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Jean Peyrelevade accuse le gouvernement "d'habiller la vérité"LE MONDE | 19.12.03 | 13h08 Réagissant à l'accord trouvé entre l'Etat et la justice américaine dans le cadre de l'affaire Executive Life, dont il est exclu, l'ancien président du Crédit lyonnais affirme qu'il n'a pas fait preuve "d'intransigeance". Il s'estime "sacrifié à la raison d'Etat"
L'ancien président du Crédit lyonnais, Jean Peyrelevade, exclu de l'accord trouvé entre le gouvernement français et la justice américaine pour régler l'affaire Executive Life, estime que le gouvernement l'a "sacrifié à la raison d'état". Cet entretien a été relu et amendé par Jean Peyrelevade.
La justice américaine, dans le cadre de l'affaire Executive Life, vient de vous inculper, ainsi que votre ancien directeur général, Dominique Bazy, de conspiration, de violation de la loi bancaire, et de fausses déclarations aux autorités. Comment réagissez-vous à cette inculpation ?
Je suis outragé par ces accusations. J'ai été nommé en 1993, bien après l'acquisition d'Executive Life par le consortium mené par la MAAF. Alors que j'ai redressé la banque au milieu de mille difficultés, que j'ai toujours affirmé n'avoir jamais été informé du caractère éventuellement illégal de l'opération d'acquisition, je constate que je suis - avec Dominique Bazy - la seule des personnes non présentes à l'origine à être accusée.
Pourquoi êtes-vous accusé de fausses déclarations ?
Je n'ai jamais rencontré M. Isaacs - le procureur adjoint de Californie chargé de l'enquête -. J'ai été auditionné par deux fois par la Fed - la Réserve fédérale chargée aussi du contrôle de la réglementation bancaire - en février 2001 et en avril 2002. Il était alors convenu que mes déclarations seraient rapportées au procureur fédéral de Californie.
La Fed pense que les déclarations faites par Altus et le Crédit lyonnais dès 1992 et jusqu'en 1995 étaient fausses et que le montage financier de reprise d'Executive Life aurait dû être déclaré. Cette absence de déclaration constitue à ses yeux une infraction à la loi bancaire, ce dont je suis accusé moi aussi aujourd'hui. Mais j'ai toujours déclaré, et je le maintiens, que mon attention n'a jamais été attirée par personne sur le caractère illégal de cette opération. Je ne l'ai appris que le 31 décembre 1998.
On a du mal sur ce point à vous croire. La justice américaine en tout cas n'a pas été convaincue. Un fax existe, signé de votre main, qui détaille l'ensemble de l'opération. Cette pièce a été produite par la justice en septembre.
Parlons de ce fax, opportunément découvert, qui a permis au procureur de supprimer l'immunité qui m'avait été accordée quinze jours plus tôt. Ce fax, dans la version qui porte mon visa, était dans les archives du CDR - consortium de réalisation - à l'été 1998. Il a été découvert par les avocats du CDR, le cabinet White & Case, en mai 1999. Celui-ci dit l'avoir envoyé, via la Fed, au procureur de Californie, qui dit ne pas l'avoir reçu. Garry Fontana, l'avocat du commissaire californien aux assurances, en a bien été destinataire en 2001.
Je suis accusé de faux témoignage dans le cadre d'une procédure engagée depuis plus de quatre ans sur la base d'un document que tout le monde avait (CDR et commissaire aux assurances) ou était censé avoir (Fed et procureur), sauf moi-même. Il ne m'a été présenté qu'à la fin septembre 2003. Compte tenu du préjudice personnel et professionnel que je subis, je vais étudier les voies de droit qui permettront de préserver mes intérêts.
En outre, ce document n'évoque l'opération qu'en quelques lignes sur 17 pages. Et un tribunal français a jugé que sa lecture ne suffisait pas à la compréhension des choses.
Y avait-il la possibilité d'aboutir à un accord global ?
A la fin juillet, le procureur a proposé un accord qui couvrait toutes les parties françaises, sauf Artémis. J'y bénéficiais, comme Dominique Bazy, d'une totale immunité, sans aucune sanction. Le Crédit lyonnais, le CDR, le ministre des finances souhaitaient que cet accord soit accepté. Il a été refusé par le premier ministre, Jean-Pierre Raffarin. Je constate qu'après cinq mois de discussions, l'accord final approuvé par le gouvernement dans la nuit du 11 au 12 décembre, couvre Artémis - ce qui est très bien -, mais exclut Dominique Bazy et moi-même. Pourquoi un tel renversement ?
