Allez hop, chapitre VI des Larmes du spectre
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C H A P I T R E VI
SOLIANA
Les arbres frémirent alors quune bise souffla sur les collines. Un frisson déconcentra Soliana et elle perdit le contrôle de son Don dInvestiture. La lueur émeraude qui enveloppait lépée sur ses genoux sévanouit.
« Malédiction, jura la jeune eldryn. Encore une journée de perdue. »
Depuis des jours, elle sacharnait à ajouter un enchantement à son arme personnelle mais sa concentration finissait toujours par se briser dès lors quelle approchait des limites de sa Force dAme. Dépitée, elle se releva de sa position accroupie. Les longues heures quelle avait passées ainsi se rappelèrent à ses muscles et elle entrepris de marcher un peu pour les dégourdir.
Elle considéra un instant demporter son épée lors de sa promenade. La fine lame en acier eldryn reflétait la lumière en un éclat vert et bleu. Soliana rangea finalement larme dans son fourreau débène et la lança à travers la fenêtre ouverte de sa maison. Larme atterrit sur son lit, juste à lendroit visé.
La lumière de laprès midi déclinait peu à peu sur Chestyrea. Les grands arbres qui peuplaient la forêt enchantée frémirent sous les vents du soir qui commençaient à souffler. Les feuillages les plus élevés tremblèrent, libérant quelques feuilles orangées. Celles-ci planèrent un long moment au gré des vents avant datteindre le sol, situé quelque cent cinquante mètres plus bas.
Au loin, les contreforts montagneux de lEnclume de Kaem, se masquaient peu à peu à la vue derrière un voile gris. La Porte de Varknar, lentrée de lantique royaume kaemite, séclaira alors dune aura bleutée. Quatorze siècles après la disgrâce des kaemites, les enchantements de lumière pour diriger les voyageurs perdus dans la nuit fonctionnaient toujours. Malgré les dizaines de lieues qui séparait la construction de Chestyrea, la Porte était toujours visible, vaste tunnel creusé à même le flanc vertical dune montagne.
Soliana détourna son regard des montagnes pour quitter le balcon de sa demeure. Construite en marbre blanc veiné de vert, la maison était niché entre les racines dun des plus anciens arbres. Elle surplombait la plupart des autres demeures de la petite colonie eldryn, toutes bâties également à la base dun des géants de bois et de feuille. Descendant lescalier qui la mènera sur le sol, Soliana failli rater une marche tant elle était pensive quant à son nouvel échec.
Aucune rue ni aucune marque ne délimitait les passages au sol. Celui-ci se recouvrait au fil des jours dun feuillage brun et orange. Soliana se concentra et ajusta la couleur de son manteau qui changea alors du bleu azur en un vert foncé.
Elle hocha la tête poliment en réponse à ceux qui, sur sa route, lui témoignèrent le respect dû à son rang, mais son esprit était déjà ailleurs, cherchant les mots quelle dirait à la personne quelle allait maintenant visiter.
Comme un fantôme, la jeune femme traversa silencieusement une partie de la forêt pour rejoindre une demeure de briques blanches construite au-dessus dun torrent. Une roue de bois entraînée par le courant grinçait et soulevait des litres deau lesquels était déversée dans la maison elle-même par une ouverture prévue à cet effet. De petites cloches cuivrées accrochées juste sous la toiture tintèrent sous le vent alors que Soliana frappa à la porte. Sans attendre la réponse du propriétaire, elle entra.
Comme toutes les maisons eldryns, celle-ci ne comportait quune seule grande pièce. Un bassin creusé dans le sol occupait le centre de lhabitation. Des plantes aquatiques y poussaient au milieu dune eau claire et limpide. Suspendus au plafond par des chaînes, des grands pots de terre cuite accueillaient des plantes exotiques ou hors saison. Juste à coté de la porte, des lianes recouvertes de fleurs aux longs pétales jaunes le long de lianes débordaient dun des pots et sentrelaçaient au sol. Soliana se baissa et approcha les doigts de celle-ci. Les extrémités de la plante frémirent et se déplacèrent, caressant la main que tendait la jeune eldryn. Les fleurs prirent un instant une coloration dorée tandis que le contact se prolongeait.
