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Le JDD à la rescousse du gouvernement...même le dimanche
Providentielle coïncidence d'un étrange sondage et d'une belle image de com'
Rubrique : Martelage
Rien de tel qu'un dimanche en pleine crise financière pour prôner l'ouverture des magasins le dimanche, et l'assouplissement de la législation sur ce thème sensible.
Quand de surcroit un sondage assure le même jour que deux tiers des Français sont favorables à la mesure, l'opération est une réussite.
Le ministre du Travail Xavier Bertrand et son secrétaire d'Etat à la Consommation Luc Chatel avaient décidé, dimanche 12 octobre, de se rendre dans une zone commerciale située à Thiais dans le Val-de-Marne, où les pro et les anti travail dominical se déchirent. Or, le jour même, un sondage publié dans Le Journal du Dimanche annonçait que 67% des personnes interrogées se disaient prêtes à travailler le dimanche.
Une heureuse coïncidence pour les deux ministres : ils venaient justement annoncer que la législation sur le travail dominical, cheval de bataille du gouvernement depuis plusieurs mois, serait bientôt assouplie. Initialement fixé au 10 juin, l'examen du texte avait ensuite été repoussé à une date indéterminée. Il pourrait être inscrit "à l'ordre du jour de l'Assemblée d'ici la fin de l'année", "si le calendrier le permet", a assuré Chatel le 12 octobre.
Travailler le dimanche, une demande dans l'air du temps, donc. Dans le JDD, qui annonce en surtitre : "Sondage exclusif : la crise économique favorise des réformes que l'opinion rejetait...", un tableau détaille les chiffres.
"Travailler le dimanche est payé davantage qu'en semaine. Si votre employeur vous proposait de travailler le dimanche, accepteriez-vous ? Ils sont 50% à répondre "oui, de temps en temps", 17 % à répondre "Oui, toujours". Les "non, j'amais", eux, sont 33%.
Notez qu'ils sont bien plus nombreux à ajouter le "de temps en temps".
Des réponses mises en perspective sur un an : ils n'étaient que 59% en 2007 (rappelle le JDD 2008) à répondre favorablement à la question.
Nul ne sait d'où sort ce chiffre de 59%. Un sondage de 2007, posant la même question, arrive plutôt à...26% de réponses positives.
D'autant qu'il ne s'agit pas tout à fait de la même question.
En 2007, le sondage posait en fait deux questions.
Première interrogation : "Vous personnellement, seriez-vous prêt à travailler le dimanche ?" Les réponses étaient malheureusement biaisées, 21% des sondés ayant répondu que c'était déjà le cas. Ce qu'expliquait par exemple lci.fr à l'époque.
Deuxième question du sondage de 2007 : "Vous personnellement, concernant le travail le dimanche, si vous en aviez le choix, que préféreriez-vous ?" (on appréciera la différence avec la première question). En un : "Renoncer à travailler le dimanche et ne pas gagner plus pour bénéficier intégralement de votre week-end", en deux : "Accepter de travailler le dimanche et gagner plus, quitte à vous priver partiellement de votre week-end".
Le "gagner plus" fait bondir les "oui" de 26 à 41%. Etait-ce le but ?
Bref, ce n'était pas exactement la même question qui était posée il y a un an. Car entre "être payé davantage qu'en semaine" (questionnaire 2008) et "gagner plus" dans l'absolu (questionnaire 2007), il y a une légère différence sémantique... tout comme dans la présentation de la question, plus alambiquée en 2007.
Autre nouveauté du millésime 2008, une nouvelle question vient compléter la première : "Etes-vous favorable à l'ouverture des magasins le dimanche ?", à laquelle 52 % des personnes répondent positivement.
Sur la même page du JDD, Luc Chatel défend son projet, tandis que le chef du service politique Claude Askolovitch commente ce projet sur le thème "Sarkozy accélère encore".
Il est courant que les journaux commandent des sondages lorsqu'ils veulent créer l'événement ou anticiper sur un fait d'actualité. Dimanche 12 octobre, la conjonction du déplacement en province des deux ministres et du sondage a assuré au journal une reprise médias importante.
Les jités se sont emparés du chiffre.
Le travail le dimanche faisait même l'objet du "débat" du 13h15 de France 2. Problème: les deux "débatteurs" Xavier Bertrand et Manuel Valls (PS) sont tout deux en faveur d'une évolution de la loi...
Mais quand on y regarde de plus près, la fiche technique du sondage comporte un détail important.
Elle précise en effet que le sondage, réalisé les 22 et 23 septembre, est siglé... "Ifop-Publicis consultants". Ce n'est donc pas le Journal du dimanche qui l'a commandé, mais une agence de communication.
Les esprits mal tournés pourraient voir là une manœuvre du gouvernement, qui se cacherait derrière l'agence pour commander un sondage appuyant son action... Suspicion renforcée quand on se penche sur les références de Publicis Consultants : l'agence travaille régulièrement pour des ministères.
Comme le rappelle ce communiqué de presse (en PDF) de 2005, elle a été "l'agence de communication du ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie pour la mise en oeuvre de la réforme budgétaire (Lolf), du ministère del'Equipement pour sa stratégie de communication, et du ministère des Solidarités, de la Santé et de la Famille pour la réforme de l'Assurance maladie, après avoir mené en 2003, la réforme des Retraites". Plus récemment, "le Ministère du Travail, des Relations sociales et des Solidarités a confié à Publicis Consultants l'ensemble de la communication sur les prochaines élections prud'homales qui se dérouleront le 3 décembre 2008"
Et elle a contribué à la rédaction du site gouvernemental consacré au handicap...
Interrogés par @si, le Service d'information au gouvernement (chargé de commander les sondages gouvernementaux) et Publicis démentent pour cette fois toute opération de com'. Publicis assure que le miraculeux sondage n'a pas été commandé par le gouvernement. "Nous réalisons régulièrement des sondages que nous pouvons ensuite proposer aux médias, détaille une porte-parole de Publicis. C'est une façon de nous affirmer comme un acteur du débat public et de souligner notre expertise sur d'importants sujets de société ou d'actualité. Pour ce qui concerne ce sondage, nous étions en discussion avec plusieurs médias, mais seul le JDD s'est révélé enthousiaste, à tel point qu'il a souhaité bénéficier d'une exclusivité."
Ce que confirme un membre de la hiérarchie du JDD (qui n'a pas souhaité s'exprimer sous son nom) : "Nous avions une interview de Chatel, et ce sondage traînait, il était intéressant d'en faire une page".
En tout cas, ce sondage est bien tombé pour le JDD...et pour le gouvernement.
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