Il faudrait un peu recadrer le contexte quand on parler de "c'était mieux avant", et surtout se placer dans une perspective historique (des arts). Premièrement, il ne faut pas oublier que ce n'est que récemment qu'on a pu accèder facilement à l'art.
Non seulement grâce à l'éducation (savoir lire et écrire, apprendre le ba-a-ba de l'art grâce à l'école: grands auteurs, peintres, etc...) et aux moyens de diffusion. Il ne faut pas oublier que des gens comme Zola ont grandement bénéficié de la presser à gros tirage apparue au XIX° siècle.
La photo a permit de donner un aperçu des oeuvres d'art, les transports ont permit à des gens d'aller visiter le Prado ou le British Museum. Les grandes fouilles archéologiques du XIX° siècle ont permit de découvrir le trésor de Pryame, les tombes égyptiennes... Internet a apporté beaucoup en plus, notamment au niveau de l'échange (ok, en peer to peer) de la musique, mais aussi parce qu'il permet à des créateurs de se faire connaître. Et on semble souvent oublier qu'une culture artistique apparaît sur le support numérique.
Ce n'est qu'avec la révolution française qu'on a ouvert le Louvre en tant que musée ouvert à tous, même si l'idée de musée existait déjà depuis le début du XVIII°, mais seulement réservé à l'aristocratie.
Qu'on dise que posséder une oeuvre d'art dans l'air du temps permet à certains de péter plus haut que leur cul n'est pas nouveau non plus. Sous l'Ancien Régime, les bourgeois, alors envieux des privilèges de la noblesse, collectionnaient pour faire comme le roi.
L'art, de toute façon, c'est depuis toujours l'expression d'une sensibilité esthétique (visuelle, auditive, intellectuelle et même gustative, pour la cuisine). On il existe depuis que l'homme est parvenu à exprimer sa conscience, ou plutôt a eu besoin de la crystaliser, et de la transmettre aux générations suivantes. C'est souvent (enfin jusqu'à preuve du contraire) c'est pour des raisons religieuses au début de l'humanité. L'art a souvent été, dans les civilisations anciennes un moyen d'expression religieuse ou étatique. La victoire de Samothrace, c'est le beau au service de l'Etat, pour célébrer une victoire navale (?). Tout comme l'Arche du Carroussel du Louvre.
A mon avis (je suis plus historien, mais comme je suis guide touristique j'ai un tout petit peu étudié l'histoire de l'art), il serait intéressant de lire sur l'impact de la religion, en tant que phénomène social, sur l'art. Il doit sûrement exister beaucoup de travaux là-dessus. Mais on voit que la renaissance de la sculpture du gothique a très fortement été influencée par l'affranchissement vis à vis "tabous" religieux qui existaient à l'époque romane (interdiction de la représentation divine).
Les cathédrales permettaient bien avant l'alphabétisation massive de la population d'atteindre Dieu à travers le beau (attention, en ville, pas mal de gens savaient lire à la fin du Moyen Age, dans les 30-40%). Mais c'était encore à une époque où l'artisan était la même chose que l'artiste. Pour parler de celui qui dessine des cathédrales, on ne parle pas d'un architecte, mais d'un maître d'oeuvre. Pour un manant illétré du Moyen Age ou pour un citoyen agnostique du XXI° siècle, les vitraux de la Sainte Chapelle nous en jettent bien plus plein la gueule à cause de leur qualité technique et leur beauté que par la signification religieuse de l'oeuvre.
Je ne pense pas que jetter la pierre sur la culture populaire soit une bonne chose. Jannot Vacances (Johnny, quoi ) est un peu le pendant des chants que les chansons populaires. La seule chose gênante, c'est que c'est devenu un art face auquel on est devenu spectateur (chanter, danser, c'est quelque chose de naturel, pour exprimer ses sentiments. Là, c'est le CD ou le MP3 qui vout met directement ces émotions dans le bec) et dont l'artiste a tendance à se faire créer un culte autour de sa personnalité (par les médias, qui vivent de la publicité) digne de Mao ou Staline.