« Sil vous plaît, princesse, arrêter de séduire mes plantes. »
Soliana tourna la tête pour voir un jeune eldryn occupé à arroser un plan de roses noires. Sa longue chevelure argentée descendait dans son dos jusquaux jambes. Elle était tressée et ornementée de bijoux dacier noir et dargent semblable à des feuilles. Torse nu, leldryn était dune maigreur presque maladive. Ses côtes apparaissaient à travers la peau et ses bras avaient lair tout aussi fragile que ceux dun nouveau-né. Il ne portait quun pantalon de toile marron en guise de vêtement, ses pieds nus foulant librement le plancher de pierre.
« Aramys, jai encore échoué dans mon enchantement. Je pense que je vais renoncer à ces préparatifs et passer de suite à létape suivante. »
Pensif, Aramys, versa quelques gouttes verdâtres dune flasque de métal sur les roses noires.
« Princesse, nous ne sommes pas pressés par le temps. Je pense que limpatience est mauvaise conseillère et que nous ne devrions pas précipiter cette expédition.
- Je sais tout cela mais linactivité me pèse maintenant que nous avons décidé de rechercher lhéritage de Lantanna.
- Certains ne se sont pas encore décidés et dautres sont toujours très réservés quant à votre entreprise. Pourquoi ne pas vous donner encore un peu de temps ? Vous pourriez approfondir davantage votre maîtrise de la Force dAme par..
- Jexècre ces exercices de méditation et je ne supporte plus les leçons de ce vieux fou.
- Soit ! Je ninsisterais pas davantage. Quoique vous décidiez, vous aurez mon soutien.
- Je nen attendais pas moins de toi. Cest pourquoi jaimerais que nous soyons près pour partir avant le Deuil de Chestyrea. »
Aramys soupira et alla reposer sa flasque sur une étagère.
« Princesse, si tel est votre volonté alors cela sera ainsi. Mais tant que les affaires de lempire retiennent votre père à Karador, vous êtes la seule apte à officier cette cérémonie.
- Ces vieux protocoles mennuient !
- Le Deuil de Chestyrea na rien dun protocole ! » fit Aramys avec colère.
Un silence de malaise sinstalla un instant alors que le jeune homme sen voulut davoir haussé ainsi la voix pour parler à sa souveraine.
- Je suis désole princesse, mais la cérémonie est très importante pour renouveler les enchantements qui protègerons la forêt pendant lhiver.
- Vraiment ? Javais toujours crû quil sagissait dune vieille festivité pour arranger des mariages. »
Aramys ne put sempêcher de rire.
« Ceci est le fruit des jeunes gens qui, tout comme vous, profitent de cette fête pour danser et festoyer, mais lorigine en revient à ceux qui fondèrent la colonie et plantèrent les premiers arbres ici. Sans le renouvellement de la magie des enchantements, la forêt ne saurait perdurer telle quelle est.
- Vous devriez vraiment prêter plus dattention à lenseignement des anciens, finit-il par ajouter.
- Je crois que je ferais bien de réviser mon rôle dans le Deuil alors. »
Aramys sourit et remercia silencieusement les dieux de ce moment de clairvoyance de sa souveraine si excentrique et si peu traditionnelle. Remarquant que celle-ci restait sur le pas de la porte, il demanda :
« Avez-vous dautres préoccupations que vous souhaitez partager, princesse ?
- En fait, jaimerais savoir sil te reste de cet alcool de noisette que tu mas fait goûter la semaine dernière.
- Bien sûr. »
Disant ceci,
Aramys alla jusquà un coin de la pièce et souleva une trappe donnant directement sur le torrent. Une cage de fer maintenait fermement plusieurs bouteille au fer dans le frais de leau. Il en tira une à la coloration brune et alla la donner à Soliana.
