Un topic inspiré par une discussion récente, et le fait que si le son des chaînes est disséqué jusqu'à plus soif, on ne trouve quasiment jamais de posts sur le son des disques, ce qui est pour le moins bizarre. On voit bien ça et là des remarques sur tel ou tel disque intéressant pour "juger" une chaîne, et chaque époque a ses CD chouchous de "démonstration" (remember Prefab Sprout ou Sade ? ), mais le disque n'est là encore qu'accessoire, tout juste bon à tester la tension du grave délivré par l'ampli ou la "rapidité" du câble de modulation (j'ai pas pu résister, sorry ).
Pourtant, si l'on prend autant de soin à choisir ses éléments hi-fi, il paraît paradoxal d'acheter n'importe quelle édition de tel ou tel disque, ou de se fier simplement à l'étiquette "24 bits remastered" ou autre "high definition from the original master tapes". Car si quelque chose saute bel et bien aux oreilles, ce n'est pas des électrons peignés dans le sens du poil qui s'étirent avec volupté dans un câble de modulation, mais un disque qui a été bien ou mal masterisé (avec tout ce que ces termes comportent d'objectif et de subjectif).
Or la seule occasion courante de comparer des versions d'un disque sur les forums ramène aux polémiques technologiques hardware sans fin : vinyl vs CD vs SACD vs DVD-A etc. On va dire une bonne fois pour toutes que sur ce topic, on s'en fout. Ce n'est pas l'objet.
Préambule : non seulement je ne suis pas un pro du son, mais je ne suis même pas un expert. Je vais essayer d'amorcer le fil mais j'espère que des gens bien plus qualifiés que moi interviendront (au hasard, si Pio2001 a un peu de temps libre... ).
1 - LES SOURCES
Premier sac de noeuds, sans doute l'un des plus complexes et les plus importants. La vogue des remasterings depuis une dizaine d'années a popularisé l'appellation "Remastered from the original master tapes". Sauf qu'évidemment, ce n'est pas si simple. Petite énumération de cas de figures :
* La (les) bande(s) master(s) d'origine. Elle peut avoir disparu. Ou avoir été détruite, soit volontairement à l'époque où l'on "montait" aux ciseaux et à la colle, soit par un accident (tristement célèbre incendie chez Atlantic il y a un bail, où partirent en fumée les masters d'Aretha Franklin pour ne citer qu'elle). Elle peut évidemment être très endommagée, selon les conditions de conservation et la fréquence des manipulations dont elle a été l'objet. Elle peut aussi parfois être retrouvée complètement par inadvertance alors qu'on la croyait disparue ou inexistante (inexistante : dans le cas cité plus haut où elle a été découpée en morceaux). Exemples au hasard : Tommy des Who, dont la bande avait supposément été brûlée par Kit Lambert en 69, et dont un master 2-tracks a été retrouvé lors de l'élaboration de l'édition "Deluxe" en SACD hybride. Idem pour le légendaire "Live at the Apollo" de 62 de James Brown, dont le master a été retrouvé récemment par hasard par un type qui faisait des recherches pour un disque de Max Roach.
* Les copies de 1ère génération. Ce sont les copies envoyées aux filiales d'autres continents de la maison mère. Elles sont en général considérées comme des bandes master, elles aussi. Leur condition peut être meilleure ou pire que celles du pays d'origine, et elles peuvent évidemment elles aussi avoir disparu, être retrouvées etc.
* Les copies de nième génération. Là, ça commence à partir en cou.... Si le petit label A veut ressortir tel disque qui n'intéresse pas le gros label B parce que les ventes seraient insuffisantes, il va négocier des droits d'édition. Puis si le label A est très sérieux, il viendra fouiner dans les archives du label B pour y trouver les bandes master (originales ou copies de 1ère génération) et repartira de là. Mais s'il s'en bat un peu les bollocks, il se contentera de demander une copie. Au fil des années, des copies de copies de copies finiront par circuler, voire même être employées par le label d'origine qui ne voudra pas se casser à retrouver ses masters. Car il faut savoir que les gros labels ont des centaines de milliers de bandes, mal étiquétées. Parfois même pas du tout : une fois la bande mixée, on range la bande d'origine avec une vague annotation au crayon sur la boîte et basta. Ce boulot étant en plus souvent fait par des tâcherons sous-payés.
