Il y a un peu tout et n'importe quoi sur ce topic. Je vais essayer de donner des éléments de réponse plus précis que "yaka fokon", ou alors "on peut pas faire autrement".
Pour faire bref, la recherche pharmaceutique s'organise en plusieurs phases :
1- On étudie un mécanisme biologique qui pourrait servir de cible à un médicament. Par exemple, on va étudier comment le virus de la dengue est capable de répliquer son génome
2- Ensuite, une fois que ce mécanisme est compris, on va rechercher des molécules capables de bloquer in vitro ce processus
3- Une fois que de telles molécules ont été déterminées, ces molécules sont testées en animal, en général sur des souris. Ca permet d'éliminer les molécules les plus toxiques et celles qui n'agissent pas en animal
4- Une fois qu'une molécule a un effet démontré en animal et qu'elle n'est pas toxique, les essais sur l'homme démarrent. Il se divisent eux-mêmes en trois phases :
4a - Etude de toxicité : on regarde jusqu'à quelle dose on peut utiliser la molécule sans qu'elle soit dangereuse et on détecte les effets secondaires possibles
4b - On étudie ensuite si ce médicament peut agir chez l'homme et si oui, à quelle dose
4c - Optimisation à plus grande échelle du médicament
Quelques données importantes du problème :
L'ensemble du processus est souvent long, de l'ordre de 12 à 15 ans et couteux. L'ordre de grandeur est de 800 M d'euros, même si 50% de cette somme devrait plutôt être rangés dans la catégorie "marketing". En général, le secteur public prend en charge les premières phases (1 à 3 souvent) et le secteur privé plutôt la fin (2 à 4).
Le coût de production d'un médicament est en général très faible. Quand on paye un médicament chez le pharmacien, on paye en réalité surtout la mise au point du médicament. C'est le même problème que dans l'industrie du logiciel. La production du premier CD d'un Windows coûte probablement plusieurs milliards, mais les suivants coûtent quelques centimes.
Autre problème, c'est une recherche très aléatoire et empirique. Une molécule peut très bien passer les premiers tests avec brio et se révéler totalement inefficaces lors des dernières étapes, faisant partir en fumée temps et argent. Parmi les molécules sélectionnées à la phase 2, moins de 1% arriveront chez votre pharmacien.
Et pour finir, la façon dont sont menés les tests chez l'homme font qu'on peut toujours passer à côté d'effets secondaires graves. Si on teste une molécule chez 500 personnes et que celle-ci provoque une réaction mortelle une fois sur 2000, on peut très bien passer à côté pendant les tests et déclencher une hécatombe une fois que le médicament est en vente.
Une fois posé le problème, on peut vraiment se demander si notre système est adapté ou non. Et quelles seraient les modifications à apporter.
Dans le système actuel, les labos privés prennent en charge une partie importante du coût de développement d'une molécule (> 50% même si on enlève le marketing). Ce faisant, elle prend aussi un risque financier important. Comme toute entreprise, elle est là pour gagner de l'argent et elle laissera tomber toute maladie rare. Si une maladie concerne 1000 personnes dans le monde, Il faudrait des revenus de 500000 $ par malade pour simplement retrouver ses billes. Ce phénomène a récemment été aggravé par le récent problème des méga-procès (aux USA notamment) sur certains médicaments qui ont eu des effets secondaires non anticipés. Un raté de ce type peut signifier l'arrêt de mort pour un labo privé (cf le stator pour Bayer, même si Bayer a finalement survécu). Et bien sur, la rupture de brevets par certains pays diminue le nombre de malades "rentables" et encourage à aller vers des maladies encore plus courantes.
Le système actuel encourage donc les labos privés à s'orienter vers des maladies courantes et paradoxalement pas trop graves (il y a moins de risque d'effets secondaires avec une pommade contre l'excéma qu'avec un anti-cancéreux).
Etant donné que le coût de développement est nettement à la hausse, ce phénomène va très probablement s'amplifier dans les années à venir.
Est-ce qu'un système "public uniquement" serait mieux ?
A mon avis, ce n'est pas sur du tout. Cela suppose que les états acceptent de payer le coût d'une telle recherche, ce qui n'est pas le cas actuellement. Ensuite, il va se poser le problème de la répartition des coûts. A partir du moment où une molécule est développée, elle va servir à tout le monde, donc c'est normal que tous les pays participent (au moins faiblement) au coût de R&D. Donc il va forcément de poser la question "qui paye?". Surtout pour des maladies commes le paludisme, qui concerne essentiellement des pays n'ayant pas les moyens.
Des pays riches seront sans doute plus tentés de financer la recherche sur le cancer. Et là va se poser un nouveau problème. Etant donné que les moyens ne sont pas illimités, il faudra faire des choix. On ne peut pas étudier toutes les maladies, il n'y a pas assez de chercheurs dans le monde. Donc il faut faire des choix. Est-ce que la recherche sur le palu est plus ou moins prioritaire que celle sur le cancer ?
Donc quels choix seront effectués et qui fera ces choix ?
Dernier problème qu'on ne peut plus esquiver aujourd'hui : que faire quand une molécule a un vice caché ? Qui doit indemniser les victimes ? Les laboratoires qui ont mis au point la molécule ? L'Etat dans lequel habite la victime ? L'OMS ?
Tout cela pour dire que chaque système a ses avantages et incovénients. Je crois qu'à l'heure actuelle, les Etats ne sont pas prêts à financer eux-mêmes la recherche pharmaceutique et que le système mixte public/privé reste le moins mauvais à l'heure actuelle. Bien sur, on peut partir sur des rêves utopiques et imaginer que les Etats deviendraient tout à coup généreux, mais ça reste justement une utopie.
Et féliciations aux lecteurs qui sont arrivés jusqu'à cette ligne 
Message édité par Svenn le 15-07-2005 à 12:51:18