« Merci, cela me motivera sûrement à préparer le Deuil. »
Puis, elle sen alla par la porte avec un petit geste dau revoir. Aramys la regarda partir avec émotion. Il faisait partie des gardiens de Soliana, ces jeunes enfants qui sétaient portés volontaire durant lenfance pour protéger et servir personnellement la nouvellement né du seigneur régent Sorael. Le serment le liait à vie à la fantasque princesse mais jamais il navait regretté son choix. Il se souviendrait toujours de cette aube de rose et dorange qui se levait quand lui et les autres avaient prêté serment autour du berceau de Soliana. Ils avaient alors juré de servir loyalement la princesse jusquà leur mort, sacrifiant leur vie pour la sauvegarde de celle-ci si nécessaire. Aramys songea alors que le plan fou de Soliana lamènerait peut être à devoir honorer son serment plus vite quil ne laurait jamais pensé.
* * *
Six semaines plus tard, les géants sylvestres de Chestyrea abandonnaient leurs dernières feuilles, nimbant le sol dune ultime couche avant la neige hivernale. Comme chaque année, les eldryns procédaient au deuil de la nature en brûlant les feuilles mortes sur de grands bûchers. Chaque habitant de Chestyrea abandonnait alors ses occupations et son métier pour quelques jours et contribuait à collecter dans un recueillement tout religieux les précieuses dépouilles des arbres. Feuilles, branches cassées, morceaux décorce, souches, tout cela était collecté et rassemblé sur de grandes esplanades de pierres uniquement consacrées à cette cérémonie millénaire. De la princesse Soliana jusquau chasseur miteux, de lancien de la cité jusquau jeune bambin sachant à peine marcher, tous participaient au deuil à leur manière.
Le devoir de Soliana était maintenant de pleurer chaque amoncellement avec le Chant du Deuil, une antique complainte chargée démotion et de signification. Le rituel prenait alors tout son sens lorsque la princesse utilisait son Don dInvestiture pour que la musique devienne un enchantement qui fortifierait les arbres pour lhiver. Les dépouilles végétales se nimbèrent dune douce pâleur orange alors que Soliana chantait, les yeux fermés, libérant sa Force dAme au gré des paroles.
Le soir venu, les esplanades brillaient dans la nuit dune aura orangée. Chargés de lénergie de lenchantement, les bûchers étaient prêts à libérer la magie dès lors que les flammes les consumeraient. De chaque maison, les eldryns sortirent en procession, le plus ancien de la famille en premier pour terminer par le dernier-né, chacun tenant une torche allumée en main, leur visage caché en partie par un capuchon. Les eldryns savancèrent, pieds nus sur le sol maintenant de nouveau vierge, sur la terre fraîche et froide de lautomne. Il sarrêtèrent devant ou en chemin vers la demeure de Soliana et attendirent. Lorsque la dernière lueur du soleil eu disparut, la princesse apparut à la porte de sa demeure. Enveloppée dans une robe blanche et soyeuse, son visage nétait quen partie visible, masqué par une capuche du même tissu qui descendait jusque sur les yeux. Elle savança alors pour parcourir le chemin délimité par la population. Portant haut une torche, Soliana murmurait les derniers couplets du Chant du Deuil. Alors chacun des eldryns se joignit au chant et leur voix devinrent un mélodieux et puissant murmure.
Aramys vit passer Soliana devant lui et la salua discrètement dun hochement de tête. La princesse lui adressa un petit clignement dil tout en conservant la droiture et la majesté quimposait la cérémonie. Aramys se sentit soulagé lorsquil vit que sa protégée avait suivit la tradition au détail prêt. La princesse parcourut lentement la forêt, enveloppée par les murmures des autres eldryns.
Arrivée au bord de la première esplanade de pierre, elle redressa la tête pour contempler le bûcher. Lamoncellement de feuilles et de bois morts atteignait presque cinq mètres de haut. Elle reconnut dans les ballots dherbes séchés des curs-de-renard qui ne poussaient quen lisière de la forêt, à dix lieux dici, ainsi que des épines de sapins, collectés sur les collines séparant la forêt de la montagne, à trente kilomètres au nord. Solennellement, Soliana se baissa pour enflammer le bord du bûcher, puis sen alla au suivant. Derrière elle, les eldryns sorganisèrent en une longue file de plusieurs centaines de mètres. Chacun à son tour répéta les gestes de la princesse et contribua à chacun des bûchers par une flamme de sa torche.
