" LE POINT DE VUE DE
Peut-on sauver Alstom ?
Pour assurer la survie d'Alstom, il faut d'abord donner confiance à ses créditeurs et à ses clients. C'est le choix qui a motivé la décision du gouvernement français du 5 août dernier. Les clients d'Alstom, parce qu'ils commandent des paquebots ou des TGV ou travaillent dans le domaine sensible de l'énergie, ont besoin d'être assurés que l'entreprise sera capable de tenir ses engagements dans les années qui viennent. Les partenaires financiers d'Alstom, actionnaires ou banquiers, ont besoin d'être rassurés sur la stabilité du capital de l'entreprise et sa solvabilité dans la durée : sinon, comment accepteraient-ils de s'engager et de continuer à miser sur Alstom après la descente aux enfers de son cours en Bourse ? Cette confiance indispensable à la pérennité d'Alstom, le gouvernement français et les banques ont voulu l'assurer.
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La rigidité de la Commission sape cette confiance. Comment garder confiance quand on est actionnaire, salarié ou client d'Alstom, devant les menaces, sans cesse répétées depuis le 5 septembre, de faire capoter le plan de sauvetage financier patiemment élaboré entre les banques et le gouvernement français ?
Comment garder confiance quand la Commission ne propose pour Alstom que des Rustines financières pendant les dix-huit mois qu'elle s'accorde généreusement pour examiner un plan de sauvetage définitif ?
Comment garder confiance quand la même Commission entend se mêler d'interdire à Alstom de vendre à Areva son activité transmission et distribution d'énergie ?
Comment garder confiance quand elle agite explicitement, au cas où la France passerait outre à ses injonctions, la menace d'une procédure contentieuse devant la Cour de justice des Communautés européennes, procédure qui peut tout bloquer pendant des années ?
Je le dis clairement. Tout cela ressemble à de l'acharnement plus qu'à une saine gouvernance du marché unique. Acharnement encore que cet ultimatum de 5 jours donné au gouvernement français pour se mettre en règle, qui a fait « dévisser » le cours d'Alstom de 8 % avant d'obliger à le suspendre.
Nous savons tous que l'Union européenne n'a pas intérêt à la disparition d'Alstom : acteur clef de la construction des réseaux ferroviaires à grande vitesse, pôle d'expertise technologique incontesté en la matière, constructeur naval bénéficiaire dans un secteur menacé par les monopoles et la délocalisation, partenaire important d'un marché de l'énergie en pleine libéralisation. La France n'est pas seule à vouloir sauver Alstom, une des plus européennes de nos grandes entreprises, avec plus de la moitié de ses salariés européens hors de France. Le ministre espagnol des Transports a justement rappelé que la concurrence n'est pas le seul impératif de la construction économique européenne : « L'obligation d'assurer la viabilité financière et industrielle d'une technologie de pointe pour laquelle Alstom est l'avant-garde » plaide pour la survie du groupe français et le sauvetage de 118.000 emplois.
Alors qui veut la mort d'Alstom ?
- Une théologie de la concurrence aveugle aux enjeux de politique industrielle. La même qui a voulu interdire à Air France de voler et fini par clouer définitivement au sol la compagnie belge Sabena, que personne n'a osé proposer de recapitaliser.
- Une abstraction comptable qui comprend mal que les entreprises ont besoin pour se financer de stabilité et de confiance, et pas seulement de facilités de trésorerie. A côté d'Alstom, la même abstraction menace aujourd'hui Bull, ou MobilCom en Allemagne, dont les financements à long terme sont mis en cause.
- Un interventionnisme excessif, qui déjà conduit la Cour de justice des Communautés européennes à rejeter l'an dernier plusieurs veto qu'avaient réclamés les services de M. Monti pour des opérations de fusion. On voit, dans la crise actuelle, la part d'incohérence qui résulte souvent de cet interventionnisme : on serait prêt à tolérer dès aujourd'hui pour Alstom des « aides de sauvetage » qu'on dit vouloir supprimer pour Bull...
Que faire ? Il est tard déjà. La perte de confiance a vidé les carnets de commandes, différé les acomptes, compliqué la trésorerie de l'entreprise, et fera sans doute demain augmenter le coût financier de la recapitalisation. Ni une solution transitoire, ni des délais supplémentaires, ni une longue procédure ne feront l'affaire. Nous n'avons pas le droit d'attendre sans rien faire l'effondrement d'Alstom.
La mise en oeuvre du plan de restructuration, fruit de longs compromis, doit intervenir sans tarder. Elle doit sans doute s'accompagner d'une enquête sur les raisons de la défaillance d'Alstom, comme le demande à raison Alain Madelin.
Mais si la rigidité perdure, alors nous ne devrons pas hésiter à envisager d'autres hypothèses. Une politique industrielle active ose les privatisations comme le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin le fait avec courage et ambition, mais, lorsque les circonstances l'imposent, elle doit aussi oser des prises de participation directes ou indirectes pour faciliter des transitions indispensables. Le général de Gaulle avait tracé la voie de ce pragmatisme : l'intérêt de la France, l'intérêt de l'Europe, imposent parfois de confier temporairement à l'Etat la responsabilité de l'avenir."