Citation :
2. Le Protocole d’accord (Mémorandum of Understanding ou MoU) de mai 2010
Le premier accord de financement de 110 Mds d’euros (80 Mds provenant des États membres de la zone euro et 30 Mds du FMI) était accompagné de « strictes conditionnalités », pour reprendre les mots de Jean-Claude Trichet |7|. Le programme mettait l’accent sur trois « défis clés » : premièrement, restaurer la confiance et l’équilibre des finances publiques grâce à un effort budgétaire intensif, deuxièmement, restaurer la compétitivité par des réformes telles que la réduction des salaires et des retraites, et troisièmement, sauvegarder la stabilité du système financier |8|.
En fait, la finalité réelle de l’accord était d’offrir une issue de secours aux détenteurs privés d’obligations grecques qui souhaitaient réduire leur exposition sur ces titres, dans un contexte où il y avait une forte probabilité de décote de la valeur nominale de ces obligations.
Figure 2.2 — Créances des banques étrangères sur la dette grecque - fin 2009, répartition en pourcentage
L’exposition des banques étrangères à la dette publique et à la dette privée grecques est en réalité la principale raison de la réticence des débiteurs à procéder très tôt à une décote sur les obligations. « L’exposition des banques françaises à la Grèce s’élevait à 60 Mds d’euros tandis que celle des banques allemandes portait sur 35 Mds |9| ; si l’on avait imposé à ces banques une réduction de la valeur de leurs titres grecs – et le cas échéant de leurs autres obligations souveraines des États de la zone euro – cela aurait mis en péril la viabilité du système financier » |10|. On peut par conséquent soutenir l’idée que le premier accord de financement et que le MoU ont été conçus pour soutenir les créanciers privés du pays, tout particulièrement les banques, et non la Grèce.
3. De mai 2010 à février 2012
Le refus des créanciers d’accepter une décote sur leurs titres grecs eut pour conséquence un accroissement de la dette souveraine grecque qui passa de 299 à 355 Mds d’euros entre la fin de l’année 2009 et la fin de l’année 2011, ce qui représente une augmentation de 18,78 %. [b]Mais le fait le plus important réside dans le changement radical intervenu quant au profil de cette dette. Suite à des ventes massives de titres grecs par les banques grecques et européennes, la dette publique détenue initialement par des créanciers privés fut transférée sur les États de la zone euro, la BCE et sur le FMI. La part des obligations dans la dette grecque chuta de 91,1 % en 2009 à 70,5 % en 2011 tandis que celle des prêts augmenta de 5,2 % à 25,3 % sur la même période |11|. [/b]Au cours des années 2010 et 2011, une récession sans précédent (avec une contraction du PIB respectivement de 4,9 % et 7,2 % pour ces années) aboutit à l’échec de la mise en œuvre de tous les objectifs budgétaires (tant en ce qui concerne l’impôt sur le revenu que le déficit budgétaire). Dans le même temps, la montée de la colère populaire contre l’austérité se cristallisa en une crise politique.
À partir de février 2011, la Troïka commença à exiger des coupes budgétaires supplémentaires et de nouvelles mesures. Cela signifiait très clairement que le premier mémorandum était déjà caduc. Le 26 octobre 2011, le Conseil de l’Union européenne décida la mise en place d’un nouveau programme pour la Grèce de 130 Mds d’euros de prêts supplémentaires. Cela constituait une augmentation significative du montant de l’offre précédente présentée en juillet 2011 qui portait sur 109 Mds d’euros. À l’occasion des travaux d’un Sommet européen, il fut proposé aux créanciers privés détenteurs d’obligations une décote d’environ 50 % de la valeur nominale de leurs titres. Une version modifiée de cette proposition, appelée PSI+ (Private Sector Involvement) fut intégrée dans le second accord de financement.