La procession dura des heures, jusquà tard dans la nuit. Lorsque le dernier eut contribué au dernier bûcher, les flammes de ceux-ci sélevèrent alors dans le ciel sous leffet de lenchantement de Soliana, jusquau-dessus des arbres. Des piliers de lumières et de flammes montèrent dans la nuit rejoindre les étoiles avant déclater en des millions de particules. Celles-ci flottèrent dans les airs, se dispersant sur toute la surface de la forêt. Les eldryns ôtèrent leur capuchon et contemplèrent lillumination de la forêt dans un silence absolu.
Après de longues minutes, les lumières retombèrent, touchant un arbre ou se mêlant au sol. La forêt fut à son tour imprégnée de laura colorée, marquant la réussite de lenchantement. Les eldryns poussèrent alors des cris de joie et de célébrations. Plantant leurs torches dans le sol, soigneusement à lécart des arbres, les eldryns se dévêtir de leur manteau et de leur capuche, arborant des tenues légères, des tuniques sans manche descendant jusquau nombril, de courte robe pour les femmes et des braies coupées aux genoux pour les hommes.
Les musiciens sapprochèrent alors de grands tambours construit dans des portions des troncs des arbres décédés recouvertes de peaux tannées et étendues à lextrême. Les maestros eldryns commencèrent alors à battre un rythme rapide et endiablé. Dautres apportèrent de longues flûtes en bois rares et ajoutèrent leur musique au son des grands tambours qui résonnaient maintenant dans toute la forêt. Les eldryns commencèrent alors à danser avec grâce et rythme, les plus anciens laissant la scène aux plus jeunes, cadençant leur entrain en frappant des mains.
Soliana prit sur elle de rencontrer chacune des personnalités de la cité, les félicitant pour leur participation et pour la bonne participation de la partie de la population sous leur influence. Cest alors quun jeune eldryn aux cheveux court lattrapa par le bras et lattira dans une ronde dune centaine de participant.
« Lâchez donc les anciens, princesse, et dansez avec nous ! »
Elywenn sempara de la main de Soliana tandis que les danseurs repartaient, frappant la terre de leurs talons au rythme des tambours. Sabandonnant à la musique, la princesse poussa un cri de joie lorsque lémotion de la danse la saisit. A son tour, elle marqua de ses pieds nus en sautillant la terre de la forêt.
Prodige de la nouvelle génération guerrière, Elywenn dansait divinement, se déhanchant avec grâce, exécutant des cabrioles et des acrobaties au centre de la ronde. A leurs tours, dautres esthètes firent preuves de leur souplesse, puis Elywenn exécuta une nouvelle prestation. Revenant dans la ronde, il prit la main de Soliana et lattira au centre, pour linviter à faire à son tour son numéro.
Rouge de confusion, Soliana ne sut quoi faire, malgré lhabitude de parler et de se montrer en public. Les danseurs lencouragèrent en frappant des mains et en scandant son nom. Saisissant deux torches, elle exécuta alors sa danse en maniant les bâtons enflammés comme des armes, utilisant les mouvements venant de son entraînement à lépée. Espérant navoir pas trop été ridicule, la princesse termina en lançant ses deux torches dans les airs et en les reprenant à leur retombée les mains dans le dos, petit numéro quelle pratiquait depuis son plus jeune âge. Les eldryns saluèrent la prestation dun vacarme de sifflement, dapplaudissement et de cris.
Les danses et les chants continuèrent jusquà laube tandis que la forêt simprégnait doucement de la magie du Chant du Deuil. Regagnant sa demeure accompagnée de Elywenn, Soliana était plus que fourbue. Le jeune guerrier semblait infatigable et impossible à faire taire, la complimentant sur ses danses. La princesse lisait clairement les émotions de Elywenn sur son visage et savait combien le jeune eldryn laimait. Elle savait combien il lui coûtait de demeurer à ses cotés comme gardien et détouffer ses sentiments tandis quil la côtoyait tous les jours, participant aux même entraînements, partageant ses instants de joies parfois ses moments secrets. Lorsque les deux amis arrivèrent à la porte de la demeure princière, ils s'arrêtèrent et restèrent silencieux. Soliana vit combien Elywenn était tenté de révéler ses pensées, sous le coût de lémotion de la fête. Sachant combien il regretterait par la suite de briser son serment et combien était impitoyable la justice envers les gardiens parjures, elle brisa le silence.