Aparté 1: la date de pressage d'un disque n'a rien à voir avec la "fraîcheur" des masters. Pour un disque sorti en 71, une édition de 92 peut être issue d'un master plus proche de celui d'origine qu'une édition de 79. Autrement dit, on peut posséder un vinyl issu d'une copie de 8ème génération tandis que le CD sera tiré du master d'origine. Cela paraît évident, vu la manière dont le marketing insiste sur ce point, mais autant le rappeler pour ceux qui mystifient le 33 tours en le croyant plus "fidèle" à la source.
Aparté 2: à n'importe quel stade de copie, il peut intervenir des erreurs, la plus flagrante (après coup) étant que la copie à cause d'un magnéto mal réglé sera légérement ralentie ou accélérée par rapport à l'original. Cas célèbre dans le monde des bootlegs : le Live 66 de Dylan. Autre cas très connu : Fats Domino, dont seule l'édition du label Ace restitue le pitch d'origine.
* Les bandes masters d'origine, mais pas les bonnes. Comment ça, pas les bonnes ? Ben oui, comme dit plus haut, les archives des labels sont d'incroyables souks. Il faut aussi se rappeler que le groupe "légendaire" d'aujourd'hui ne l'a pas toujours été. Quand les Beatles ou les Who commençaient à enregistrer, ils étaient juste des groupes débutants parmi des tonnes d'autres, et personne n'avait de raison particulière de traiter ces bandes comme un futur graal. Or lors d'une session d'enregistrement, le groupe ou l'artiste va avoir besoin d'une à x prises avant de décider que c'est bon, on rentre à la maison. S'il y a eu plusieurs prises (ce qui est le cas le plus courant), l'une d'entre elles sera considérée comme la master, bonne à figurer sur le disque, et les autres ne sont plus que des "alternates", qui ressurgiront plus tard sur des bootlegs ou en bonus tracks. La prise master peut bien sûr aussi être un montage de plusieurs prises différentes. On imagine donc le bazar.
Ceux qui bossent dans un bureau et ont déjà travaillé en groupe sur un dossier connaissent bien le cauchemar des versions d'un même doc. Ben là, c'est un peu pareil. Du coup, il arrive que le single US soit issu du master choisi, mais que l'édition allemande soit en fait une alternate. Ca se rencontre couramment pour la musique 60's. Sans compter que jusqu'au début des 70's, il existe un master mono et un autre stéréo.
* La copie d'un exemplaire pressé. Quand des bandes sont impossibles à trouver, on fait alors un repiquage d'un 78 tours, d'un acétate ou d'un vinyl. Le label sérieux fera des recherches intensives (et donc coûteuses) pour trouver chez des collectionneurs des exemplaires dans le meilleur état possible, que ceux-ci accepteront de prêter le temps de les copier. Un exemple : Bear Family, label allemand qui fait la joie des mélomanes/audiophiles à ce niveau. Le label plus j'm'enfoutiste (la majorité, hélas) prendra ce qui lui tombe sous la main. Quand on sait la dégradation sonore d'un disque usé, on imagine les différences.
Parfois, un label particulièrement craignos utilisera des repiquages alors que des bandes existent. Un label spécialisé dans le blues rural s'était fait une triste réputation à ce niveau (Arhoolie, me semble-t-il, mais à confirmer). Mais j'ai déjà rencontré ce cas aussi avec le label français Big Cheese spécialisé dans le funk 70's, sur au moins un disque, et avec des petits labels de réédition de reggae. Là encore, la question est purement financière. Demander les bandes au label d'origine est vain, car vu l'espérance de gain, celui-ci ne paiera pas un employé pendant 2 semaines pour retrouver la bande master d'un single obscur sorti 30 ans auparavant et jamais réédité depuis. Il faudra donc que le petit label de réédition envoie quelqu'un sur place et fasse les recherches lui-même. On imagine le coût quand le 1er label est en Europe et le détenteur des bandes d'origine aux USA, et ce pour un disque qui va se vendre à 500 ou 1000 exemplaires. Autre éventuel avantage financier : le petit label ne sera pas obligé de déclarer sa réédition auprès du gros, puisqu'il n'aura pas eu à réclamer les bandes. Du coup, il lui sera plus facile de ne rien payer à qui que ce soit, même l'artiste ou ses ayant-droits. Les deux avantages sont cependants indépendants : certains petits labels utilisent des repiquages pour économiser sur la production mais payent néanmoins les droits, tandis que certains autres ont accès facilement aux bandes et donc les utilisent, mais profitent de leur éloignement géographique et/ou leur relative obscurité pour ne rien payer à personne. Exemple : le label anglais Charly à une époque (j'ignore s'ils le font toujours). Bienvenue dans le monde des petits labels, devenus depuis quelques années des petits saints dans l'opinion forumesque.
