- Les hommes préfèrent les blondes. J’en suis morte. Morte. Jamais plus personne ne me regardera face à face sans détourner les yeux. Voilà. C’est ma vie. C’est mon histoire.
Il y a de cela si peu longtemps, j’étais une jolie et charmante jeune fille. Mais l’histoire en a décidé autrement, voyez-vous, les hommes préfèrent les blondes, et ce fut ce que j’appris trop tôt.
Marie se trouvait allongée sur un luxueux sofa rouge pourpre alors qu’elle prononçait ces mots. Elle devait avoir dix-huit ou dix-neuf ans, pas plus de vingt. Elle fumait avec délicatesse une cigarette fine, longue, allongée encore par la manière dont elle la tenait entre ses doigts. Elle était vêtue d’une longue robe noire, fendue jusqu’à la cuisse, et qui laissait entrevoir, par la position dans laquelle elle se trouvait, ses deux longues jambes entrecroisées l’une pardessus l’autre. Ses cheveux blonds et bouclés descendaient dans son dos en boucles gracieuses, son oreille jouait avec une mèche presque blanche dans la lumière matinale. Marie regardait par la fenêtre, accoudée au dossier, le dos à demi tourné ce qui laissait penser, étrangement, qu’elle parlait aux fantômes qui, paraît-il, hantaient ces murs depuis des décennies. Effectivement, Marie était seule dans la pièce. Les lourds rideaux violacés assombrissaient l’atmosphère, même s’ils étaient tirés, et le dessin violet et blanc des murs faisaient de cette étrange scène un spectacle surprenant pour un observateur non avertit. Mais, une fois encore, Marie n’était entourée que de silence, et pas une oreille n’entendit ces mots, prononcés comme on sonne un glas.
- Voilà comment les choses commencèrent. Voilà comment elles finissent. J’aurai préféré être brune, mais voyez-vous, Dieu en décida autrement. Je sortais alors avec une dénommé Mickael, à prononcer à l’américaine disait-il, car c’était aussi le prénom de son père. Lorsqu’on a 17 ans, on préfère toujours se différencier, un tant soi peu, du dénommé paternel.
Il était très beau, très galant, et nous étions ensembles depuis peut-être trois ou quatre mois, voir plus. J’étais bien sur sa préférée. J’étais blonde. Depuis toujours la couleur particulière de ma chevelure avait fait des éclats auprès des mâles. Un atout particulier. Non pas que les brunes soient moins belles, mais elles séduisent plus tardivement. Les blondes, elles, séduisent dès leur plus jeune âge
Mickael, en plus d’être charmeur, était mauvais garçon, polisson comme un enfant mal éduqué et mauvais joueur. Il était aussi joueur de baseball, et, très vite, j’en tombais amoureuse. Ce fut un désastre. Premier amour, premiers pleurs dit-on. Sauf que moi, j’en décidais autrement. Pour ma cervelle alors quelque peu matérialiste, et, pour ainsi dire, superficielle, une seule idée prônait sur toutes les autres : être la plus belle. Ainsi pensais-je retenir un peu plus Mickael entre mes bras, non pas qu’il eu l’intention de partir, mais quatre mois pour notre âge, c’était selon moi la période exacte de la rupture, et, éprise de Mickael comme je l’étais, il n’en était pas question. J’oubliais de préciser que déjà à l’époque, j’étais en tête d’une imposante fortune.
Je pris pour principe que mon physique ne devait pas faire défaut. Ayant depuis toujours eu le dessus par rapport aux autres filles en matière de séduction, je ne m’inquiétais pas sur ma manière de séduire. Si j’avais été brune, les choses auraient été différentes ; mais étant blonde de naissance, et non pas que ce fut une tare, j’appris dès l’âge de mes neuf ans, ce jour précis ou l’on me siffla pour la première fois dans la rue, que mon pouvoir sur les hommes était plus que notable.
Ainsi, alors que je sortais avec Mickael et que je devais avoir environ dix-sept ans, ayant peur d’une quelconque rupture, je claquais soudainement des centaines et des centaines d’euros dans ma collection vestimentaire, sous-vêtement non compris, ce qui laisse imaginer la quantité des chemisettes, pulls, tops, jeans, robes et j’en passe qui emplirent bientôt ma garde-robe.
La seconde étape fut de passer d’un bonnet B à un large bonnet C. Ce ne fut pas une mince affaire. Je me souviens encore marcher vers le bureau de mon chirurgien, laissant claquer mes espadrilles comme j’en avais l’habitude pour que les passants se retournent derrière moi. Lorsque j’arrivai à mon rendez-vous, j’attendis peu. Une odeur de lavande et de romarin trainait dans la sale d’attente, ce qui m’inquiéta quelque peu, car j’eu bientôt l’impression de me retrouver dans une laverie automatique, attendant mon tour avec les petites gens du quartier, pour pouvoir laver mes draps et ma petite lingerie. Fort heureusement, je suis née sous de meilleurs hospices.