A mon avis, la seule chose qui fait l'art, c'est le sentiment. Oui, chacun voit ce qu'il veut dans une oeuvre, ou plutôt, chacun projette ce qu'il veut sur une oeuvre. Une envolée de Led Zep ou le rythme de la batterie des White Stripes ou les divaguations de Sonic Youth me prennent aux tripes. Je passerai des heures devant un Brueguel, Van Eyck (j'adore les flamands), Canaletto, Otto Dix, ou Dali parce que ces tableaux m'ouvrent une fenêtre. C'est comme un bon bouquin. Ca vous fait rêver, ça vous fait réfléchir, ça vous ouvre des petites capsules sensorielles dans votre cerveau. Un peu comme quand on mange un bon plat à la maison après plusieurs mois à manger de la merde à l'étranger. Tout vous revient.
Pourquoi devrait-on qualifier tel ou tel artiste parce qu'il ne nous fait pas bander? Moi aussi, j'execre Lorrie, qui se nomme artiste et qui brasse beaucoup de pognon. Mais après tout, si elle fait vibrer des pisseuses de 12 ans à travers cette musique, c'est que c'est de l'art. C'est sûr que les goûts de son auditoire est très certainement formaté par les médias, qui eux mettent des "produits" sur le marché pour le pognon. Au final, ce n'est pas tellement différent de ce qui se faisait avant, sauf que les acteurs ont changé. Dans 300 ans, on ne parlera plus de Lorrie. Tout comme on ne parle plus des chansons qu'on chantait dans le Berry au XVII° siècle. Les goûts ont toujours été formatés, et ce n'est pas prêt de changer, si vous avez un tant soit peu étudié l'éthnologie.
Tenez, on a actuellement une expo sur Ingres à Paris. Franchement, Ingres et c'est un bon exemple de type qui n'a pas arrêté de dire "c'était mieux avant". Pas plus académique (même si malgré lui il a introduit quelques innovations), tu meurs. Il n'y est pas allé avec le dos de la cuillière avec Delacroix qu'il considérait comme trop éloigné de la peinture académique. Jusqu'à la fin du XIX°, l'académie régissait les goûts, enfin plutôt la production artistique. Quand la peinture non-académique a finit par représenter la plus grande partie de la production picturale, elle a imposé une nouvelle référence. Qui oserait maintenant peindre un tableau classique de 15x3 sur la prise de Baghdad, avec Bush entrain de faire une roue arrière à la manière de Bonaparte sur son cheval? Pour la musique, c'est la même chose. Les médias ont remplacé les conservatoires. Ils produisent de la musique pseudo-rebelle en récupérant la vague créée par de vrai rebelles, qui eux, ont fait preuve d'un véritable courage artistique. C'est comme dans tout, un mouvement, social (gauche caviar, révolution française...) ou artistique (rock'n'roll, rapp...), ça s'embourgeoise du moment que ça tient le haut du pavé.
D'ailleurs, le "classicisme" qui est la conséquence du monopole d'un mouvement artistique ne produit pas forcément que des merdes. C'est plutôt le contraire, un vague artistique classique produit même ses plus beaux chefs d'oeuvres. Même dans sa période de décadence (si on considère qu'un mouvement suit le schema "dissidence" - "classicisme" - "décadence" ), elle peut produire l'aboutissement de son style: allez donc visiter la très jolie église Saint Eustache, du style gothique flamboyant.
A partir de là (et toujours selon moi), ne considérer que l'art ne peut être que de l'art lorsqu'il est en dissidence par rapport au courant artistique du moment n'est pas forcément très intelligent. Mais ça démontre bien que chacun projette ses attentes esthétiques et surtout spirituelles sur l'art: si on n'apprécie que l'alternatif, c'est qu'on souhaite être en décallage par rapport au courant principal, au sens social.