4. Le PSI
Le changement progressif dans la composition de la dette posa les jalons d’un processus de restructuration associant les créanciers privés détenteurs de titres. La restructuration de la dette grecque fut finalisée le 9 mars 2012 par l’échange de titres en circulation contre de nouveaux titres intégrant une réduction de valeur. Le montant total de la dette en circulation fut réduit de 106 Mds d’euros en février 2012. Cette diminution ne permit pas de réduire la dette car un nouvel accord de financement d’un montant de 130 Mds d’euros fut décidé. Ce montant comportait une enveloppe de 48 Mds d’euros destinée à la recapitalisation des banques grecques. Cet accord de financement était surtout destiné à protéger une nouvelle fois les intérêts du secteur financier et à limiter ses pertes. Le fait que les négociations, qui se déroulèrent au cours de l’hiver 2012 et qui amenèrent à ce dénouement heureux pour les créanciers soient conduites par des membres de l’Institut International de la Finance et son directeur de l’époque, l’ancien banquier Charles Dallara, n’est pas qu’une simple coïncidence. Les grands perdants du PSI+ ont été les organismes publics et les petits porteurs. L’adoption de deux lois eut pour conséquence de faire supporter à des centaines d’entités publiques des pertes pour un montant total de 16,2 Mds d’euros. L’essentiel de ces pertes fut pris en charge par des caisses de retraite à hauteur de 14,5 Mds d’euros (prélevés sur leurs 21 Mds d’euros de réserves). L’argent soutiré aux caisses de retraite n’eut aucun impact sur l’encours de la dette publique car celle-ci prend en compte l’ensemble des administrations publiques. L’autre groupe qui enregistra des pertes significatives fut celui des petits porteurs. On estime à plus de quinze mille le nombre de familles qui ont perdu du jour au lendemain une bonne partie de leurs économies. Une telle situation trouve son explication dans le fait que pendant des années, les obligations d’État étaient réputées sans risque et étaient proposées comme telles. L’inégale répartition des pertes marque le début d’un véritable scandale social, comme l’illustrent les 17 suicides recensés parmi ceux qui ont subi le naufrage de leur épargne |12|. L’injustice est encore plus criante si l’on sait que le PSI+ ne prévoyait pas le dédommagement de ce petit groupe d’actionnaires alors que dans le même temps les banques grecques étaient indemnisées intégralement, et qu’une enveloppe de « sweeteners » (« adoucissants ») était mise à disposition des banques étrangères. L’impact social du PSI+ fut aggravé du fait des mesures draconiennes et punitives qui l’accompagnaient (réductions des salaires et des retraites, privatisation, démantèlement du dispositif des conventions collectives, suppressions massives d’emplois publics, etc.). Qui plus est, l’émission des nouvelles obligations sous le régime du droit anglais (lequel rend encore plus difficile une restructuration consécutive à une décision souveraine de la puissance publique) contribua à saper les droits des États souverains pour le plus grand profit des créanciers.
L’inefficacité de la restructuration de 2012 quant à la soutenabilité de la dette devint très vite évidente. Lors de l’été 2013, ceux-là mêmes qui s’étaient faits les chantres du PSI en le présentant comme la solution définitive à la crise de la dette publique, réclamèrent une nouvelle restructuration.
5. De 2012 à 2015
La restructuration de la dette grecque s’acheva en décembre 2012 lorsque la BCE mit en œuvre une procédure de rachat (ou « buy back ») par la Grèce de ses propres obligations, ce qui réduisit d’autant la dette. Toutefois, en rachetant ces titres 34 centimes d’euro, quelques fonds spéculatifs, tel Third Point de Dan Loeb, réalisèrent des profits faramineux de l’ordre de 500 millions de dollars en l’espace de quelques mois |13|.
Au cours de la période dite du « sauvetage de la Grèce » (2010-2014), la dette publique enregistra sa plus forte progression et devint incontrôlable, en passant de 299,69 Mds d’euros (soit 129,7 % du PIB) à 317,94 Mds d’euros (soit 177,1 % du PIB). Dans le même temps, la part des obligations dans cette dette diminua en passant de 91,12 % en 2011 à 20,69 % en 2014, alors que celle des emprunts augmentait pour passer de 5,21 % en 2009 à 73,06 % en 2014. Ainsi, à cette date, les emprunts du FESF représentaient 68,4 % de la dette publique grecque. En 2015, lorsqu’il fut à nouveau question d’une restructuration de la dette, on put alors vérifier la totale inefficacité des deux accords de financement d’un strict point de vue économique. Cette nécessité de restructurer la dette trouve son explication dans le fait que « les deux plans de soutien à la Grèce n’étaient qu’un colossal sauvetage des créanciers privés » |14|.
Indépendamment des raisons de l’insoutenabilité de la dette grecque, il faut relever que la considérable augmentation des dettes souveraines observée partout dans le monde intervint dans les prolongements de la crise de 2007. Selon le FMI, la dette des administrations publiques augmenta entre 2008 et 2014, pour représenter respectivement entre ces deux années une progression de 65 % à 79,8 % du PIB pour l’ensemble des pays du monde, de 78,8 % à 105,3 % pour les pays développés et de 68,6 % à 94 % pour les pays de la zone euro |15|. Partout dans le monde, le secteur financier privé utilisa la dette souveraine comme moyen pour transférer les coûts de la crise de 2007 sur le secteur public.
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