Marie souffla alors une longue bouffée de fumée qui appesantit l’air autour d’elle, puis, sans se retourner, elle rit d’une voix étrangement grave. Son rire laissait entrevoir le dépouillement le plus complet de son être en ce moment même. Elle était là, racontant sa vie au travers du voile épais de l’émanation de sa cigarette, sans aucun artifice. On aurait presque pu, étant donné le timbre abandonné de sa voix, imaginer qu’elle était brune. Je ne sais pourquoi on imagine toujours les blondes avec une voix aigue.
- L’opération fut bénigne. Changer d’un petit bonnet pour un plus gros calibre était, dans mon milieu, une chose comme une autre, et les rares surpris furent ceux qui s’étonnèrent sur mon jeune âge, mais, après tout disaient-ils, pourquoi pas… L’opération suivante en surpris bien plus.
Lorsque Marie Curie fit son admirable découverte (et je précise que Marie Curie était brune), rares étaient les femmes qui parvenaient à la notoriété scientifique. Les femmes étaient alors considérées comme des objets, utiles à la maison, près des enfants, mais difficiles à imaginer dans un laboratoire. Depuis, il y a eu la révolution des femmes, un changement de situation qui fait que, maintenant les choses sont différentes. Je ne vais pas y aller avec le dos de la cuillère et je vais exposer dès à présent mon point de vue. La prise de pouvoir nous a apporté, à nous les femmes, et plus particulièrement les blondes, une prison supplémentaire. A présent, ô joie, nous avons le droit d’être nous-mêmes. Etre soi-même. Célèbre publicité pour… des produits cosmétiques, destinés à séduire les hommes pour nous. Et pour les blondes, dure situation que de se retrouver à la croisée des chemins Séduction et Image de soi. Et oui, on grandit en construisant malgré nous l’être correspondant à l’image que les autres se faisaient de nous. Etrange cercle vicieux qui m’a mené où j’en suis à présent, lâchée dans la concurrence libre et non faussée des autres jolies filles, je construisis celle que l’on attendait que je sois. Et ma blondeur ne fut pas des plus minces influences que je reçues.
Lorsque j’eu ma deuxième opération, on dit de moi « elle va marcher beaucoup moins bien, forcément ». L’allongement des jambes me prit, en tout, trois mois. A la fin de l’opération, j’étais encore avec Mickael. Cela faisait presque un an. Pour mes lèvres, on n’ajouta pas un mot. Les gens avaient compris qu’elle fièvre furieuse s’emparait de moi, Mickael lui-même commença à s’éloigner, ce qui grossit encore le flot de mon désir de beauté. Je devais être parfaite. Et c’est à cause de cela que je suis ici à présent à avaler des couleuvres, pour des erreurs passées, mais contre lesquelles je ne peux plus rien faire.
L’étape suivante, et qui chez toute autre personne aurait dut être la première, fut les régimes à répétitions. Je ne compte plus le nombre de mets qui me passèrent ainsi sous le menton, sans que j’y touche, pour le Dieu Régime et sa femme la Ligne Parfaite : Aligots, fricassées, pates à la carbonara et fondues savoyardes… et j’en passe… tout cela alluma un sentiment de privation en moi, qui ne cessait de grandir, et que je comblais en heures de gymnastiques supplémentaires, spas, saunas et autres. J’avais fait de mon corps un temple, de mon esprit un tombeau.
Ce fut alors que je commençais à porter une attention particulière à mes yeux. La couleur en était marron. J’aurais préféré bleu. Cette question cruelle quant à la couleur de mon iris enveloppa ma vie comme un voile sombre, et, après avoir opté pour les lentilles de couleur, je décidai bientôt d’une opération couteuse et rarissime mais dont j’enviais fortement le résultat : une greffe d’yeux bleus, à la place de mes yeux marrons.
Je ne vous surprendrai pas en vous annonçant le total désastre de cette entreprise. Les lasers, les opérations multiples qui suivirent, les crèmes et les injections n’y changèrent rien. Faisant fuir alors la gente masculine encore plus surement qu’un cachalot amphibie, je découvris peu à peu toute l’influence malheureuse dont je fus victime, et qui me conduisit à un si pareil résultat. Les hommes préfèrent les blondes, c’est bien connu, mais rares sont ceux qui me préfèrent à présent. Pourtant, je le dis haut et fort, c’est à cause d’eux, à cause de leur intérêt pour moi et pour mon physique et ce dès mes neuf ans, que j’en suis arrivée là, victime de mon image, et, étrangement, de ma blondeur.
Marie se retourna alors, et, dans un nuage de fumée, on pouvait apercevoir l’orbite vide de son œil droit. Elle n’avait même pas prit la peine de la cacher, comme elle le faisait d’habitude, sous un foulard ou un chapeau. Elle était seule, nul besoin de mentir, nul besoin de créer, tout autour d’elle, cette atmosphère de séduction dont elle avait le secret. Non, elle était là, comme dénudée, telle une sirène sur son rochers, une nymphe près de sa source ou une muse au front inspiré, et la sagesse de ses propos, ainsi que l’aspect terrifiant de son visage, faisaient oublier, quelque-peu, qu’elle était blonde.