Itinéraire d'un pigiste  
 
Il est de coutume un beau jour de vous demander de choisir une voie professionnelle alors que vous êtes encore bercés par les tendres années scolaires. Non content que vous puissiez déjà savoir ce que vous voulez faire, il faut encore que cela ne sorte pas trop de l'ordinaire pour coller au plus près des statistiques et des options basiques proposées. Essayez donc, alors, de trouver une case socio-professionnelle intitulée "testeur de jeux vidéo". Entre chômage et journalisme peut-être… En tous les cas, il faut bien avouer que ce choix non-conventionnel est pourtant un travail à part entière, dont les chemins d'accès sont divers. C'est pourquoi nous allons passer outre la langue de bois habituellement de rigueur pour vous enseigner l'art de l'insertion dans un milieu étrangement similaire à celui de la jet-set.
 
 
 Préambule à l'enfer  
 
 
Lorsque vous posez les yeux sur une question concernant ce métier, dévoilée dans un courrier des lecteurs ou un forum, la même réponse revient perpétuellement comme un message-type employé par toutes les rédactions (similaire aux androïdes qui vous répondent régulièrement sur les hotlines lorsque vous rencontrez un problème auquel vient se suplanter une impasse de communication). Ce dernier vous convie à vous adresser à l'équipe de votre choix par le biais d'un curriculum vitae et d'une lettre de motivation si vous satisfaisez aux références de base ; c'est-à-dire savoir jouer et avoir une plume correcte. Il est vrai qu'à la vue d'une telle faiblesse de caractéristiques requises, bon nombre d'entre vous pourraient être tentés de lâcher leurs études et de foncer tête baissée… Dans un mur.
 
Car si théoriquement tout ceci est alléchant, il faut savoir lire entre les lignes. Entendez alors déjà que la réponse employée est une formule de politesse. S'il ne s'agit pas d'un recrutement clairement énoncé, ne vous attendez pas à rejoindre les rangs d'une équipe en un clin d'œil. Vous devrez faire vos preuves avant de toute manière. L'intérêt de demander un CV est de juger votre expérience dans le milieu. Il est certain que, si rien ne concerne la rédaction de presse dans une société de diffusion à bonne réputation, vous pouvez vous attendre à ne jamais être pris au sérieux. Ensuite, la lettre de motivation sert à évaluer votre potentiel rédactionnel à travers la clarté de votre expression. Au final, il vous est demandé de faire preuve d'expérience et de talent (à défaut d'un niveau de français acceptable).  
 
Puisque nous parlons de métier, outre la question de situation géographique qui représente une barrière supplémentaire si vous ne vous trouvez pas dans la région (parisienne), il arrive un moment où, si votre candidature retient l'attention, un rendez-vous est fixé pour un entretien. S'il vous est demandé de joindre à votre CV et votre lettre de motivation un exemple de test, le face-à-face est un niveau supérieur dans le recrutement (chose qui n'existe pas pour les sites amateurs par exemple). Comme il est question de vous payer pour votre travail, il faut savoir si vous êtes capable de fournir ce qui vous est demandé en temps et en heure. C'est pourquoi, il est bien souvent demandé de rédiger, en un quart d'heure, un petit texte, d'un certain nombre de caractères, pour jauger votre faculté de réaction et aussi votre potentiel créatif. Cependant, ce n'est pas tout. Certains vicieux, ceux qui généralement ne tiennent pas vraiment à vous laisser une chance (et cela avant même votre entretien parfois), vous entraîneront sur le terrain de la culture en jeux vidéo lors d'une sorte de débriefing. Il est d'ailleurs fort risible de se voir donner des leçons par des personnes qui en savent bien souvent moins, qui ont commencé à jouer bien après vous et qui, parfois même, viennent d'un tout autre milieu que les jeux vidéo.
 
 
 Le côté obscur de la profession  
 
 
Après ces quelques paragraphes, il serait bien normal de voir votre motivation retomber. Vous croyez peut-être avoir lu le pire… Vous n'êtes certainement pas sans savoir que les différents groupes de presse éditent différents magazines, dont certains ont votre primeur. Vous ne serez pas étonnés d'apprendre qu'ils se livrent une guerre farouche, certains abritant même plusieurs magazines basés sur les jeux vidéo pour mettre de leur côté le plus de chances possibles. Que doit-on penser lorsque, fraîchement arrivé, un type vous montre du doigt en conspuant votre maison de presse ? Etre testeur revient à manier un paddle aussi bien qu'une plume. Mais il faut posséder d'autres qualités comme la persévérance, la motivation, la rigueur, l'esprit d'analyse, être capable de recul et d'objectivité. L'idéalisation de cette profession veut que les personnes qui travaillent dans ce milieu passent la majorité de leur journée à jouer, une partie du petit matin à rédiger et partent très souvent à diverses présentations se faire cirer les pompes. Bien que ceci ne soit pas faux, la vérité est un peu moins embellie de poussière de fée venue tout droit du monde bienveillant de Boucle d'Or.
 
