient en tête de la mêlée et qui devaient sopposer aux piquiers. Dans le récit, le terme est employé comme nom propre. Lépée de Gragnur est donc une ancêtre de ces flamberges doutre Rhin.
(3) Heimdall : Dieu de la lumière et gardien de Bifrost. Il porte un cor, Gjallar, quil nusera que pour sonner lavènement de Ragnarok, la dernière guerre des dieux
(4) Tyr : Dieu de la guerre et de la justice. Il est manchot car sa main droite a été mangée par le loup Fenrir.
(5) Freya : Déesse de lamour et de la fertilité, elle est la protectrice des peuples féeriques.
(6) Sif : Epouse de Thor, ses cheveux sont de véritable fils dor, remplacement de ceux volés par Loki.
(7) Siegfried : Héro mythologique. En tuant le dragon Fafnir, le sang de la bête le recouvrit et lui transmit force et sagesse.
(8) Les Norns : Urd, Skuld et Verdandi ( ou Belldandy pour les amateurs de manga )
(9) Déesse de la mort
(10) Nivelheim : Domaine de glace et de brouillard, cest le royaume céleste le plus bas de la topologie divine.