2 - MONO/STEREO (voire plus si affinités)
La question des canaux est liée au mixage, mais est suffisamment importante et complexe pour mériter un item à elle seule. On a les cas suivants (je suis sûr que je vais en oublier ):
* Mono. Evidemment tous les enregistrements jusqu'à l'apparition de la stéréo. Mais le mono continue jusqu'au début des années 70, puisque les appareils de reproduction ne lisent pas encore tous les disques mono et les disques stéréo. Il faudra ce qu'on a appelé la gravure universelle et la généralisation des appareils qui la supportent pour que ne sorte plus qu'une version de chaque disque. Avant ça, et principalement pendant les années 60, la plupart des albums sortent en 2 versions : l'une mono, l'autre stéréo. Les singles sont à 99,99% du temps en mono. A noter que les versions albums mono et les versions singles ne sont pas forcément identiques. Avoir une version stéréo sur un CD permet donc de supputer que l'on entend probablement la version album, tandis qu'une version mono ne donne aucune indication sur l'origine.
A noter aussi pour les p'tits jeunes qui pensent que le mono ne concerne que les disques de leur arrière-grand-père : même Pink Floyd et Led Zep ont eu deux versions de leurs premiers albums, mono et stéréo. C'est vieux, mais pas tant que ça tout de même.
* Stéréo. Le format qui s'est imposé et reste la norme. Dans certains cas, on distingue la "wide stereo" et la "narrow stereo". On touche là au mixage, qui fait que certains enregistrements sont mixés selon le pays ou l'époque très différemment, au point que dans un cas la séparation stéréo va être très large (wide) ou tellement étroite (narrow) que l'on aura l'impression d'entendre du mono.
* "Fake stereo". Procédé hélas courant durant quelques années des 60's, où l'on créait artificiellement un effet stéréo à partir d'un master mono. Qui plus est, les labels s'en vantaient, et affichaient sur la pochette de l'album des mentions comme "Electronic stereo" ou "Processed stereo". Pourquoi s'embêter à faire un mix séparé quand on peut faire vite fait mal fait un faux effet stéréo ? Sans parler de tous ces disques dont on ne disposait que du master mono. La stéréo commençait à être à la mode, mais était encore peu vendeuse, donc vas-y Germaine, l'important est qu'il soit écrit "stereo" quelque part sur la pochette, ça fait plus riche. Comment faisait-on cet effet ? Très simple : sur le canal de gauche, le master. Sur le canal de droite, le même mais avec un léger délai, de 10 à 40 ms. Résultat : un son assez pourri mais qui donne l'impression qu'il y a bien deux canaux différents. Inutile de le dire, mais on va le dire quand même : si les mélomanes s'affrontent à longueur de temps sur la question "mono vs stéréo", la fausse stéréo fait par contre l'unanimité : tout le monde la déteste ! Et le pire n'est pas que tous les artistes des 60's, des plus connus aux plus obscurs, y ont été soumis. Non, le pire c'est qu'on en rencontre encore quotidiennement sur les rééditions CD et que ce n'est pas prêt de s'arrêter. La recherche de versions mono ou en vraie stéréo est donc une occupation à plein temps pour beaucoup de collectionneurs et/ou passionnés d'un artiste ou d'un autre.
* Mono "fold-down" d'un master stéréo. Encore un bidouillage, mais relativement inoffensif, cette fois. On recrée un master mono en combinant les canaux d'un master stéréo. Ca se rencontre assez fréquemment à partir de l'époque où la stéréo est devenue très répandue. Il existe une version d'Abbey Road mono, par exemple, qui est un fold-down du master stéréo. Plus récemment, ça peut arriver quand un label veut rééditer une version mono d'un album mais ne dispose pas de tous les masters mono. Un exemple parmi 100 : certains morceaux sur des rééditions japonaises des Beach Boys. Si le procédé est plus toléré que la fausse stéréo, étant donné qu'il ne dégrade pas vraiment le son, il est néanmoins toujours un peu suspect, puisque les masters stéréo étant à l'époque destinés aux albums pour riches, ceux-ci comportaient souvent des overdubs (on rajoute après coup des instruments) ou étaient mixés différemment, voire dans les cas extrêmes étaient carrément des prises différentes.
