Nijninovgorod a écrit :
Est-ce que les couts seraient si élevés, d'envoyer une partie de ces invendus dans des pays en développement, à des associations etc... comme il est mentionné dans l'article...
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Pays en voie de développement ? Tu veux dire nos anciennes colonies ? Oui, vu le poids et l'encombrement des livres, ça reviendrait sûrement très cher. La question étant surtout : qu'est-ce qu'ils auront bien à faire de BD nullardes, d'ouvrages d'actualité sur la politique française, de vies de stars, de romans de seconde zone, de livres de cuisine écrits en 2 semaines, du 8 793ème bouquin sur les réformes né-ces-saires de l'éducation nationale, j'en passe et des pires ?
Cet article fleure bon le marronier et tente de déguiser sa banalité avec des allusions continuelles au "secret" du pilon. Belle foutaise... on pilonnait déjà il y a 30 ans au moins, et tout le monde le sait dans le monde de l'édition, auteurs compris. Ce que l'article ne dit pas, par contre, c'est la quantité de "coups", de livres opportunistes à la durée de vie de quelques jours à peine. Et pour cause : la plupart sont l'oeuvre de journalistes. Y compris ceux de l'Express, oui. Le plus gros de ce qui part au pilon, ce ne sont pas des romans injustement méconnus de courageux jeunes auteurs, ce sont des daubes placées en office (curieusement, l'article n'évoque pas l'office, pourtant la cause de sur-tirage dans 90% des cas) et dont la couverture médiatique sera d'autant plus garantie que l'auteur fera lui-même partie des médias, qu'il soit personne publique ou journaliste.
Chaque année, plusieurs centaines de titres sont placés d'office dans tous les points de vente en France : des milliers de maisons de la presse, librairie-tabac, librairie-papeterie, kiosques de gare etc. Sarko ou Brigitte Bardot sortent un livre ? Il sera en vitrine partout, sans que personne n'ait à le commander. C'est l'éditeur qui décide. Après, ça se vend ou ça se vend pas... Si ça ne se vend pas autant que prévu, ce qui est le cas de la plupart de ces bouquins, c'est retour massif. Et pilon, puisque si le bouquin ne s'est pas vendu dans la semaine où le battage médiatique et le copinage journalistique tournaient à fond, il ne risque pas de se vendre plus tard : il n'avait de toute façon aucun intérêt.
Le problème est que le battage médiatique a ses limites. Trop de livres, trop de battage pour trop de titres. En une seule semaine, presse, télé et radio vont s'efforcer de faire acheter tellement de livres qu'un petit nombre seulement vendra un peu, et un ou deux titres maximum vendra beaucoup. Et la semaine d'après, d'autres titres seront poussés, vantés, loués, et pousseront ceux de la semaine précédente vers les cartons de retour.
Parfois, le calcul éditorial a de quoi rendre perplexe. Si l'on peut comprendre qu'imprimer des camions entiers du dernier Doc Gyneco et le placer partout est nécessaire pour espérer réussir un "coup" (et je dis bien "espérer", car c'est une loterie à laquelle les éditeurs perdent 3 fois sur 4, l'espoir étant que le coup réussi compense largement les pertes des 3 ratés), il y a de quoi s'interroger sur les raisons qui ont poussé la SODIS l'année dernière à placer en office l'excellente bio de Mao de Jung Chang et Jon Halliday publiée chez Gallimard. Un pavé d'histoire de 840 pages distribué comme un manga à 2 balles. Je n'ose pas imaginer le taux de retours...
Autre raison de tirages démentiels, encore une fois soigneusement omise par l'article : les avances colossales demandées par les quelques stars de la littérature. Pour espérer récupérer l'investissement, il faut vendre beaucoup, donc être présent partout, donc imprimer de folie. Or des auteurs commencent à passer de mode et ne vendent plus le quart de ce qu'ils vendaient autrefois, tout en continuant d'avoir des prétentions de stars. Dantec, King ou Werber, par exemple, tournent de plus en plus au has-been. Trop de production, trop de livres médiocres (voire du foutage de gueule pur et simple dans le cas des trois cités) et les ventes s'écroulent. Le public continera d'acheter les Fourmis, Les racines du mal ou Simetierre, mais chaque nouveau bouquin vend moins que le précédent, tandis que le tirage a plutôt tendance à augmenter. Et hop... pilon.
Encore une dernière, particulièrement gonflante : l'habitude qu'ont prise les éditeurs de stopper la vente d'un livre en poche quand un film qui en est tiré va sortir. On réimprime le broché (éventuellement avec une nouvelle jaquette) en espérant que les gens vont casquer 23 pour un bouquin qui deux mois plus tôt pouvait être acheté pour 7 , et ce parfois depuis des années. Concernés en ce moment : "Pars vite et reviens tard" de Vargas et "Ensemble, c'est tout" de Gavalda. La vente du poche est bloquée pour trois mois, le temps que la battage autour du film retombe. Et après, ils s'étonnent d'avoir des palettes d'invendus...
Evidemment, ils préfèrent en interview se lamenter sur tel ou tel beau titre auquel ils "croyaient très fort" et pour lequel hélas le public n'a pas suivi. C'est plus classe que de parler des vraies pratiques éditoriales qui aboutissent à tant de papier recyclé.
Enfin bref... un article complaisant et hypocrite, mensonger par omission, qui se garde bien de dire pourquoi tant de livres ont besoin d'être pilonnés.