Non, Stipey, aucune contrepèterie

Les hommes préfèrent les blondes, il paraît.  
 
En matière de bière, pourquoi pas. Moi, j'ai beau être un homme, la couleur des cheveux ça m'est un peu égal, du moment qu'on peut faire des cochoncetés avec la propriétaire. Je m'étais simplement constaté plus d'affinités avec les brunes...
 
Mais là, la petite blonde charmante avec une jupe noire qui venait d'entrer au lavomatic en bas de chez moi, où j'ai mes habitudes de vieux célibataire (entendez par là que j'y lave -sinon avec entrain, du moins avec une lessive au romarin- mes chemisettes), et où le dépouillement des chaussettes au sortir du sèche-linge est toujours un calvaire, j'aurais volontiers été franchement polisson avec elle.
Je ne vais pas essayer de vous faire avaler des couleuvres plus longtemps : malgré ce que je peux dire, je suis un grand timide. Je préfère m'éprendre plutôt que de prendre tout court, et je contemplais ce joli calibre avec discrétion et appréciation pendant qu'elle enfournait son linge dans la machine proche de la mienne. Et au vu de celui-ci, on pouvait en déduire qu'elle ne lavait que le sien...
Aussi, quand elle prit devant les instructions de paiement un air aussi décontenancé qu'un escargot face à un plat d'aligot (ce que c'est bon ce truc, avec des vraies patates et de la tomme de cantal fraîche), et se tourna vers moi avec une candeur aussi désespérée que ravissante, je me mis à fondre comme une fraise tagada macérant dans une bouteille de vodka...
Avec un charmant accent, du nord ou de l'est de l'Europe à ce qu'il me semblait, cette demoiselle se mit à me demander comment fonctionnait ces machines.  
Je renfilais prestement l'espadrille qui pendouillait au pied dont la jambe reposait sur l'autre (oui, je sais, c'est pas la grande classe, l'espadrille, mais en vacances j'ai rarement trouvé mieux), et je me levais pour me rapprocher un peu et lui expliquer le comportement bassement matérialiste des machines qui ne fonctionnent qu'avec l'accord de la centrale de paiement, et après avoir appuyé sur les boutons appropriés (en particulier le vert, là, si on n'appuie pas elle va marcher beaucoup moins bien, forcément, voire pas du tout, la machine, c'est un piège ce bouton).
Comme tout homme célibataire qui se respecte, j'essayais ensuite d'engager un peu la conversation. Parce que j'ai beau ne pas être complètement contre la concurrence libre et non faussée, en matière de séduction, je peux pas compter sur mon physique, et la conversation, c'est ce qui me donne le plus de chance, surtout sur le long terme...  
Bref, je tentais une entrée en matière sans faire de vague, pas comme ces blindés amphibies qu'on voit parfois dans la petite lucarne et qui entrent dans l'eau en roulant à grande vitesse et en soulevant des gerbes d'éclaboussures plus ou moins glauques.
 
Parce que j'aime bien le passé simple, nous parlâmes de tout et de rien, et de fil en aiguille j'appris tout de même que l'accent venait de Pologne, à Varsovie, non loin de la maison natale de Marie Sklodowska, épouse Curie, et que ma voisine de laverie étudia à l'université à qui celle-ci offrit un de ses premiers gramme de radium. Les études qu'elle avait faites lui offraient peu de possibilité d'évolution là-bas, mais elle avait trouvé un stage de spécialisation ici qui lui ouvrirait des portes. Elle m'expliqua tout ceci pendant que nos lessives respectives tournaient et retournaient paresseusement dans les tambours.
Nous nous tûmes au démarrage de l'essorage qui -lui- n'y va pas avec le dos de la cuillère. La machine ouverte, je triais mes affaires à sécher, les mis au séchoir et retournais discuter avec elle.  
 
Le silence précédent avait mis une sorte de distance entre nous, comme souvent à la fin d'une discussion avec des inconnus et qu'on sait qu'on va sans doute se quitter et ne plus jamais se revoir. Il y a une sorte de frontière à passer : essayer d'aller plus loin ensemble ou repartir chacun de son côté ? J'étais déjà reparti trop souvent de mon côté.
Je me proposais finalement comme mauvais guide, je suis même pas d'ici, si par hasard elle n'avait déjà pas visité toute la ville et tous les musées...
 
 
Quelques mois plus tard, émerveillé, je découvrai à mon tour Varsovie, et je me dis que finalement, les blondes, c'est pas si mal.