Comme les femmes riches sont plus nombreuses, les hommes riches peuvent en épouser davantage. Ce qui accroît inexorablement les écarts de revenus entre couples.
 
Tocqueville l'avait dit il y a déjà près de deux siècles : les Français sont épris d'égalité, plus que tout autre peuple au monde. Ils adorent dénoncer les dividendes trop élevés, les retraites chapeau indécentes, l'optimisation fiscale, voire parfois les millions des footballeurs.
 
Mais jamais n'est évoqué un ressort de plus en plus puissant des inégalités : le mariage, et au-delà la vie en couple. Sans doute parce que le choix de son compagnon ou sa compagne relève de l'intimité la plus profonde, même s'il a des conséquences qui vont bien au-delà.
 
Formation de couples « assortis »
 
Le point de départ est connu : on se marie souvent avec quelqu'une ou quelqu'un qui est proche - géographiquement, socialement, culturellement. Le sociologue Alain Girard l'avait montré en 1959.
 
Deux autres sociologues, François Héran et Michel Bozon, avaient expliqué le coup de foudre dans une jolie formule en 1984 : « La foudre, quand elle tombe, ne tombe pas n'importe où : elle frappe avec prédilection la diagonale… » Les fils d'agriculteur épousent surtout des filles d'agriculteur, les fils d'ouvrier des filles d'ouvrier, les fils d'ingénieur des filles d'ingénieur.
 
Ces affinités électives, cette homogamie comme disent les experts, n'ont pas d'effet sur les inégalités. Mais trois progrès sociaux majeurs renforcent ce que les Anglo-Saxons appellent l'« assortative mating », la formation de couples « assortis ». Les femmes sont de plus en plus nombreuses à travailler, ou plutôt à avoir un emploi rémunéré. Elles montent davantage dans la hiérarchie. Et, à travail égal, leur salaire se rapproche de celui des hommes.
 
Mécanique conjugale
 
Résultat : un homme bien payé peut plus facilement être en couple avec une femme bien payée… parce qu'il y en a davantage. Le couple ainsi formé a un revenu plus élevé.
 
Pour le constater, il est possible de répartir les femmes et les hommes en cinq groupes de revenus, des plus bas aux plus élevés, en quintiles comme disent les statisticiens. « En 1996, un couple sur cinq était composé de conjoints appartenant au même quintile de revenus, observent les économistes Pauline Grégoire-Marchand et Nicolas Frémeaux dans une note publiée par France Stratégie. En 2015, c'est le cas pour plus d'un quart des couples. »
 
Les hommes bien payés forment effectivement de plus en plus souvent une union avec des femmes bien payées. De l'autre côté, « le nombre de couples dont les deux conjoints figurent parmi les 20 % les plus modestes a doublé ». La mécanique conjugale a accru les écarts de revenus entre foyers.
 
Un autre comportement renforce l'inégalité : plus les qualifications progressent, plus on se marie entre soi. Deux chercheurs de l'Edhec, Pierre Courtioux et Vincent Lignon, remarquaient ainsi dans un travail de recherche que « les docteurs ont 25 fois plus de chance d'avoir un conjoint de même diplôme que si ce conjoint avait été déterminé au hasard au sein des individus de sexe opposé de la même cohorte ». La proportion est du même ordre chez les anciens d'écoles de commerce, et elle est un peu inférieure à 20 chez les ingénieurs.
 
Ces effets se retrouvent dans tous les pays avancés. Aux Etats-Unis, une équipe de chercheurs qui a travaillé sur les revenus des couples avait estimé en 2014 que l'une des mesures les plus courantes de leur inégalité, le coefficient de Gini, était supérieure d'un quart à ce qu'il aurait été si les couples s'étaient formés de manière aléatoire.