babysnoopy a écrit :
J'ai créer le concept de museau pour poser un nom sur ces personnes écrasées par le système capitaliste, les rapports de classe, le consumérisme, le pastiche, etc. Des personnes dépourvues de goûts, de volonté, à qui beaucoup de choses manquent : le temps, l'espace, l'érudition, etc.
La notion d'écrasement est consubstantielle de l'être museau. Mais il est utile de rappeler que le museau n'a pas nécessairement conscience de son écrasement. Cet écrasement se traduit de différentes façons : la perte de temps et l’entassement dans les transports en commun ou le périphérique aux heures de pointe, l'abaissement des hauteurs sous plafond, le poids de la hiérarchie dans le cadre professionnel. Dans un tout autre domaine, et pour vous montrer que ce phénomène d'écrasement est omniprésent dans la vie d'un museau, on peut citer le cas de la musique, le museau écoute des radios diffusant des morceaux de musique dont la dynamique est très écrasée (compressée).
Alors que je ne lui avais pas encore donné un nom, année après année, je me suis construit en opposition au personnage du museau. Je n'ai rien contre les museaux, je ne les hais point. C'est simplement que je ne souhaite pas m'abandonner à la facilité. Car oui, se laisser écraser est une solution de facilité. Les museaux me donnent l'impression d'individus en état de semi-conscience. De part cet état de semi-conscience, le museau n'est ni victime ni acteur de sa situation. La vie d'un museau chimiquement pur consisterait à traverser une mer de mensonges. Dans un début d'éveil, pouvoir faire preuve d'autodérision et prendre conscience de son caractère museau, c'est déjà ne plus tout à fait l'être.
L'ironie est qu'en voulant m'écarter de la vie de museau, j'ai pris une direction vers celle d'un personnage non moins risible : le bourgeois de province. Le bourgeois de province est cet individu plutôt conservateur, rempli de certitudes et satisfait de lui-même. En prenant de la hauteur on réalise que le bourgeois de province est un individu confit dans un épais et sirupeux canevas de normes et de codes obsolètes.
La dernière personne ayant fait saillir un trait d'esprit bourgeois de province est un agent immobilier m'ayant fait visiter une longère à Gonneville-sur-mer. Cet homme a été très professionnel et agréable tout au long de la visite. Mais durant 20 secondes, le ton de sa voix a pris une légère inflexion autoritaire quand il m'a expliqué qu'il faudrait respecter le style traditionnel si une extension de la maison était envisagée. C'est à ce moment-là, en affirmant son conservatisme, qu'il m'est apparu très bourgeois de province. Et pour ne rien vous cacher, c'est peut-être de la fierté mal placée, mais je me suis senti supérieur à lui en ce sens que je dispose d'une plus grande ouverture aux idées et aux architectures nouvelles. Je n'aime pas essentialiser les gens à partir de leur apparence. Mais il se trouve que cet agent immobilier avait un style très convenu avec des richelieus en veau velours aux pieds et un imperméable en toile de coton bleu foncé, un conformisme vestimentaire auquel se plient les bourgeois de province.
Il est possible de s'arracher complètement à la condition museau. Mais il est plus difficile de se défaire des réflexes de bourgeois de province, car l'homme est un animal social et culturel. À titre personnel, je ne cherche donc pas à éradiquer totalement le petit bourgeois de province né en moi. Le tout est de ne pas prendre au sérieux les réflexes conservatistes dont on n'a su se défaire.
Je tiens ici à rappeler que contrairement à ce que certains pensent, le museau et le bourgeois de province ne se définissent pas par leur capacité financière. Il y a corrélation mais non causalité.
Nous arrivons au cas du marchand en sandales. Pourquoi un marchand ? Car pour lui, tout se vend et tout s'achète. Pourquoi des sandales ? Car le marchand se présente à bas bruit, sous des airs bienveillants (les sandales par opposition aux bottes brunes). Mais pourquoi un attribut pédestre ? Car le marchand est en marche.
Être en marche est une action mais non un but. Et vous noterez que c'est un peu ridicule de marcher sans but. Mais pour avoir un but, il faut d'abord prendre de la hauteur, comprendre le monde dans sa globalité mais aussi et surtout entrevoir les possibilités et les alternatives, tel le poète qui voit plus loin que l'horizon. C'est un travail d'éveil qui fait défaut aux marchands en sandales. Ils sont mordus très jeunes par un vampire affairiste et leur vie se concentre alors sur l'argent. La bonne marche du système économique est leur horizon indépassable.
Le marchand en sandale marche donc pour un système. Plus précisément, ce qui caractérise le marchand en sandales, c'est son obédience au système libéral-capitaliste, laquelle s'accompagne très souvent d'une fascination pour le monde anglo-saxon, berceau dudit système. Un de mes meilleurs amis, qui est aussi un ami d'enfance, a donné un prénom avec une orthographe anglo-saxonne à sa fille. Les parents m'ont expliqué que c'était pour faciliter sa carrière professionnelle. Voilà un comportement très marchand en sandales.
Pour un marchand en sandales, l'unité monétaire est son maître-étalon pour évaluer tout et n'importe quoi, à commencer par le niveau de réussite des gens. Vous allez penser que je suis anti libéral-capitaliste. Ce n'est pas le cas. D'ailleurs, j'ai moi-même des réflexes de marchands en sandales, je serais presque enclin à opter pour des prénoms sans accent si j'avais des enfants.
|