« Merci de mavoir raccompagné, Elywenn. A demain. »
Ouvrant la porte, elle lui lança un dernier petit geste dau revoir et laissa son jeune gardien devant sa maison. Elywenn resta un moment tandis que la forêt silluminait des premières lueurs du nouveau jour. Comprenant lintention de Soliana, il la remercia discrètement avant de se diriger vers sa demeure.
« Merci princesse, murmura-t-il du bout des lèvres.
* * *
« Les nouveaux manteaux sont terminés, les arcs ont été investis avec de la précision et de la puissance. Jai confectionné également un élixir qui vous permettra de réussir la préparation de votre arme personnelle. »
Le jeune mage chauve caressa sa barbiche argentée tandis que Soliana sirotait une tasse de thé, confortablement installée dans un fauteuil à bascule. La demeure de Filéas était lune des plus grandes mais aussi lune des plus éloignée, située à presque deux heures de marche de celle de la princesse. Le luxe reflétait le prestige de leldryn. Soliana savait pertinemment que Fileas avait juré dêtre son gardien uniquement pour avoir la possibilité de suivre lapprentissage auprès dun mage renommé. Sans cela, à cause de sa naissance modeste, Fileas aurait, au mieux, été le quatrième ou cinquième disciple dun magicien de bazar. Mais en tant que gardien de la princesse, il avait été personnellement présenté et recommandé par le régent au vieux Telavius, mage de renom et ancien de la cité.
« Tenez princesse, inspectez vous-même le résultat, » ajouta le jeune mage. Allant chercher un manteau à capuchon en soie précieuse dans une armoire, il le déposa sur la table face à sa souveraine.
Soliana palpa le tissu du bout des doigts. Bien que le mage nen laissa rien paraître, elle sentit que sa présence lindisposait, préférant sans doute se replonger dans ses études. Autant elle prenait soin des gardiens avec lesquels elle avait créé des liens, autant Soliana navait aucun regret à commander et utiliser Filéas contre son gré. Fier, orgueilleux, égocentrique, méprisant, leldryn était pourtant parvenu à parfaire son apprentissage pour obtenir le rang de magicien, et contre toute présomption, réussir lépreuve difficile et exigeante pour celui de mage à un âge où la plupart navait pas encore éveillé leurs Dons. Pour autant quelle le sache, Filéas était le plus jeune à recevoir ce titre, tout peuple confondu. Seul le légendaire Shalakwar, le disciple personnel de la plus grande archimage des eldryns, avait concurrencé cette performance, cinq siècles plutôt.
« Cela me paraît bien, conclut Soliana. Donnez-moi deux arcs que je les essaye. »
Sexécutant, Filéas ramena deux longs arcs divoire ainsi que deux carquois plein à craquer. Soliana parcourut la surface polie de ses doigts, suivant les arabesques noires des enchantements investis dans les armes. Tendant la corde avec deux doigts, Soliana testa un moment la souplesse de larc.
« Cela me semble parfait Filéas, comme toutes vos uvres. » jugea la princesse.
Elle sautorisa un sourire, sachant que la perfection de son travail nétait dû quà son immense orgueil et non pas à un désir de répondre à ses ordres. Sachant cela, un petit compliment pour fidéliser le mage ne coûtait rien. Filéas sinclina légèrement en réponse au compliment.
« Je suis à votre service, princesse. »
Deux heures plus tard, de retour dans les bois du centre de la forêt, Soliana se dirigea vers les terrains dentraînements. Les plus jeunes sy entraînaient avec les plus expérimenté, du garde aguerrit au sculpteur de bois en pratiquant occasionnel. Un des maîtres darmes effectua une révérence avec toute la grâce des sabreurs eldryns lorsque la princesse passa près de lui.
« Princesse, merci de partager votre précieux temps avec nous, fit le professeur.
- Merci maître Keloryn, votre parler na dégal en finesse que votre sabre, sourit la princesse.
Maître épéiste, Keloryn entraînait les eldryns de Chestyrea depuis deux cent ans. Lélégance, les traits de lesprit, la patience du gentilhomme lavait rendu très populaire et sa renommée avait même atteint le palais de lempereur où on lavait appelé pour être le tuteur dune des princesses, mais Keloryn avait décliné linvitation pour rester dans cette forêt quil chérissait.