Je constate que François Pinault, chef d'entreprise, a su faire ce qu'il fallait pour protéger ses collaborateurs, qui n'ont eu aucune reconnaissance de culpabilité à faire. Ce que l'Etat a été incapable de faire pour ses serviteurs, qui sont arrivés bien après l'affaire et ont redressé le Crédit lyonnais.
Mais l'accord signé par le gouvernement vous permettait d'être inclus dans le règlement ?
Jean-Pierre Raffarin et le ministre de l'économie et des finances, Francis Mer, habillent la vérité. Après avoir déclaré en octobre qu'ils voulaient inclure toutes les parties françaises, ils ont affirmé le 11 décembre que l'accord restait ouvert aux personnes physiques et qu'il revenait à celles-ci de négocier individuellement avec le procureur. C'est faux. Les autorités françaises ont accepté un accord fermé, limité aux personnes morales et aux collaborateurs de François Pinault.
Dominique Bazy et moi-même avons été explicitement laissés de côté sans aucune protection vis-à-vis du procureur fédéral. Les textes le prouvent. Je comprends qu'un individu puisse être sacrifié à la raison d'Etat, encore faut-il l'assumer vis-à-vis de l'intéressé comme de l'opinion publique.
Certains vous reprochent d'avoir été trop rigide. Par fierté, vous n'auriez pas accepté de reconnaître des fautes que vous n'avez pas commises, même si un tel procédé est courant dans la procédure américaine et facilite les compromis.
On laisse entendre que j'aurais fait preuve d'un excès d'intransigeance. Comment expliquer que Dominique Bazy, qui avait une ligne plus souple, ait été jeté par-dessus bord ? Quant à moi, alors que je n'ai jamais entendu parler du caractère éventuellement illégal du montage avant décembre 1998, j'ai accepté le 23 septembre dernier un bannissement de plusieurs années des Etats-Unis et l'interdiction d'exercer des responsabilités dans une banque de ce pays pour dix ans, cela dans le cadre d'une procédure civile.
Fort des paroles publiques du premier ministre auquel j'ai prêté foi et qui m'a invité à négocier, j'ai accepté, le 11 décembre, que ces sanctions soient prononcées dans un cadre pénal dès lors que je n'aurais pas à reconnaître ce qui ne s'est jamais produit, c'est-à-dire ma culpabilité personnelle. Bien entendu, j'ai des écrits à l'appui de mes affirmations.
Le procureur m'accuse de conspiration et de fausses déclarations, ce qui est infamant. Si j'acceptais de plaider coupable, je confirmerais son hypothèse centrale, qui est qu'existait un vaste complot entre le Crédit lyonnais et Artémis, visant à frauder la loi américaine. Ce faisant, je porterais un coup sérieux à la procédure civile à venir. L'addition, pour le contribuable, contrairement aux espoirs de Francis Mer, ne serait pas close.
Je ne le ferai pas. Je ne vais pas mentir à la seule fin d'être tranquille. Est-ce de l'intransigeance de refuser de mentir sous serment pour acheter la paix ? Je trouve peu glorieuse l'attitude du gouvernement qui, d'une certaine manière, spécule sur mon sens de l'Etat en même temps qu'il m'abandonne.
Avez-vous parlé de tout cela à Jacques Chirac ?
Depuis la publication du fax par The Economist, en septembre, je n'ai plus de contact avec l'Elysée. Seul le cabinet de Francis Mer parle encore avec moi.
Etes-vous amer ?
Non. Je sais ce qu'est la raison d'Etat. Mais je suis déçu.
Qu'attendez-vous du gouvernement ?
Il va de soi que je souhaite une commission d'enquête, le moment venu. Personne n'est tenu de réussir parfaitement une négociation. Mais de là à payer des centaines de millions de dollars à cause du choix d'une ligne de défense qui fut, à mon sens, mauvaise dès le début, il y a de la marge. Il me semble que les citoyens sont en droit de savoir, à travers la représentation nationale, qui est responsable.
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