* Stéréo remixée ultérieurement. Là c'est clair : si on dispose d'un master d'au moins deux pistes, on (re)crée pour une réédition un mix stéréo, qui n'a pas forcément existé à l'époque. Le label Eric Records est devenu connu pour ses éditions en vraie stéréo de morceaux qui n'avaient jamais existé qu'en mono ou fausse stéréo. Solution qui est le graal pour certains et une horreur pour d'autres (trahison ! ).
* Quadri etc. : à partir du début des années 70, l'industrie du disque tentera de lancer la "quadriphonie", "l'ambiophonie" etc. Bref, le multi-channel. Ca n'a jamais pris et est resté très marginal jusqu'à nos jours où le SACD, le DVD-A et surtout l'expansion du HC va sans doute changer la donne. Evidemment, à partir du moment où le multi-tracks s'est généralisé dans les studios, et dans le cas où l'on dispose encore de ces masters, tout est possible en matière de remix, d'où ces SACD en 5.1 de disques qui n'avaient jamais existé qu'en stéréo. Mais dans de rares cas, l'édition multi-channel d'aujourd'hui est basée sur celle d'antan, qui avait connu une diffusion ultra-restreinte.
Que préférer dans toutes ces options ? On peut éliminer la fausse stéréo sans remords, et objectivement. Le mono fold-down d'un master stéréo, c'est selon. Après, on baigne en pleine subjectivité, même si quelques éléments objectifs peuvent faire pencher la balance. Il y a les puristes du mono et les puristes de la stéréo, et bien sûr le gros des troupes qui n'est pas puriste et penche pour l'une ou l'autre version selon les cas. La part objective est que les masters mono étaient généralement plus soignés dans les 60's puisque c'est la version qu'allaient entendre la plupart des gens, celle qui allait être diffusée à la radio et publiée sur les singles. Par ailleurs, les masterings stéréo étaient encore rudimentaires ou bâclés et beaucoup de mixes stéréo sont simplement : "basse/guitare à gauche, batterie à droite, chanteur au milieu". Les mixes stéréo Stax, par exemple, sont assez exécrables. Dernier point factuel, déjà évoqué un peu plus haut : les mixes stéréo étant destinés aux albums, donc au public mature et aisé qui en achetait, on se sentait parfois obligé d'alourdir la production en rajoutant des parties d'instruments pas forcément heureuses, ou des choeurs etc.
Mais au final, le mix que l'on préfére est aussi affaire de goût, ce qui ne se discute pas, et est souvent lié à la version "d'origine" que l'on chérit. De ce fait, les versions mono sont plus souvent préférées aux USA puisque l'amateur a grandi avec la version diffusée à la radio ou achetée en single. En France, c'est très différent, puisque l'on a l'impression à lire les forums que la "vraie" musique a commencé dans les années 70 ou tout au moins avec l'apparition des concept-albums. Donc mono ou stéréo, on s'en tamponne le coquillard, le single est méprisé et la mono est un truc de grands-pères.
Le forum de référence des puristes de la stéréo est le Both Sides Now Stereo Chat Board. Pour savoir si telle ou telle chanson que vous possédez est en vraie ou fausse stéréo, si vos oreilles ne sont pas habituées à faire le distinguo, c'est l'endroit où aller. Idem si vous cherchez simplement une chanson que vous voulez absolument en stéréo : on vous y indiquera sur quel album ou compile vous pourrez la trouver, si bien sûr il en existe un.
Pour les puristes du mono, pas d'endroit particulier puisque la plupart des gens privilégient le mono. On trouve donc des puristes un peu partout. Taper "fake stereo" dans Google vous donnera une multitude de liens qui vous amèneront parfois à des discussions sur la vraie stéréo, ou la plupart du temps à des fils où l'on discute des mérites du mono.
