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Les soldats interviennent-ils de manière aveugle et disproportionnée ? Des experts soulignent leurs règles d'engagement particulières
Washington de notre correspondant
Avant même d'être interrogée, mardi 8 avril, au cours d'une conférence de presse, Victoria Clarke, porte-parole du Pentagone, a exprimé ses regrets à propos de la mort de plusieurs journalistes, ces derniers jours, dans des circonstances diverses. Quant aux événements qui se sont produits, mardi matin, à l'Hôtel Palestine, où est regroupée une partie des journalistes présents dans la capitale irakienne, Mme Clarke a déclaré que les forces américaines,"prises sous le feu" ennemi, "ont exercé leur droit de légitime défense". "Nous nous donnons beaucoup de mal pour éviter les civils -et- pour aider et protéger les journalistes", a dit la porte-parole.
Le Comité pour la protection des journalistes, une organisation indépendante basée à New York, a écrit au secrétaire à la défense, Donald Rumsfeld, pour lui demander d'ouvrir une enquête sur les deux morts de l'Hôtel Palestine et sur les tirs qui ont tué un journaliste dans les locaux de la chaîne arabe Al-Jazira. Dans le premier cas, la légitime défense est contestée par nombre de témoins. Dans le second, la chaîne arabe a affirmé qu'elle avait été délibérément prise pour cible, ce que le Pentagone a démenti.
Les forces américaines sont-elles exagérément prudentes dans Bagdad ? Ont-elles tendance à réagir de façon excessive lorsqu'elles sont prises pour cibles ? Surestiment-elles un adversaire qui, en réalité, aurait déjà abandonné la partie ?
Loren Thompson, l'un des responsables du Lexington Institute, un centre d'études proche du Pentagone, ne le pense pas. Il rappelle qu'il y a encore huit jours, la capitale irakienne était censée être "le lieu le plus dangereux de cette guerre". "Saddam Hussein, disait-on, y avait concentré ses troupes les plus combatives et se préparait à livrer un combat très dur, en exploitant le risque de nombreuses victimes civiles", dit-il. Aussi le général Tommy Franks, commandant en chef allié, a-t-il commencé par encercler la ville et par appliquer une stratégie inspirée de celle des Britanniques à Bassora.
UNE MOINDRE DÉFENSE
Cependant, le président George Bush et les chefs du Pentagone ne voulaient pas laisser retomber l'élan des premiers jours de la guerre, marqués par une progression vers Bagdad. De premières incursions, samedi 5 et dimanche 6 avril, ont montré au général Franks que la ville était moins fortement défendue qu'on ne le lui avait dit.
"Il s'est adapté, explique M. Thompson, et il a augmenté très rapidement l'intensité des actions menées dans la ville. Il prend des risques. Il fait des choses qui, il y a une semaine, auraient été considérées comme beaucoup trop dangereuses." La ville s'est révélée moins fortement défendue que prévu. Pour autant, elle ne s'est pas transformée, brusquement, en un milieu amical.
"Les premières incursions ont fait des milliers de morts du côté irakien", souligne M. Thompson, se fiant aux chiffres donnés par les militaires américains. "A la différence de Bassora, qui était majoritairement, pour les Britanniques, une ville sympathisante, dit-il, Bagdad reste un territoire hostile, où sont retranchées deux divisions de la Garde républicaine, la Garde républicaine spéciale et les paramilitaires. Les renseignements indiquaient que l'ennemi avait mis en place un dispositif de défense consistant à attirer nos forces dans des pièges." Autrement dit, pour M. Thompson, il est naturel que les Américains soient sur leurs gardes.
"UNE CIBLE RECHERCHÉE"
Vice-président du Centre d'études stratégiques et internationales (CSIS) et ancien officier des marines, Jay Farrar ne contredit pas cette analyse, mais il convient que les Américains agissent différemment des Britanniques. Il estime qu'il y a une première raison à cela. "Le soldat américain est une cible plus recherchée que les soldats d'autres nationalités, juge-t-il. A Beyrouth, en 1983, les attentats ont visé les troupes françaises aussi bien que les marines, mais celui qui a atteint les Américains a eu un impact politique plus important."
Une deuxième raison tient, selon M. Farrar, aux règles opérationnelles des forces armées des Etats-Unis. "Les militaires américains opèrent en structures larges, dit-il. Ils comptent sur eux-mêmes et sur leur équipement. Ils assurent leurs coups. Ils répondent immédiatement à toute menace, plutôt que d'attendre de voir comment elle se développe. C'est une question de culture militaire."
Un attaché militaire européen, qui a beaucoup étudié l'histoire et la culture des armées américaines, observe qu'elles ont toujours tendance à "faire passer la force avant la man?uvre". "Un général américain disait que, s'il fallait détruire le Louvre pour sauver la vie d'un de ses soldats, il n'hésiterait pas", ajoute cet officier, qui admet, en même temps, la nécessaire préemption des menaces sur le champ de bataille. "On tire avant d'être tiré", résume-t-il.
Patrick Jarreau
? ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 10.04.03
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