« Est ce que vous pourriez appeler Rianne ? Jai à lui parler.
- Bien sûr princesse, je vais chercher votre gardienne dans linstant. »
Soliana le regarda se diriger vers un groupe qui sentraînait au combat par paire pour parler à lune de ses étudiantes. Après avoir rangé son épée sur un râtelier au pied dun des arbres, Rianne courut rejoindre Soliana. Les yeux de plusieurs jeunes gens la suivirent du regard et Keloryn frappa même les doigts dun eldryn particulièrement distrait. Soliana reconnaissait avec mauvaise grâce que Rianne mélangeait lesthétisme des athlètes et la beauté des courtisanes. Les rumeurs lui prêtaient dailleurs un nombre incroyable de soupirant. La jeune guerrière, peu respectueuse des traditions, salua sa souveraine dune main en épongeant la sueur de son front avec sa tunique.
« Salut à toi, Soliana,
- Salut à toi, Rianne, » sourit la princesse, toujours heureuse de pouvoir dialoguer avec son amie car elle était la seule à faire fit du protocole pour lui parler au singulier.
« Filéas a terminé ses préparatifs et jaimerais que nous testions ces arcs. Je voudrais ton avis pour être sur de leur qualité.
- Bien sûr, répondit Rianne en empoignant une des armes. Je naime pas trop Filéas mais je reconnais que son travail est toujours de très bonne qualité, ajouta-t-elle en soupesant larc. Allons nous exercer sur cette cible, là bas. »
Les deux jeunes filles allèrent jusquà une série de mannequin de paille situé contre le mur arrière de la caserne. Tour à tour elle décochèrent leurs flèches, reculant pas à pas après chaque salve pour tester la précision à grande distance. Si la princesse parvenait à faire illusion sur les premiers tirs, elle se contenta de regarder Rianne dès lors quelles étaient à plus de cinquante mètres de la cible. Les flèches de la magnifique guerrière faisaient presque toute mouche au cur ou à la tête. Une fois carquois vidée, Rianne sestima satisfaite.
« Ce sont de bons arcs et les enchantements sont intéressants. Les flèches tirées ne vibrent jamais quelle que soit la force et la distance, de plus la puissance ajoutée permettra facilement de percer lacier valarien. »
Soliana préféra ne pas répondre. Malgré toutes ses qualités, Rianne conservait sa rancur envers les humains, pleurant toujours son père disparut dans les combats de Fortavent.
« Bien, finit-t-elle par dire. Il me reste à achever mes préparatifs personnels et nous pourrons alors nous éclipser. »
* * *
A peine une semaine plus tard, par une nuit sans lune, Soliana sortait discrètement de sa demeure. Un sac en bandoulière, elle se faufila contre le mur de sa maison comme une ombre, son manteau la dissimulant parfaitement tel un caméléon. A pas de loup, elle pris le chemin de la demeure dAramys.
Celui-ci contemplait son paquetage, ressassant mentalement la liste des objets quil devait absolument emmener. Il vérifia une dernière fois quil avait les herbes de guérison, les baumes cicatrisants, les élixirs dendurance et les composantes pour préparer de nouvelles mixtures si le besoin sen faisait sentir. Sentant que lheure était proche, il sagenouilla alors contre une petite armoire de bois et en ouvrit les battants. A lintérieur, des figurines de jade entouraient une sculpture en ivoire de la déesse Eldrya. Respectueusement, le jeune eldryn courba la tête devant la représentation divine.
« Père, mère, implora-t-il à lintention des figurines, glorieux ancêtres, ô grande déesse, je vous salue et vous honore. Jessaye de vivre avec la sagesse que vous mavez transmise et de respecter ces principes qui furent votre ligne de conduite. Aujourdhui plus que jamais jai besoin de vos conseils afin dassister notre princesse en ces temps fatidiques. Puissiez-vous me guider lorsque la raison me fera défaut. Puissiez-vous éclairer notre chemin lorsque les ténèbres nous envelopperons. »
Aramys baissa alors la tête jusquà toucher le sol. Il resta ainsi un instant, puis se releva, ferma le petit sanctuaire, chargea ses affaires sur ses maigres épaules. Se retournant, il jeta un dernier coup dil à ses plantes, espérant que son voisin en prendra soin ainsi quil le lira dans la lettre quil trouvera demain matin. Il disparut dans la nuit en fermant délicatement la porte derrière lui.
