Ce que j'ai lu de plus intéresant dans la presse sur ce sujet :
http://www.liberation.fr/actualite [...] 831.FR.php
Jurys citoyens contre crise démocratique.
Ils permettent de réoxygéner le débat politique et de faire participer les exclus.
Par Christian LOSSON
Libération Mercredi 25 octobre 2006
Avec les «jurys citoyens», Ségolène Royal a-t-elle mis en avant une piste de remodélisation d'une démocratie représentative en crise ? Ou s'est-elle offert une sortie de route contre la république parlementaire ? En jetant dimanche ce concept en pâture, sans prendre le soin, disait-elle hier, de «bien faire comprendre comment ça marche», la candidate à l'investiture PS a peut-être pris le risque de flinguer un outil parmi d'autres de la boîte à démocratie participative. Mais peut-être a-t-elle mis, à sa manière, la question du «vivre ensemble» au coeur du débat sur la fracture démocratique et sur l'urgence à élaborer une nouvelle gouvernance.
La démocratie participative, c'est quoi ? La tentative d'inclusion populaire dans la gestion publique. L'ébauche d'une citoyenneté qui ne serait plus passive. Le désir d'associer les gens en amont (décision) et en aval (suivi). «C'est un débat vieux comme la démocratie», rappelle Yves Sintomer, chercheur au centre Marc Bloch de Berlin et auteur d'un ouvrage sur le sujet (1), qui alimente régulièrement... l'équipe Royal. Ce débat a déjà été «brassé par les révolutions française ou américaine, ou lors de l'autogestion des années post-68». Il a été exhumé par les «conférences de citoyens» dans les pays anglo-saxons dès les années 70. Et mis en musique via l'altermondialisme redistributif à Porto Alegre (Brésil) dès 1988 par le Parti des travailleurs de Lula.
Depuis vingt ans, le fameux budget participatif est ainsi adopté par 200 villes dans le monde. «On définit un projet d'investissement prioritaire en partant de la base (bitumage, ordure, eau) via des débats entre délégués de quartiers et élus... Et on élargit : maternelles, postes de santé, logement social», dit Sintomer. «Porto Alegre a été la première synthèse entre les démocraties représentative et participative», explique Gus Massiah, président de l'Association internationale des techniciens, experts et chercheurs (Aitec). Les transpositions en France ? «Il s'agit trop souvent de la simple proximité, de la cosmétique paillette, chapeautée par les élus qui pratiquent une écoute sélective», regrette Marion Carrel, sociologue, auteure d'une thèse sur les artisans de la participation et qui planche sur l'inclusion des exclus dans le débat sur l'habitat social.
Graal, agora et slogan.
C'est aussi pour cela que concepteurs et animateurs de la démocratie participative défendent le jury citoyen. Parce qu'il permet, assure un expert, d' «élargir le cercle au-delà des militants dont sont exclus les précaires, les immigrés, les ouvriers». Principe : 20 à 100 personnes sont tirées au sort et rémunérées. «Berlin a lancé ces forums pour moitié entre tirage au sort et militants associatifs, avec jusqu'à 500 000 euros pour financer des projets, comme le Net dans les quartiers ou l'alphabétisation des migrants, rappelle Sintomer. Dans la banlieue de Barcelone, c'est purement consultatif, mais les élus s'engagent à justifier leur décision finale.»
Inclure les citoyens est une condition nécessaire, mais pas suffisante. Il faut «alimenter l'information, l'argumentation, pour construire un jugement et aller à l'encontre de la régression émotionnelle, de la psychologie de foule et de la seule démocratie d'opinion», dit Patrick Viveret, philosophe (2). Le pouvoir n'est pas un capital, mais un travail ? «Assurément, la montée en puissance d'une alliance civique entre participation, délibération et représentation est une forme de thérapie collective contre les effets toxiques de l'exercice du pouvoir, ajoute Patrick Viveret. Le fond du débat, c'est donc de faire vivre la qualité démocratique : ce n'est pas de la surveillance, mais de l'évaluation, différente de la sanction du suffrage universel.» La démocratie participative n'a rien d'un graal. Envisagée au-delà de la seule agora, du cahier de doléances ou du slogan, elle est un levier parmi d'autres pour tenter de réoxygéner un débat politique et une vie démocratique anémiés.
Alors, pourquoi une telle levée de bouclier ? «Parce que cela heurte des professionnels de la politique qui ont le sentiment de détenir le monopole de l'intérêt général», veut croire Sintomer. Les élus ne savent pas dire «je ne sais pas», «je ne sais pas encore», ou «je n'ose pas consulter les mouvements sociaux», ajoute Marion Carrel.
«Micro-trottoir».
Ils ont parfois le sentiment que la politique hors sol, hors champ, hors parti, est forcément illégitime. Donc populiste ? «C'est justement l'inverse, explique Sintomer. La démocratie par les sondages, la culture du micro-trottoir, ça, c'est du populisme. Parler de démocratie participative, des jurys de citoyens, avec qui on prend le temps et à qui on donne les moyens d'avoir un regard éclairé, c'est au contraire lutter contre le populisme.»
(1) Avec Marion Gret, de Porto Alegre, l'espoir d'une autre démocratie, la Découverte, 2002.
(2) Auteur de Pourquoi ça ne va pas plus mal ?, Fayard, 2005.