A noter pour finir que l'édition discographique actuelle est complètement versatile à ce niveau, et que l'on peut trouver sur n'importe quelle compile du mono ou du stéréo (ou de la fausse stéréo), selon le sens du vent ou l'âge du capitaine. Et ce même sur de grands noms comme Marvin Gaye ou les Who.
3 - LE REMIXAGE
Les remixes de chansons sont devenus une forme d'expression dans les 80's, généralement signés par leurs auteurs. Mais le remixage anonyme lors de remasterings a quant à lui commencé dès les débuts de l'enregistrement multipistes. Autrement dit, ce qui vaut pour les remasterings vaut aussi pour les remixages : le fait de posséder un disque en édition vinyle ne garantit pas qu'il s'agisse du mix original.
Bien entendu, il existe aussi souvent plusieurs "mixes originaux" pour un même morceau. L'habitude de produire un mix pour le single qui va passer en radio et un autre pour l'album existe depuis les années 50. Et parfois, un même album peut avoir connu deux mixes originaux. L'un ayant connu une diffusion très limitée et l'autre connu comme étant le "vrai" original, soit pour des questions artistiques, soit pour des questions de marchés, régionaux ou nationaux. En reggae, les mixes jamaicains diffèrent souvent de leurs équivalents occidentaux plus connus. "What's Going On" de Marvin Gaye a d'abord été mixé à Detroit puis entièrement remixé à L.A.. L'album "Diana" de D. Ross a d'abord été mixé par Chic avant d'être remixé etc. Ces mixes alternatifs peu connus ou inédits mais toujours contemporains du mix considéré comme original figurent parfois en bonus sur des rééditions.
Tous les disques remasterisés ne sont bien sûr pas remixés. Mais un grand nombre l'est, même s'il faut exclure à peu près tout ce qui est sorti avant le milieu des années 50, pour des raisons techniques évidentes. Curieusement, si l'industrie du disque a pris l'habitude d'utiliser le remastering comme argument de vente, le remixage est très rarement mis en avant. Sans doute parce que l'argument "ça sonne mieux" est universel tandis que "ça sonne différemment" risque d'inquiéter le chaland.
Alors, pourquoi remixer ? Parce que, et entre autres :
- Le master peut être perdu, endommagé ou présenter des défauts. Dans ce cas, à moins de disposer de bonnes copies, il faut recommencer le travail de mixage pour recréer un master. De là, première option : tenter de restaurer le mix original le plus précisément possible. C'est ce qui a été fait avec le catalogue 60's des Byrds ou de Simon & Garfunkel. Ce sont des remixes, mais difficiles à distinguer des mixes d'origine. Deuxième option : on remixe sans s'occuper du mix historique. Là, ça peut être bon ou désastreux. Parfois, le master est simplement tellement chiant à retrouver dans le fouillis de bandes que l'on refait un mix vite fait mal fait. Dans tous les cas, ces remixes sont rarement appréciés.
- L'artiste qui estimait avoir été plus ou moins trahi par le mix d'origine veut le refaire plus à son goût (surtout une fois devenu riche et célèbre ). Là, ça se discute, évidemment. Le problème est que souvent l'artiste qui peut se permettre une telle liberté a atteint un certain âge, qu'il est donc à moitié sourd et que ça donne souvent un mix dans-ta-face. Parfois aussi, l'artiste n'avait pas été spécialement trahi à l'époque, mais a simplement changé d'avis sur le son qu'il veut pour son disque. On peut citer Pete Townshend qui avait complètement enterré la voix de Daltrey sur "By Numbers" en 1975... juste pour l'emmerder. Le remix de 1996 est complètement différent et est censé être "le mix qui aurait dû sortir en 1975 si je n'avais pas voulu faire chier ce con de Roger". D'aucuns préfèrent tout de même le mix original (au hasard : moi ). Autre cas célèbre : le "Let it Be Naked" des Beatles, où McCartney a évacué tout l'apport de Spector qu'il avait détesté depuis la sortie du disque.
- Cas plus rare : l'artiste n'est pas satisfait de sa prestation de l'époque et va à la fois remixer et se réenregistrer partout où il estime avoir fait des fautes. Là, on touche au révisionnisme, et ça fait généralement, et à juste titre, hurler. Exemples : Peter Gabriel sur un live de Genesis, les Who (encore eux) sur le Live at Leeds etc.