Il se dirigea vers un des arbres de la forêt, celui que lon appelait le Boiteux car lune de ces racines évoquait un pied mal formé et dissimulait une petite caverne où les jeunes enfants se réunissaient parfois à lécart des adultes. Rianne était déjà là lorsquil se glissa entre les racines pour pénétrer dans la grotte. Elywenn arriva peu après, puis se fut Poeran. Le tuteur de la princesse paraissait très mécontent davoir été prévenu au dernier moment. Sans doute celle-ci craignait quil ne fasse tout pour compromettre lentreprise, mais maintenant il se devait dobéir à son serment de gardien. A lopposé des deux guerriers déjà présent, le scribe paraissait fort mal préparé pour une excursion à tel point quil glissa en entrant et cest sur les fesses quil atterrit dans la grotte. Aryon se faufila dans lantre juste derrière lui et laida à se relever. Le chasseur eldryn les salua dun hochement de tête avant de se poster à lentrée en faction, lair taciturne comme à son habitude. Il annonça dune voix plate larrivée de Filéas et celle de Valeckwyr, un demi eldryn qui avait rejoint les gardiens de Soliana il y a à peine deux ans.
« Les gardiens sont au complet annonça Elywenn. Il ne manque plus que noter princesse préférée et nous pourrons partir. »
Soliana se faufilait à travers le terrain dentraînement sans un bruit. Passant devant la caserne, son manteau changea de couleur, se mêlant au blanc des murs pour la rendre invisible. Comme elle ne vit personne, elle quitta lombre du bâtiment pour se diriger vers le Boiteux.
« Où allez-vous princesse ? »
Soliana se retourna pour voir Keloryn adossé à un arbre. Elle se figea, espérant que son camouflage la soustrairait aux yeux du guerrier mais il nen fut rien, celui-ci la fixant toujours directement dans les yeux.
« Il est bien tard pour une promenade et ceci nest pas la parure qui sied à une jeune femme de votre qualité. Puis-je insister et vous demander votre destination ? »
Abandonnant la discrétion, la princesse chassa lillusion créée par son vêtement et avança jusquau maître darme.
« Je dois entreprendre un long voyage, maître Keloryn, une quête que je suis seule à pouvoir accomplir. Je vous demande de me laisser passer et dêtre discret quant à mon départ.
- Alors souffrez que je vous accompagne, princesse. Le monde du dehors est dangereux et mon épée vous sera précieuse, bien plus que celle de tous vos gardiens, que jai vu se faufiler sous le Boiteux.
- Je ne peux pas vous demander cela, maître Keloryn. Vous vous devez de rester ici pour continuer à enseigner.
- Rien nest plus important en ces temps que la vie de ma souveraine, répondit Keloryn. Et sil le faut, je suis prêt à prononcer le serment des gardiens car, foi de Keloryn, je ne vous laisserais pas partir sans une bonne garde. Je sais aussi que quoique je dise, vous ne renoncerez pas. Aussi,
»
Keloryn sortit sa lame de son fourreau et la tendit à Soliana.
«Acceptez que mon bras devienne votre bras, que mon bouclier soit votre bouclier, que mon arme soit votre arme. »
Faisant fis du long protocole du serment des gardiens, Keloryn avait directement récité la dernière phrase. Soliana hésita puis pris la lame, posa un chaste baiser sur celle-ci et la rendit à son nouveau gardien.
« Que mon souffle anime votre esprit, que mon sang soit votre vie. Jaccepte votre serment, gardien Keloryn. »
Celui-ci se releva, rengainant lépée que lui rendit Soliana.
« Une bonne chose de faite. Maintenant que votre expédition est au complet, vous pourriez men confier la destination ? »
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Et vala, un de plus Je sais ca saute du coq à l'âne mais ce n'est pas un VeraCruz. Les 2 3 chapitres suivants sont consacrés à Soliana d'ailleur.
Message édité par deidril le 30-11-2005 à 14:23:29