A moins de connaître des personnes déjà en place qui pourraient vous donner le coup de pouce ou de piston adéquat (chacun ses goûts), vous n'intégrerez une rédaction que si elle recrute. Il faut tomber au bon moment et sur la personne suffisamment ouverte d'esprit pour vous laisser la chance de faire vos preuves. Pour le reste, vous n'aurez pas le droit d'entrer dans ce qui est le plus grand des jeux de chaises musicales. Car l'effet pervers du métier est de ne vous laisser aucune chance si vous n'êtes pas connu. Or, pour ce faire, encore faudrait-il intégrer une équipe quelle qu'elle soit, non ? Pourtant c'est malheureusement une évidence. Les rédactions possèdent des équipes de pigistes et de rédacteurs pré-établies. Il est très difficile d'intégrer l'une d'entre elle ou d'attirer l'attention au regard du nombre de personnes qui envoient leur CV. Le bas de l'échelle est de toute manière celui de pigiste. Payé à l'article, il s'agit de l'examen de passage sur le long terme. Idéal pour les étudiants, la chose est plus compliquée pour ceux qui ne vivent que de ça. Votre détermination est primordiale pour prouver votre valeur, non pas sur un plan qualitatif, mais productif. Vous devez aussi jouer la carte de l'adaptation afin de répondre aux exigences de certains magazines qui visent une telle catégorie de joueurs, de fans ou d'âge. De toute manière, votre qualité se juge au fur et à mesure qu'il vous est confié toujours plus de travail. Vous croyez alors être reconnu pour ce que vous fournissez. C'est en quelque sorte le cas, mais d'un point de vue différent.
 
La réalité des choses vous sautent au visage lors de votre première sortie pour une quelconque présentation. Vous apprenez que les groupes de presse sont quotés aux yeux de certains et que la valeur de celui qui vous emploie n'est pas forcément la meilleure aux yeux d'autres "collègues" qui vous accorderont alors le crédit correspondant à leur critère. Maquette de magazines instables, critiques de tests, d'optique rédactionnelle, de procédés de travail, vie privée d'un rédacteur en chef absent sont autant de sujets qui sont évoqués. A vrai dire vous vous apercevez vite que chacun déblatte toujours les mêmes sujets sur lesquels ils sont hyper calés. D'autres se trouvent assez supérieurs pour vous rire au nez. Et puis, votre regard tombe sur quelques uns qui courbent le dos tels des bossus voulant se faire toucher leur protubérance, histoire de se faire remarquer. La vérité tombe soudainement au cours d'une soirée, où vous ne trouvez pas votre place. Votre travail ne sera pas reconnu pour avoir été lu, mais parce que vous serez vu et connu. Vous vous apercevez alors que vous avez pénétré dans un immense panier de crabes, où l'image idéalisée de cette profession n'a rien à voir avec la réalité. La presse est régie de la même façon que la jet set élit ses favoris.
 
 
 Après la pluie vient le beau temps  
 
 
Comme tout emploi, vous devez vous plier aux règles. Peu importe que les dirigeants ne perçoivent les joueurs que comme des produits de consommation potentiels. Peu importe que vos éminents voisins des rédactions "concurrentes" vous prennent de haut ou ne s'en tiennent qu'à la société pour laquelle vous travaillez sans jamais avoir rien lu de vous. Peu importe que, en tant que nouvelle recrue, vous n'ayez pas accès aux derniers titres en puissance et que vous deviez vous contenter de ceux que personne ne veut. La passion est une flamme éternelle dans le cœur de celui qui sait l'entretenir. Votre motivation doit être de fer dans un milieu où la reconnaissance pour votre travail est forcément une marque de respect et de confiance. Car ils seront nombreux les faux-amis qui ne manqueront pas de vous planter la lame de la trahison dans le dos lorsqu'il s'agira de reprendre une idée à leur compte pour grimper sur la marche supérieure en vous écrasant la tête. Mais sachez qui si vous parvenez à percer un jour, vous le devrez à vos capacités. Et pour peu que vous soyez encourager à déployer les ailes de votre potentiel créatif, ce genre de coup fourré reviendra toujours au visage de ceux qui qui vous l'ont emprunté. Après, tout cela reste normal dans un monde de crabes.
 
S'il est une certitude (et il faut bien le reconnaître), c'est que les rédacteurs-pigistes sont triés sur le volet. Mais au moins, lorsque vous arrivez dans une rédaction, vous savez grâce à quoi vous le devez. Une fois en place, il ne tient qu'à vous de vous y fixer pour progresser. Mais comment y arriver ? Au tout début, il faut déjà lire toute sorte de livres pour acquérir un vocabulaire étayé. Ensuite, il ne faut pas négliger l'écriture forcément. Rien de tel que de cumuler les expériences sur les nombreux sites amateurs qui restent une très bonne école. Accepter les critiques comme des conseils constructifs et prenez-en toujours compte. Pour ce qui est de la filiale à suivre, l'école de journalisme est un moyen qui vous permettra à coup sûr de voir au-delà de cette profession au fil des années. La faculté de Lettre vous apprendra à manier les mots, mais ne vous apportera qu'un crédit minime au final. Le reste est une question de chance pour tomber sur les annonces de recrutement de différents magazines ou en effectuant de candidatures spontanées.
 
Une chose est sûre : le jeu en vaut la chandelle. Malgré les mauvais côtés de la profession, le travail n'a pas pour but de plaire à quelques confrères blasés. Il s'effectue en son âme et conscience pour communiquer une passion commune à des milliers de joueurs, les renseigner, les informer, les amuser, les instruire. Participer à une présentation, discuter avec des éditeurs ou des développeurs, palper un jeu avant sa sortie, manger des petits fours la main posée sur le postérieur d'une hôtesse qui sera prête à tout pour vous faire dire du bien d'un produit (j'exagère un peu sur certains points) sont autant de moments inestimables précieusement ancrés dans le cœur de celui qui saura rester modeste et vivre sa passion jusqu'au bout. Rien n'est impossible. J'en suis le début de preuve.