- Le label veut "rajeunir" le son. Ce qui est généralement une idée aussi stupide que de coloriser un film noir et blanc. Il arrive que cela donne quelque chose d'intéressant, mais c'est très rare. Et parfois, cela confine à l'horreur, comme ces ZZ Top remixés au début du CD avec ajouts de synthés et remplacement de la batterie par des boîtes à rythme pour leur donner un son "jeune" ("waouh les kidzzzz !" ).
- Il faut adapter le mix à de nouvelles technologies, comme le multicanal. cf la section dédiée aux canaux.
- Le master est encombré d'overdubs qui n'avaient pas lieu d'être. Cas le plus fréquent : ces faux live qui furent très à la mode dans les années 60. On rajoutait un enregistrement de public ("clap clap clap ouééééé !" ) par-dessus un enregistrement de studio pour le rendre plus vendeur. Plusieurs de ces faux lives ont été réédités sans ces overdubs semblables à la boîte à rire des sitcoms. On ne s'en plaindra pas, pour le coup. Exemple : plusieurs James Brown (non, pas ses "Live at the Apollo", ceux-là sont authentiques ).
4 - LE SON (EGALISATION, REDUCTION DE BRUIT ETC.)
Je vais parler uniquement de ce qui peut altérer la phase finale de la production, quasiment la post-production, ou des phases que comporte en général un remastering moderne et qui font que ceux-ci sont si souvent exécrables. Le boulot de production lui-même déborde largement d'un pauvre topic comme celui-ci, et je n'y connais de toute façon à peu près rien, donc je me vois mal faire un cours là-dessus. Qui plus est, les choix de production proprement dits sont aussi esthétiques que techniques. Si les vieux disques de Springsteen sonnent "boueux", c'est parce qu'ils les a voulus ainsi, par admiration pour les productions de Phil Spector. Tant pis pour les démos des marchands de chaînes. Restons donc sur les choix de remasterisation.
* Egalisation. Un premier point dispensable, mais néanmoins couramment pratiqué sur les remasterings. En général, on remonte les basses et hautes fréquences pour donner un effet "loudness" plus dans-ta-face. Ce sont les hautes fréquences qui sont souvent les plus boostées, d'où le côté "métallique" qui est souvent reproché au CD alors que le support n'est pas en cause. Certains ingénieurs du son ont ainsi une signature sonore : Bill Inglot (label Rhino, entre autres) a mis pendant des années un coup de boost dans les 8 Khz, même s'il a déclaré assez récemment vouloir cesser cette pratique. Résultat des course : le bruit de fond augmente et il passe un de-noiser derrière qui va limiter les dégâts. Un peu d'égalisation, appliquée de manière subtile, peut ne pas faire grand mal. Le problème est que certains ingés ont la main très lourde avec.
En passant, il est ironique qu'une des pratiques les plus répandues dans les masterings d'aujourd'hui soit celle qui pratiquée par un amateur sur son propre système, fait hurler tous les audiophiles. L'equalizer a toujours fait partie des accessoires honnis par les puristes de la hi-fi, alors qu'en amont il est utilisé plus que jamais. Encore plus ironique : un ingénieur du son puriste du "flat transfert" (on restitue le son d'origine sans y toucher) comme Steve Hoffman, qui ne réégalise jamais les disques qu'il remasterise, n'hésite pas à donner des conseils au mélomane afin que celui-ci réégalise lui-même les disques endommagés par des ingénieurs du son peu scrupuleux et limite ainsi un chouia les dégâts (on dit bien "un chouia", hein ? Faut pas s'attendre à des miracles).
* Le remixage est toute une problématique, donc je le traite à part.
* Compression. Un mal nécessaire : tous les disques sont compressés, depuis toujours. Mais là encore, tout est une question de mesure, et le moins qu'on puisse dire est que cette mesure est dépassée depuis longtemps par nombre d'ingés du son. Il faut aussi mettre en cause les labels, puisque la compression à outrance est liée à la loudness race, et même des ingés de talent comme Bob Ludwig sont obligés de céder parfois à leurs clients.