C'est un peu mon cas. Bon, j'ai 24 ans, le côté rebelle est un peu normal. J'ai la chance de venir d'une famille d'immigrés polonais pauvres (qui s'est bien intégrée) chez qui être pauvre n'oblige pas (ou plutôt n'autorise pas) de se cultiver. Je ne suis pas un faux rebelle comme on en voit beaucoup. On est un vrai rebelle par choix, pas par suivisme, comme on en voit beaucoup (du genre je me sappe stÿlee, j'écoute la musique rebelz de NRJ, Le Pen c'est un con parce que c'est ce qu'on dit (c'est un type rusé, mais aux mauvaises idées, ne vous méprenez pas!) etc...).
Être rebelle nécessite une conscience. Il faut penser ses choix. Il faut éviter la facilité intellectuelle. C'est peut-être pour ça que la production culturelle en France est bien plus médiocre qu'auparavant. Une chose est sûre, la suffisance et la facilité intellectuelle (ou plutôt le dogmatisme) ont toujours existées. Le truc, c'est que maintenant, le rebelle a prit la place du calife. Encore un embourgeoisement. Michel Field a plein de pognon. On parle de Sartre dans des dîners de bo-bos. Jack Lang a son appartement Place des Vosges. Depuis que les rebelles sont aux commandes, que reste-t-il à faire pour innover (selon eux)? Au final, on se retrouve avec une situation pas si différente de la normalité qui était de rigueur au XIX° siècle, sauf que paradoxalement, l'atypique est devenu la norme. Malraux, comme "grand" ministre de la culture, a du jouer un certain rôle dans la situation qui est celle d'aujourd'hui. Pourtant Dieu sait que c'est un grand écrivain (L'Espoir ), mais un petit homme (mythomane). L'Etat n'a rien à faire dans la régulation (de facto, via les subventions, etc...) de l'art selon moi. On n'avait pas de ministère de la culture avant. Et pourtant c'était l'âge d'or de la culture française au XX° siècle. Il y avait les académies, oui. Mais leur impact était moindre que la politique culturelle de l'Etat.
C'est drôle à dire, mais paradoxalement, la démocratisation à marche forcée de l'art semble l'étouffer. Non pas que l'accès à l'art soit une mauvaise chose, bien au contraire. Mais cela a énormément fait gonfler le public artistique. D'où plus d'attente envers les artistes. Et pas forcément une attente plus variée, mais une attente plus formatée. Et au sein de cette "élite" assez conséquente, une autre élite, ceux qui se permettent de pouvoir dicter l'impact "sensitif" de l'art. Me dire que je ne connais rien à l'art (ou plutôt que je ne sais pas ressentir l'art) parce qu'une toile monochrome ne me fait ni chaud ni froid, il n'y a rien de plus atroce. Peut être que l'artiste a voulu exprimer quelque chose à travers ce concept. Soit. Mais ce n'est pas beau (pas dans le sens classique du terme. Un graffiti sur un mur d'usine peut être beau. Un bord d'autoroute peut être beau.). Le peintre n'est plus peintre lorsqu'il ne fait plus passer quelque chose quasi-instantanément au premier quidam qui tombera sur son oeuvre. Un tableau ne s'apprécie pas avec une notice. Un tableau, c'est lorsqu'un gamin de 8 ans peut rêver dedans. Une oeuvre d'art, c'est lorsqu'on ne peut pas s'empêcher d'en détourner le regard, même si la signification symbolique (religieuse, etc...) ne nous en est pas connue.
Du coup, pas étonnant que les gens ne se tournent vers des choses plus "façiles" d'accès. Parce qu'on aura toujours tendance à penser qu'une traînée de tâches sur une toîle, ce n'est rien d'autre que du nihilisme. Que le nihilisme, c'est le cynisme. Et que le cynisme, c'est la décadence.
De toutes façons, qu'est ce que c'est que le Beau... Vas savoir, Charles...