La dynamique dépend directement du taux de compression. Plus le disque est compressé, moins il est dynamique. Cela produit un son fatigant, sans vie. Il n'y a pratiquement plus d'écart entre les plus faibles et les plus hauts niveaux. En fait, il n'y a même plus de faibles niveaux. Je vais reprendre une image d'Hoffman, encore lui : vous êtes d'un côté d'une porte en verre. Quelqu'un est de l'autre côté et aplatit son visage contre la vitre. Plus il s'écrase la tronche, plus il vous paraît se rapprocher. En fait, il ne se rapproche évidemment pas, mais par contre, il se déforme ! Toutes les nuances de son visage disparaissent, les creux et les bosses, on se rapproche d'une représentation en deux dimensions. En audio, c'est la même chose : on a l'impression que le son est plus fort, mais simplement parce qu'on a effacé toutes les nuances et que tout est au même niveau.
Si l'on rajoute à ça la "loudness race", qui consiste à avoir le son le plus fort possible, à la limite de l'écrêtage (pour de vrai, là, ce n'est plus seulement une impression causée par la compression), on cumule deux horreurs audio qui sont hélas devenues quasiment une norme aujourd'hui. Et on a un cercle vicieux : car c'est pour avoir ce volume élevé en permanence que l'on est obligé de compresser. Du coup, l'un ne va plus sans l'autre.
* Réduction de bruit. Dernier mal très rarement nécessaire, les systèmes de réduction de bruit, appelés parfois en abrégé "NR" (noise reduction) ou no-noise, ou d'après leur nom breveté comme Cedar. Ils ne devraient être utilisé au pire que dans le cas de repiquages de 78 tours ou de vinyles. Mais leur application sans discernement pour effacer le bruit de fond inhérent à toute bande analogique retire également une partie de la musique, aussi évolués soient-ils. Un grand spécialiste du no-noise à la louche : Bob Norberg. Mais il n'est pas le seul, loin de là. La plupart des disques remasterisés depuis les années 90 sont passés au no-noise.
Qu'est-ce que donne un remastering qui cumule réduction de bruit et compression ? Facile : de la bouillie, un son étouffé, sans vie. Et comme un exemple est toujours plus parlant, vous pouvez télécharger ce petit montage qui vient d'un autre forum : Huey Lewis, avant et après. Tout le long du morceau, vous avez de courts extraits en A/B. A, c'est la version du CD des années 80, celle que l'on trouve partout dans les bacs d'occase. B, c'est la version remasterisée censément géniale, qui a en fait été passé au de-noiser et compressée à mort. Je vous laisse juge.
En images, c'est parlant aussi : Judas priest remasterisé. En vert, c'est le son.
Une comparaison sur Hound Dog de Presley dans deux éditions différentes :
A gauche, la version sur un CD de Rhino. A droite, le même sur un CD de BMG. La version BMG a été compressée : on voit qu'il n'y a presque plus de creux et de pics. Le même morceau, mais une autre représentation :
On voit ici les ravages de la réduction de bruit appliquée à la truelle. Tandis que la version Rhino monte à 20 Khz et a un bon signal dans les 15 Khz, la version remasterisée de BMG arrive à peine à monter à 15 Khz et n'a quasiment plus rien au-dessus. Il y a 1000 fois plus de différences audibles entre ces deux masterings qu'entre l'un d'entre eux et sa version MP3 bien encodée. Ca laisse à réfléchir, non ?
5 - LES INGENIEURS DU SON ET LEURS FANS
Pourquoi "et leurs fans" ? D'abord parce que certains amateurs n'hésitent pas à racheter un disque qu'ils ont déjà quand il est remasterisé par un de leurs ingés favoris. Voire acheter un disque d'un artiste qu'ils ne connaissent pas juste parce qu'ils vont être sûrs d'avoir un bon son. Ensuite et surtout parce la réputation des ingénieurs du son vient d'une petite minorité d'amateurs mélomanes/audiophiles, et est donc fondée sur leur opinion. Il ne fait aucun doute que certaines personnes préfèrent un mastering dans-ta-face à un autre qui sera jugé plus "plat". Mais voilà : ceux-là ne s'intéressent pas aux ingés ou aux masterings, donc n'expriment pas leur opinion.
Ceci étant dit, quels sont les critères qui fondent la réputation de tel ou tel ingénieur du son ? En gros, tous ceux exprimés dans l'item 6 : pas ou très peu d'emploi de denoiser, le minimum indispensable de compression et pas ou très peu de réégalisation. Rajoutons : pas de remixage, ou seulement en bonus tracks. Et enfin, une autre phase essentielle d'un remastering : un travail approfondi et parfois érudit en amont lors du choix des bandes qui vont être utilisées. On voit que l'on dépasse là le rôle strict d'un ingé du son tel qu'on l'imagine. Il y a aussi un travail d'archiviste, parfois quasiment d'archéologue. Le parallèle est d'ailleurs assez pertinent : un bon ingé qui fait un remastering est comme un artiste qui fait une restauration d'un tableau. Un travail qui nécessite des connaissances sur les technologies d'antan, sur celles d'aujourd'hui, et une certaine dose de sens artistique. Et ce que l'on demande à un remastering est assez semblable à ce que l'on attend de la restauration d'une oeuvre picturale : remettre simplement en état, rénover, sans RIEN modifier. Evidemment, il peut paraître assez risible de comparer le remastering d'un Best Of de Sonny & Cher à la restauration de la Joconde, et c'est un pas que nous ne franchirons pas. Mais bref, si l'on est capable de faire du bon boulot sur des chef-d'oeuvres musicaux populaires du 20ème siècle (disons Armstrong, Davis, Cooke, Dylan, entre autres), on peut aussi le faire sur des artistes mineurs ou dérisoires, ça coûte pas (beaucoup) plus cher.
Le seul critère assez subjectif est le choix des bandes, qui rentre dans la catégorie "bagarre entre partisans de la mono vs partisans de la stéréo". Et évidemment, même le meilleur ingé peut avoir un jour un coup de mou, ou se planter, ou être obligé de bosser dans des conditions invraisemblables etc. Les appréciations suivantes portent donc sur une carrière entière, et non sur un disque ou une série de disques.
* Les grands noms : on peut mettre Bob Ludwig et Steve Hoffman dans cette catégorie. Ce sont les deux plus connus, les deux plus interviewés, et l'un comme l'autre mérite leur réputation. Chacun a son studio et bosse en free-lance. Côté consommateur, un gros moins pour Hoffman : étant le plus puriste des deux, il a bossé la majorité de sa carrière pour des labels audiophiles dont les disques sont un peu plus chers et à tirage limité. Une fois épuisés, leur prix sur le marché de l'occasion explose. Trouver ses masterings DCC Gold des Beach Boys, de Ray Charles ou de Joni Mitchell n'est pas évident et demande un porte-feuille bien garni.
Ludwig bosse par contre la plupart du temps sur des éditions grand public, avec comme revers qu'il est obligé parfois de céder à ses commanditaires et compresser ses masters. mais au moins réussit-il toujours à limiter les dégâts.
* Les presque unaniment appréciés. Un petit hall of fame :
- Vic Anesini
- Doug Sax
- Larry Walsh
- Joe Palmaccio
- Bill Inglot/Dan Hersch
* Les appréciés par un grand nombre mais toutefois controversés. On reste encore dans les "bons".
- Gavin Lurssen
- Dennis Drake
- Bernie Grundman
- Joseph M. Palmaccio
- Bob Irwin
- Steve Massie
- Marty Wekser
- Ted Jensen
- George Marino
* La honte de la profession. Ceux-là n'ont quasiment jamais fait un bon mastering de leur vie :
- Jon Astley
- Erik Labson
- Bob Norberg
On peut aussi rajouter les musiciens eux-mêmes qui sont parfois des ingés désastreux. Zappa, par exemple, par incompétence (on ne peut pas être un génie dans tous les domaines...). Mais aussi des gens comme Jimmy Page ou Pete Townshend qui nous ont concoctés des remasterings de leurs oeuvres à une époque où ils étaient déjà à moitié ou aux 3/4 sourds (au sens littéral, pas au sens imagé et subjectif employé par les idiophiles pour tenter de casser leurs contradicteurs). 20 ou 30 ans de concerts endommagent gravement et irrémédiablement l'audition, on le sait. Townshend n'a d'ailleurs jamais caché qu'il devenait sourd et l'a dit plusieurs fois en interview. Imaginons un parfum conçu par un "nez" qui aurait perdu les 3/4 de son odorat. Ben les remasterings des Who ou de Led Zep, c'est à peu près la même chose.
6 - CAS D'ECOLE
à venir
7 - CONCLUSIONS ET RECOMMANDATONS
à venir